8. Couleur Caramel

Je finis par repérer un livre. "Reste avec moi", d'une certaine Jessica Warman. Drôle de titre, puisqu'un jour la séparation est obligée, que ça soit par la mort ou par les épreuves que réserve la vie.

Aujourd'hui, à la bibliothèque, il n'y a pas grand monde. Je vois de loin la vieille bibliothécaire me regarder. Quand nos regards se croisent par mégarde ou non, elle me sourit gentiment, comme à son habitude. Et moi, comme à mon habitude, je détourne les yeux loin d'elle, me décale vers un angle où elle ne peut me voir, gênée par ses yeux ne portant aucune trace de péché. Il serait si facile de la comparer à un ange !

Le livre que je souhaite est tout en haut de l'étagère en bois brun clair (une magnifique couleur soit dit en passant). Je tends la main. Mais elle est parcourue de spasmes involontaires.

Mon cris déchire le silence de mon être dans lequel je suis coincée. Je n'arrive pas. Ma main tremble contre mon gré et le livre est toujours trop haut.

C'est comme si Sharko prenait possession de mon corps, je ne suis plus maîtresse de cette main. Sharko la contrôle avec une dextérité qui ne me laisse pas indifférente.

Le pire dans toute cette histoire, dans toute cette maladie, c'est d'avoir pleinement conscience que mon corps se dégrade de jour en jour. Ceux qui ont Alzheimer ne se rendent pas vraiment compte de leur maladie, ou seulement de temps à autre. Moi je m'en rends compte à chaque seconde de chaque jour du temps qu'il me reste.

Et c'est horrible. C'est horrible de savoir que mon corps, petit à petit se transforme en loque devant mes yeux et ne pouvoir rien faire d'autre qu'attendre que tout cela cesse, que la maladie finisse par gagner et m'emporte avec elle loin de mes proches ou de quoi que ce soit de vivant.

Mon cas est désespéré. Je suis un cas désespéré et Sharko me désespère.

-Merde alors, je chuchote à voix haute pour moi-même.

Je baisse la main. Attends que ça passe en secouant ma main, comme une enfant qui se serait brûlée à force de jouer avec le feu. Je finis par abandonner et cherche un autre livre.

La vie est injuste, avant Sharko, j'étais une fille comme tout ce qu'il y a de plus normal. J'avais une vie comblée, elle frôlait presque la perfection ! J'avais des amis, des rêves, des buts, un avenir... Et tout à coup... plus rien qu'un vide résonnant dans ma tête comme une symphonie perdue.

Je n'étais plus rien qu'un calvaire à moi toute seule.

À moi seule, j'ai détruit ma famille et la réduit encore aujourd'hui en lambeau.

Saletée de Sharko. Je te hais, te déteste, te maudit, te condamne à vivre en enfer et à brûler dans les flammes à perpétuité, te déshérite du...

-Besoin d'aide ? demande une voix inconnue juste à côté de moi, qui me coupe dans mes réflexions néfastes.

Elles sont toujours néfastes mes réflexions à bien y réfléchir...

-Non...

Je déteste demander de l'aide ou recevoir de l'aide. Même quand je sais que j'en ai plus que besoin. Après tout, je suis dans une bibliothèque qui sent bon le livre, il y en a pleins d'autres des livres.

-...Merci, finis-je ma phrase, on m'a tout de même appris à être polie !

Je me détourne de l'étagère où se trouvait le livre inatteignable et continue ma recherche de livres.

Le cher démon qui aime prendre possession de mes muscles et leurs donner des convulsions malgré moi me blesse plus que personne ne pourra jamais l'imaginer. L'idée même qu'une personne l'ai à moitié remarqué et veuille m'aider m'horripile et me scie les côtes.

En cet instant, je sais que Sharko devient de plus en plus forte. Cette pensée me déstabilise et fait apparaître des points noirs devant mes yeux.

Je les fais disparaître d'un clignement de cils.

Je pense alors à tous ces jeunes gens de mon âge qui vont aux lycée, qui se plaignent des cours comme des enfants gâtés, qui travaillent entourés de leurs amis, qui sortent en ville et font la fête. Je voudrais bien que ma mère me hurle dessus pour avoir trop bu ou parce que je rentre trop tard d'une fête, seulement ça n'est pas vrai !

Mais je ne dis rien. Cette vie est la mienne, je n'en aurais pas d'autre et n'ai plus le temps de gâcher ne serait-ce qu'une seule seconde. La vie est trop précieuse et trop courte pour que l'on envie les autres. Et c'est dégelasse d'envier les autres et de se plaindre de sa vie, même si c'est exactement ce que je fais...

J'attrape un autre livre sur une autre étagère, à ma portée cette fois, et commence à le feuilleter, la gorge encore nouée par l'émotion.

Ce livre parle d'un petit garçon capable de parler aux plantes. Il semble assez étrange, alors je le repose et cherche à nouveau en me disant que certains auteurs ont de drôles d'idées.

Je ne sais pas vraiment ce que je cherche comme livre pour l'instant... Peut-être un science-fiction ?

Non ! Mes préférés, des recueils de poèmes !

Je me rends soudain compte que je suis observée par une autre personne que la vendeuse.

Le regard de cette personne anonyme me chauffe la peau. Je déteste être observée, être le centre d'attention d'un individu humain ou non. C'est un sensation que j'aimerai plus que tout effacer de cette planète, la brûlure d'un regard, il devrait être interdis de regarder une inconnue.

Je sens aussi sa présence à côté de moi, la personne me suit. Ma respiration se coupe, je me prends à m'imaginer pendant une demi seconde seulement qu'il s'agit d'un agent de police, d'un scientifique fou qui a découvert que j'étais malade, ou alors d'un psychopathe cannibale avec les dents du bonheur...

Alors, je lève la tête, prête à cracher mon poison sur cette personne.

Ça n'est si un scientifique fou, ni un policier, comme je m'en doutais déjà.

C'est pire que cela.

Avant même de relever ma tête, je regrette.

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