32. Couleur Citronnée
Ma lampe de chevet est cette fois allumée et fait couler le miel de sa couleur sur les murs de ma chambre. Et sous sa couche lumineuse, les ombres se tapissent à l'abri, dans leur propre nuit, sous un meuble ou dans un petit coin exiguë de ma chambre.
Je suis allongée dans mon petit lit simple et regarde mes rideaux pourpres doucement, silencieusement, presque de manière totalement invisible, se balancer au rythme de la petite brise que ma fenêtre entrebâillée libère.
Et soudain quelqu'un frappe à la vitre. Mon ventre laisse s'envoler les papillons multicolores qui jusqu'ici étaient maintenus en captivité. Ils se déversent partout : dans ma chambre, sur les murs emplis de nectar, vers la fenêtre... Partout !
Je me rends alors compte que je ne comprends pas comment mes sentiments ont pu à ce point se développer. Je ne comprends pas cette chose qui me ronge les entrailles, qui m'incite à me rapprocher toujours et encore plus de Steven. Je ne comprends pas et commence à me demander s'il y a une seule raison à cette folie d'émotions qui explosent. Moi, qui avait du mal avec l'impression d'être simplement touchée pour la simple raison d'être aimée, me voilà, qui supplie qu'on me laisse m'approcher de Steven.
Celui-ci apparaît avec son sourire juste parfait, que je ne peux m'empêcher de le lui rendre en retour.
-Bonsoir, Stev, je lui souffle.
Il avance jusqu'à moi et nos lèvres viennent libérer leurs forces, elles s'entrechoquent, avides et pleines de frénésies en se nourrissant de l'énergie de l'autre. Puis elles finissent à nouveau par se quitter pour ne plus que se frôler, incapables de laisser plus d'espace entre elles.
-Bonsoir, Li, me chuchote Steven.
Je sens son souffle contre ma bouche, chaud, envoûtant. Parfaitement et innocemment délicieux. Je l'oblige à s'approcher plus et intensifie ce baiser par ma passion qui me déchire de l'intérieur, qui me broie et m'emporte avec elle. Tout explose en paillettes étoilées autour de nous. Ma chambre n'est plus, mon corps n'est plus, et surtout, Sharko n'est plus. Tout s'éloigne et il ne reste plus que Steven.
Je n'arrive pas à savoir, si c'est lui le Soleil ou moi la Lune. Je ne sais plus qui de nous deux brillent le plus et lequel de nous passe après l'autre. Est-ce la nuit qui succède le jour ou bien tout l'inverse ? Je ne sais pas. Je ne sais plus... J'ai oublié, tout oublié. Est-ce Steven qui illumine la nuit d'un halo blanc ou bien est-ce qu'il éclaire une partie du monde de sa couleur dorée légèrement citronnée ?
Nos respirations endiablées s'emportent, Les mains de Steven viennent enserrer ma taille, mes mains viennent entourer son cou et l'attirer un peu plus à moi, ça n'est toujours pas assez pour ma chair insatiable de son contact. Nos soufflent se coupent, reviennent avant de se couper à nouveau. Et c'est beau. Beau, étrange et dangereux à la fois, ça fait palpiter nos cœur et nous fait perdre la tête. Ensemble.
Pourtant, je finis par me décaler. Il me suit, s'allonge prêt de moi en enserrant ma main dans la sienne et nous fixons le plafond de ma chambre. Nos épaules, nos avant-bras se touchent et se brûlent la peau au travers de nos vêtements, tout cela dans le maigre espoir de pouvoir s'enflammer et enfin fusionner dans un même bras pour ne former qu'un seul et même être.
Que nos peaux s'enserrent donc et se mélangent pour ne plus jamais se quitter !
-Alors ? me demande Steven, brisant le doux silence de ma chambre. Du nouveau ?
-Ouais, j'hésite un moment avant de me tourner vers lui. Ma mère t'invite à... Dîner. Demain...
Les yeux de Steven papillonnent un long moment, comme hésitants. S'il avait été debout, je peux parier les yeux fermés qu'il se serait balancé d'avant en arrière. Mais il est allongé, et me fixe de ses yeux bleus parfaits.
-En... En quel honneur ? demande-t-il, une pointe de panique dans sa voix.
