Chapitre 2


9h58 s'affichait sur mon téléphone alors que j'arrivai face à la devanture de l'ARCANUM. Les ruelles étaient plus claires, moins intrigantes à cette heure.

Un soupir passa la barrière de mes lèvres quand mes prunelles longèrent les lettres argentées sur la devanture. J'aurais pu passer un temps fou à lire et relire le nom du salon, simplement pour rassurer mon esprit que je ne m'étais pas trompé, que j'étais bien arrivé à l'heure.

Ma main attrapa la poignée froide de l'enseigne, cette dernière aurait pu faire courir un frisson le long de mon dos si mon café ne réchauffait pas déjà l'une de mes paumes.

D'ailleurs, mon coeur cavalait dans ma poitrine, jouait une course poursuite contre les minutes qui filaient et ne tarderaient pas à me mettre en retard. Le stress aussi s'était fait un chemin dans mes veines, raccourcissant ma nuit passée et nouant entre eux mes organes que j'aurais pu recracher au petit matin. Pourtant, tout se figea en moi quand je poussai sur la porte et que par surprise, elle ne s'ouvrit pas.

Putain, pas maintenant.

Inconsciemment, mes sourcils se froncèrent et ma prise autour de la poignée argentée se fit plus ferme avant que je ne pousse à nouveau. Mais encore une fois, la porte ne bougea pas d'un iota.

Je suis maudit ou quoi ?

Mes épaules se tendirent sous le soleil de septembre déjà haut dans le ciel. Ses rayons me caressaient les joues sans que sa chaleur ne m'atteigne, seulement la fraîcheur de l'angoisse et le givre de la peur s'alliaient pour geler mon cœur. Je plissai les yeux dans un dernier espoir, cherchant la moindre source de lumière qui pourrait se pavaner à l'intérieur mais l'endroit était aussi sombre que l'encre qui décorait mes doigts.

— Jake tu te fous de ma gueule ou quoi ? pestai-je entre mes dents.

Alors que je reculai, mon piercing frappant mon palais, ma main s'enfonça dans ma poche pour attraper mon téléphone. Je vérifiai l'heure une première fois puis une deuxième, dix heures pile s'affichait désormais sur mon fond d'écran noir et un soupir passa la barrière de mes lèvres. Je levai les yeux, mon regard voyagea autour de moi à la recherche de la silhouette du patron de l'endroit.

Les astres s'étaient alignés afin que je ne sois pas en retard, pourtant la dernière étoile venait de trébucher, me laissant impuissant face à la porte scellée de l'ARCANUM.

Mes doigts frappèrent alors sur mon téléphone un message destiné à Jake mais avant que je ne puisse appuyer sur envoyer, mes jambes s'emmêlèrent et mon corps vacilla sous la force d'une épaule qui me heurta. Un hoquet de surprise se coinça dans ma gorge mais un couinement de douleur s'échappa de mes lèvres quand la chaleur de mon café dégoulina entre mes doigts.

Je tournai aussitôt la tête, à la recherche du responsable de la douleur qui me traversait le bras. Malheureusement pour moi, la lumière du soleil me brouillait la vue, et je dus papillonner des yeux pour apercevoir la silhouette m'ayant poussé sans le moindre scrupule.

— On ouvre à dix heures, repasse plus tard, cracha l'inconnu.

— Il est dix heures.

Mes mots s'échappèrent de la barrière de mes lèvres sans que je ne puisse les contrôler. Et le regret envahit bien vite ma poitrine quand, d'un œil mauvais, l'inconnu me dévisagea de bas en haut, ses yeux s'accrochant à chaque détail me concernant. Mes orteils se rétractèrent dans mes baskets et mes mains que je frottais contre ma veste pleurèrent leur détresse quand le coin de ses lèvres s'étira en un sourire narquois

Il ne me quitta pas des yeux, mon regard était désormais perdu dans le sien, pas même le cliquetis des clés qu'il faisait tourner entre ses doigts ne parvenait à me faire retrouver la réalité de l'instant. Sa hauteur me surplombait dans cette étroite ruelle et c'est tout ce que je retenais dans cette scène dont il était le seul à maîtriser.

