Chapitre 3
Chapitre Troisième
Esmée avait pleuré un certain temps. Barbara s'était juste adossée contre le mur et avait attendu que les larmes de son amie se tarissent. Histoire qu'elle puisse aligner deux mots tout en se faisant comprendre.
« T'étais au courant ? finit par demander Esmée en s'essuyant le nez avec un onzième mouchoir.
— Ça s'est passé à la soirée chez Rianne, vendredi. Je les ai vus. ... Je voulais te le dire ce week-end, et puis après je me disais que t'allais beaucoup trop pleurer et que je pouvais pas juste t'envoyer un message et te laisser te débrouiller. Je suis désolée Mémé. J'aurais dû venir. J'aurais dû te le dire.
— Je parlais plutôt de... De Simon. De...
— Ah ! Tu veux dire depuis quand je sais que t'es raide dingue de lui ? Bah comme ça... Je dirais depuis toujours. Enfin Mémé... Je pense qu'on se connaît depuis suffisamment longtemps pour que je sois capable de voir ce genre de truc. Même si je t'accorde le fait que tu te débrouilles très bien pour cacher ton jeu.
— Mais toi, tu l'as vu.
— Mémé, on a grandi ensemble. Moi, je sais qu'il est la seule personne pour qui tu étais capable de jouer à la poupée quand t'étais petite... Tu détestes les poupées. Je sais que tu t'arranges toujours pour être au réfectoire en même temps que lui le midi parce que tu connais ses heures de cours. Je sais que t'as dit à tes parents que tu avais pris l'option géographie parce qu'il suit ces cours. Je sais aussi que tu prends le temps d'aller jusqu'à Vijzelgracht à pied, alors que c'est pas du tout ton chemin pour rentrer en vélo. Parfois même, tu viens au lycée en métro parce que toi aussi, tu prends la ligne 52. Je sais aussi que tu vas chercher Erasme à son cours de danse parce qu'il est prof de danse dans cette école et que tu espères toujours le croiser dans un couloir.
— C'est ridicule n'est-ce pas ? D'être amoureuse de quelqu'un qui sait à peine que j'existe.
— N'importe quoi ! Vous avez plein de cours ensemble ! Genre... Français, sciences et plein d'autres que je connais pas. Bien sûr qu'il sait que t'existes !
— Arrête. Tu vois ce que je veux dire.
— Pas vraiment non... Et au pire, t'as juste à lui dire.
— Ça, je peux pas. C'est impossible.
— Pourquoi ? Franchement Vivian ne t'arrive même pas à la cheville. À la place de Simon, je ferais vite mon choix...
— C'est gentil mais t'es pas du tout objective, sourit Esmée en s'essuyant le nez avec le bout de sa manche. Et quand bien même je trouvais le courage de lui dire, c'est trop tard.
— Je te pensais beaucoup plus romantique.
— C'est pas parce que j'aime lire des histoires d'amour, que je suis assez naïve pour croire que ça arrive dans la vie. Ça n'arrive pas Barbara. Simon est avec Vivian et moi, j'ai juste le droit de sourire à côté. C'est bien aussi.
— Non, c'est pas bien.
— Si ! Moi, ça me va comme ça. »
Barbara s'apprêtait à répondre à Esmée mais quelques coups se firent entendre à la porte.
« Ouais ?!
— Mémé ? T'es toujours là ? J'ai ton père au téléphone. Il voulait savoir où t'étais...
— J'ai complètement oublié de les prévenir que je passais ici ! s'alarma Esmée en cherchant frénétiquement son téléphone Je suis désolée. Ils s'inquiètent ?
— Martijn ? Tu t'inquiètes ? ... ... ... Non. Il s'inquiète plus. Il veut savoir à quelle heure tu rentres ? Il peut passer te chercher en voiture avec Max.
— Je... Je peux rester manger ici ?
— Oui. Tu peux. Martijn, elle peut rester manger ici ? ... ... ... Oui. Tu peux.
— Je peux rester dormir aussi ?
— Oui. Martijn, elle peut rester dormir ici ? ... Ça a pas l'air. Je pense que ça serait pas mal. Je pense qu'elle n'aura pas le courage de voir sa sœur. La numéro deux bis. Si besoin, je te la ramène demain en voiture.
— Non, non. Pas besoin ! J'irai direct au lycée demain matin et je serai au cours de danse d'Erasme demain soir. Je rentrerais avec lui.
— T'as entendu ? demanda Louis à son interlocuteur. Ok. Parfait. Je vous laisse les filles, je vais chercher Lika. Barbara, t'oublies pas de commander à manger.
