15. Couleur Incarnadine

-Qu'est ce que tu viens de dire ?!

-Je. N'irais. Plus. Voir. Cette. Psy, maman !

Elle pose le vase en verre bleu qu'elle tenait entre ses mains sur la table et me lance un regard noir. Ce vase est remplis de fleurs blanches se dressant magnifiquement vers les cieux, leurs racines partent dans tous les sens hors de ce vase bleu, comme voulant connaître le monde extérieur à leur abri.

Les yeux de ma mère ne sont que mécontentement. Ils me disent un non catégorique sans parole, et me donne envie de me battre pour ce que je crois, pour ce que j'ai envie.

Je déteste être en désaccord avec mes parents, mais là, c'est vraiment trop.

-Et pourquoi ça ?

-Parce qu'elle ne sert à rien ! je hurle presque, sentant ma colère croître de minute en minute.

-Et bien moi, je ne trouve pas. Tu vas bien avec elle.

Je soupire et regarde mes pieds, mes orteils nus sur le sol de la maison. La mince fraîcheur du bois contre ma peau me fait sentir vivante. Ma chair en réclame plus. J'essaie d'étouffer ma colère enflant dans tous mes muscles.

Mes doigts de pieds sont pâles, minces et longs. Ils me font penser à deux pirogues lancées dans l'eau à la conquête du monde, tel Christophe Colomb sur sa Santa María.

-Tu ne crois que ce que tu veux bien voir. Je ne vais pas bien, maman ! Ça n'est pas nouveau, et ça ne changera plus jamais !

-Mais arrêtes de dire ça ! cri ma mère, ses yeux verts animés par la rage.

Une rage qui, doucement touche mon être et vient contaminer ma propre furie un peu plus.

-Tu veux que je dise quoi alors ? je m'énerve. La vie ne peut pas être faite que d'illusions merveilleuses !

-C'est impossible de parler avec toi, tu es toujours pessimiste !

Elle me tourne le dos et part vers la cuisine, coupant nette la conversation. Mais je ne m'avoue pas vaincue. Je la suis en claudiquant de mes deux jambes comme un pantin désarticulé, luttant de toutes ses forces contre son maître orgueilleux.

Quand j'entre dans la pièce, elle est déjà en train de couper des carottes. J'ai soudain peur qu'elle ne se coupe un doigt par ma faute. Je ne lui veux aucun mal, moi ! Je ne lui en ai jamais voulu ! C'est Sharko, toujours elle !

Ma colère retombe et je tente de me calmer, de la calmer.

-Je suis ta mère, me dit-elle, son couteau à la main, faisant danser la lame contre la carotte innocente de sa mort.

-Oui et moi ta fille. S'il te plaît tu peux m'écouter ?

-Je t'écoute.

-Maman...

Elle se tourne vers moi et lève son couteau en l'air, comme une menace planant au dessus de nous deux. Mais je ne crains pas ce couteau de cuisine, je ne crains plus que Sharko... et la mort... et peut-être un peu la vie.

-Quoi ? soupire-t-elle, lasse de tout, lasse de moi.

-Cette psy ne m'aide pas (elle s'apprête à me répondre mais je la rattrape). Mon corps est un lambeau de malheur, ma tête me torture toujours de pensées sombres... Cette psy ne m'aide pas, elle ne me montre qu'une réalité que je connais déjà !

-Mais peut être que tu en as besoin ? suppose-t-elle en recommençant à couper ses carottes, plus doucement.

Je m'approche un peu plus d'elle, jusqu'à ce que nos épaules se touchent.

Mon maigre contact l'apaise aussitôt.

-Je sais déjà tout ce que j'ai besoin de savoir. J'ai eu mon cota de douleur pour les mois qu'ils me restent. Laisse...

Je me stoppe. Ma mère me fixe et arrête de couper ses légumes pour la seconde fois, elle m'incite à poursuivre. Les mots s'échappent de ma bouche avant que je n'ai pu les analyser d'avantage.

-Laisse moi vivre comme je le souhaite les derniers mois de ma vie ?

J'ai demandé à ma mère de m'emmener à la bibliothèque et elle l'a fait, en échange bien sûr qu'elle vienne me chercher.

La joie soudaine m'irradie encore tout le corps, du moins, les parties que Sharko a bien voulut laisser intact. Je pétille d'un bonheur pur qui enivre ma tête de merveilleuses pensées. Rien qu'imaginer cette bibliothèque me rend un minimum de sourire, ce qui est un véritable miracle vu comment ma mère me dévisage.

Cette bibliothèque, c'est tout ce qu'il me reste de vivant. Cette bibliothèque est une de mes raison de vivre les plus précieuses. Qui aurait cru que l'on pouvait s'attacher à un lieu si fortement ?

Avant que je ne sorte de la voiture, je me tourne vers ma mère. Ses cheveux sont détachés et volent dans l'air comme de jolies feuilles d'automne. Ses beaux yeux se posent sur moi avec tout l'amour qu'ils peuvent refléter. Ma mère est l'Amour, elle est ce pourquoi il faut vivre ou du moins essayer.

