Chapitre 23
Chapitre Vingt-Troisième
C'est drôle comme parfois les choses changent sans vraiment changer. C'est insidieux mais bien réel. Il est impossible de le voir mais seulement de le sentir. Et ce changement, il fait peur. Il fait peur car on n'y peut rien. On ne peut pas le retenir et on ne peut donc pas figer les choses éternellement, elles évoluent d'une façon ou d'une autre qu'on le veuille ou non. Parfois ce ne sont pas les choses qui changent, c'est notre façon de voir les choses qui évolue, parfois c'est nous qui évoluons ; mais on en revient toujours au même bilan : les choses changent. Deux choix se dessinent alors : on peut s'adapter ou on peut s'accrocher au passé et aux mensonges. Évidement que la première solution peut faire mal parce que cela fait mal de grandir ; mais il y a fort à parier que la seconde ne soit pas moins douloureuse. La vérité, c'est aussi que depuis la nuit des temps, on tente de retenir le changement mais parfois il est beaucoup trop nécessaire pour être évitable.
Pour Esmée, les choses avaient un peu changé depuis leur sortie à quatre le mois dernier. Et soyons honnête si le changement ne plaît pas à la majorité des personnes, Esmée haïssait le changement plus que quiconque, ce qui était clairement à rapprocher de sa peur viscérale de l'inconnu. Depuis le mois dernier donc, les choses avaient changé. Esmée allait toujours chercher son petit frère à la danse tous les mardis, mais Simon ne venait plus lui parler. Il lui adressait un signe de la main quand leurs regards se croisaient mais c'était vraiment lors de ses jours de chance. Avec Ji et Oswald, ils ne venaient plus autant manger à leur table avec les filles. Les premières fois, ça lui avait un peu brisé le cœur, mais à sa très grande surprise ça n'avait pas duré tant de temps que ça. Au début, elle s'était dit que c'était simplement parce que tout revenait à la normale. Simon ne l'avait jamais remarquée avant qu'il sorte avec Vivian, et de nouveau il ne la remarquait pas plus que ça. Retour à la normale donc.
Barbara lui avait assuré pendant des jours et des jours que c'était un mal pour un bien. Esmée avait toujours trouvé que c'était tout pourri comme expression. Un mal est un mal et un bien est un bien. Point. Un mal pour un bien, ça n'existe pas. Et puis elle avait fini par comprendre. Un mal pour un bien, voilà pourquoi son cœur avait cicatrisé vachement vite. Parce qu'elle avait continué ses cours de français avec Eduard, même si elle doutait sérieusement qu'il en avait encore besoin. À cette allure-là, il serait bilingue avant la fin de l'année, mais il aimait lui assurer qu'il avait encore besoin de ses conseils dans la langue de Molière. Et soyons honnête une deuxième fois ça finissait par beaucoup plaire à Esmée. Ça lui plaisait beaucoup qu'ils finissent plus tôt que l'heure qui était prévue, qu'ils aillent manger des donuts, qu'il la raccompagne jusqu'au ferry. Mais attention, Eduard ne montait jamais pour aller de l'autre côté. Non. Le jeudi, c'était sacré dans la famille autant pour Martijn et Magdalena que pour les quatre enfants. C'était leur soirée. Et cœur qui bat la chamade ou pas, il y a des traditions sur lesquelles il est impossible de transiger. Eduard comprenait. Il attendait le ferry avec elle, il lui embrassait la joue, et il attendait que le ferry s'éloigne pour rentrer chez lui à cheval sur son vélo et les mains dans les poches.
Alors les choses changeaient mais c'était un mal pour un bien.
X+X+X+X+X
Ce mardi-là, Mme. Zevenheck les avait laissé sortir avec un peu de retard et Esmée était arrivée un peu en retard au réfectoire.
« Esmée ! »
Elle avait entendu la voix d'Eduard l'appeler et en se retournant, elle l'avait aperçu de l'autre côté de la porte vitrée, une feuille quadrillée dans les mains.
« Je te cherchais.
— Je viens de sortir. Zeveheck vient de nous lâcher.
— Okay... Euh... Je suis désolé de te demander ça mais... Est-ce que ça te dérangerait de relire mon expression écrite avant que je la rende ?
— Pas du tout. T'en as besoin pour quand ? demanda Esmée en prenant d'elle-même la feuille des doigts d'Eduard avec sa main de libre.
