Chapitre 5
Chapitre Cinquième
Le samedi soir, à partir de dix-huit heures, la maison des Gelderman se calmait. Et ce samedi se déroulait comme les autres. Max était rentrée de son après-midi boulot chez Ivi et avait filé dans sa chambre afin de se préparer pour sa soirée ; Erasme jouait depuis un moment dans sa chambre avec son avion Playmobil. Victorinne se formait encore devant des tutos maquillages. Et Esmée s'était installée près de la cheminée sur des vieux journaux pour continuer ses aquarelles, une playlist de musique classique en fond sonore. Elle avait une tasse de chocolat chaud à côté d'elle et Gifted qui semblait dormir.
En étant sûre que toute sa petite famille était calme en attendant le dîner, Magdalena avait attrapé une bouteille de vin dans le range bouteille de la cuisine et avait rejoint Martijn dans son atelier. Elle avait mis une couverture bien chaude autour de ses épaules le temps de traverser la terrasse et était rapidement rentrée dans l'espace privilégié de son mari. La baie vitrée avait été coulissée et Magdalena l'avait rapidement refermée.
« Je te sers un verre ? demanda-t-elle en s'asseyant sur le bureau après avoir écarté quelques crayons. »
Martijn avait passé sa tête de derrière son chevalet pour remarquer que Magda n'avait pas vraiment attendu sa réponse pour remplir son verre.
« Ça a été l'aquarium ? demanda-t-elle en s'appliquant à ne rien faire déborder.
— Elle a bien passé trois quart d'heure devant les méduses.
— Bonne nouvelle ?
— Je crois.
— Elle t'a parlé un peu ?
— Pas vraiment.
— Elle m'inquiète quand elle est comme ça.
— Je pense pas que ce soit nécessaire. Louis dit qu'il y a un mec derrière cette histoire. »
Il y eut un blanc entre les deux adultes. Si cette information rassurait Magdalena, elle n'avait pas du tout le même effet sur Martijn. Ce dernier, se décida d'ailleurs à enfin poser son pinceau à côté de sa palette et à faire rouler son tabouret pour se retrouver face à sa femme.
« Tu crois que notre grande fille a le cœur brisé ? demanda-t-il en attrapant son verre de vin. Je suis pas prêt pour ça.
— Fallait bien que ça arrive un jour ou l'autre, non ?
— Je pensais qu'elle nous parlerait de lui avant. Histoire que j'aie le temps d'intégrer le fait qu'elle est amoureuse et donc qu'elle allait sûrement pleurer et être horriblement triste un soir en rentrant.
— Tu te prépares à ça ? fit Magdalena en souriant.
— Tu veux que je te dise ? répondit Martijn ayant bien compris que Magda se moquait gentiment de lui. Tu prends ça beaucoup trop sereinement. Le cœur de notre petite Mémé brisé en mille petits morceaux à cause d'un pauvre mec pas assez bien pour elle. »
Cette fois-ci Magda ne se fatigua pas à cacher ni son sourire, ni son rire devant la tête inquiète de Martijn.
« T'as appelé ton frère pour Noël ? préféra-t-il demander pour éviter d'autres moqueries. »
Magdalena hocha la tête et raconta à Martijn sa conversation avec Charlie. Parce que si Charlie ne s'occupait jamais d'organiser les voyages de famille en règle générale, Charlie faisait également toujours exception pour Noël. Quand elle l'avait eu au téléphone, Magdalena avait dû donner les horaires d'avion à la minute près, la taille des cadeaux pour qu'il puisse prévoir la place pour les cacher. S'il avait pu, Charlie aurait même bien demandé le poids de leurs valises. Martijn avait demandé qui allait prévenir Erasme qu'il allait devoir louper son dernier cours de danse de l'année. Magda avait répondu qu'ils feraient ça au dernier moment, elle n'avait pas envie d'avoir Erasme et Esmée qui faisaient la tête à la maison. Martijn avait cédé. Et puis Max était venue taper doucement sur la porte vitrée, John juste derrière elle. Les regards des deux parents s'étaient tournés d'un coup vers la porte encore fermée.
« Marty ?
— Mmmh ?
— Tu crois qu'il y a des garçons qui trouveront grâce à tes yeux pour tes filles ?
— John, il est pas mal. Ça va. Il est gentil, se contenta de préciser Martijn en se levant pour aller ouvrir. »
X+X+X+X+X
Habituellement, le samedi soir Max aimait prendre le temps de faire la cuisine pour toute sa famille. Elle adorait faire ça. Mais ce soir de novembre, Maxellende n'était pas là. Alors comme Martijn commençait à avoir sérieusement faim, il avait sorti la carte de la pizzeria Peccorino. C'était une pizzeria vraiment pas trop loin, et comme elle était vraiment pas très loin, quand le livreur arrivait, les pizzas étaient toujours chaudes. Ce qui n'avait pas vraiment de prix aux yeux de Martijn. Il était donc, accoudé à l'îlot de la cuisine, en pleine contemplation de la carte annotée pour tenter de décider ce qu'ils allaient pouvoir manger pour le dîner. Les annotations sur le papier glacé servaient à se rappeler les préférences de chacun. Rose pour Esmée, bleu pour Max, violet pour Vicky, orange pour Erasme et vert pour Magda et lui.
