13. Couleur Écrue

-Alors ? Quel est ton histoire Li ?

J'ouvre la bouche, mais rien ne sort. Puis-je vraiment tout lui raconter ?

Non, pas tout, ça serait de la folie humaine. Mais vu que Sharko me rends complètement folle...

Nous nous asseyons sur les marches beiges d'une place que je ne connais pas mais qui m'est, pour je ne sais quelle raison, rassurante. Je pose mes béquilles sur ma droite, à portée de main. C'est plutôt agréable de sentir l'air frai sur mon visage, il semble me pousser à braver l'impossible.

Le vent peut être joueur, farceur, mais en cet instant, il m'est réconfortant et m'aide à rester en place au lieu de fuir loin d'ici. Loin de Steven et loin du monde. Ce vent fait voler certaines de mes mèches avec une facilité qu'il m'est impossible d'avoir. Il rafraîchit mon corps, calme mes muscles et ainsi, Sharko. Mes yeux se perdent sur les nuages sombres qui assaillent la ville et l'attaquent d'obscurités grisâtres d'absolument partout. Ils englobent la ville avec un naturel déconcertant que tout les habitants ignorent pour ne pas y prêter une attention suffisante. Mes yeux se voilent, même si Steven ne s'en rend pas comte.

-Personne ne m'appelle Li. C'est Line.

Il étale ses longues jambes sur les marches et me fixe, en disant :

-Oui mais tout le monde ne t'as pas rencontré dans une bibliothèque, petite Li qui lit.

Je le dévisage un instant. Cheveux en bataille, balayés pas le vent froid du printemps, yeux bleus assombris par la couleur du ciel, mâchoire carrée qui lutte contre les mots, bouche boudeuse qui frémit en tentant de cacher un sourire arrogant...

Soudain, mon regard change par rapport à l'image que j'avais de lui. Quand j'étais à la bibliothèque, mon esprit avait décidé de ne me montrer que ce qui pouvait rendre « beau » ce Steven. Je me rends compte seulement maintenant que j'ai été victime d'illusions ! À présent, je vois certaines de ses imperfections.

Ses épaules ne sont pas assez large pour un si grand corps, il est tout en longueur et ne possède pas tant que cela de muscles sous son sweat et ses sourcils son aussi épais qu'un mur en béton armé bien garnis.

Mais, je me retrouve vite attirée par ses yeux, qui, à mon étonnement premier n'ont pas la même couleur que ceux de Denbosch. Ceux de ma psy sont azurés comme une mer cristalline et douce, c'est un bleu plus clair et plus serin qui se trouve à la limite du froid.

En revanche, ceux de Steven sont le bleu céleste, ressemblant à la nuit, mais qui n'est que son ombre batifolante, c'est une mer enragée qui ne demande qu'à nous engloutir et c'est un bleu au silence inquiétant, exactement comme l'océan, le silence a quelque chose de pesant qui n'existe jamais vraiment, et s'il y en a une, il n'annonce jamais rien de bon...

-Un point pour toi, je finis par lui dire.

-Alors ? Ton histoire ? insiste-t-il en retour.

-Je...

J'hésite.

J'ouvre la bouche, les mots se bousculent et veulent tous sortir en même temps, mais mes cordes vocales s'éteignent comme une bougie privée de sa flamme. Alors je ne dis rien d'autre qu'un je perdu dans les abysses de mon corps.

J'ai l'habitude de ne faire confiance qu'à moi-même et de ne me confier à personne.

Suis-je capable de me trahir moi même ? Après tout, je fais cela à cause de Sharko ! Alors puis-je trahir Sharko sans en payer le prix fort ?

Mais je me rappelle soudain que je suis déjà condamnée, alors pourquoi ne pas tenter un diable qui m'a, en partie, déjà prise ?

