10 - Murmures
J'allume mon téléphone, ça doit faire plusieurs heures qu'on me l'a confisqué. J'ai plusieurs appels manqués de Miguel, Sergio, Pedro, même Sebastian. Faudrait que je retourne en cours mais le truc, c'est que je suis complètement à bout de force après l'horrible nuit que je viens de passer. J'écris à Miguel pour lui expliquer que tout va bien, que je suis en liberté, et que je vais simplement rentrer chez moi pour dormir, sans lui en dire plus.
Je m'effondre dans mon lit et dors comme un mort, de midi à minuit, sans interruption. La fatigue était bien trop accumulée. En me réveillant, j'ai l'impression d'avoir hiberné. C'est fou comme le sommeil peut tout remettre en place dans ta tête. Mes pensées sont plus claires. Demain, retour à la réalité. Il va falloir reprendre le cours des choses. Pas le choix si je veux comprendre qui est vraiment ce putain de Lie Killer, ce qu'il cache derrière son masque, ses motivations, son histoire... et pourquoi il fait ce qu'il fait.
Le lendemain, je me traîne sur le campus, toujours sans avoir réglé le problème de ma moto. Ça me frustre, mais je peux pas m'attarder là-dessus. En marchant dans les couloirs, les regards fusent, des murmures malsains glissent à travers l'air. Je les entends tous, comme si chaque mot me frappait de plein fouet.
— Ce mec, c'est un vrai psychopathe, il fout vraiment les jetons.
— Ouais, y paraît qu'il s'est marré en voyant les corps. Il a pas de race.
— Paola m'a dit qu'il a pleuré comme un gamin parce qu'il arrivait plus à bander... le loser ultime.
— Il doit être drogué jusqu'à la moelle, ça explique tout.
Putain elle l'a raconté à tout le monde ? Tout ce que j'entends me blesse tellement que je n'ai même pas la force de hausser la voix pour les faire taire. Comment des rumeurs peuvent se répandre aussi vite ? Ça me prends aux tripes, comme hier, tous ces sous-entendus à côtés de la plaque, ces accusations infondées. C'est dégueulasse de se faire salir gratuitement comme ça. C'est tellement injuste. Je serre les dents. Qu'ils vivent la même chose que moi avant de me juger !
J'accélère le pas, traverse les couloirs sans regarder personne, jusqu'à atteindre enfin la sortie à l'arrière du bâtiment. Direction notre QG. Là-bas, au moins, je pourrais espérer un peu de calme.
Tous les gars sont déjà là, assis, et dès qu'ils me voient entrer, ils se redressent avec des visages graves. L'air est tendu.
— Val ! Alors, raconte-nous ! lance Miguel, mon meilleur pote, l'inquiétude dans la voix.
— Les flics m'ont fait passer un interrogatoire... tout ça parce que j'étais la dernière personne à avoir été vue avec eux, je dis, en essayant de minimiser.
Je ne vais pas leur dire que j'avais un mobile. Ça, c'est un détail que je garde pour moi.
— Sérieux ?? Et t'as dit quoi ? demande Pedro, les yeux écarquillés, complètement naïf.
— Bah... j'ai dit la vérité, puisque je n'avais rien à cacher, je lâche, hésitant légèrement.
Enfin, rien à cacher... en ce qui concerne ce meurtre, du moins.
— Comment ils ont pu conclure que t'étais innocent ? intervient Sebastian, avec son air calculateur habituel.
Je sens qu'il y a un truc derrière cette question, comme d'habitude avec lui.
— J'en sais rien... c'était bizarre. On aurait dit que la femme qui m'interrogeait voulait à tout prix que j'avoue un truc que j'ai pas fait. Elle était sûre d'elle, comme si elle avait déjà décidé que j'étais coupable. À un moment, elle m'a carrément demandé : "C'était prémédité ou c'est arrivé sur un coup de tête ?" Tu vois le genre... Puis d'un coup, un flic entre, annonce une pause, et après ça, on me dit que je suis libre. J'ai rien pigé.
— Hm ! Typique de la méthode REID, fait Sebastian, en prenant son ton de mec qui sait tout. C'est une méthode controversée, tu vois... Ils utilisent des techniques comme l'accusation directe, la manipulation psychologique et émotionnelle, la présentation de preuves sorties de leur contexte. Ils te laissent une porte de sortie qui passe par des aveux. Très limite sur le plan éthique, et d'après ce que tu dis, c'est exactement ce que l'inspectrice essayait de faire. Elle a probablement été rappelée à l'ordre.
Sebastian, toujours à étaler sa science. Mais au moins, ça explique certaines choses.
— Ça n'explique pas pourquoi ils l'ont laissé se barrer si facilement alors qu'ils avaient des soupçons solides, lance Sergio, en me lançant un regard froid.
— Si, au contraire, répond Sebastian en levant les yeux au ciel. Dans certains cas, ils sont obligés de te relâcher. Ça ne veut pas dire pour autant que t'es hors de danger. Vous le sauriez si vous écoutiez un peu en cours de droit.
Super, me voilà bien rassuré. Non, sérieux, avec tout ça, j'ai de quoi perdre le sommeil pour de bon.
Je me redresse un peu, un truc me trotte dans la tête depuis que j'ai quitté le commissariat.
— Les gars ! Y'a un truc que je dois vous demander. Est-ce que vous connaissez une Wendy ? Une Wendy dans le coin ?
Tous me répondent en chœur :
— Mh, nan ?
Tous, sauf Pedro, qui hésite un instant.
— Euh... je crois que ça me dit quelque chose, oui.
— T'en connais une ? je m'excite, mon cœur commence à battre plus vite.
— Ouais, la meilleure pote de Daniela s'appelait Wendy. Mais je sais pas trop ce qu'elle est devenue, ça fait un moment que je l'ai pas vue. Pourquoi ?
Je ne réponds même pas à sa question, je me précipite vers lui et lui agrippe les épaules avec une urgence que je ne peux pas cacher.
— Comment je peux la trouver ?? Et c'est qui, cette Daniela ?
— Euh, c'est... une fille... une fille du campus, elle fait une licence d'art... bégaye-t-il, visiblement pris de court par mon excitation.
— Ah, c'est pas la meuf sur qui t'as des vues ? demande Miguel, avec un sourire en coin.
Pedro rougit, mais je suis trop concentré pour prêter attention à leurs conneries. Je lui demande de me la présenter le plus vite possible. Je trouve un prétexte à la con, j'invente que j'ai trouvé une affaire à Wendy, signée de son prénom, et que je veux lui rendre. Ça sonne bizarre, même pour moi, mais les gars n'ont rien à redire. Tant mieux, j'ai pas besoin d'explications. Tout ce qui compte, c'est que je retrouve cette Wendy, coûte que coûte.
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