Chapitre 40
Chapitre Quarantième
Laura Worlding n'avait pas eu d'enfant parce qu'elle n'en avait pas voulu. C'est ce qu'elle avait toujours dit et c'est ce qu'elle avait fait. Et puis elle avait rencontré Harry et avait fait sa vie avec quelqu'un qui avait deux filles ; alors sans dire que ça avait fait changer totalement la donne, Laura avait un peu évolué sur sa vision des enfants ; et ces deux petites filles, elle les avait aimées. Elle les aimait toujours d'ailleurs. Evidement que Laura n'avait jamais pris la place de leur mère mais il n'empêche qu'elle avait été celle qui allait les chercher à l'école certains soirs pour les ramener chez elles et qui avait organisé des goûters d'anthologie, qu'elle avait celle qui les avait rassurées pour leurs première règles et qui leur avait expliqué comment mettre un tampon pour aller à la piscine. Elle avait aussi veillé avec Harry quand l'une des deux était malade. Elle avait fait certains premiers jours d'école et aussi le dernier. Elle s'en souvenait du dernier parce qu'elle avait été extraordinairement fière et émue et... Et elle était devenue leur stiefmoeder. Simplement. Et dans stiefmoeder, il y a moeder. Le petit hic, c'est que les filles avaient grandi, et elles étaient parties de chez leur père. Loin. À Berlin pour l'aînée et à Princeton pour la cadette. Harry avait d'abord gardé sa maison un peu à l'extérieur de la ville ; en début d'année, il avait eu envie de la vendre mais n'ayant rien trouvé qui pouvait remplacer la maison qui avait vu un bout d'enfance de ses filles, il avait abandonné cette idée et, avec Laura, ils avaient trouvé de nouvelles habitudes avec le plaisir de ne plus avoir à gérer les enfants. C'était presque comme au début.
Ce vendredi soir-là, il avait prévu une soirée assez simple Laura. Il était allé chercher une bonne bouteille de vin chez un caviste dont on lui avait vanté les mérites et avait filé en direction de l'appartement de Laura. Quand il avait ouvert la porte qui menait à la pièce de vie, la première chose qu'il avait vu c'était Vicky, accoudée à l'îlot de la cuisine qui tournait distraitement une paille dans un grand verre qui semblait être rempli d'un liquide vert. Un smoothie peut-être ?
« Salut Vicky.
— 'jour.
— Qu'est-ce que tu fais là ?
— Je me suis engueulée avec Esmée.
— Oh, fit Harry surpris qu'il ne s'agisse pas de Maxellende.
— Tu manges avec nous ce soir ?
— Ouais. Hors de question que je rentre chez moi. J'ai demandé l'asile ici. ... Si tu cherches Laura, elle est dans sa chambre, grommela l'adolescente en emmenant son verre vers le salon. »
Harry avait donc discrètement glissé vers la chambre où il avait trouvé Laura assise sur son lit au téléphone. Probablement avec Magdalena.
« Non pas de soucis, tu le sais. Mais... Elle a vraiment fait ça ? ... ... ... Les deux. ... ... ... ... ... Okay. De toute façon, elle peut rester ici pour le week-end. On avait rien de prévu. ... ... Oui. Il vient d'arriver d'ailleurs. Et il te dit bonjour d'un petit signe de la main. ... ... ... Magda aussi te dit bonjour. ... ... ... .... Oui. Mais y aura pas de problème. Ne t'en fais pas. ... ... ... Bonne soirée. Hey, avait fini par souffler Laura juste après avoir raccroché.
— Qu'est-ce qui s'est passé avec Esmée ? Pourquoi elles se sont fâchées ?
— Vicky a fait un truc pas cool.
— C'est-à-dire ?
— T'es curieux...
— Je veux savoir pourquoi on se fait interrompre notre soirée, se justifia Harry en s'asseyant à côté de Laura. Raconte. »
Victorinne était tranquillement dans sa chambre. Elle commençait à trier ses habits pour les vacances. Elle avait fait plusieurs piles sur son lit. Ceux qu'elle allait porter ces prochaines semaines à Amsterdam. Ceux qu'elle allait emmener en France chez ses grands-parents. Ceux qu'elle allait vendre pour faire de place dans ses tiroirs. Ceux qui étaient bons à jeter cette fois-ci parce que ça faisait déjà plusieurs été qu'elle leur accordait une année de sursis mais les trous dans le tissu ne lui laissaient plus le choix. Direction la poubelle. Vicky avait entrecoupé son après-midi de tri avec plusieurs passages sur Instagram. Elle devait être à la cinquième pause quand sa sœur avait débarqué en furie dans sa chambre. Victorinne n'avait jamais vu Esmée dans cet état, elle avait l'air vraiment très en colère sans qu'elle ne comprenait pas vraiment pourquoi.
« C'est toi ?!
— Moi quoi ?
— C'est toi qui a envoyé le message ?!
— Quel message ?
— Arrête Victorinne ! Je sais que c'est un d'entre vous et ça ne peut être que toi ! Y'a que toi pour faire un truc aussi horrible !
