Chapitre 7 - Athlétisme et saut d'humeur
Kanae avait juste fermé les yeux, et déjà un peu plus de deux semaines venaient de filer. Les cours s'enchainaient tellement vite qu'elle devait s'accrocher pour ne pas en perdre le fil, au point où la fatigue commençait déjà à s'accumuler. Entre ses cours classiques la journée, ses cours approfondis dans la foulée de ceux-ci, son club et ses devoirs, elle se retrouvait écrasée par l'impression de ne plus rien voir d'autre.
À la maison, l'absence de Sayuri se faisait ressentir de manière étrange, là où même Kanae pouvait réaliser qu'il manquait quelqu'un dans leur quotidien pourtant tout neuf. Keita s'acclimatait doucement de sa nouvelle vie de lycéen et son nouveau club de football, mais nécessitait parfois son aide pour ses devoirs. En résumé, rien d'habituel, mais rien d'extraordinaire pour autant.
Parmi les moments qui avaient pris un aspect pour le moins étrange à ses yeux, Kanae pouvait citer dans le haut de sa liste les cours de sport. Pourtant loin de raffoler de ces derniers, pas sportive pour deux sous, elle les attendait presque avec impatience car c'était un moment qu'elle pouvait partager avec Hina, ainsi qu'avec plusieurs de ses amies qu'elle avait rencontrées au cours de ses années au lycée. Mais en même temps, la perspective de côtoyer Hayato pendant une heure et demie ne la réjouissait absolument pas.
Comme c'était le cas aujourd'hui, pour leur cours d'athlétisme. Leur enseignant avait pris le parti de profiter de la période encore clémente, avec ses températures ni trop faibles ni trop élevées, pour faire sport en extérieur. Mais qui disait athlétisme disait par conséquent sport mixte, et ça elle s'en serait bien passé.
— Tu sautais quand même plus loin l'année dernière, non ? l'interrogea Hina en observant sa feuille de résultats par-dessus son épaule.
Kanae de se retourner vers elle, pour se braquer.
— On était même pas en sport ensemble, comment tu peux t'en souvenir ? En plus, tout le monde progresse pas comme toi, qui fais partie du club d'athlé. Et tu sais que le sport et moi, ça fait deux.
D'autant plus qu'elle savait très bien pour quelle raison elle peinait à se concentrer à 100% sur ses capacités. Et à en juger le sourire malicieux qui étira le visage de sa meilleure amie, c'était davantage pour la charrier qu'elle venait de lui faire cette réflexion.
— Dis donc, t'es un peu susceptible en ce moment, non ? lâcha Mei, un brin amusée par la situation.
À croire que son irritation servait de distraction à tous les passants.
En réalité, ce n'était pas tant la présence de Hayato en elle-même qui l'agaçait. Bon, si, un petit peu. Mais c'était surtout le fait que, dans ces cours communs avec la 3-2, elle le voyait collé à Morita au moins deux fois par semaine. Jusqu'à présent, aucune officialisation de leur couple n'avait été annoncée. D'autant plus que, même lorsqu'elle était encore vers lui, Kanae se souvenait qu'ils avaient toujours été proches, aussi ne savait-elle pas si elle devait y voir quelque chose de différent ou non.
Depuis un peu plus d'un mois qu'il l'avait quittée, la vérité était que la lycéenne était passée à autre chose. En tout cas, romantiquement parlant. L'affection qu'elle avait nourrie à son égard, quand bien même elle ne pouvait pas parler d'amour, n'était plus. Si un garçon suffisamment intéressant l'invitait à sortir dès maintenant, elle pourrait même se surprendre à accepter. Le problème restait sa fierté, et le coup à son égo que cette rupture lui avait coûté et que son corps pansait plus lentement que prévu.
Un certain enthousiasme se leva devant la performance de certains garçons, et Kanae fut forcée d'y couler une œillade. Son visage se tordit en une grimace agacée quand elle aperçut Hayato dans le fossé à réception du saut en longueur.
Forcément, c'est plus facile de sauter loin quand on fait presque un mètre quatre-vingt-dix, bougonna-t-elle intérieurement.
Ce fut ensuite au tour de Yaku, et Kanae se surprit presque un semblant de compassion à son égard, à le voir sauter juste après Hayato et ses immenses jambes. Parmi les groupes formés çà et là aux différents exercices, tous ceux qui attendaient autour du bac à sable de saut en longueur suivirent la course du volleyeur, et l'appui précis et souple qu'il donna à son saut.