— Jeudi matin... Ça c'est le brouillon.
— Pas de souci. Je m'en occupe ce soir.
— Tu me sauves... Merci, souffla-t-il en posant un baiser sur la joue d'Esmée. Si tu cherches les filles, elles sont dans la deuxième salle. »
Il faisait toujours ça. Il l'embrassait tout doucement comme s'il lui laissait le temps de s'écarter si elle le souhaitait. Mais Esmée ne s'éloignait pas. Même si en général, ses joues devenaient rouges ; ou tout du moins, elle les sentait chauffer.
« Okay, merci.
— On s'appelle ce soir alors ?
— Ja.
— Cool. Bon appétit alors.
— Merci, sourit Esmée en faisant quelques pas en arrière. À ce soir. »
Elle s'était retournée en souriant et avait filé vers la table de ses amies.
« Elle est pas là, Vivian ? s'étonna-t-elle en s'asseyant à côté de Rianne.
— Elle discute avec Simon, précisa Isaya avec un petit mouvement de tête vers l'arrière.
— Elle se dispute avec Simon, corrigea Rianne en fronçant ses sourcils. Je me demande pourquoi... »
Esmée n'était pas certaine que cela la regarde alors elle avait commencé sa salade. Vivian était revenue à leur table avec les lèvres pincées. Elle n'avait rien dit jusqu'à la fin du déjeuner et les filles n'avaient pas insisté et Isaya avait meublé la conversation en parlant de la tonne de colis qu'elle attendait, une histoire de renouveau de sa garde-robe.
X+X+X+X+X
Esmée avait rarement été aussi efficace pour débarrasser la table après le dîner. En trois voyages table-cuisine, c'était plié. Elle avait embrassé ses parents qui s'installaient tranquillement pour regarder leur programme du soir dans le canapé du salon avec un « Bonne nuit » lâché alors qu'elle était déjà dans le couloir. Elle avait filé dans sa chambre en décrochant son téléphone.
« Je te dérange pas ? avait demandé Eduard de l'autre côté du fil.
— Pas du tout. J'arrive juste dans ma chambre.
— T'as pu regarder ce que je t'avais laissé ce midi ?
— Euh... Ouais ? Evidemment, assura faussement Esmée en se mettant à farfouiller dans son sac pour trouver la feuille d'Eduard. Euh...
— T'es sûre ?
— Te moque pas. Ça a été un peu mouvementé ce soir.
— Ah ouais ? Pourquoi ?
— La marraine de mon petit frère s'est cassée le bras et il a fallu l'aider à emporter des affaires chez son copain parce qu'elle peut plus rester toute seule chez elle.
— Merde ! Comment elle a fait ça ?
— Elle court toujours en talons partout et un s'est coincé dans une bouche d'égout. Ça l'a faite tomber. Le truc tout bête en fait mais elle a quand même fini à l'hôpital et va se faire opérer.
— Mais ça va aller quand même ?
— Oui ! Je pense qu'elle râle plus de pas aller travailler pendant deux mois que pour l'opération en elle-même... Laura quoi. J'ai retrouvé ta feuille. C'est bon.
— Je t'écoute crayon à la main.
— L'accent de « européenne » est pas sur le bon E. T'aimes pas ce mot ? C'est sur le deuxième et pas le troisième. ... Enlève le « aujourd'hui », c'est bizarre... Ça se dit pas trop. ... T'as oublié de le I et le R de « atteindre », mais écris plutôt « qui peut aller de trois mois à ». ... Qu'est-ce que t'as voulu dire dans « le programme a mobilité neuf millions de personnes » ?
— Genre que neuf millions de personnes ont pu bouger...
— Alors c'est « le programme a permis la mobilité de neuf millions de personnes ». Parce que mobilité c'est pas un verbe... ... Écris plutôt « des » plutôt que « par les ». ... Préférée y a des accents sur tous les E sauf le dernier. ... « Étudiants » c'est un nom masculin donc on dit... ?
— Euh... Etrang... Ger ?
— Ja ! Et Universités c'est au pluriel vu que tu en cites trois derrière. ... « Les moteurs qui animent la majorité des participants. », c'est très mignon mais ça ne se dit pas.
— Vraiment ? Parce que j'aimais beaucoup cette phrase...
