12 - Escapade

En ressortant retrouver les gars, mon téléphone vibre dans ma poche. Un message de Monica, ma prof.
« Salut toi, tu m'as un peu laissé sur ma faim l'autre jour ;) »
Son petit émoji en coin de message me fait sourire, mais je sens aussi un pincement d'angoisse. Elle va finir par croire que je me désintéresse d'elle... ce qui, en vrai, n'est pas si loin de la vérité en ce moment.

Je n'ai pas le temps de répondre que Sergio s'approche, l'air nonchalant :
— Mec, tu sors ce soir ? Je suis à sec niveau marchandise, donc compte pas sur moi aujourd'hui. Mais si tu veux des contacts, j'peux t'arranger ça.
Son sous-entendu est clair, il parle de cette fameuse "marchandise", ce truc magique auquel je suis accro, cette poudre qui me permettait de tout oublier.

Sauf que... je repense à hier. La dernière fois que je me suis injecté cette merde en intraveineuse, au lieu d'oublier, tout est revenu en force, comme un putain de raz-de-marée. Un vrai coup de massue en pleine gueule. Ça m'a dégoûté. Jamais je n'aurais pensé vouloir me sevrer aussi brutalement, comme si mon corps et mon esprit avaient enfin dit « stop ».

— Non, t'inquiète, ça ira pour ce soir. J'ai encore de quoi tenir. Par contre, dis aux gars que je vais probablement m'absenter deux ou trois jours.
— Ah bon, tu vas où ? demande Sergio, les yeux écarquillés.
— J'ai des comptes à régler... laisse tomber, je rétorque en coupant court.

Je le laisse en plan et rentre chez moi, sans un regard en arrière. Une fois à l'appart, je me connecte sur un site de réservation. Pas le temps de réfléchir ou de douter. Je prends le premier bus disponible. Départ ce soir à 19h. Dix-huit heures de route, sans compter les pauses, direction Hornopirén. Le village que Daniela m'a indiqué, au bout du monde, ou presque. Avant de partir, je griffonne un mot pour mon père, que je colle sur le frigo  pour lui dire que je pars dormir chez un pote. Mensonge rapide, histoire de couvrir mes arrières. Il ne pose jamais de questions. Tant mieux.

Je balance quelques vêtements dans un sac, j'attrape un peu de fric, et file au magasin du coin pour acheter les fameuses boîtes de Cuchuflís que Daniela m'a recommandé. Et, bien sûr, quelques bricoles à grignoter pour le trajet. Ça va être long. Très long. C'est quand même fou ce que je suis en train de faire. Partir pour une fille que je ne connais même pas, sur un coup de tête. Même pour un pote, j'aurais jamais fait un truc pareil. Et là, j'ai même pas la certitude qu'elle sera là, ni qu'elle voudra parler.

Je monte dans le bus. Le soleil commence à décliner, noyant la ville dans une lumière dorée. Je prends place, personne à côté de moi, parfait. J'essaie de me faire à l'idée de ce voyage interminable. Dix-huit heures, c'est presque une folie. J'aurais pu la chercher sur les réseaux sociaux, lui envoyer un message, mais... Est-ce que ça l'aurait vraiment mise en confiance ? J'en doute. Peut-être qu'au fond, c'est moi qui ai besoin de cette rencontre. De parler à quelqu'un qui pourrait vraiment comprendre. Quelqu'un qui sait, qui a traversé ce que moi j'essaye d'enfouir.


Le bus démarre à 19h pile, pour une fois que ces chiliens sont à l'heure... Je m'enfonce dans mon siège. Le moteur ronronne doucement, et Valparaíso disparaît peu à peu derrière nous, ses lumières s'éloignant dans le rétroviseur. Je ferme les yeux, épuisé par tout ça, par mes pensées, par ce qui m'attend. Bercé par le mouvement du bus, je finis par m'endormir.


Je suis réveillé au petit matin par un rayon de soleil qui me frappe en plein visage. Je cligne des yeux et, en regardant par la fenêtre, je découvre un paysage complètement différent de celui que j'ai quitté la veille. Des montagnes s'étendent à perte de vue, leur sommet baigné d'une lueur dorée. De vastes forêts de pins défilent lentement, et des lacs aux eaux cristallines apparaissent de temps à autre entre les collines. Le contraste est frappant avec les ruelles chaotiques de Valpo. Ici, tout semble calme, apaisé.

Je reste un long moment à observer, sans bouger. Je me rends compte que je n'ai jamais pris le temps d'apprécier ce genre de choses. D'habitude, je suis trop occupé à m'enfoncer dans ma merde pour vraiment lever la tête. Ces montagnes, ces forêts, elles ont toujours été là, mais c'est comme si je les voyais pour la première fois. Et bizarrement, cette beauté brute me pousse à réfléchir. Toutes ces questions existentielles refoulées, que je prennais soin d'ignorer par divers stratagèmes jusqu'à maintenant, tout ça me saute à la gueule.

