Chapitre 3 - Excès de fierté







Une euphorie brûlante fourmillait à travers les couloirs du lycée Nekoma et se propageait plus rapidement encore qu'un feu de forêt en plein été. Porteuses de l'enthousiasme singulier du jour, de nombreuses lycéennes papillonnaient devant leurs salles de classe respectives, en résultant un brouhaha incessant qui dépassait les enseignants. Kanae observait ses camarades avec une irritation qu'elle peinait à dissimuler, encore un peu sur les nerfs après une mauvaise nuit qui n'avait fait qu'amplifier son ressentiment de la veille.

Des poches sous les yeux, une canette de jus de fruits en main, elle traversait le couloir en compagnie de Shibata Mei, l'une de ses camarades et amies les plus proches, après leur interclasse et un tour au distributeur.

— Chaque année, je m'étonne de voir que le White Day apporte une ambiance aussi joyeuse, constata Mei, le regard accroché aux groupes d'élèves qu'elles dépassaient. C'est presque autant que la Saint-Valentin.

Kanae tourna la tête pour considérer les lycéens et lycéennes devant lesquels elles passaient, les oreilles tendues. Force était de constater que, depuis le début de la journée, l'événement romantique de celle-ci était sur beaucoup de lèvres. Non pas qu'elle essayait de ne pas se monter la tête, mais elle préférait sortir la White Day de sa tête pour l'instant.

— Tu parles, ils doivent juste être contents parce que c'est bientôt la fin de l'année.

Son amie roula des yeux amusés devant sa réaction, mais n'ajouta rien. Elles pénétrèrent ainsi dans leur salle de classe, pour se retrouver apostrophées par d'autres camarades. Au cours des interclasses, il n'était pas rare que certains se regroupent autour de pupitres pour discuter à plusieurs jusqu'à la sonnerie, ce qu'elles firent donc par automatisme.

— T'as vu ton copain, Kanae ? questionna Natsumi, propriétaire du bureau autour duquel elles s'étaient réunies, à cinq.

— Pas encore, mais il m'a dit qu'il voulait me voir ce midi.

— Ouh, c'est romantique, roucoula Mei en la gratifiant d'un coup d'épaule amusé. Tu crois qu'il va t'offrir quoi ?

L'air pensif, Kanae fit mine de réfléchir. Après tout, ils n'étaient ensemble que depuis trois mois, et elle ne l'imaginait pas lui acheter quelque chose d'incroyable – surtout après ses chocolats de supermarché. Peut-être juste un petit quelque chose pour marquer l'occasion. Ou en tout cas, c'était ce qu'elle essayait de se dire, en mettant de côté les distances étranges qu'il installait entre eux depuis un mois.

Depuis la Saint-Valentin, réalisa-t-elle.

Son visage dut se tordre quelque peu à cette pensée car, face à elle, Yasuda Reona la gratifia d'une œillade curieuse. Kanae balaya la question silencieuse de son amie d'un sourire.

— Aucune idée, je verrai bien.

— Et toi, Natsumi, ton handballeur est venu te voir ? Il a pas encore répondu à ta confession de la Saint-Valentin !

Alors que l'intéressée se lançait dans des explications, les pommettes rougies suffisamment éloquentes pour remplacer des paroles, Kanae décrocha de la conversation. Une vibration de son téléphone, dans la poche de sa jupe, retint davantage son attention. En le sortant, elle y constata un message de Hina, qui l'informait avoir oublié ses affaires de sport et voulait savoir si elle pouvait emprunter ses baskets après la pause repas. Kanae plissa le front devant son écran : elles ne faisaient même pas la même pointure. D'autant plus que, la fin de l'année scolaire étant dans trois jours, rares étaient les classes à continuer les cours d'éducation physique.

Elle accepta malgré sa perplexité, résolue à l'interroger sur le sujet lorsqu'elle lui donnerait ses affaires, et fut forcée de regagner son bureau peu après lorsque leur professeur rentra dans la classe pour un dernier cours de mathématiques de l'année, plus axé sur l'échange et la nostalgie que sur des formules à deux inconnues. Lorsque la sonnerie retentit pour annoncer la fin de ce cours et, surtout, la pause repas, ils furent nombreux à bondir de leur chaise. Kanae la première. Elle s'empressa de ranger ses affaires et de se lever.

— Tu manges avec nous, Kanae ? l'interpella un camarade en désignant les tables qu'ils étaient tous en train de grouper.