Mes pieds reculèrent d'eux même et l'un des sourcils de l'inconnu se leva sur son front. Il jugeait chacun de mes gestes, prenait en compte chaque signal que mon corps lui envoyait contre mon gré.

Où est-ce que je venais de tomber ?

J'avalai difficilement ma salive avant d'entrouvrir mes lèvres, mais mes mots moururent dans ma bouche. Et je n'eus le droit qu'à un soupir dédaigneux, une réponse trop longue à venir avant qu'il ne fasse volte-face comme si ma simple présence le répugnait.

Quelques pas nous séparaient, ses larges épaules me barraient la vue. Le grincement de la porte qui s'ouvrit m'invita à pénétrer, juste après lui. Pourtant, l'inconnu n'était pas de cet avis, il laissa la porte claquer derrière lui et s'enfonça dans l'ARCANUM sans se soucier de ma présence sur le trottoir d'en face.

Je ne bougeai pas, mes pensées trop occupées à dérouler la bobine de la scène que l'on venait de jouer. Tout mon poids écrasa mes semelles qui s'enfonçaient dans le goudron. Mes mains s'ouvraient et se fermaient en deux poings dans une vaine tentative de faire descendre la tension qui parcourait mes artères.

Les lumières venaient de s'allumer à l'intérieur du tattoo shop, me rappelant à l'ordre. Et de là où j'étais, je le vis se défaire de son long manteau qui libéra deux bras où l'encre s'écoulait jusqu'au bout de ses doigts, tel un parchemin détenant mille et uns secrets.

J'essayai de déchiffrer l'histoire qui y était racontée mais la distance, ses lents mouvements derrière la vitrine m'en empêchaient. Il était comme une poupée et moi un gosse qui le réclamait.

Sunoo reprends toi bordel, tu dois entrer, tu travailles ici aussi.

J'osai un pas. Puis un second.

Mes poumons s'emplirent d'air, et j'espérais que quelques particules de courage s'y étaient immiscées aussi. Je poussai alors la porte et entrai dans l'ARCANUM. Un ding annonça ma présence et ayant déjà pris place de l'autre côté du comptoir, les mèches blondes de l'inconnu retombèrent sur les côtés de son visage quand ses yeux ambrés trouvèrent les miens.

Hier avec Jake le tattoo shop me paraissait chaleureux, mais aujourd'hui, pris au piège dans la cage qu'étaient les prunelles du blond, j'avais l'impression d'étouffer. La musique ne dansait plus dans l'air, seul le souffle bruyant de son expiration atteignait mes tympans et gelait mon palpitant. L'odeur de désinfectant ne taquinait plus mes narines, celle de l'encre encore moins, il n'y avait que son parfum qui flottait autour de moi. J'inspirais son aura, respirais sa présence. Il n'y avait que lui ici. Lui et moi, même si face à lui c'est comme si je n'existais pas.

Je ne pus empêcher mes pupilles de trembler face aux siennes qui m'étaient désormais cachées, ses longs cils caressant ses joues.

La feuille qu'il tenait se froissa entre ses doigts, et sa mâchoire ciselée se contractait sous la puissance qu'il y mettait.

Et malgré le comptoir nous séparant, privé de la condescendance dans son regard, son ombre parvenait à se projeter sur la mienne, m'étouffant de sa simple présence.

Il me fit signe d'attendre avant que ses doigts ne tapent sur le clavier de l'ordinateur portable. Je m'approchai du comptoir à pas lents, comme si le moindre bruit pouvait causer ma perte.

La lumière de l'écran se reflétait dans la clarté de ses yeux, j'osai un regard sur le PC puis sur la feuille de papier posée à côté où je reconnus l'écriture de Jake.

— Ça s'est commandé.

Je manquai de sursauter quand sa voix fit trembler l'air autour de nous. Il ne s'adressait pas à moi, mais son regard le faisait à sa place. Ses yeux longeaient mes oreilles où quelques teintes de rouges apparaissaient, pour finalement s'attarder sur tous mes bijoux les décorant. Je crus apercevoir ses lèvres se mouvoir, mais son semblant de sourire tomba rapidement lorsque ma main se perdit dans mes mèches rousses et que ses prunelles dévièrent aussitôt vers les dessins ancrés sur mes doigts.