-Bon, très bien je commence. Steven Luc Glauben, j'ai dix-neuf ans, je suis le grand frère d'une fille très énervante, mon père est un homme que je n'ai jamais vu et ma mère est mon univers. Je suis des cours dans une université de musique donc, ma passion est de jouer de la musique. J'aime sourire à la vie et m'éclater à fond et ne me prive certainement pas de kidnapper les jolies filles au cœur brisé sur les marches d'une place dont le nom m'échappe totalement. Oh, et bien sûr j'adoooore lire et aller à la bibliothèque !

Je le regarde de haut, le juge. J'ai peut-être un peu de mal à marcher, mais je ne suis pas une idiote qui se fait avoir en trois coups de jolies phrases bien inventées.

-Tu ne lis pas, je lui dis.

Ça n'était pas une question, pourtant il me répond, presque offensé, un brin de surprise dans le regard :

-Bien sûr que si, tout le monde lit !

-Non.

-Si ! insiste-t-il en secouant la tête de droite à gauche.

-Non.

-Si, je te dis !

-Non.

Son regard me scrute, à la recherche d'un faille à laquelle il pourrait s'accrocher et me surprendre. Il n'en trouve pas. Il abandonne.

-Bon d'accord, je ne lis pas, finit-il par céder en me regardant.

-Pourquoi tu vas à la bibliothèque alors ? je demande par curiosité.

Il m'arrive de réussir à résister face à cette curiosité dévorante, mais pas cette fois. Je veux savoir son pourquoi.

Cette curiosité commence à me ronger, son silence est comme un poignard qui s'enfonce dans mon abdomen et une seule pensée cohérente me vient : je dois savoir, je dois tout savoir ! Même si ma raison me rattrape plus vite que le temps, il est trop tard. Cette pensée a déjà traversée mon petit esprit survivant du mal de mon corps. J'en rougirais presque d'avoir eu une telle pensée. Presque.

Il baisse la tête comme un petit garçon prit en faute.

-Au début, c'était juste pour l'anniversaire de ma mère. Je voulais lui offrir un livre. Et puis...

-Et puis ? j'insiste en l'écoutant attentivement, la curiosité piquée au maximum, le poignard s'enfonçant un peu plus.

-Et puis je t'ai vu et il a fallut que je t'observe, que je vienne te parler.

Ça serait mentir si je disais que je ne m'en étais pas doutée, pourtant la surprise me prend par défaut et me faire chanceler. Entre ce qui est réel et ce qui est inventé par mon propre esprit, il y a une grande différence, et le fait qu'une telle chose me soit réel m'ébranle un peu.

-Tu m'observais ! je m'écris.

-Ouais, chaque fois que je rentrais dans cette bibliothèque, je te cherchais. J'y allais pour te trouver. Et un beau jour, juste après que l'on se soit parlé, tu as arrêté de venir, alors j'ai décidé de voir où tu habitais... C'était impossible de te voir disparaître avec l'idée de ne jamais te revoir.

-Tu as... !!! Comment... Comment as-tu su où j'habitais ?! je bégaye, les yeux écarquillés et l'estomac en bouilli à force de l'imaginer fouiner dans ma vie.

Il me lance un long regard qui en dit trop, comme si ma question était la plus simple du monde à répondre, mais était impossible à avouer.

-Eh bien, Janine est une femme fort sympathique...

Mon cœur s'arrête. Avant de repartir de plus belle.

-Qui est Janine ? je l'interroge, la gorge serrée comme si chaque mot me pesait.

-Euh, Janine est la vieille dame qui tient L'Anarchie du Livre ! Elle t'aime bien et comme tu es inscrite sur le site de la boutique, elle m'a donné ton adresse...

Il fait une brève pause, comme pour me laisser digérer l'information, puis, il reprend de plus belle :

-Elle se demandait pourquoi tu avais cessé de venir. Je lui ai dit que c'était de ma faute, que je devais réparer une erreur, celle de t'avoir fait peur. Elle m'a donné ton adresse direct, se souvenant de moi, qui lui avait acheté un livre pour te l'offrir.

-Tu... Tu... es un p-p-p-psychopathe ! Et elle... Elle c'est pas du tout professionnel... C'est, je m'exclame tout à coup en lui donnant un coup de béquille dans le ventre.