Je repense à Mme Torres, à sa voix qui résonne dans ma tête sur le fait de trouver un sens à sa vie. Sur le coup, ça m'avait fait marrer. Trouver un sens, à quoi bon ? Mais là, perdu au milieu de ce paysage presque irréel, je crois que je commence à comprendre ce qu'elle voulait dire. Peut-être qu'elle avait raison. Est-ce que je peux vraiment devenir quelqu'un de bien au fond ? Peut-être que j'ai passé trop de temps à fuir ces questions, à éviter de me poser les bonnes.


Le bus fait une pause dans une petite station au milieu de nulle part. Je descends pour m'étirer un peu. L'air est frais, presque glacial, et il porte cette odeur particulière, mélange de terre humide et de pins. C'est saisissant, vivifiant. Je me rends compte que ça fait des années que je n'ai pas pris une vraie bouffée d'air pur. L'odeur de la mer, à Valparaíso, c'est une chose, mais ici... c'est autre chose. Un peu comme si l'air lui-même me lavait l'esprit.

Je remonte dans le bus. Le trajet reprend, serpentant à travers les montagnes. Plus le temps passe, plus je me demande ce que je vais bien pouvoir dire à Wendy quand je la verrai. Si je la vois. Qu'est-ce que je cherche vraiment ? Des réponses ? Un reflet de ma propre douleur ? Je ne sais même plus.

L'après-midi approche. Le bus continue de rouler, traversant des villages isolés, des forêts encore plus denses. À un moment, je vois au loin un volcan encore fumant, ses pentes enneigées scintillant sous le soleil. Le paysage est sublime, irréel, presque intimidant dans sa grandeur.

Et moi, je suis là, minuscule, perdu au milieu de cette nature sauvage.


J'arrive à Hornopirén en début d'après-midi, avec cette impression étrange de flotter entre rêve et réalité.

Je marche à travers les petites rues de Hornopirén, l'air chargé de l'odeur du sel marin et de bois humide. Ce n'est pas le village perdu que j'avais imaginé. Il est modeste, oui, mais vivant. Des gens circulent tranquillement, des enfants jouent, des femmes bavardent sur les perrons. Des maisons colorées, peintes avec une simplicité qui contraste avec la nature imposante autour, se dressent ici et là. Je me sens étranger ici, loin de Valparaiso, loin de tout ce que je connais. Et pourtant, il y a une sérénité dans l'air, quelque chose qui apaise, même pour un type comme moi.

Je sors le bout de papier où est inscrite l'adresse que Daniela m'a donnée, puis je commence à marcher en direction du littoral. Aucune carte, aucun GPS pour me guider, juste une vague idée de l'endroit. Je me sens étrangement vulnérable, sans repères, dans ce décor totalement différent de ce à quoi je suis habitué, en plus de ne même pas savoir où je vais bien pouvoir dormir ce soir.

Les rues se transforment en chemins de terre, bordés de maisons en bois aux toits rouillés, puis peu à peu, les habitations se font plus rares. Je continue de marcher, mes pieds s'enfonçant dans les graviers du chemin. Plus j'avance, plus je doute de l'exactitude de l'adresse. Est-ce que je suis au bon endroit ? L'idée que je me suis peut-être trompé me traverse l'esprit à plusieurs reprises. Mais alors que je m'apprête à rebrousser chemin, j'aperçois enfin une petite cabane solitaire, à flanc de colline, surplombant la mer, face aux bateaux figés par la marée basse. L'endroit est à la fois beau et désolé, comme si le temps y avait ralenti.

Je m'approche lentement. Chaque pas me semble plus lourd que le précédent. Je ne sais pas pourquoi je fais ça. Je pourrais très bien faire demi-tour, effacer ces dernières heures de ma vie, oublier cette histoire et laisser Wendy à ses propres démons. Mais une partie de moi sait que je ne peux pas. Je dois le faire.

Je frappe à la porte. Le bruit des pas hésitants derrière résonne dans l'air. La porte s'ouvre légèrement et je la vois. Wendy. Je devine que c'est elle avant même qu'elle ne parle. Il y a quelque chose dans ses yeux... un regard que je reconnais immédiatement, celui de quelqu'un qui a traversé l'enfer et en est ressorti, mais brisé.

Elle est plus grande que je l'avais imaginé. Une métisse magnifique, sa peau bronzée par le soleil, encadrée de longs cheveux noirs. Ses yeux, d'un clair perçant, me scrutent avec méfiance, presque sur la défensive.

Elle me regarde un instant, sans rien dire. Je vois son hésitation, son recul. Elle ne sait pas qui je suis, ni pourquoi je suis là.

Je ne dis rien. Je sors simplement la boîte de cuchuflís que j'ai gardée dans mon sac. Wendy fixe la boîte, son regard passant de l'objet à mes yeux.

Le silence entre nous est tendu, mais je sens un léger relâchement dans ses traits, une hésitation. Elle attrape la boîte sans un mot, ses doigts effleurant les miens brièvement. Elle sait que je viens forcément de la part de quelqu'un qu'elle connaît.

— Salut, je m'appelle Valentino, est-ce que c'est toi Wendy ? Il faut que je te parle de quelque chose d'important. C'est Daniela qui m'a dit où te trouver.

— D'accord, entre.

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