J'étais comme mis à nu, mon regard fuyait sa silhouette pour se perdre sur les cadres qui ornaient les murs. Mes poings s'enfoncèrent dans mes poches, lui coupant tout accès à l'encre qui habillait mes phalanges.

Le blond haussa un sourcil, et du coin de l'œil je le vis s'appuyer sur ses avants-bras. Le comptoir trembla presque sous son poids, et inconsciemment mes prunelles en firent de même, léchant tous les tatouages qui couraient sur sa peau.

— C'est pas mon style ça.

Mes sourcils se froncèrent et un "o" pris possession de mes lèvres quand je le vis pointer du bout du doigt mes mains au fond de mes poches.

Son geste était las, sans la moindre trace d'énergie face à mes tatouages. Il aurait pu leur rire au nez que cela ne m'aurait même pas étonné.

— Tes tatouages, je fais pas ce genre de trucs, crut-il bon de rajouter.

J'eus un mouvement de recul de l'autre côté du comptoir et de nouveau ses lèvres se redressèrent en un rictus moqueur. Son regard était dur, il me sondait, essayait de lire en moi mais en était incapable d'en sortir la vérité que j'essayais de dévoiler avant qu'il ne me coupe de nouveau la parole.

— Tu demanderas à mon collègue, c'est plus son délire.

Le ton de sa voix était tranchant, un mot de plus et c'est mon cœur qui aurait fini découpé sous ses paroles aiguisées.

— Mais je t'arrête tout de suite, il est en congé.

Je la voyais dans ses yeux, cette lueur de défi, ce gage qu'il me donnait à chaque fois que j'essayais de parler. Alors j'inspirai fort dans l'unique but de le faire tiquer et ce fut à mon tour de sourire face à ses sourcils haussés.

— Je suis pas là pour me faire tatouer, clarifiai-je le ton froid, j'ai vu Jake hier, c'est mon premier jour.

Le blond fronça les sourcils derrière le comptoir, et je ne pus m'empêcher de me délecter de la disparition de cette lumière dans ses yeux et du rictus qui habillait ses lèvres.

Il ne fallait que cela pour qu'il perde son sang froid ?

J'eus à peine le temps de faire rouler mon bijou sur ma langue que le blond quitta le comptoir pour s'approcher de moi. Son visage avait changé du tout au tout. Plus de défi. Plus de moquerie.

Mais un éclat nouveau dans ses yeux ambrés qui reflétait mon propre reflet.

Ses lèvres épaisses s'étiraient en un sourire sincère, sa mâchoire ciselée s'était enfin défaite de tous le poids qu'elle supportait. Mes yeux balayaient rapidement son visage, ancrant ce nouvel aspect de lui au fin fond de mon esprit.

— Le perceur ? C'est ça ?

Son effluve m'attaquait plus fort les narines désormais. Une douce odeur qui dominait l'espace.

— Sunoo, je le corrigeai, ouais, je suis perceur.

L'inconnu leva ses mains tout juste au niveau de ses épaules, plaidant son innocence bien que ses mots étaient froids.

Mes mains étaient toujours dans mes poches, vexées par les remarques que le blond avait pu cracher sur mes tatouages. Néanmoins, mes épaules se décontractèrent doucement malgré son omniprésence. Je le sentais partout. Son parfum au creux de mes narines, la chaleur qui irradiait de son corps pour venir frapper le mien à mesure que la distance s'amenuisait entre nous...

— Enchanté.

... Et sa voix dangereusement basse maintenant qu'il avait compris qui j'étais.

Il me tendit une main marquée par des dessins qui couraient le long de son bras. Mes yeux parcoururent les reliefs sur sa peau jusqu'à ce que son t-shirt blanc ne m'en cache la vue.

Mon regard oscilla entre la main qu'il me tendait et ses yeux où plus aucune once d'agacement ne régnait.

J'extirpai ma paume de sa cachette et serrai la sienne. Sa largeur enveloppait mes doigts et je dus réprimer un frisson en sentant sa chaleur. Pourtant, je ne pus retenir un couinement lorsque sa poigne faillit me briser les doigts et que l'argent de ses bagues s'enfonça dans ma chair.

Je récupérai ma main, m'obligeant à ne pas la masser pour apaiser la douleur que le blond y avait laissé.