Je fronce les sourcils, plis les jambes et me tourne entièrement vers Steven en couchant ma main libre sous ma tête.
-Tu as peur ? Mais ça ne sera pas la première fois que tu verras ma famille au complet !
Il me lance un regard qui en dit long et qui ne dit rien à la fois.
-Tu imagines si nous ne trouvons rien à dire ? Si je casse un verre ou si... Je commence à me prendre la tête avec un de tes parents et puis... Il y a ton père ?
Steven, qui n'a probablement jamais pu compter sur une figure masculine, hésite. Il ne sait pas comment gérer l'image qu'à pour moi un père. C'est triste de penser pareille chose, de voir quelqu'un qui n'a jamais connu le véritable amour d'un père bienveillant aux yeux attendrissant d'émoi.
Je lève les yeux au ciel, car les options que Steven m'énumèrent me semblent impossibles, pas avec mon père en tout cas.
-Mon père est aussi doux qu'un nounours en guimauve manquant d'affection, Stev, je rétorque.
Soudain, ses sourcils se froncent et créent un petit creux au milieu de son front. Je suis tellement près de lui que je vois de façon très distincte cette minuscule cavité insoupçonnée, s'éveillant à moi pour la première fois. Et je crois que j'aime cela, voir ce genre de minuscule détail sur la peau de Steven.
Un sourire vient s'ouvrir sur son beau visage imparfait qui correspond parfaitement à ma propre imperfection. Ensemble, nos visages sont célestes et se complètent par leurs défauts.
-Tu ne portes pas tes lunettes ce soir.
Même si ça n'est pas une question, je secoue la tête lentement sans le quitter des yeux, ses beaux yeux, remplis en son fond par la mer déchaînée de ses émotions. D'une teinte plus claire que quand mes chères lunettes de soleil sont posées sur mon nez.
Son front s'approche du mien et sa main, celle qui ne tient pas la mienne, vient caresser ma joue et doucement, effleurer ma paupière gauche, puis mon sourcil toujours abîmé.
Son contact est comme une poussière d'étoile qui électrise ma paupière encore et encore, comme pour inciter mon cœur à battre plus vite et plus fort. Dans toute l'obscurité de ma vie, c'est la seule chose que je vois. Les étoiles que Steven laisse sur moi, m'obligeant à briller et à me dévoiler un peu plus à lui. Mes yeux explosent de par son simple contact, et je chavire dans un presque rêve de ma réalité.
Steven a raison... Lui-même est une étoile et il file bien vite dans ma direction, comme si j'étais sa seule destination.
-Toi aussi tu n'es pas très... Rassurée.
-Pas pour les même raison. Crois moi, je soupire en refermant mes paupières anesthésiées par son contact.
-Pourquoi alors ? Dis moi tout Li...
Il retire sa main de mon visage et vient entourer sa propre taille.
Je resserre, presque de manière imperceptible ma main dans la sienne et j'ai soudain l'impression qu'elle n'est plus qu'un tas d'os qui s'entrechoquent et se brisent en rythme entre les doigts de Steven.
-Manger n'est pas vraiment une partie de plaisir avec... Sharko. Que tu me vois dans cet état me...(je secoue la tête et me reprends). Déglutir m'est un peu plus difficile chaque jour et mes gestes sont tellement aléatoires que mettre une fourchette dans ma bouche est une épreuve ! Tout se complique, comme respirer et puis bientôt... parler.
Une panique que Steven tente bien malheureusement de cacher fait trembler la main qui agrippe à mes jointures et tressaillir quelques mèches blondes rebelles.
-Pourquoi as-tu accepté si ça t'es douloureux ? me murmure-t-il dans une incompréhension partielle, car au fond, je suis sûre qu'il sait pourquoi.
Je décide tout de même de lui répondre. Un soupire chaud s'échappe de mes narines dilatés et je pose mon front contre le torse de Steven, comme si j'avais besoin d'un soutient, d'un pilier. Juste, de lui. Et il doit le comprendre puisqu'une de ses jambes vient chatouiller mes orteils nus.
-Je crois que... Inviter mon petit ami à manger est un des souhaits que ma mère rêve de voir exaucé, je lui réponds soudain perdue dans mes pensées.
Je compte les nombres de fois où le torse de Steven se lève.