Un brouhaha d'étonnement et d'enthousiasme s'éleva devant le résultat, et en jetant un coup d'œil au score la jeune fille constata que malgré ses vingt centimètres de moins, Yaku venait d'égaliser la performance du basketteur. Sa surprise fut plus grande encore quand elle le vit aller charrier Kuroo, à se vanter d'avoir sauté plus loin que lui – le capitaine prétextant qu'il avait raté son saut et pouvait faire bien mieux.
— Ogawa, à toi, appela leur enseignant, la coupant dans ses réflexions.
Comme ce fut à prévoir pour Kanae, Hina réalisa la meilleure performance parmi les filles, et revint jusqu'à leur petit groupe improvisé pour se pavaner, fière comme un paon. À la voir ainsi, un rire lui flottant sur les lèvres, la lycéenne prit conscience de la légèreté soudaine du moment, et de combien sa meilleure amie savait chaque fois apaiser son tourment, que ce soit volontaire ou non.
Le cours finit sur quelques tours de terrain, qui soulevèrent un râle général tant masculin que féminin, mais ils s'exécutèrent tous à leur rythme. Les plus rapides purent ainsi regagner les fontaines à eau ou les vestiaires, et Kanae choisit de rester par la suite pour aider Hina, en charge du rangement du matériel.
— Je suis lessivée, lâcha-t-elle en attrapant les plots de délimitation des espaces de sprint.
— Ça se voit, t'as une sale tronche.
— Super, merci Hina pour ta sollicitude.
Hina la gratifia d'un sourire pour toute réponse, saisit les plots qu'elle tenait dans les mains, et partit en trottinant pour tout mettre dans le local. Son corps commençait à redescendre un peu en température lorsque Kanae s'avança en direction du gymnase, où se trouvaient les vestiaires, aussi enleva-t-elle l'élastique qui retenait levée sa longue chevelure brune, pour la laisser venir lui couvrir les épaules. Sa meilleure amie rejoignit sa hauteur alors qu'elle s'engouffrait dans le bâtiment, les pommettes encore un peu rougies par l'effort.
Aussitôt passèrent-elles la porte que des hurlements d'adolescents en furie percèrent leurs tympans. Perplexe, Kanae chercha la provenance exacte de cette exaltation soudaine, et finit par apercevoir un groupement devant la réserve, sur le chemin des vestiaires.
— Le potin de fou !
— Fallait être plus discrets, les gars !
Hina tourna vers elle un regard curieux, avant de presser le pas pour s'approcher plus vite voir de quoi il retournait. Kanae roula des yeux devant sa nature de commère, mais la suivit au même rythme.
— Oh, Ibaragi ! Tu tombes bien !
— Eh, arrête lui dis pas ça, la pauvre !
— Ah bon ? Ben pourquoi ?
Face à elles, plusieurs de ses camarades se tournèrent en sa direction et soulevèrent un chahut que la jeune fille n'appréciait pas du tout. Les sourcils froncés, le visage fermé, elle s'arrêta à leur hauteur.
— Comment ça ? questionna-t-elle avec froideur.
— Nagase et Morita étaient en train de s'embrasser dans la réserve !
Plus que n'importe quel sentiment, loin de la tristesse, la jalousie ou la douleur, une irritation brute se propagea dans ses veines quand ils se mirent à rire comme des idiots, insensibles à ce qu'ils pouvaient ressentir. Qu'il s'agisse d'elle, de Hayato ou de Morita – non pas qu'elle accorde de l'importance à ces deux derniers. Dans leur dos, elle aperçut la silhouette de Morita essayer de s'échapper, les pommettes si rouges qu'elles se confondaient avec sa veste de survêtement.
— Vous auriez pu attendre qu'Ibaragi-san soit plus là, quand même !
— Après, c'est elle qui l'a quitté non ? Il est juste passé à autre chose, ça fait déjà un mois quand même...
Kanae ne comprenait pas pourquoi aucun son ne parvenait à franchir ses lèvres. Plus que l'agacement, c'était une vraie colère qu'elle devait réprimer devant des paroles tant dénuées d'empathie. Ce n'était qu'un groupe d'adolescents un peu stupides, encore excités par leur cours de sport où ils ne s'étaient pas assez défoulés, qui parlaient sans réellement prendre conscience du poids de leurs mots. Elle le savait bien. Pourtant, la culpabilité qu'elle étouffait l'empêchait de rétorquer quoi que ce soit, et même d'ignorer.