Ce dernier ne cilla pas, croisant les bras sur sa poitrine, laissant ses doigts tapoter ses propres biceps qui se contractaient sous son toucher.

— Et toi alors ? T'es tatoueur c'est ça ? je demandai, imitant son précédent ton condescendant.

Le coin de ses lèvres se redressa à peine en un rictus joueur. Tandis que mon regard glissa sur son cou quand ses doigts bagués vinrent le gratter. Trop envahi par sa présence, j'avais manqué l'encre sur sa peau fine et délicate.

Sa pomme d'Adam roula dans sa gorge, peinte d'une encre qui contait son histoire encore trop abstraite pour mes yeux plissés.

Il n'avait pas manqué mon regard insistant. Je faillis avaler de travers. Mes yeux le dévoraient. Lui, son sourire s'élargissait, carnassier. Même sa langue s'était extirpée de sa cachette pour cajoler sa lèvre inférieure.

Reprends toi Sun, reprends toi.

— Tu sais Sunoo, je pense que tu vas te plaire ici...

Il osa un pas en avant. Je gardai la tête haute, mes prunelles ne quittaient pas les siennes où s'était de nouveau allumée cette lueur me défiant.

Était-ce vraiment le moment de jouer ?

Alors mon pied se leva aussi du plancher, pour venir se poser plus loin sur le sol, plus près de lui...

Ça l'était.

— J'en doute pas, je suis pas nouveau dans le milieu tu sais, je renchéris, je sais à quoi m'attendre.

Il pouffa, et ses mèches blondes retombèrent sur son front pendant que d'autres caressaient encore sa nuque.

— Mais ça veut pas dire que je veux rester là, planté avec toi, j'osai, tu pourrais faire quelque chose de plus pertinent non ? Une visite ? Des explications ?

Et il m'offrit le plus grand sourire que je pus voir depuis son apparition dans ma vie. Je levai un sourcil, perplexe.

Qu'est-ce qu'il se passait dans sa tête ?

Je n'eus pas le temps de lui poser la question de vive voix et en réalité, je ne sais pas si j'avais envie de le faire, que son téléphone vibra dans sa poche et mon attention se dirigea aussitôt vers la main qu'il glissa dans son jean.

Il fronça les sourcils, mais un rictus ensoleilla sa mine où était projetée la lumière de l'écran.

Le blond décrocha et mes épaules se raidirent quand il appuya sur haut parleur.

— Allô ?

Sa voix ne s'adressait pas à moi, pourtant c'était bel et bien sur ma silhouette que ses prunelles ambrées étaient scotchées. Il jaugeait chacun de mes gestes. Son sourcil haussé sur son front m'incita à riposter. Il voulait me voir riposter.

— T'es au salon ?

Je reconnus aussitôt la voix de Jake qui s'échappa du téléphone. Sans que je ne sache pourquoi, mon souffle se bloqua au fond de ma gorge. Je le revoyais assis sur son tabouret, le ventre nu, mon aiguille traversant sa chair.

— Ouais, depuis quinze bonnes minutes, répliqua-t-il, ses mots aussi fourchus qu'une langue de serpent.

Jake soupira au bout du fil.

— Il est arrivé à l'heure le nouveau ? rebondit le patron, changeant de sujet.

— Deux minutes de retard, mentit le blond.

Mes sourcils se froncèrent, ma bouche s'entrouvrant pour riposter tandis que ses lèvres n'avaient pas manqué de se redresser en un sourire moqueur. Ses yeux me lorgnaient, attendant ma réaction, mais c'est moi qui jubilait de la sienne.

Il menait la danse sans savoir que j'étais celui qui dominait le rythme.

Ma langue s'échappa de sa cachette pour cajoler chacune de mes dents. Je le vis loucher sur mon piercing. Il faisait toujours le même effet la première fois qu'on le voyait.

— Montre lui les salles, je vais pas tarder.

Ce ne fut qu'une onomatopée qui se délia d'entre les lèvres du blond. Je ne pus empêcher un sourire de s'emparer de mes lèvres, secouant la tête où mes mèches rousses s'emmêlaient.

Si facile à faire flancher.

— Merci Sunghoon, tu gères.

Enchanté Sunghoon, hâte de t'avoir à mes pieds.

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