25. Couleur Framboise
-Tu fais quoi Liiine, gémit mon petit frère qui se tortille comme une crevette rose sous le coup de mes chatouilles incessantes.
Je ne sais pas pourquoi je fais ça. Peut être parce qu'il ne me reste plus beaucoup de temps, que ces doigts, un jour cesseront de chatouiller mon frère, celui que j'aime tant et que je veux le moins blesser dans toute cette histoire. Je ris avec lui.
Il essai de se redresser mais ne fait qu'une merveilleuse prise pour mon déluge de chatouilles. Ses pieds se balancent dans tous les sens comme une pieuvre se déplaçant sous l'eau, rendue folle à force de chercher un meilleur abri où se cacher.
Je voudrais que cet instant dure encore et encore, que s'il devait un jour s'arrêter, ce serait pour encore mieux recommencer. Mon frère riant, me suppliant sous mes doigts délicats d'ancien peintre recalé à tout jamais au fin fond des abysses.
Nous roulons tous les deux sur le sol et je ris comme il y a longtemps qu'il ne m'est pas arrivée de le faire. Noah essaie de me chatouiller le ventre et nous partons donc en duel de chatouilles.
Puis, tout finit par s'estomper. Nous nous regardons tous les deux, comme il y a longtemps que j'aurais dû le regarder.
J'aurais voulus qu'il ait une grande sœur pour montrer l'exemple, celle qui a de bonnes notes, qui l'embrasse le matin et le soir, qui l'aide à faire ses leçons, qui court dans le jardin avec lui, à en perdre toute haleine... À la place, il a moi. Et même si ça ne suffit pas, c'est tout ce qu'il lui reste.
Il ressemble beaucoup à notre père et j'en suis heureuse, même si j'aurais voulu, dans un sens, qu'il tienne un peu plus de moi.
Je le serre alors dans mes bras, ses cheveux brun contre ma peau, son souffle, si doux et si chaud contre mon épaule et son rire en moi, dans mon cœur. Il me serre à son tour, un long et merveilleux câlin comme on doit le faire. Je ferme les yeux et grave à jamais dans ma mémoire cet instant de pur bonheur. Un bonheur qui m'aidera peut-être à surpasser la mort, qui sait ?
-Noah ? son nom est un chuchotement, une promesse, un son doux qui s'échappe de mes cordes vocales dans une demande d'amour.
Noah est le mot le plus beau que j'ai pu prononcé de ma courte vie.
Je le vois déjà grand et pressé par le temps, des cahiers dans les mains, un sac sur son dos. Lui devant un volant, sûr de lui. Mon frère dans un parc serrant dans ses bras, comme maintenant, son propre enfant. Lui en costume, le regard pétillant de malice.
Lui partout où je ne peux plus être, faisant des choses que bientôt je ne pourrais plus faire. Le temps joue contre nous, je le vois déjà grand et fort alors qu'il n'a que sept ans. Sept petites années qui dansent et se répètent devant mes yeux à toute vitesse.
Je regrette l'ancienne moi, qui ne faisait pas attention à ce qu'elle avait, qui ne faisait pas attention à son frère et à sa famille, à ses amis.
-Quoi ? Tu veux qu'on arrête le câlin ?
Comme pour lui montrer qu'il a tord, je le serre plus fort contre moi. Ses petites mains sont posées dans mon dos, elle sont pleines de vie et adoucissent mon âme. Je souris, même s'il ne peut le voir. Il est encore si naïf, si plein d'avenir... On ne devrait pas connaître la mort de sa sœur à cet âge. Et pourtant, que puis-je contre le temps ?
-Je t'aime.
Après avoir dit ces mots, je ne sais plus quoi faire, et un silence tombe doucement autour de nous, nous encercle comme une étreinte amicale.
Noah se dégage de mes bras et me fixe de ses magnifiques yeux bruns. Des yeux bruns, ni foncés, ni clairs... Ils sont... Noah, les yeux de Noah.
-Tu as peur ? me demande-t-il de sa voix d'enfant. De mourir ?
-Non.
-Tu devrais p't-être... répond-il en entourant se blottissant un peu plus contre moi
-Pourquoi ? j'avoue être assez surprise pas ses derniers mots...
-Parce que papa et maman ont peur, je crois. Parce que moi, j'ai peur, Line.
Je souris et lui frotte les cheveux pour les mettre en bataille et lui répond :
-La mort ne me fait pas peur, parce qu'elle sera moins douloureuse que la vie.
Je repense soudain aux paroles que m'a dit hier Justine...
« Et bien, ils se diront que tu auras plus souffert qu'eux et... que maintenant il faut continuer de vivre, j'imagine »
-Tu n'en sais rien ! s'écrit mon petit frère en montant sa voix dans les aiguës.
-Si. Une fois morte, je n'aurais plus mal.
Il se tait sur mes derniers mots et réfléchit lentement, cherchant une faille dans mes paroles.
Je n'ai pas peur de la mort, je suis terrifiée par elle. La mort me pétrifie sur place et me coupe le souffle. Mais comment puis-je simplement le dire à un enfant de sept ans qui s'avère être mon unique petit frère ?
Le silence est préférable et le mensonge aussi.
Il me regarde alors de ses yeux remplis de doutes et d'intercompréhensions.
-Comment tu vas faire pour ne plus avoir mal ?
-Je... Euh je ne sais pas... Quand je partirais, je n'aurais juste plus mal nul part.
Il se penche vers moi en s'agrippant à mon bras.
-Et tu veux pas rester ? Même si t'as mal, tu veux pas rester ?
Je souris et lui ébouriffe les cheveux une seconde fois. Des mèches viennent chatouiller son nez.
Il faut vraiment que maman l'emmène chez le coiffeur bon sang !
-À ton avis, petit malin, pourquoi je suis encore ici ?
Ses yeux se noient alors de larmes et il ressaute à mon cou pour me serrer dans ses petits bras d'enfant en me chuchotant :
-T'en vas pas trop vite, ma maîtresse, elle dit tout le temps que pour réussir on doit se battre.
Je ris tristement à son oreille sans oser rien ajouter de plus à ce triste dialogue entre une sœur mourante et un frère plein de vigueur.
Nous finissons par nous séparer une seconde fois. Mais cette fois-là est plus douloureuse, plus déchirante. Car, qui sait quand une seconde étreinte aussi puissante aura lieu ?
Je décider de me lever du sol en prenant appuie sur mes béquilles. Je les sens se planter dans le sol de chaque coté de moi, s'incruster à l'arrière de mes coudes et souder une fois de plus à mon corps démuni à la vie.
Au loin, dans la cuisine, notre mère nous invite à prendre le petit déjeuner, même s'il est déjà très tard pour une petit déjeuner.
Mais je n'ai pas faim. Je n'ai jamais très faim de toute façon. Sharko aime beaucoup trop me voir souffrir quand je mange, quand je déglutis la nourriture ou ne serait-ce que quand je tiens une cuillère ou du moins, tente de tenir une cuillère. Comment une maladie peut-être à ce point méchante ?!
Noah accourt dans la cuisine en sautillant comme une petit diable sur une nuage, tandis que moi, d'un pas lent, je tente de quitter le salon.
Et tout d'un coup, mes pieds glissent et se fracassent pour chaviter à l'aide de Sharko.
Je dérape et mes béquilles me tombent des mains. Ma tête suit bientôt les béquilles vers le sol.
Mon front tape contre je ne sais quoi et, tout vire au noir.
Un noir profond qui me semble être interminable et m'aspirer loin, bien loin de la réalité dans laquelle je m'étais acceptée.
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