De toute évidence, ça faisait bien plus que quelques jours qu'ils étaient réellement ensemble. Il avait réellement tourné la page pour cette fille. Maintenant, ça sonnait comme une évidence, une évidence présente depuis le début mais qu'elle avait refusé d'accepter. Pourtant, comment pouvait-elle lui en vouloir, alors qu'elle avait elle-même assisté à un gōkon pendant les vacances, à peine plus d'une semaine après leur rupture ?
Son silence dut être la goutte de trop pour Hina, qui finit par essayer de s'imposer :
— Vous–
— Vous vous agitez pour pas grand-chose, vous avez pas mieux à faire ?
Dans un réflexe instinctif, mue par une surprise spontanée, Kanae pivota la tête à quatre-vingt-dix degrés au son de cette voix qu'elle reconnaissait sans aucune doute. Son visage, jusqu'à présent fermé, eut le mérite de se détendre légèrement, alors que Yaku continuait :
— Si vous aviez encore autant d'énergie, fallait plutôt aider Ogawa-san et Ibaragi-san à ranger le terrain.
Une serviette sur le dos, le volleyeur les observa se décomposer sans un mot supplémentaire. L'attroupement qui avait commencé à se former autour d'eux se dissipa peu à peu dans un râle semblable à celui que leur course en extérieur avait provoqué, Hayato se faufilant discrètement dans la masse pour s'échapper. Kanae resta immobile, son regard vrillé sur la silhouette d'un Yaku visiblement satisfait, jusqu'à ce que seule Hina reste à leurs côtés.
La jeune fille fronça les sourcils. Cette fois, le doute n'était plus permis : son intervention était bien volontaire, et ce juste après qu'un de leur camarade eut évoqué le fait qu'elle soit à l'origine de leur rupture. Mensonge dont seul le volleyeur planté devant elle connaissait la vérité... Pour autant, difficile de croire qu'il avait agi pour les disperser juste pour elle.
— J'avais pas besoin de toi, marmonna-t-elle.
Un fin soupir fila entre les narines de son interlocuteur.
— Tu sais pas juste dire « merci », sérieux ?
Kanae retint ses lèvres, qui manquaient de s'étirer en une grimace coupable. Un peu boudeuse, elle se tourna vers Hina, qui suivait leurs échanges et mimiques avec une curiosité non dissimulée.
— Merci Yaku-kun. De t'en être pris à leur conscience, je veux dire ! sourit-elle. Je parlerai pas au nom de Kanae, je la laisse faire seule comme une grande.
L'amusement qui transpirait dans son timbre fit gonfler les joues de l'intéressée, et Hina choisit ce moment pour s'éloigner en direction des vestiaires sans un mot supplémentaire. Face à elle ne restait que le volleyeur, sa serviette toujours sur le dos et une gourde dans la main. Hayato et Morita n'étaient tous deux plus qu'un souvenir vaporeux relégué au fin fond de son esprit.
— Tu comptes garder la vérité pour toi ? s'éleva la voix de Yaku, l'arrachant à ses pensées.
— La vérité ?
— T'as pas peur que Nagase finisse par en avoir marre et qu'il parle de ton super secret ?
La jeune fille plissa le front, pas certaine de comprendre pourquoi cela l'intéressait, et encore moins la raison pour laquelle il essayait soudain de lui taper la discut'.
— Je vois pas en quoi ça te regarde.
Le visage de Yaku se ferma instantanément, avec une telle rapidité qu'elle en regretta presque de ne pas avoir tourné sept fois sa langue dans sa bouche. Son instinct lui indiqua que cette fois, elle avait peut-être un peu dépassé les bornes, et qu'elle devrait s'échapper avant que ce ne soit trop tard.
— Ben alors Yakkun, t'as réussi à nous énerver Ibaragi-san ?
Le regard noir que le volleyeur lança au capitaine de son club, aussitôt ce dernier à leur hauteur, donna presque l'impression à Kanae d'en avoir été le destinataire. Cette fois, elle le sentait vraiment irrité ; rien à voir avec leur dernière entrevue devant leurs casiers. Elle n'irait peut-être pas jusqu'à regretter foncièrement ses paroles, après tout ce n'était certainement pas le moment de venir se montrer conciliant pour évoquer Hayato, mais elle aurait presque pu admettre avoir un peu manqué de tact.