Une fois et la vie explose à l'intérieur, entre ses côtes et son sternum. Deux fois, elle se déverse de ses pores en un torrent de laves en fusions. Trois fois, elle s'imprègne en moi pour ne plus jamais me quitter. Quatre fois, elle me contamine par sa joie de vivre et sa beauté si insoupçonnées. Cinq fois, je meurs d'émerveillement. Six fois et l'univers s'est refait, il s'est inversé et m'a enfin laissé voir sa beauté.
-Je ne peux pas lui refuser cela, ça ferrait de moi quelqu'un d'affreux, je finis par ajouter à bout de souffle et de souffrance. Retirer à quelqu'un son vœu, c'est être inhumain...
Je suis à bout de lui et des sentiments que je tente d'étouffer... Tout m'explose alors à la figure. Mes cils papillonnent, se perdent et effleurent le haut de Steven, c'est étrange de ne pas porter mes lunettes.
Steven attrape de ses deux mains mon visage et le relève en douceur vers le sien. Ses pouces caressent avec lenteur mes petites oreilles, ces mêmes oreilles qui en ont assez d'entendre crier mes pleurs et mes plaintes silencieuses.
Son contact est si bon contre ma chair ! C'est comme si mon corps n'avait été fabriqué que pour ressentir cela, que pour Steven et sa propre peau et ses propres os, son propre cœur qui bat et sa propre respiration bienheureuse de la vie. Il me rends folle, il m'énerve... Il... n'y a plus de mot. Je perds la tête.
-Tu dois m'écouter, Li. Tu n'es pas quelqu'un d'affreux, tu ne le serras jamais ! Tu es la personne avec la plus belle des personnalité qu'il m'a été donné de v...
Et je l'embrasse pour le faire taire, j'embrasse ses mots qui caressent sans cesse mon être. Je l'embrasse parce que je ne veux pas qu'on me réconcilie avec moi-même.
-Toi aussi, tu es la personne avec les plus beaux défauts et les plus belles qualités qu'il m'a été donnée de voir, je susurre contre sa bouche.
Soudain, mes yeux s'embrument, se voilent de larmes salés qui n'osent pas couler contre mes joues et me déchirer l'âme de par ma peau.
Steven le remarque et se recule en effleurant mes cheveux.
-Qu'est-ce que tu as, Li ?
-Ça me tue de te le dire, parce que je ne le devrais pas. Mais les mots que je m'oblige à ne pas prononcer me tuent encore plus.
-Quoi ? s'inquiète Steven. Quoi ? Ça ne va pas ?
Mes yeux s'accrochent aux siens dans le maigre espoir de la compréhension. Je m'accroche à lui, je m'accroche, à ce bateau qui porte comme seul nom celui de la vie.
-Stev (ma main vient se poser contre sa joue rugueuse)... Tenter de t'éloigner de moi est devenu... trop douloureux pour mon âme. Je ne peux plus supporter les secondes qui s'écoulent à penser à toi sans que tu ne sois là. L'égoïsme me poignarde le dos... Mais je ne peux plus. Je ne peux plus, parce que j'ai oublié comment on doit vivre loin de toi, comment nous sommes censés vivre quand nous n'avons plus notre propre gravité humaine ! Et je... Je crois que je t'aime et qu'un amour pareil me fait peur. Purée, oui ! Je t'aime à en crever vivante ! Et l'amour me fait peur, parce que je le sais destructeur... Je connais sa fin, notre fin... Et ça me fait peur, c'est trop puissant... C'est... Trop... Tout... Je...
Je finis ma phrase en balbutiant des mots incompréhensibles, même pour moi. Et je refoule mes larmes, en disant ces mots. Quelque chose en moi se libère et prend son envol dans les airs, comme un bel oisillon quittant pour la première fois son nid.
Steven continu de jouer avec les contours de mon visage.
-Il était temps que tu t'en rendre compte, tu ne crois pas ? ricane-t-il comme un enfant enfin joyeux.
Je hoche la tête incapable d'user de mots. Soudain, Steven redevient sérieux et me dit :
-Moi aussi je t'aime et moi aussi j'ai peur. Mais que serait l'amour sans crainte ? Il y a forcément une fin pour chaque histoire d'amour... Peu importe comment elle finira, Li, tant que je suis avec toi ça sera la plus belle expérience de tout mon existence ! Et moi aussi, Li, j'ai besoin de toi ! Et ce besoin presque maladif est effectivement déroutant ! Mais qu'importe les peurs, devenons courageux ensemble, Li !