-Merci d'essayer de me comprendre...

Elle me sourit tendrement et tristement. Ce sourire m'atteint plus que je ne le voudrais, sa douleur me touche et compresse l'étau qui enserre mon cœur et le laisse prisonnier de mon mal.

-Je passerais te chercher dans une heure. Tu n'as pas intérêt à rentrer à pied ! Ma patience a certaines limites !

Je fais une grimasse et sors de la voiture.

Quand j'entre dans le magasin, je repère tout de suite la vendeuse derrière son comptoir. Elle porte une jolie robe rose bonbon avec des motifs d'un rose plus sombres et de grosses boucles d'oreilles en forme de cerises, voyantes jusqu'ici. Un sourire amical se dessine comme un pli sur son visage. Elle me voit de suite arriver, comme si elle m'attendait. Cette pensée me déstabilise et je décide d'avancer jusque dans un rayon où elle ne peut me voir.

Dans ce rayon, un livre est tombé par terre et est ouvert la face contre le sol, oublié et seul.

La personne en moi qui aime et charrie les livres comme des bambins en manque d'affection me pousse à le récupérer.

Je me soutiens donc sur une de mes béquilles et attrape ce livre. Quand je le tiens enfin dans ma main, mon regard se bloque sur ce qui se trouve entre ces pages ouvertes au hasard.

Mes yeux se posent sur le tableau qui illustre ce livre.

C'est un arbre aux fleurs d'un rose bisque et doux qui ne montre que le meilleurs de ces jeunes pousses pâles. Ses branches sont fines et l'arrière plan n'est qu'un ciel bleu clair qui attire mon regard encore et encore, peint avec une légèreté et un savoir faire d'une incroyable tendresse qui me noue l'estomac et me scie le cœur.

Une douleur ressurgit de nul part et me fait comme un manque. Un manque de quelque chose, un manque de tout, un manque de l'ancienne moi, celle comblée de rêves et d'avenir. Celle comblée par l'art et la peinture.

-Vincent Van Gogh.

Je sursaute et me tourne vers la voix. Celle de la vendeuse. Elle a les mains jointe devant elle, ses bras sont nus et semblent aussi fragiles que des allumettes.

Quand elle constate que je ne réponds pas à ce qu'elle vient de dire, elle explique :

-C'est le peintre qui a peint ce tableau. « Amandier en fleurs », de Van Gogh. Tu le connais bien sûr ?

-Qui ne le connais pas ? je demande gênée d'être en la présence de cette vielle femme pleine d'une bonté touchante.

Elle rit alors d'un rire doux et presque silencieux en plissant ses jolies yeux chocolats rayonnants comme sa boutique.

-Tu serais surprise d'apprendre que beaucoup plus que l'on ne le pense ne le connaissent pas.

Je souris poliment, même si le cœur ne l'est pas et range le livre à sa place original.

-Je peux t'offrir ce livre gratuitement si tu le souhaites ? Il regroupe les œuvres de ce peintre.

-Non ! je me racle la gorge. Non merci.

Pourquoi tout le monde veut m'offrir des livres ? Il me pense pauvre ou... ?

La vieille dame me sourit et ne tressaille pas un instant face à l'augmentation subit du son de mon affreuse voix qui me semble toujours pâteuse et disloquée, comme deux parties de ma gorge que l'on aurait arraché l'une de l'autre pour en faire de l'inutilité à l'état brut.

La vieille vendeuse n'a pas même eu un soubresaut, comme si elle connaissait l'attitude que j'allais avoir avant qu'elle ne franchisse mon corps. Je déteste l'idée que cette femme, ou que n'importe qui d'autre, puisse connaître mes réactions avant qu'elles n'aient lieu.

-D'accord, tu cherches peut être un livre en particulier ? renchérit-elle.

Je lève un sourcil et réponds lentement :

-Non merci.

-D'accord. Alors, si jamais tu as un problème ou besoin de quelque chose... N'hésites pas à venir me voir, m'informe-t-elle en s'éloignant de moi.

Mon corps se détend de suite. J'ai l'étrange impression que ses dernières paroles ne concernaient pas vraiment le domaine des livres.

Je n'ai pas l'habitude qu'on me parle ainsi, avec calme et tendresse. Je me sens mal à l'idée de savoir que cette pauvre femme m'apprécie assez pour venir me voir. Ne sait-elle pas qu'il est dangereux de tenter le diable en s'attachant à une personne mourante ? Si j'étais elle, je fuirais.

L'image du tableau fleurit envahit d'un seul coup mon esprit enflammé, que je brûle tout aussi vite qu'il m'est apparu, mon cœur prêt à éclater et à éparpiller son plasma formant de petits bouts de verres rubis pour s'échapper d'un corps déjà presque mort et éviter une souffrance plus violente encore que ma mort imminente.

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