« C'est toi qui fais à manger ? fit soudainement la voix de Victorinne. Genre Max a pas laissé un petit Tupperware histoire d'être sûre qu'on ne meure pas de faim ce week-end ?
— Au pire, il nous reste ta mère. Elle ne nous laissera pas mourir de faim.
— Non, ça c'est sûr, assura Magda en arrivant à son tour dans la cuisine. J'interviendrai avant. Tu voulais commander des pizzas ?
— Ça te va ?
— Oui ! Très bonne idée.
— Max va dire qu'on mange pas assez équilibré...
— Ouais mais Max, elle n'est pas là. Laisse ta sœur à sa soirée. »
Martijn avait réussi à distinguer un sourire sur le visage de sa fille. Il lui aurait demandé elle aurait nié évidemment. Mais Martijn avait bien vu qu'elle avait souri. Et puis Esmée et Erasme étaient arrivés à leur tour, le plus jeune avec un pyjama tout propre sur les épaules. Il avait tiré un des tabourets hauts pour pouvoir s'asseoir dessus puis s'était appuyé sur sa sœur pour se hisser sur le siège. Victorinne avait râlé.
« Vicky ?
— Ouais ?
— J'ai pris une douche.
— Mais c'est génial ça ! s'exclama ironiquement la plus grande. Vraiment bravo. Tu veux une médaille ?
— Victorinne, soupira Magda.
— Non mais vous vous rendez pas compte ?! Il a pris une douche. Je vois bien vous réagissez pas là, mais... Il a pris une douche !
— Tu sais quoi Vicky ? »
Erasme avait posé cette question avec sa voix très sérieuse qui avait attiré l'attention de tout le monde. Habituellement, c'était la voix qu'il utilisait pour répondre à ses questions de mathématiques. Étonnant de l'entendre un samedi soir dans la cuisine, donc. Erasme avait sa petite tête penchée sur le côté, tic qu'il avait hérité de Magdalena, et qui signait indéniablement l'évocation d'une idée très sérieuse.
« Dis-moi.
— Même si parfois, t'es méchante, je t'aime quand même. »
La réflexion eut le mérite de faire sourire tout le monde, sauf la principale intéressée sans surprise.
« Bon vous avez choisi la pizza ou pas ?
— Ça arrive, assura Martijn. On est d'accord qu'on prend celle que Max n'aime pas ? La Nduja Calabrese.
— Et aussi je voulais dire, continua Erasme. C'est quand qu'on fait le sapin ? Parce que j'ai compté sur le calendrier, Noël c'est dans pas très longtemps.
— Bah deux mois quand même, fit remarquer Vicky. C'est pas mal, deux mois. Ça laisse le temps de voir venir.
— Quarante-huit jours, précisa Erasme. J'ai compté. Il faut se tenir prêt pour le Père Noël. Alors ? Pa ? Maman ? On fait ça quand ?
— Ouais, c'est vrai ça Magda, renchérit Martijn en souriant. On fait ça quand, le sapin ?
— Pourquoi c'est à moi que revient cette décision ?
— Parce que clairement cette fixette sur Noël, elle vient de ton côté. Pas du mien.
— Un point pour Pa, comptabilisa Vicky.
— Vous voulez jouer à ça ? Très bien. On fait le sapin la semaine prochaine, trancha Magdalena.
— Ouais ! s'exclama Erasme. Trop cool ! »
X+X+X+X+X
Magdalena était restée éveillé jusqu'à tard dans la nuit pour aller chercher Max et John à leur soirée. Elles avaient ensuite déposé John chez lui avant de rentrer. Autant dire qu'elles ne s'étaient pas couchées très tôt. Et si Max avait très bien vécu ce décalage horaire, Magda avait vite compris que ça ne serait pas son cas. Ce n'était définitivement plus de son âge.
C'est donc pour cela, qu'en cette fin d'après-midi dominicale, Magda s'était installée dans leur lit, un plaid sur les jambes, son livre du moment dans les mains : « The Man In The Red Coat ».
« Maman ? »
La voix d'Esmée était toute douce. Magda s'est un peu redressée pour voir sa famille qui se tenait à la porte de la chambre, Gifted juste à côté d'elle. Il était surtout là pour voir s'il y avait moyen de se trouver aussi une place sur le lit.
« Je peux venir ?
— Bien sûr Mémé ! s'exclama Magda en soulevant la couverture pour sa fille. Et non Gifted. Toi, tu restes sur le tapis. »
Le labrador avait tenté d'amadouer son public avec une tête de chien battu, mais personne n'avait cédé. Alors à contre-cœur, il s'était couché sur la descente de lit. Esmée s'était allongée contre sa mère qui était à présent à demi-assise, une main dans les cheveux de sa fille et l'autre toujours occupée par son bouquin.
« Maman ?
— Mmmh ?
— T'as toujours su que Pa était ton grand amour ? »
Magda décrocha complètement de sa lecture pour redresser la tête et fixer le mur en face d'elle.