Et nos lèvres se lient par crainte de se perdre à nouveau et je chavire, ou est-ce Steven qui tombe cette fois-ci ?
Au diable les mots et les pensées stupides ! Le monde est ainsi, insensé et ne doit plus être complété par des paroles mais par des gestes, il y en a si peu de nos jours qui sont réels !
Mes mains viennent effleurer ses cheveux blonds et se perdent entre les mèches du soleil.
Nos mains deviennent pressantes du corps de l'autre, les douleurs que mon être a pu un jour ressentir s'envolent et se remplacent par la bonté naturelle de Steven.
Dans ses bras, le paradis est là, plus atteignable que jamais. Il n'y a pas plus bel endroit, plus doux châtiment que celui d'aimer. De l'aimer lui.
Et soudain, nous chutons.
Mais réellement cette fois ! Le lit, trop petit pour nos deux corps entremêlés nous laisse tomber au sol dans un bruit parfaitement audible. Un cri m'échappe, à moitié amusée, à moitié surprise.
Nous éclatons de rire une fois à terre, tous deux écroulés à quelques centimètres l'un de l'autre.
-À faire les hippopotames comme ça, je suis certaine que mes parents vont se réveiller, je ris doucement.
-Tu ne peux pas avoir un lit double comme tout le monde aussi ? s'exclame Steven en tentant d'étouffer son rire.
-Eh oh ! On ne critique pas, c'est ma chambre !
Mes yeux plongent alors dans les étoiles fluorescentes qui m'attirent un peu plus à elles. Je lis le mot qui n'a cessé de résonner dans ma poitrine depuis qu'il est inscrit parmi ma constellation.
Et alors une larme de joie vient rencontrer le sol. Une larme de joie, parce que la vie est belle et qu'elle mérite qu'on pleure joyeusement pour elle.
-Tu vas devoir me porter si tu veux que je me relève un jour, je lui dis en rigolant.
J'essuie vite ma larme et éclate à nouveau de rire, au point que je ne sais plus m'arrêter, même quand Steven me dit que mes parents vont finir par débarquer.
Au fond, je ne pense pas qu'ils entreront dans ma chambre, ils sont fatigués et ils dorment. Si ça se trouve, avec leur sixième sens de parents, ils savent depuis le début que Steven passe la moitié de sa nuit avec moi, à me rassurer et à m'épauler. Ils ne disent rien peut-être parce qu'ils aiment me voir rire et vivre comme une adolescente normale de mon âge est censée se comporter ?
Soudain, Steven se relève et se penche vers le moi toujours à terre, allongé contre le bois du sol. Son corps fait de l'ombre au mien, une ombre gigantesque qui m'abrite contre le mal. Une ombre qui combat une ombre...
Il plie ses jambes et se penche vers mon visage. Au premier abord, je crois qu'il va m'embrasser, mais il attrape mon corps tout brisé et me porte dans ses bras.
-Je rigolais ! Repose moi Stev !!! S'il te plaît, tout ce que tu veux ! je lui cris tout en essayant de chuchoter.
-Waouh, en plus tu n'es pas très légère, se moque Steven en retour.
Mes joues s'empourprent par notre proximité complètement détruite.
-Espère de...
Il me serre un peu plus contre lui quand je commence à l'injurier par tous les noms d'oiseaux que je connais. Et son sourire est là, celui qui me fait chuter dans les cœurs amoureux, celui qui me fait espérer, alors que je ne dois plus... Celui qui est là et qui brille comme une pluie de météorites. Alors, j'arrête de parler, j'arrête de réfléchir.
Au fond, quelque chose de nouveau est né, un nouveau lien puissant s'est à créé, nous faisant perdre la tête à tout les deux. Et quand il me pose sur le lit et me coince contre lui, comme il l'a dit lui-même, nous devenons courageux dans nos peurs.
Et, cette nuit nous nous sommes aimés d'une manière nouvelle, qui unis les cœurs et explose les limites que l'humain s'est jusqu'alors fixés. Je crois, que nous nous sommes soudain aimés d'une manière que jamais je ne saurais expliquer tant il déboussole les âmes et unis les cœurs dans le silence des corps sacrés.
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