— On dit : « La majorité des participants sont motivés par... » ... L'accent de coopération est pas sur le bon E. ... « Organisation » à la place de « configuration », c'est mieux. Pareil pour « innover » utiliser plutôt « améliorer » ou « moderniser ». ... Méthode y a un accent sur le E. ... Il vaut mieux commencer ta phrase par « en effet » que de le mettre en seconde position. ... J'aurais tendance à dire acquiert à la place de acquis.
— Comment t'écris ça ?
— A-C-Q-U-I-E-R-T. ... Je crois...
— Je vérifierai.
— Sinon t'as échangé « conscience » et « confiance ». ... On dit « personnalités » plutôt que « personnage » et « paysage » plutôt que « panorama ». ... Et enfin...
— Un accent ?
— Ja. Sur « expérience ». Et voilà !! En vrai c'est pas mal du tout !
— C'est moi que tu félicites ou toi ?
— Un peu les deux, répondit Esmée en riant. ... Ça s'est bien passé ton entraînement cet après-midi ?
— Esmée !
— Quoi ?
— Je crois que c'est la première fois que tu me poses une question pour engager la conversation.
— Ah ouais ?
— Mmmh.
— Et du coup l'entraînement ?
— Bien. Je me suis pas cassé le bras. Et Vi' non plus, même si on n'est pas passé loin de la catastrophe.
— Comment ça ?
— Elle était pas du tout concentrée. Elle faisait plein d'erreurs et ses réceptions était plus nulles les unes que les autres.
— Elle s'est engueulée avec Simon, expliqua Esmée en se mettant en pyjama pour se glisser confortablement dans son lit.
— Comment tu sais ça toi ?
— On les as vus ce midi à la cafétéria avec les filles. Elle t'a dit pourquoi ? Parce qu'avec nous, elle a juste fait la tête...
— Parfois j'ai l'impression qu'elle me prend pour son meilleur ami gay, grogna Eduard plus pour lui que pour Esmée. J'ai pas tout très bien compris mais ils avaient un truc de prévu avec la famille de Vi' ce soir et il a annulé un peu au dernier moment et... Bon bah l'excuse devait pas être suffisante pour elle. Je crois même qu'il a pas vraiment donné d'excuse. Et visiblement, elle a l'impression que, je cite, il ne fait pas de leur couple une priorité et qu'il ne l'intègre pas assez dans son futur... ou quelque chose dans ce style. Il ne lui parle même pas de la fac pour l'année prochaine...
— Il a eu peur ? T'as déjà rencontré la mère de Vivian ?
— Ça c'est sûr que quand on connaît la mère de Vi', elle peut carrément faire flipper mais je pense pas que ce soit le genre de Simon. Et puis il suffit qu'il sourie et on l'aime bien donc bon... Ça colle pas trop. ... Franchement j'ai aucune idée et je dois avouer que...
— Tu t'en fiches ?
— Complètement. Du moment que Vi' est opérationnelle pour notre compétition en juin.
— C'est quoi ?
— C'est une compétition interne que le club organise en juin. Et il est hors de question qu'on perde. Question d'honneur. L'autre couple nous nargue à chaque entraînement. C'est pas possible de les laisser gagner.
— Tu préfères perdre aux régionales d'avril qu'à cette compétition ?
— Honnêtement ? Je crois... rit Eduard. Et tu sais quoi, si on gagne on pourra fêter ça dignement. À Westkappel. En juin, c'est trop beau. Je te montrerai.
— Okay, souffla Esmée. Disons ça.
— T'as dit oui ?
— Bonne nuit Eduard.
— T'as dit oui !
— Bonne nuit ! À demain ! »
Et elle avait raccroché en souriant. Elle avait dit oui.
--- NDA ---
🐣❤️
Première NDA depuis des lustres !!
J'espère que vous vivez cette situation de la moins pire des façons. Je sais que c'est compliqué pour beaucoup de personnes mais COURAGE !
Je vais tenter de profiter de cette période pour finir cette histoire et (tenter de) vous divertir avec un peu plus de chapitres par semaine. Je vais faire au mieux, travaillant actuellement à l'hôpital pas de télétravail possible pour moi...
Je vous souhaite tout de même un bon weekend et vous envoi de la force à revendre,
Uthopie. Confinée avec un abonnement Netflix ET Disney+. 🐥❤️
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