— Nope. »
Louis avait refermé doucement la porte de la chambre tout en restant au téléphone avec Martijn.
« Je vais chercher le menu du traiteur végé'.
— J'ai pas très faim. Ne me compte pas.
— Sûre ? Parce que les pennes aux salsifis... Ils sont fous. Je te jure.
— J'en doute pas, mais j'ai vraiment pas la tête à dîner. Et je suis sûre. »
X+X+X+X+X
Esmée s'était couchée très tôt. Pendant que Barbara était allée chercher le dîner directement chez le traiteur, elle avait aménagé la chambre comme elles avaient toujours eu l'habitude de le faire. Elle avait fait coulisser le matelas qui sommeillait constamment sous le lit de son amie, puis elle s'était occupée de sortir les couvertures et l'oreiller qui l'attendaient toujours sur la dernière étagère de l'armoire.
Esmée n'était pas allé manger. Elle avait préféré se coucher tout de suite, après avoir piqué un des deux livres qui traînaient dans le coin. Elle avait l'habitude de lire aussi quand on vient la déranger une première fois, elle avait facilement avalé la première moitié de l'histoire.
« Esmée ? fit la douce voix de Rika de l'autre côté de la porte. Esmée ? Je peux rentrer ?
— Mmmh...
— Je t'ai laissé une petite assiette de côté. Barbara est sous la douche, Lika est dans sa chambre, Louis travaille dans la nôtre. Je finis la vaisselle et je vais tenter de finir mon livre dans le salon.
— D'accord. »
Rika avait poussé la porte sans la fermer pour autant. Ainsi Esmée pouvait entendre l'eau de la douche couler et des assiettes s'entrechoquer. Elle se décida à se relever de son matelas et s'entortilla dans le plaid bleu et bien chaud qu'elle avait sortie de l'armoire. C'était une couverture que Barbara avait « empruntée pour une longue durée indéterminée » à un hôtel en Normandie où ils avaient été en famille, deux ou trois ans auparavant.
Esmée était sortie sur la pointe des pieds et avait retraversé le couloir. Rika était toujours dans la cuisine, les mains dans la mousse de liquide vaisselle. Esmée remarqua immédiatement une petite assiette au bout du plan de travail. Elle l'attrapa et la glissa dans le micro-onde. Deux minutes.
« Comment il s'appelle ? demanda Rika en s'essuyant les mains dans un torchon.
— Qui ça ?
— Celui pour qui tu te mets dans cet état ?
— Comment tu sais ?
— T'es pas la première personne que je vois qui vis un chagrin d'amour.
— C'est pas un chagrin d'amour. Pas vraiment.
— Tu veux qu'on en parle ?
— Je peux avoir un câlin plutôt ?
— Bien sûr ! répondit Rika en tendant ses bras vers sa filleule après s'être rincer les mains. T'as même le droit de pleurer.
— Non. Ça, ça va. C'est passé, répondit Esmée en sentant les lèvres de Rika se poser sur sa tête. J'avais pas envie d'entendre Vicky et ses remarques. C'est pour ça que je suis pas rentrée. Ça fait pas de moi quelqu'un d'horrible ?
— Non. Ça fait de toi quelqu'un de normal.
— Okay, soupira l'adolescente en resserrant son étreinte. Merci.
— On s'assoit ? finit par proposer Rika. Va te mettre dans le canapé, je vais te faire un chocolat chaud.
— T'aurais des M&M's ? Pa, il m'aurait fait des M&M's fondus.
— Ça, c'est le secret de ton père, rit Rika en caressant la joue d'Esmée. Mais un vrai chocolat chaud, ça t'irait ?
— C'est bien aussi.
— Parfait. Va t'installer sur le canapé, j'arrive. »
Esmée récupéra son assiette dans le micro-onde et partit vers la partie salon de la pièce. Rika commença à sortir casserole, bouteille de lait et plaquette de chocolat des placards quand Louis débarqua dans la pièce. Il fila vers la cuisine, visiblement pour assouvir sa soif. L'avantage de leur différence de taille était que Rika n'avait même pas à bouger pour que Louis puisse attraper un verre dans le placard au-dessus.
« C'est à cause d'un garçon ? chuchota-t-il en remplissant son verre de l'eau du robinet.
— T'es une vraie commère... C'est pas possible ça, répondit Rika en chuchotant aussi mais avec un air amusé.
— C'est juste pour savoir si ça va ou pas ? J'ai dit à Martijn que ça allait pas trop mais qu'on s'en occupait.