— Pas ce midi, désolée. Demain !

Mei leva un pouce d'encouragement en sa direction, geste qui lui arracha un sourire amusé.

— Elle doit vraiment l'aimer Nagase-san pour être pressée comme ça, s'éleva une voix taquine dans son dos, alors qu'elle s'éloignait déjà, sans y prêter attention au point de se retourner.

La phrase résonna en elle jusqu'à ce qu'elle s'immobilise dans le couloir, au milieu de tous les lycéens qui quittaient leur classe pour aller manger. Elle doit vraiment l'aimer. À cet instant précis, les seuls mots qui lui vinrent à l'esprit furent « aucun rapport ». Une appréhension teintée d'impatience guidait ses pas, mais elle ne se voilait pas la face. Ce serait mentir que de dire qu'elle n'avait aucun recul sur la situation : aimer était un bien grand mot, sur lequel elle ne pouvait pas prétendre à apposer ses sentiments. Après tout, quand elle avait accepté de sortir avec lui trois mois plus tôt, ils ne s'étaient jamais réellement parlé. Aujourd'hui, elle pensait avoir peu à peu appris à le connaître, pourtant son comportement des derniers jours l'agaçait plus qu'il ne l'attristait.

Kanae ne se perturba pas bien longtemps sur le sujet et reprit sa marche motivée en direction de la 2-4. Une tête passée par l'embrasure, elle se manifesta sans grande gêne pour interpeller Hayato. Il l'aperçut après avoir été prévenu par un camarade, et se dirigea jusqu'à elle les mains dans les poches.

— Salut, lâcha-t-il en se plantant devant elle, l'esquisse d'un sourire hésitant sur les lèvres.

Il la surplombait du haut de leurs vingt-quatre centimètres de différence, le visage tiré par une crispation qu'elle lui connaissait peu. Une main nerveuse glissa à travers sa chevelure sombre déjà désordonnée, geste qu'il faisait souvent inconsciemment au reflet d'un malaise. Devant une expression si singulière qui ne lui ressemblait pas à son égard, Kanae pencha la tête de perplexité. Ce qu'elle craignait inconsciemment, sans même chercher à mettre ses pensées dessus, lui paraissait plus réel que jamais.

— Ça va pas ? s'étonna-t-elle.

— Si, si.

En dépit de ses paroles, son regard brun brillait d'une lueur d'appréhension qu'elle ne pouvait ignorer.

— Tu voulais me voir, tu veux qu'on aille quelque part ?

— Ouais, je pensais qu'on pourrait se poser dehors, histoire d'être tranquilles.

Kanae approuva d'un hochement de la tête, malgré son envie de protester en raison du froid extérieur encore persistant de la période. Quelque chose dans l'attitude d'Hayato l'interpellait encore bien plus que l'absence de réponse à ses messages, à tel point que ses différents sentiments contradictoires venaient lui nouer l'estomac. Ils marchèrent dans un silence inhabituel jusqu'aux escaliers, descendirent pour atteindre le rez-de-chaussée, et se heurter à l'air tokyoïte glaçant. La jeune fille embrassa mentalement son gilet à manches longues qu'elle avait récupéré dans son casier le matin même, certes un peu froissé. Les températures restaient pourtant assez raisonnables pour un mois de mars, avoisinant peut-être les quinze degrés, elle ne parvenait pour autant pas à y trouver la moindre chaleur.

— T'es sûr qu'on a besoin de sortir autant ? s'enquit-elle en lui emboitant le pas, alors qu'il marchait en direction des gymnases. Hayato-kun, t'es bizarre, là.

Une pointe d'irritation vint à nouveau gonfler ses veines à l'absence de réponse, mais elle consentit à trottiner pour les suivre, lui et ses grandes enjambées.

— Désolé, mais j'aimerais bien qu'on soit un peu tranquilles.

Ça aurait pu être romantique et mignon, mais il n'en fut rien. La White Day était déjà partie bien loin, dans son esprit ; toute miette d'enthousiasme entièrement grignotée. Poussée par la curiosité, elle se contenta de le suivre docilement jusqu'à ce qu'il s'arrête à proximité du gymnase, dans un renfoncement de verdure un peu reculé où les élèves venaient souvent s'installer le midi, en période estivale. Aujourd'hui, il n'y avait personne aux alentours et seule la brise qui filtrait entre les bâtiments se faisait entendre. Les arbres qui longeaient les allées refleurissaient petit à petit, mais l'hiver se faisait toujours persistant dans ses ambiances grisâtres, encore terne aux yeux de Kanae par rapport à ce que le parc Jikodai avait à offrir en nuances.