— Je sais pas lequel des deux énerve vraiment le plus l'autre, marmonna Yaku, avant de faire volte-face et de s'éloigner sans un mot, comme l'avait fait Hina avant lui.
Kuroo se contenta d'une moue interrogative à son attention, à laquelle elle répondit par un haussement d'épaules voulu synonyme de « je sais pas ce qu'il a ». Un nouveau mensonge, en somme, mais elle ne s'en formalisa pas le moins du monde, préférant rejoindre à son tour les vestiaires pour espérer être à l'heure pour son prochain cours.
Plusieurs regards se tournèrent en sa direction lorsqu'elle poussa la porte de la pièce, alors qu'un calme angoissant s'écrasait sur elles. Toute conversation coupée d'un coup, le malaise se propagea jusqu'aux regards en coin que ses camarades lui portèrent. À l'autre bout de la pièce, Kanae capta la silhouette de Morita, l'une de ses seules à ne pas être tournée vers elle.
— Faites comme si j'étais pas là, soupira la jeune fille, plus blasée par la proportion de cette histoire que par l'histoire en elle-même.
Elle récupéra ses affaires pour se changer avant de venir s'asseoir à côté de Hina.
— Depuis quand tu parles avec Yaku-kun ? l'interrogea sa meilleure amie dans un chuchotement.
— Il est dans ma classe, j'te rappelle.
— Ouais, bah je réitère quand même ma question. La dernière fois que je vous ai vus face à face, j'ai cru que vous alliez vous battre. Ou au moins vous tirer les cheveux...
Visiblement, les choses n'avaient pas changé.
— On en est encore à ce niveau-là, si ça peut te rassurer. T'as rien raté, t'inquiète.
— Tu l'as remercié ?
— Sérieux Hina, tu vas me faire la morale, là ? J'suis pas d'humeur, et je pense que tout le monde ici sait pourquoi.
Kanae n'avait pas cherché à être discrète, aussi était-elle certaine que tout le monde avait pu entendre sa voix, y compris Morita. Les filles déjà changées sortirent les premières, et bientôt le vestiaire se vida. Avant de partir, Mei lui jeta un coup d'œil curieux pour voir si elle devait se tenir à distance pour l'instant ou non. Elle dut conclure que oui, car elle s'éloigna dans un signe de la main aux côté de leurs camarades. La lycéenne aperçut seulement le regard compatissant de Yasuda Reona, une amie et camarade de sa classe l'année précédente, avant que cette dernière ne disparaisse avec Mei.
Ce fut ce moment où il n'y avait presque plus personne, et où elle finissait de plier ses affaires de sport pour les ranger, que Morita s'avança en sa direction. Les mains devant elle pour se les triturer, la posture hésitante, à la limite de tremblements, sa camarade se planta devant elle sous le regard curieux de Hina, et des quelques personnes qu'il restait.
— Je peux te parler quelques minutes ? risqua-t-elle, et Kanae arqua un sourcil perplexe.
Le culot força presque l'admiration. Presque. Mais avant, l'égo vint prendre le dessus. Cette fois, il n'était plus question de tourner sept fois sa langue dans sa bouche : elle n'avait que faire de la rudesse de ses paroles :
— Non. Laisse tomber Morita, j'ai pas trop trop envie de te parler.
Sur ce, elle saisit son sac et quitta le vestiaire sans même un regard à la jeune fille.
~~~
Je sais, Kanae est assez dure (comme d'habitude me direz-vous), mais au moins elle s'en rend un peu compte on va dire. Pour sa défense, la situation est un peu délicate et c'est vrai que j'aimerais pas me retrouver à sa place, oops.
Sachez que vous n'avez pas fini d'entendre parler de Hayato et Morita, après tout je vais pas laisser ma louloute tranquille aussi rapidement ~
J'espère que ce chapitre vous a plu !
N'oubliez pas de voter et de laisser un petit commentaire, c'est tout bête mais lire vos ressentis et vos hypothèses m'inspire énormément (même si je suis parfois un peu longue à répondre, je m'en excuse) !
Sur ce, je vous dis à samedi prochain <3
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