14 - Réconfort

Au bout de quelques minutes, je parviens à calmer mes sanglots et à retrouver mon souffle. Wendy se lève en silence et se dirige vers sa petite cuisine. Le bruit léger de l'eau frémissant dans une marmite rompt l'atmosphère chargée d'émotions. Je la regarde, encore submergé par tout ce qui vient de se passer.

— Wendy, il y a autre chose dont je dois te parler, je dis, d'une voix hésitante.

— Je t'écoute, répond-elle en continuant de remuer le contenu de la marmite, ses gestes plus lents, comme si elle pressentait que ce que j'allais dire était important.

— C'est à propos des meurtres en série. J'ai une théorie... un truc qui me trotte dans la tête depuis un moment, mais je l'ai dit à personne jusqu'à maintenant.

Wendy stoppe net ses mouvements. Elle se tourne lentement vers moi, son regard soudain sérieux et attentif. Cette attention bienveillante qu'elle me porte me fait presque rougir. Ce n'est pas comme les regards suspicieux de l'inspectrice ou le mépris distant de ceux qui m'ont ignoré jusque-là. Avec Wendy, c'est différent. Je sens une véritable sincérité dans ses yeux.

— Vas-y, parle. Je t'écoute, dit-elle en plongeant son regard dans le mien, m'encourageant sans un mot.

Je prends une grande inspiration.

— D'accord. D'abord, tu dois savoir que le surnom « Lie Killer » n'est pas donné par hasard. C'est lié à la signature qu'il laisse sur chaque scène de crime. Il y a toujours cette phrase écrite quelque part : « La vérité finit toujours par être mise à nue. » qui n'est visible qu'à la lampe UV.

Wendy fronce les sourcils, intriguée.

— Donc, c'est probablement quelqu'un qui cherche à révéler des mensonges, à prendre sa revanche, dis-je en pesant chaque mot. Mais ce n'est pas tout. À côté des corps de chacune des victimes, il laisse une lettre, écrite en sang. Un message que la police ne semble pas capable d'interpréter jusqu'à présent.

Je marque une pause, cherchant ses yeux, pour voir si elle suit.

— Une lettre ? Qu'est-ce que tu veux dire par là ? demande-t-elle en plissant les yeux.

— La lettre laissée près des corps de Jorge et Romane... c'était un « W ».

Wendy reste figée, bouche bée, visiblement choquée par cette révélation. Elle ne dit rien, mais je peux voir qu'elle fait instantanément le même lien que moi.

— En voyant ça, je me suis souvenu de quelque chose que Romane a dit quand elle m'humiliait... Elle avait fait allusion à toi. Elle avait dit que j'étais aussi pathétique qu'une dénommée Wendy.

Le silence s'installe. Je poursuis :

— À partir de là, j'ai commencé à élaborer ma théorie. Je pense que Lie Killer est quelqu'un qui cherche à dénoncer des prédateurs sexuels. Peut-être une victime, qui prend sa revanche en tuant ceux qui ont échappé à la justice. Et ces lettres laissées près des corps... Je crois que ce sont des hommages silencieux, aux victimes de ces personnes. Des victimes comme toi... et moi.

Wendy me fixe, visiblement bouleversée, et secoue la tête lentement.

— Attends... tu veux dire que ce tueur serait au courant de ce qui m'est arrivé ? Mais... je n'ai parlé de ça qu'à une seule personne, Daniela. Quand je lui ai expliqué pourquoi je partais de Valpo.

— Et les photos ? Peut-être que quelqu'un a vu les photos qu'ils ont prises pendant... ton agression ? Quelqu'un qui aurait compris ce qu'ils t'ont fait ?

— Comment est-ce que je pourrais le savoir ? répond-elle, le regard perdu. Je me suis toujours dit qu'ils avaient dû garder ces photos pour eux, sinon ça aurait forcément fait scandale. C'est ce genre de choses qui explose sur les réseaux sociaux. Et peut-être qu'ils les ont supprimées par peur que ça se retourne contre eux.

Je me gratte nerveusement la tête, frustré. J'avais espéré une piste plus solide.

— J'aimerais tellement savoir qui est ce tueur, je lâche. Juste... pour comprendre. Comprendre ce qui l'a réellement poussé à agir, pourquoi il fait tout ça. Au fond j'ai aussi peur de l'usage qu'il pourrait faire de ces photos s'il les a...

Wendy semble songeuse, ses yeux fixés sur un point invisible au loin. Puis, soudain, son visage s'éclaire, comme si une idée lui était venue brusquement.

— Comment j'ai pu oublier ?! s'exclame-t-elle.

— Quoi ? je réagis, sursautant presque.

— Le jour de l'agression, un homme est venu m'aider, juste avant que Romane et Jorge ne s'échappent. C'est lui qui m'a encouragée à porter plainte. Il m'a même emmenée faire des examens médicaux. Je lui dois énormément.

— Qui c'était ? Tu connais son nom ? je demande, mon cœur battant plus fort.