Steven éclate de rire, ses yeux pétillent comme de la braise ardente s'envolant avec le vent en dansant avec les éléments de la vie. Ce qu'il m'a dit me touche beaucoup plus qu'il ne le pense, ou que quiconque pense.

Il est dangereux d'être attiré par moi. Chaque visage angélique cache ses propres démons. Les miens sont aussi hideux que des serpents s'enroulant autour de ma peau. J'aimerai lui dire qu'il ne doit pas me faire confiance, que je suis le fruit d'un diable et qu'un retour en arrière des Enfers est impossible ! Mais mon cri reste muet, ne porte pas assez loin.

Je suis plein de chose. En colère, démunie, surprise, heureuse et amusée. Et je ne suis rien à la fois. C'est comme si mon corps se battait pour supporter tout ce flue d'émotion qui pullule en moi.

-Peut-être bien, oui !

-Tu... Tu agresses de pauvres vieilles femmes pour obtenir l'adresse des filles ! je hurle sans trop savoir ce que je ressens en cet instant.

Il hoche la tête, un sourire au lèvre en me répondant :

-Oui.

-Et tu es un pervers qui va à la porte des gens sans leur consentement ! j'ajoute en supplément au reste.

Il se penche en avant et relis ses deux mains, il demande alors avec un sérieux déroutant :

-Et toi ? Qu'es-tu ?

J'aimerai lui répondre franchement, mais le problème, c'est qu'avec Sharko, je ne suis plus grand-chose, c'est surtout elle qui est. Et moi qui n'est plus.

-Je ne sais pas... Je suis. C'est tout.

Il lâche un soupire et secoue la tête, n'acceptant apparemment pas ma réponse.

-Dis tout ce qui te passe par la tête. Tu t'en fou.

Je lui jette un coup d'œil peu serin. Je regarde par la suite ce qui m'entoure.

Les marches crèmes semblent s'étendre à l'infinie, ça n'est qu'une suite de marches qui s'étend sans fin et ne connais aucune mort.

Je comprends alors pourquoi j'aime cet endroit, pourquoi il me rassure. Il est comme moi... Chaque marche est mon épreuve, une épreuve que je gravie avec difficulté en me demandant s'il existera une fin un jour, si je ne devrais pas faire marche arrière et tout laisser tomber.

Mais quand je tombe, c'est une dizaine de marches que je perds, ce sont des bleus, des griffures de plus en plus nombreuses sur mon corps qui montrent combien la vie me tue dans mon chemin vers l'avenir.

Je tombe, chavire, m'oublie, sue de tout mon être pour un avenir impossible. Sharko est la bourrasque de vent qui me fait chavirer en arrière et me blesse plus que nécessaire. La preuve, maintenant je grimpe des marches en béquilles.

Mon ascension est longue périlleuse, et sans horizon. Pourtant je continue de me relever, de monter ces putains de marches qui me brûlent les poumons. Parce que je suis pleine de fierté, que tout arrêter m'est inimaginable. Ces marches sont la vie et je refuse de me laisser entraîner par la bourrasque de vent qui fait gémir quiconque s'oppose à elle.

Je me demande si un jour, peu importe mon état, remonter les marches de chez moi serra possible...

Je finit par démarrer :

-Je suis Caroline Emérence Illust, je déteste le prénom Caroline. J'ai dix-sept ans, j'ai un petit frère, deux parents exécrables mais merveilleux. Je passe le plus clair de mon temps à lire, mais avant c'était surtout peindre et dessiner que je faisais. Il y a quelques semaines j'ai appris que j'allais quitter définitivement cet incroyable univers.

Il me regarde. Pas avec douleur comme les autre, ni compassion.

Juste comme s'il me lançait une bouée de sauvetage, parce qu'il me vois en train de me noyer, de chercher désespérément une bouée à laquelle je pourrait tenter de m'accrocher.