« Euh... Peut-être pas toujours mais... Mais à partir du moment où je l'ai su, je n'ai plus jamais douté.
— Et tu l'as su quand ?
— Oh... Euh... Attends. »
Magda se détacha de sa fille et s'allongea avec elle sous la couverture. Elles étaient maintenant face à face dans le lit, Magda à la place de Martijn, Esmée à la place de sa mère.
« Je crois que... Que c'était quand il m'a tenu les cheveux pendant que je vomissais dans les toilettes après une soirée en boîte.
— Maman ! s'exclama Esmée en se cachant les yeux.
— Là, j'ai su que s'il m'avait vu dans cet état et qu'il restait, on pourrait tout traverser ensemble, et qu'il m'aimait vraiment.
— Oh mon dieu ! Je voulais jamais savoir ça !
— Pourquoi tu me demandes ça, Mémé ? demanda Magda en souriant devant la réaction de sa fille. »
Esmée avait soudainement changé de visage. Elle avait basculé sur le dos, histoire de ne plus avoir à croiser les yeux de sa mère.
« Je... Y'a un mec qui me plaît au lycée. »
C'était vachement plus facile que ce qu'elle avait imaginé en fait.
« Et... Euh... »
Okay. Voilà. Ça se compliquait.
« Tu lui as dit ? chuchota Magda.
— Non ! Bien sûr que non !
— Pourquoi pas ?
— Pour plein de raisons. Déjà, je suis pas du tout le genre de fille qui l'intéresse. Et puis... Il... Il a une copine depuis la rentrée.
— Okay...
— C'est Vivian. Sa nouvelle copine, c'est Vivian. Donc tu vois. Vraiment, j'ai rien pour lui plaire.
— T'es beaucoup plus belle que Vivian.
— Maman ! Arrête. Ton avis, ça compte pas.
— C'est Vicky qui l'a dit. »
Esmée tourna la tête soudainement vers sa mère.
« Ma sœur, Victorinne Gelderman a dit qu'elle trouvait que moi, Esmée Gelderman, j'étais plus belle que Vivian Hooft ?
— C'est exactement ce qu'elle a dit. Peut-être pas en ces termes exacts mais c'est ce qu'elle a dit.
— Vous débloquez complètement dans cette famille.
— Moi, je suis assez d'accord avec ta sœur. Je suis même complètement d'accord avec ta sœur.
— De toute façon, c'est pas la question ! coupa court Esmée qui ne tenait pas particulière à faire la liste complète de tout ce qui était mieux chez Vivian à sa mère. Vivian est mon amie et je ne peux pas être amoureuse de son copain. Sauf que j'arrive pas à me dire que je pourrais l'oublier un jour. Je crois que je suis vraiment amoureuse de lui et... Je sais pas quoi faire.
— Tu sais Mémé... Si Vivian était vraiment ton amie, elle saurait que tu es amoureuse de ce garçon et elle ne serait pas avec lui aujourd'hui. Alors... C'est peut-être l'occasion de voir les choses différemment, non ? »
Esmée aurait bien répondu un truc à sa mère, mais elle se remémorait à chaque fois Barbara qui avait su depuis le début. Barbara qui avait tout vu. Alors elle restait silencieuse parce que sa mère avait sûrement raison.
« C'est qui ce garçon ? finit par demander Magda qui n'arrivait plus à contenir sa curiosité. En tout cas, rien que de penser à lui, ça te fait sourire.
— Il est super beau. Et drôle aussi. Et gentil. Et, il a beaucoup de talent. Il fait de la danse et il est super doué là-dedans. »
Esmée aurait pu continuer sa liste encore longtemps et Magda aurait pu regarder le visage de sa fille s'illuminer à peu près autant de temps.
« C'est le nouveau prof de danse d'Erasme ?
— Pourquoi tu dis ça ?
— Pour rien.
— Maman. Pourquoi tu dis ça ?
— Ton frère m'a dit mardi soir que t'avais été, je cite, hyper trop bizarre avec le nouveau prof hyper trop gentil.
— Je le déteste. Mon frère, hein. Je déteste mon frère. Pas son nouveau prof hyper trop gentil.
— Je vois, rit Magda.
— Tu dis rien aux filles, hein ? Ni à Pa.
— Promis.
— Merci. »
Magda attendit un peu pour voir si son aînée souhaitait rajouter quelque chose mais comme rien ne venait, elle récupéra son livre et le rouvrit à la bonne page.
« Il raconte quoi ton bouquin ?
— L'histoire de Samuel Pozzi.
— C'est qui ?
— Un des pionniers de la gynécologie moderne.
— Et tu lis ça un dimanche soir ? Sans rire.
— C'est très intéressant.
— J'en doute pas, assura Esmée sans réussir à réfréner un éclat de rire.
— Et Esmée ? voulut rajouter Magdalena avant de se replonger dans la France et le Londres du début du siècle dernier.
— Ouais ?
— Je voulais juste te dire... T'as le droit de te battre pour ton bonheur. Et quoi qu'il arrive, on sera toujours là. Tu ne seras jamais seule. Ne l'oublie pas, d'accord ? »
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