— Son nom... je ne m'en souviens plus. Mais je me souviens de l'endroit où il travaillait.

Elle se précipite vers un carnet de dessins posé sur la table, en arrache une feuille, et commence à écrire frénétiquement quelques informations. Puis elle me tend le papier.

— C'est tout ce dont je me souviens, me dit-elle en me fixant avec gravité.

Je prends la feuille, mes yeux parcourant les mots griffonnés à la hâte. Une entreprise, une description physique. Et faudra bien que je me démerde avec ça apparemment.



Je passe le reste de l'après-midi à somnoler dans le salon. Après quelques heures de repos, je me réveille doucement, bercé par le bruit des assiettes et des couverts qui s'entrechoquent. Wendy est en train de mettre la table.

— Je t'ai réveillé ? Désolée, je me suis dit que tu aurais peut-être faim, dit-elle en souriant.

— Non, t'inquiète, ça va. J'avais vraiment besoin de sommeil, je bâille, en m'asseyant.

C'est fou comme elle est attentionnée. Rien qu'en sentant l'odeur du plat, je sens mon appétit revenir, chose qui ne m'était pas arrivée depuis avant-hier. Wendy est en train de servir un pastel de choclo*. Alors que je la regarde déposer les assiettes sur la table, je ne peux m'empêcher de me perdre dans mes pensées. Wendy est vraiment belle, même si ce n'est pas vraiment mon genre. Mais je me demande... Si elle et moi n'avions pas ce physique qui, apparemment, attire l'attention, est-ce que tout ça serait arrivé ? Est-ce que Romane et Jorge nous auraient pris dans leur piège s'ils nous avaient trouvés « banals » ? Ça me rappelle qu'on ne devrait jamais envier la vie des autres sans en connaître les coulisses.

— Tu veux rester ici cette nuit ? me demande Wendy, alors que je souffle sur ma première bouchée.

— Ça t'embête pas ? Je peux dormir sur le canapé si tu veux, dis-je, un peu gêné.

— Non, pas de souci. Après, j'ai un lit double à l'étage, me propose-t-elle l'air de rien.

Euh... attends, quoi ? Elle peut pas sous-entendre ce que je pense, non ? Elle a l'air bien trop innocente pour ça. C'est sûrement juste pour être polie, pour me proposer le meilleur endroit où dormir. Mais je préfère pas.

— C'est gentil, mais le canapé fera très bien l'affaire. Au fait, c'est délicieux, merci beaucoup. Ça fait du bien de manger chaud, surtout avec ce froid.

Je continue de manger, et je remarque qu'elle me fixe, comme perdue dans ses pensées. À quoi peut-elle bien réfléchir ? Puis elle brise le silence.

— Tes parents savent que tu es ici ? demande-t-elle soudain.

— Euh, non... J'ai juste laissé un mot sur le frigo pour mon père, mais il est rarement là.

— Et ta mère ?

Je me crispe un peu, mais je réponds quand même.

— Ma mère... Elle est partie depuis longtemps. Enfin, elle est pas morte, mais elle m'a abandonné quand j'étais gosse.

— Oh, je suis désolée, Valentino, murmure-t-elle, la voix douce.

— Appelle-moi « Val », je préfère. En fait, ma mère s'appelle Valentina, c'est elle qui m'a donné ce nom. Elle voulait qu'on partage le même prénom, mais elle a fini par m'abandonner, alors... je déteste qu'on m'appelle comme ça. Et toi ? C'est quoi l'histoire de ton prénom ? Et tes origines ?

Elle sourit un peu, mais son regard se voile.

— Ma mère est chilienne, et mon père est américain. C'est lui qui a choisi mon prénom, Wendy, comme dans Peter Pan, pour que je reste sa petite fille éternellement, explique-t-elle en baissant les yeux.

Je vois son visage s'assombrir. Quelque chose ne va pas. Alors, je prends une grande respiration avant de poser la question qui me trotte en tête depuis un moment.

— Et... tes parents, ils sont où, toi ? je demande doucement, craignant sa réponse.

— Ils sont loin... loin de cette réalité, répond-elle d'une voix éteinte. Ils sont dans leur propre monde, un peu comme dans le pays imaginaire tu vois.

Je sens qu'elle n'a pas envie d'en dire plus, et je respecte ça. Mais je me demande si elle leur a caché ce qui lui est arrivé, ou même le fait qu'elle vive ici, isolée. Est-ce qu'elle a réussi à reprendre le cours de sa vie après tout ce qui s'est passé ? Je me demande ce qu'elle fait de ses journées. Tant de questions me viennent, mais la nuit commence à tomber.




* Le pastel de choclo, littéralement "Gâteau de maïs" est un plat typique chilien à base de viande, d'œufs, d'olives et autre, et de maïs un peu caramélisé avec du sucre sur le dessus. (ps : super gourmand en hiver mais ça cale vite selon moi !! 😝)

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