— Ah... fit Vicky qui venait de comprendre de quoi parlait son aînée. Non mais attends...
— T'as fouillé dans mon téléphone Victorinne ! T'as fouillé et t'as envoyé quelque chose qui n'aurait jamais dû être envoyé ! T'avais pas le droit ! »
À ce moment-là, Esmée avait commencé à prendre les habits sur le lit de sa sœur et de lui lancer dessus.
« Tu l'as lu en plus ! Je suis sûre que tu l'as lu !
— Je l'ai pas lu ! Je voulais juste t'aider !
— Mais ça ne te regardait pas ! Ça ne regardait que moi ! Et toi, t'as tout gâché ! T'as tout gâché !
— Max l'a supprimé tout de suite de toute façon ! Il n'a pas pu le lire alors ça sert à rien de m'agresser comme ça !
— S'il l'a vu ! Il l'a même lu ! Ce message il n'était que pour moi et moi seul ! J'ai pas le droit de faire ça pour des milliers de raisons mais toi, ce que je pense tu t'en fous ! De toute façon, les autres tu t'en fous !
— Non, je ne m'en fous pas, Mémé ! Et puis t'as bien le droit de faire ce que tu veux ! Tout comme il a le droit de savoir. Je ne pensais pas que...
— Tu pensais pas quoi, en fait ?! Tu ne pensais pas que c'était important ? Tu pensais que mes sentiments peuvent passer à la poubelle ?! Tu pensais que tu savais tout ?! Que tu ne prends que des bonnes décisions dans ta vie ?! Sauf que t'as seize ans et que tu connais rien à la vie et encore moins à la mienne. »
Pour une fois, Victorinne n'avait pas su quoi répondre. Du coup, elle avait gardé contre elle le dernier t-shirt qu'Esmée lui avait lancé.
« Et ne m'appelle pas Mémé ! Ne m'appelle plus jamais Mémé d'ailleurs ! Je ne veux plus jamais que tu me parles. Je te déteste. »
X+X+X+X+X
Esmée avait littéralement pleuré toute l'eau de son corps. C'était la voie qu'avait choisie sa colère pour sortir et c'était super fatiguant. Elle avait entendu son père rentrer le soir. Il était rentré plus tard que d'habitude, mais ce qui avait le plus surpris Esmée c'était qu'il n'était pas monté la voir. Du coup après avoir passé plusieurs minutes à guetter le moindre bruit de pas dans l'escalier, Esmée s'était retourné vers Gifted, qui n'avait pas bougé du lit depuis qu'elle s'était enfermée pour pleurer, pour qu'il reprenne son rôle de peluche anti-tristesse. Il était super fort à ça mais cette fois-ci, ça ne semblait pas être suffisant parce qu'elle s'était remise à pleurer.
On avait fini par toquer à la porte de sa chambre. Mais ce n'était pas son père qui était venu, c'était sa mère. Avec une assiette remplie pour elle.
« Mémé ?
— Mmmh ? grogna-t-elle le visage enfoui dans les poils de son chien.
— Je peux rentrer ?
— Mmmh. »
Magda avait pris ça pour un oui et avait refermé la porte derrière elle. Elle avait aisément trouvé une place pour l'assiette sur la table de nuit avant de s'asseoir sur le bord du matelas.
« J'ai aussi le droit de venir ou c'est réservé à Gifted ?
— Il est où Pa ?
— Dans l'atelier. Tu pourras descendre le voir si tu veux.
— Il est vraiment fâché ?
— Non. Pas tant que ça. Il a déjeuné avec Louis et crois-le si tu veux mais ton parrain a plaidé ta cause.
— Okay...
— Et ta sœur est chez Laura.
— Je m'en fiche, mentit Esmée. C'est plus ma sœur. Je la déteste.
— Tu veux bien me raconter ce qu'il s'est passé ?
— Parce qu'elle ne vous a déjà pas raconté ?
— C'est a toi que je demande.
— Elle a fouillé dans mon téléphone et a envoyé un message à quelqu'un alors que je ne le voulais pas.
— Elle a écrit quelque chose en ton nom ?
— Non... J'avais écris un truc à quelqu'un mais je ne l'avais pas envoyer parce que c'était trop... Compliqué. C'est compliqué parce que ça va nécessairement tout bouleverser. Et je ne veux pas ça.
— C'était quand ?
— Le mois dernier.
— Et tout a été bouleversé ce dernier mois ?
— Je déconne complètement, maman. Ça va pas du tout, fit Esmée en laissant de nouvelles larmes couler dans les poils de Gifted et en sentant sa mère s'allonger contre elle. Je suis amoureuse du copain d'une amie et je fais croire des choses à un gars qui le mérite pas. Je suis horrible. Aussi horrible que Victorinne.