— Écoute... commença Hayato en se passant une main dans la nuque. J'suis désolé de venir te parler de ça pile aujourd'hui. Mais... j'aimerais qu'on s'arrête ici.

Kanae mentirait en disant que ses mots la prenaient pas de court, mais elle mentirait également en affirmant que la nouvelle lui sonnait comme un coup de massue. Les signes avant-coureurs étaient là, après tout, et ils s'expliquaient bien plus facilement maintenant. Elle resta quelques instants immobile à cligner des paupières, incapable de savoir comment réagir.

— Oh, finit-elle par lâcher pour toute réponse.

Pas plus tard qu'une semaine en arrière, il s'intéressait avec elle de ce qu'ils pourraient faire au cours des vacances de fin d'année. Certes, il était plus distant que ce à quoi il l'avait habituée, depuis la Saint-Valentin. Sans vouloir être trop insistante, elle avait préféré se dire que quelque chose le perturbait. Mais pour ne le côtoyer que depuis trois mois et, jusqu'à la veille, elle n'avait pas tant cherché à s'en formaliser. Maintenant, elle comprenait un peu mieux.

Pour autant, elle n'arrivait pas à ressentir une sincère tristesse. C'était un sentiment différent qui affluait jusqu'à elle.

— Du coup, tu me largues ? C'est toi qui voulais qu'on se mette ensemble, pourtant.

Piquée au vif dans son égo, la lycéenne croisa les bras sur sa poitrine. Même malgré leur différence notable de taille, le regard en biais qu'elle lui jeta, les sourcils froncés, lui donna l'impression de le toiser. Hayato dut le ressentir de la même manière, car il laissa un soupir quitter le mur de ses lèvres.

— Je sais, et je te dis pas que je regrette, loin de là. Mais voilà, c'est comme ça... C'était sympa ces trois mois avec toi, et je te remercie d'avoir accepté mes sentiments.

Il hésita et, voyant qu'elle restait silencieuse, ajouta :

— Kanae, je suis sérieux.

Même si elle n'avait pas besoin qu'il le précise, la jeune fille apprécia qu'il se sente obligé de le faire. Peut-être un petit peu – trop – de fierté mal placée, une rancœur qu'elle savait être la seule à subir, ou un amer mélange des deux. Quoi qu'il en soit, elle s'estima heureuse que l'air extérieur se révèle si frais : il aidait à lui remettre les idées en place, dans le tumulte désormais orageux de ses pensées.

— Bien, accepta-t-elle, comme si elle voulait se donner l'illusion d'avoir le choix. Je peux dire que c'est moi qui t'ai quitté, alors ?

S'il cligna des yeux sous l'étonnement, de toute évidence perplexe devant la question, il resta bien plus calme qu'elle l'avait imaginé. Dommage. Pourtant, quelque chose s'alluma dans son regard, une chaleur douce et compatissante, qui n'aida absolument pas la situation.

— Je vois pas trop pourquoi... Mais si tu veux.

Un nouveau soupir lui échappa, soupir qui rendit le calme entre eux soudain bien lourd. Contre toute attente, Kanae en avait oublié le froid qui lui caressait la peau. Le sang bouillonnant dans ses veines venait contraster drastiquement ces sensations, et la honte lui chauffait les pommettes.

— C'est peut-être maladroit de ma part, mais... reprit Hayato, en sortant la main de la poche de son blazer. Je l'avais acheté y'a quelque temps déjà.

Une petite boîte entourée d'un ruban coloré dans les doigts, il pinça les lèvres et leva l'objet en sa direction. Kanae comprit dès qu'elle l'aperçut qu'il s'agissait d'un petit cadeau de réponse à ses chocolats, qu'il avait choisi d'emmener avec lui pour le lui offrir malgré la situation. C'en fut trop pour sa fierté qu'elle essayait de contenir en un seul morceau, la perspective de se faire remercier poliment par son désormais-ex-petit-ami dans un élan de pitié ne lui plaisait pas le moins du monde.

— J'en veux pas, le coupa-t-elle. Laisse tomber.