— On ? répéta Rika sur le même ton. Qu'on s'en occupait ? T'as dit ça à Martijn ? »
Louis finit de boire son verre en fixant Rika avec un petit sourire. Il le passa sous l'eau avant le laisser sécher sur l'égouttoir. Il se rapprocha de sa compagne, posa ses deux mains sur ses épaules et se contenta d'un simple « Je t'aime. ».
« Trop facile...
— Ouais. Peut-être. Mais ça marche. »
Rika leva les yeux au ciel et se concentra de nouveau sur sa préparation. Le lait ne devait pas bouillir, juste être tiède.
« Martijn aurait fait des M&M's fondu.
— C'est exactement ce que je lui ai dit, fit la voix d'Esmée du salon.
— Vous voyez Martijn quelque part ? Non. Je ne crois pas. Alors laissez-moi faire mon petit remède anti-tristesse.
— Okay... capitula Louis en allant vers Esmée. T'as vraiment pas besoin que je te ramène demain matin ?
— Non c'est bon. Y a toujours de quoi m'habiller pour une journée dans les placards de Barbara.
— Comme tu le sens. Bonne nuit, Mémé, lui souhaita-t-il en embrassant ses cheveux.
— Bonne nuit, Louis. »
Esmée lui adressa un petit signe de la main en avalant les derniers pennes de son assiette. Rika arriva peu de temps après avec deux grands mugs remplis presque à ras bord par du lait chaud. L'adolescente prit la tasse qu'on lui tendait, puis s'installa plus confortablement contre l'accoudoir du canapé. Rika s'était assise presque de la même façon en face. Elles étaient restées en silence. Esmée en fixant le tourbillon qu'elle créait avec sa cuillère et Rika en fixant Esmée.
Quand Esmée était née, un 11 août, il y a dix-sept années de cela, tout le monde n'avait pas réussi à se mettre d'accord sur la ressemblance. Pour certains, elle ressemblait beaucoup plus à sa mère qu'à son père ; et pour d'autres, elle ressemblait beaucoup plus à son père qu'à sa mère. Rika se souvenait avoir eu cette discussion avec Erda juste après leur première rencontre avec Esmée. Sur le ferry qui les ramenait du Noord vers le centre d'Amsterdam, elles étaient tombées d'accord : Esmée était un joli mélange des deux. Et avec le temps cela s'était confirmé. Elle avait pris les traits de visage de Magdalena, des traits doux qui dessinaient un joli visage rond ; mais avait hérité des yeux bleus de Martijn et de ses cheveux bruns - à la limite du noir - légèrement ondulés.
Ce soir, ses cheveux lui tombaient presque devant le visage comme si elle tentait de se cacher derrière. Mais ce soir, Rika lui trouvait surtout un air de ressemblance avec sa mère. Sûrement parce qu'elle n'avait pas l'habitude de ne pas voir Martijn sourire.
« Est-ce que tu penses que quelqu'un peut ne pas être aimé ? Ne jamais être aimé d'amour ? Genre... Quelqu'un capable de ressentir l'amour, le désir, capable d'aimer même, mais sans jamais être capable de l'exprimer aux autres. Est-ce que tu penses qu'il est possible que quelqu'un puisse ressentir tout ça, seul. Sans jamais être capable de partager ses sentiments avec quelqu'un ?
— Et pourquoi n'en serait-elle pas capable ?
— Parce qu'elle aurait peur.
— Peur de quoi ?
— Peur de... Peur de briser le peu de confiance en elle qu'elle a réussi à grappiller au fil des années.
— Mmmh. ... Non, je ne pense pas que ce soit possible. Je pense qu'un jour où l'autre on rencontre quelqu'un qui apprend à lire dans notre âme comme dans un livre ouvert. Et ce jour-là, il n'est plus question de devoir se faire comprendre ; ce jour-là, avec cette personne-là, tout est simple. Parce qu'elle te comprend, juste en te regardant.
— Et si cette personne-là est prise ?
— Elle ne l'est jamais vraiment. On a qu'une seule âme sœur Esmée. »
--- NDA ---
🐣❤️
Je sais : on n'est pas vendredi. Mais demain va être une journée très éprouvante pour moi et je sais que je ne pourrais pas penser à vous publier ce chapitre. Alors le voici avec 24h d'avance. Le n°4 arrivera bien vendredi de la semaine prochaine.
N'hésitez pas à laisser des étoiles et des commentaires s'il vous a plu.
Prenez soins de vous et de vos amis,
Uthopie qui vous aime simplement. ❤️🐥
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