Alors, je décide d'attraper, cette bouée lancée par Steven, qu'elle soit erreur ou non. Je laisse la vie prendre le dessus sur la mort et me sauve de la noyade par des mots.

-Je suis malade... (je continue sans avoir la force de m'arrêter). Ça s'appelle la maladie de Charcot..., mais j'ai décidé de la rebaptiser Sharko... S-H-A-R-K-O, parce que cette maladie n'est pas assez drôle à mon goût.

Le silence tombe. Alors, je le supplie :

-Je vais mourir... Alors s'il te plaît... ne m'oblige pas à te faire souffrir, j'essaie déjà de limiter les dégâts, si en plus tu me compliques la tâche...

Il me sourit encore de son sourire espiègle, c'est bon signe ou non ? Il me dit :

-J'ai quand même le droit de choisir qui à le droit de me faire souffrir !

-Je ne veux pas que ça soit moi ! Je veux que personne ne souffre par ma faute !

-C'est trop tard, Li. Et puis, c'est pas si grave tu sais... Souffrir de cette manière est un privilège que toute personne à le droit d'infliger à une autre. Et j'accepte que ce privilège te revienne.

-J'en veux pas de ton privilège débile, Glauben ! Va te faire voir avec tes jolis mots ! hurlais-je en reculant loin de lui, la gorge nouée, m'étouffant presque avec ma voix montant dans les aiguës. Tu ne sais pas ce que c'est de souffrir, ça n'a rien d'un jeu ! Ça n'a rien à voir avec toutes tes petites conquêtes idiotes et sans cerveau, JE ne suis pas un jeu ! JE suis une menace ! Pauvre débile !

Il me regarde comme s'il me voyait pour la première fois de sa vie. Il tourne son visage vers les marches infinies. Certains passants nous regardent comme si nous étions fou. J'ai crié trop fort, mais je suis trop en colère pour en être gênée.

-Je sais qui tu es Li et tu n'es pas une menace.

Je grogne :

-On s'est seulement parlé deux fois et ça y est, monsieur me connaît.

Il se tourne pourtant vers moi et me répond calmement, comme si je ne l'avais jamais insulté et blessé ouvertement :

-Tu es une personne pour qui la vie mourrait.

Je ris jaune, parce que ce qu'il dit est complètement faux, la vie s'arrache de moi à chaque seconde de chaque minute de chaque heure de chaque jour !Jusqu'à un jour... Non, jusqu'à ce jour où ma poussière reviendra à la poussière, à l'état du rien.

-Tu es... un feu brûlant qui ne s'éteint jamais et je n'ai pas peur de me brûler, continue Steven en me fixant, en essayant de capter mon regard et alors, de trouver en moi du bon.

Il veut me faire réagir, me faire quitter le cocon protecteur qui me met au supplice. Son regard me pénètre en profondeur, me vrille l'âme et étrangle d'un seul regard mes démons, les pliants à ses désirs. C'est troublant et terrifiant.

-Et, si je ne sais pas ce qu'est la souffrance, je te pris de me l'apprendre, mademoiselle Caroline Emérence Illust !

Avec de belles paroles et de jolis mots, comme toutes les filles avant moi à qui il les a dites, je me laisse attraper, lasse de jouer.

Et là, ne me demandez pas pourquoi, ni comment ni aucune autre question mais j'éclate en sanglots. Je ne sais même pas si c'est de joie ou de tristesse. Peut-être les deux ?

Steven se rapproche de moi et me tapote maladroitement le dos, ne sachant que trop faire en cet instant. Il semble à la fois déboussolé et paniqué par mes pleures sans profondeurs.

Je fond littéralement en larmes cette fois, comme il y a longtemps que je ne l'ai pas fait, comme si je me vidais enfin de ma souffrance, comme si Steven acceptait qu'on se partage la douleur ensemble.

Ça fait du bien et en même temps ça fait mal. Après tout, le bien et le mal ne sont pas si différents. Quand on se regarde dans un miroir, on est pas si divergent de celui-ci...

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