37. Couleur Opaque
Je fixe le reflet qu'ose m'offrir mon miroir. Je le fixe avec tant d'intensité devant le petit lavabo blanc que j'ai l'impression de m'y noyer, d'étouffer et de me faire absorber par mon moi.
J'ouvre la bouche autant que je le peux, comme pour chercher ce qui devrait me gêner et l'enlever. Mais il n'y a rien, rien d'autre que ma langue qui pèse le poids du monde et mes muscles qui s'atrophient au point de me blesser. Alors quand j'ouvre la bouche, rien à part une cavité saliveuse s'ouvre devant moi, rien à part le souvenir de Sharko me revient en mémoire.
Je retente de parler, le cœur au bord d'un nausée inventée par mon propre écœurement :
-Bonjzouffr.
Je n'en peux plus.
Je n'en peux plus et maintenant que j'ai goutté au bonheur je le veux tout entier, sans défaut ni Sharko. Je veux encore pouvoir parler, je parlais il y a à peine quelques minutes ! Avec Steven, sur ma peinture et son manque !Que s'est-il donc passé ? Je dois pouvoir encore m'exprimer, c'est impossible autrement, rien n'a plus de sens sinon !
Maintenant je bafouille comme un jeune bambin désarticulé dans un corps inadapté, trop grand, trop mou, trop faible, trop malade. Et je meurs, m'évertue à retrouver cette joie qu'il y a quelque instant mon corps entier possédait. J'essaie de faire appel à ma force intérieure, celle qui, silencieusement combat toutes les secondes Sharko tant bien que mal. Mais tout sonne vide et résonne en se perdant dans un écho trop puissant pour être supportable.
Par une stupide colère, une stupide douleur, un besoin assaille mon esprit et m'empêche de penser à autre chose. Je regarde mes yeux cachés derrière mes lunettes, la maigreur de mon visage rongé par la maladie et je n'ai plus que cette stupide envie.
Briser tout ce qui peut encore être brisable dans cette pièce. Anéantir ce miroir de moi, le casser pour ne plus jamais voir le reflet de celle que je m'évertue à combattre devant mes yeux.
Je sais, c'est complètement insensé mais... Je veux démolir ce miroir, le pulvériser, éparpiller des fragments de glace tout autour de moi, éclater ma main dans le verre, ressentir quelque chose de plus tolérable qu'être privée de mon corps !
Mais je n'en ai pas la force.
Alors, peut-être dans une détresse vaine, pour essayer de retrouver la joie et effacer Sharko en retrouvant mes mots, je me penche en avant comme pour m'affronter moi-même au travers de ce monde inversé et tout plat.
Perdue dans mes pensées, je me rends compte trop tard que je me suis trop approchée, que mon corps n'a plus de force et qu'il est juste bon à s'écrouler.
Mon siège perdu entre moi, la gravité et un dilemme un peu curieux, recule et je percute le lavabo en pleine tête. Je tombe à terre et je ne me relève pas.
Je ne le peux pas.
Mais quelle conne, mais quelle conne, mais quelle conne !!! Pensées cohérentes et justes pour une voix sourde et bafouillante.
Et soudain, je suffoque avec ma propre haleine, je respire de moins en moins, étalée là, sur ce sol froid où tant de fois auparavant il m'est arrivée de marcher.
J'aimerai appeler. L'appeler. Les appeler. Mais ma bouche ne sort que de faibles sons étranges. J'essaie de tousser mais j'ai du mal à respirer. J'essaie de me lever en tentant de relever mes jambes, mais elles s'effondrent au sol et n'y bougent plus, comme paralysés, possédées par Sharko.
Ma tête semble se scier en deux, un fer chauffé à blanc me transperce et je sens déjà une sorte de bosse se former contre mon crâne à cause d'un lavabo et d'une envie stupide de briser une ressemblance pourtant indissociable.
Sharko est de retour. Plus terrifiante et démoniaque que jamais.
J'essaie d'inspirer de l'air mais ma gorge est serrée, aussi tranchante qu'un couteau.
Je panique et frappe aussi fort que je peux mes bras, mes pieds, tout ce que je peux sur le mur pour faire du bruit, j'ai si peu de force !
Que quelqu'un m'entende où je mourais seule dans cet endroit. Là. Maintenant !
Je frappe à m'en faire mal, à me vider de ma raison. Mais je m'en fiche, j'ai déjà mal.
Mes poumons me brûlent, ils demandent de l'air. Moi aussi j'en voudrais ! Parfois, quelques morceaux d'air passent, mais jamais assez à mon goût. Ils ne font que me narguer, m'offrir de l'espoir avant de tout me reprendre.
-LI ! LI !
Tout commence à devenir trouble, je respire à peine. Je suis en train de perdre connaissance. De sombrer dans l'inconscience.
Je m'accroche à sa chemise autant qu'il m'est possible, mais je n'ai plus de doigt. Mon cœur résonne dans mes oreilles comme des cymbales que l'on frapperait dans mon crâne, ou est-ce le cœur de Steven que j'entends ? Il bat vite, fait la course contre la mort...
Je me rends compte que je suis effrayée.
-ELLE RESPIRE À PEINE ! VIIITE !
Stev me soulève la tête, je le reconnaîtrais entre mille, même souffrante, même mourante. Ses mains, sa peau... Tout est tellement parfait chez lui. Comment oublier tout cela ? Comment a-t-on pu seulement se côtoyer, s'entendre ? S'aimer ? Pourtant tout cela va disparaître, tout commence, ou plutôt se termine déjà.
Je le fais tomber avec moi dans ma mort prématurée. Et le pire, c'est qu'il accepte sans broncher. Je voudrais lui chuchoter à quel point de m'en veux de l'avoir connu et aimé mais je ne suis pas certaine de vouloir m'excuser pour cela.
Je voudrais le supplier, lui dire à quel point je m'en veux de m'être trop penchée vers ce foutu miroir, comme je regrette d'être tombée et d'avoir fichu le dîner en l'air, mais il m'est impossible de lui parler.
-S'il te plaît, Li, reste encore un peu. Un peu plus petite Li...
Mais je ne contrôle rien. Il le sait et pourtant l'espère. Et moi aussi, l'espoir me prend.
Sharko, je t'en supplie, ne me prends pas tout de suite, s'il te plaît laisse moi vivre encore un peu plus. Pas pour moi mais pour lui. Si tu pouvais juste me permettre de vivre encore un peu plus, un jour ou deux... Après tout c'est lui qui m'a appris à revivre !
Sharko, si tu m'apprécie, si tu m'aime, attends encore un peu, parce que, qui aime attend !
Sharko ne me tue pas tout de suite, pas dans ses bras si réconfortant... Ais pitié de la tendresse...
Je ne pensais pas que mourir faisait si mal, qu'elle arrivait tout d'un coup, comme cela, en quelques minutes seulement.
Mais la mort peut bel et bien arriver brutalement, d'un seul coup. Et je crois que, malgré tout ce que j'ai pu dire auparavant, je ne m'y étais pas préparée. Du moins, pas assez.
-J'appelle les pompier, tiens bon Line, s'il te plaît... ! j'arrive à reconnaître la voix pleines de larmes de ma mère avant de définitivement sombrer dans un noir complet, aussi beau que notre petite promenade dans la rue sous la lune, de toutes ces nuits passées à ses côtés, et celui du concert avec le groupe de Stev.
Alors, je refais exactement comme quand j'étais là-bas, au concert, avec tous ces corps et cette merveilleuse musique qui refaisait vivre mon être : Je ferme les yeux et...oublie.
M'oublie.
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