— Mémé... Ne dis pas ça. Tu n'es pas quelqu'un d'horrible. Et ta sœur non plus. Tu es quelqu'un de bienveillante, de sensible, de loyale et droite. La preuve n'est-ce pas ? J'ai l'impression qu'on a déjà eut cette conversation il y a plusieurs mois ; et tu restes dans cette même situation parce que tu refuses de trahir ton amie. Tu veux que je te dises Mémé ? Je te trouves très courageuse de prendre autant sur toi.
— Je suis pas courageuse. J'ai beaucoup trop peur de tout ce que je ressens. Et depuis hier soir, j'ai aussi peur de ce qu'il ressent. J'ai peur de faire souffrir quelqu'un qui ne le mérite pas. ... Et prendre sur soi c'est pas du courage, c'est de l'inconscience. Ça fait trop mal, avait sangloté Esmée alors que la main de sa mère lui caressait doucement les cheveux. Tu sais pourquoi je suis autant en colère contre Vic' ?
— Dis-moi, murmura Magda.
— Parce qu'elle a eut la force de faire un truc que j'aurai jamais fait de ma vie. Parce que je suis dans le faux et pas elle. Parce que comme souvent, c'est elle qui a raison. Mais elle est un peu horrible quand même et je lui en veux... Maman... Qu'est-ce que je dois faire ?
— Ce que dis ton cœur.
— C'est super cliché ça, réussit à sourire Esmée ce qui lui fit avaler un peu de poils de chien. Ça veut rien dire suivre son cœur. »
Dans son dos, Magda avait sourit puis avait demandé à sa fille.
« Avec qui tu as envie d'être là ? Tout de suite. ... C'est ça suivre ton cœur, Esmée. »
X+X+X+X+X
Esmée avait avalé un bout du dîner que sa mère lui avait monté puis elle était descendue pour mettre son assiette et ses couverts à laver. Gifted l'avait suivie. La maison était très silencieuse malgré le fait que la soirée ne soit pas tant avancée que cela. Il avait semblé à Esmée voir une bande de lumière passer sous la porte de la chambre de ses parents. Sa mère avait dû s'installer là-bas. Elle avait continué vers la cuisine pour voir Max installée dans le fauteuil à côté de la cheminée avec son téléphone dans une main et un livre dans l'autre.
« Il est où Pa ?
— Il est retourné peindre.
— Okay... »
Ce n'est qu'une fois le lave-vaisselle fermé qu'Esmée s'était décidé. Elle avait resserré les pans de son vieux pull autour d'elle et était sortie par la baie vitrée. Elle avait toqué doucement sur la vitre de l'atelier. Martijn lui avait permise de rentrer avec un petit mouvement de tête. Elle avait fait coulisser la porte, juste assez pour se faufiler à l'intérieur. Elle avait attendu que son père se tourne vers elle. Elle n'osait pas vraiment le regarder, ses pieds étaient beaucoup plus intéressants.
« T'avais quelque chose à me dire Esmée ?
— Maman m'a dit que t'avais mangé avec Louis ce midi...
— Et tu crois que ça m'a calmé ?
— J'espère... Je suis désolée, Pa. »
Elle avait entendu son père soupirer puis faire tourner son tabouret pour être face à elle. Il portait toujours son vieux t-shirt troué avec tableau de Warhol qui continuait de se deviner sur le tissu.
« J'étais vraiment en colère contre toi, Esmée. Vraiment. J'étais pas pour te laisser partir avec tes amis là-bas et j'attendais que tu me prouves que j'avais tort. Sauf qu'au final, on doit aller te récupérer au commissariat parce qu'ils t'ont retrouvé ivre, endormie sur la plage.
— J'étais pas ivre !
— Tu penses que c'est le moment de discuter ce genre de détail ? »
C'était pire que tout parce que Martijn ne criait pas. Il la fixait avec ses yeux bleus dont elle avait hérités. Il ne haussait pas la voix mais elle y ressentait une sorte de déception qui était pire que tout.
« Je comprends pas ce qui se passe Esmée. Ces dernières semaines, tu es incompréhensible.
— Je sais.
— Tu peux m'expliquer ?
— Je sais pas. Je... Tu vois, c'est comme... Comme... En fait, j'ai l'impression d'avoir trop d'émotions contradictoires en même temps. J'essaye de toutes les écouter mais y en aucune qui m'emmène du bon côté. Je sais pas quoi faire, alors je fais n'importe quoi. ... Sur un malentendu...
— Tu ne peux pas vivre ta vie en attendant un malentendu, Esmée. Les malentendus, ce n'est pas bon. Il faut que tu fasses des choix. C'est ton seul moyen d'avancer. Tu ne peux pas attendre que le temps passe. Parce que tu ne pourras jamais le récupérer. Et un matin, dans un, cinq ou dix ans peut-être, tu vas te réveiller avec des regrets. Tu veux une vie avec des regrets Esmée ? »
Esmée avait tellement de larmes dans les yeux qu'en secouant la tête de gauche à droite quelques unes avaient coulées. Elle n'avait pas attendu pour aller se consoler dans les bras de son père. Au moins, là-bas, elle pouvait attendre tranquillement que le temps passe.
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