Hayato eut un léger sursaut de surprise, mais n'insista pas. De toute évidence, et comme elle le savait, il était loin d'être bête. À cet instant, elle aurait presque préféré qu'il le soit.

— Garde-le pour ta prochaine copine.

Elle fit volte-face sans attendre sa réaction, peu désireuse de la voir tant dans l'expression de ses traits que dans ses mots. Dos à lui, sans grande envie de retrouver ses camarades, elle se retrouvait plantée en direction du gymnase. Une petite balade autour de celui-ci lui sembla soudain être la seule chose dont elle avait besoin pour que ses nerfs, tendus par un million d'émotions, se calment.

— Kanae, l'interpella-t-il une dernière fois, alors qu'elle s'éloignait. Tu sais... Tu devrais pas autant te bloquer dans ton égo.

Sa voix avait été douce, le conseil glissé dans l'air comme une sincère envie de l'aider. Pourtant, il sonna à ses tympans comme humiliant, comme la dernière chose qu'elle avait envie de recevoir de lui à cet instant – ou l'avant-dernière, juste avant son cadeau. Kanae laissa le silence se poser suffisamment longtemps sur eux pour qu'Hayato concède à partir pour la laisser seule. Le son de ses pas sur le bitume de l'allée goudronnée parvenant jusqu'à elle, elle se retourna pour s'assurer qu'il était bien en train de s'en aller. Un soupir de soulagement lui échappa une fois qu'elle en eut la certitude, et que sa silhouette n'était plus qu'un lointain souvenir brumeux.

Ou en tout cas, ce fut ce qu'elle pensait. La jeune fille se figea sur place lorsque, devant ses prunelles aux nuances de vert, une silhouette s'imposa à elle. Le choc manqua de lui arracher un sursaut, qu'elle réfréna de son mieux pour s'efforcer de reprendre contenance.

Figé face à elle, son regard brun planté dans le sien, Yaku Morisuke l'observait sans paraître vraiment surpris de se retrouver ainsi face à elle. Leur interaction de la veille ressurgit dans son esprit avec la vitesse d'un aérolithe, pour venir écraser toutes les émotions que sa discussion avec Hayato avait laissées. La rancune tenace, la jeune fille le jaugea d'un air mal aimable.

— Je t'avais pas vu, lâcha-t-elle seulement, son regard s'arrêtant sur le haut de son crâne.

— Qu'est-ce que tu sous-entends ? se braqua-t-il comme il l'avait fait la veille.

Quelque chose dans sa manière de lui faire face interpellait la lycéenne, comme s'il essayait de l'esquiver pour rapidement la contourner et s'éloigner, malgré l'irritation qui venait de découler de ses paroles et son air soudain fermé. Kanae aurait pu rester un moment à s'interroger sur une telle réaction, si les rouages ne s'étaient pas assemblés alors qu'il passait à côté d'elle.

— Hé... l'interpella-t-elle, les paupières plissées, et il s'arrêta à sa hauteur. Tu... nous as entendus ?

Il ne répondit pas clairement. Pour autant, son regard fuyant lui révélait que oui.

De toutes les personnes que contenait l'établissement, il fallait que ce soit lui qui soit témoin de cet échange. Kanae eut envie disparaître.



~~~



Bien évidemment, vous êtes plusieurs à avoir relevé le fait que la relation entre Kanae et Hayato était spéciale, ou que ça sonnait comme une rupture. Et c'était rapide, mais en effet !
Même si c'était court, et vous entendrez encore parler de lui dans la suite de cette histoire, j'avais envie de montrer ces relations ou les personnes ne se mettent pas ensemble parce qu'ils sont fous amoureux, mais parce qu'ils partent du principe que l'amour viendra, qu'il faut lui laisser le temps. C'était le cas de Kanae, ici, qui a accepté la perspective d'essayer de construire quelque chose avec lui, même si malheureusement ça n'a pas marché.

À nouveau, vous avez un petit aperçu de son sale caractère et de ses excès de fierté. Pour l'anecdote, dans mon premier jet l'histoire commençait ici, et c'était donc la première rencontre entre Kana et Yaku. Mais finalement c'était plus drôle de faire cet échange alors qu'elle a déjà une dent contre lui ~

En tout cas j'espère que ce chapitre vous a plu !
N'oubliez pas de voter et de laisser un petit commentaire <3

Je vous dis à samedi prochain !

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