Sous la pluie

Courir.  C'est la chose que j'aime le plus dans ce monde. Courir. C'est faire le vide, ne plus penser à rien. À personne. Courir. C'est moi, seul, avec l'univers.  Courir. C'est s'envoler, s'évader, s'éloigner de tout. De tout le monde. Courir. C'est ce que je faisais dès que j'avais du temps libre, que j'allais mal, que je voulais oublier. J'y allais tôt le matin, avant les cours, et dès qu'ils étaient finis. Le meilleur moment, c'était après les examens, pour me vider l'esprit. Ou me défouler. J'avais donc profité de la fin de mes combats contre les Anges, pour me perdre dans les champs. Je courais près de la grande rivière qui traversait la région de Naalone, et qui m'emmenait vers de jolis lieux à découvrir. Avec le temps, je connaissais les plus beaux endroits, les plus calmes, les plus dangereux. Ceux que l'on aime regarder seul, ceux que l'on aime partager avec un groupe d'amis. En cinq ans, j'avais tout visité, tout admiré et pourtant, je ne m'en lassais pas. Comment être fatigué de parcourir des kilomètres avec des vues merveilleuses, que l'on ne pouvait croiser qu'ici ?

Malheureusement, il pleuvait souvent, surtout en cette période de l'année, et même si le temps n'était pas un obstacle à ma passion, la maladie l'était. Je refusais de manquer un cours à cause d'une grippe ou d'une connerie comme ça. Je l'avais vécu une fois, pas deux. Alors, quand l'hiver montrait le bout de son nez, j'attendais avec impatience le retour du soleil et de la chaleur. Bien sûr, je pouvais toujours utiliser le gymnase comme terrain, mais ce n'était pas la même chose, ni les mêmes impressions. Dans ce lieu, il n'y arrivait rien, si ce n'était le bruit des lumières, des élèves. Dehors, j'étais proche de la terre, de l'air, du vent, de tout. C'était près de la nature que mes pouvoirs étaient les plus puissants, et j'aimais la sensation de me sentir bien, de me sentir fort.

En parlant de nature et de mauvais temps, la pluie fit son arrivée sans prévenir. Ce n'était pas quelques gouttes par-ci par-là, c'était un déluge, qui ne m'épargnait pas. Je regardai les cordes tomber et noyer le sol, avant de me décider à faire demi-tour, pour rentrer. Je glissai ma capuche sur ma tête, et accélérai mes foulées pour rejoindre l'enceinte de l'établissement le plus rapidement possible. Quelle idée de partir aussi loin en sachant pertinemment qu'une averse pouvait se montrer d'une seconde à l'autre. Elle profitait que je sois loin d'un abri pour venir me dire bonjour. Bonjour à toi aussi.

Une fois sous le préau, je m'étirai tout en reprenant mon souffle. J'étais trempé jusqu'aux os, mais j'étais surtout content d'avoir couru, ça m'avait fait du bien. On commence toujours par le négatif pour finir sur une note positive. Je me glissai dans le bâtiment le plus proche, pour éviter de traverser tout le campus sous la pluie. Je croisai beaucoup d'étudiants, le mauvais temps les obligeait à rester à l'intérieur, et toutes les salles vides ne l'étaient plus. Je me faufilai à travers la foule avec difficulté. Je ne me rendais jamais compte du monde que regroupait cette école. De toutes celles que j'avais fréquentées, Hetell était la plus grande. C'était aussi ma préférée. Pourtant, j'avais plus ou moins fréquenté tous les établissements scolaires présents sur Lostham, notre continent. Petite fierté de ma part, mais la honte de mes parents.

Et même si Naalone accueillait sur ses terres les deux meilleurs centres de magie du continent, dont celui qui me permettait aujourd'hui de découvrir l'étendue de mes pouvoirs, je n'avais pas grandi là. Au contraire, ma famille avait toujours vécu à l'autre bout de Lostham, très loin d'ici. J'avais quitté le domicile familial à mes quinze ans, pas par choix mais par force, seulement parce que je ne correspondais pas aux attentes des établissements dans lesquels j'étudiais, ou peut-être parce que j'avais un comportement qui ne plaisait pas. C'était sûrement pour la seconde option.

Alors j'avais voyagé d'école en école, transportant une mauvaise réputation, les pires notes, jusqu'à rencontrer Hetell, les professeurs, les lieux, et mes amis. J'avais trouvé ma place ici, près des sommets des montagnes, des nuages, des sentiers un peu trop sombres et des clairières fleuries. J'aimais les rivières, les chemins qu'elles me faisaient emprunter pour les suivre, les collines et la vue qu'elles m'offraient. Mais aussi, j'avais rencontré de belles personnes qui me donnaient la meilleure raison de rester à Hetell, où j'avais trouvé une stabilité que je ne voulais perdre pour rien au monde. En fin de compte, être à l'autre bout du monde nous arrangeait tous. Toujours retenir le positif.

— Alexandre ?

Je relevai la tête vers Lindsay, une blonde aux yeux verts, ou plus précisément, ma copine. Je savais déjà que sa venue dans ma chambre n'annonçait rien de bon, puisque tout le monde m'appelait Alex, sauf quand on voulait m'annoncer quelque chose d'officiel.

— Est-ce qu'on peut parler ?

Un sourcil arqué, je la regardai sans comprendre ce dont elle voulait parler. On discutait ensemble presque tout le temps, pourquoi débarquer dans ma chambre comme ça, pourquoi cet air si solennel ? Est-ce qu'elle venait me parler de nous ? Cette relation se portait pourtant bien, je ne voyais pas ce qu'il y avait à dire ou à reprocher. C'était la première fille qui supportait mon monde, mon mode de vie, souvent solitaire, parfois collant. On ne se disputait jamais, on savait se partager nos avis, sans que les mots deviennent violents, sans que le ton monte, alors pourquoi cet air si sérieux était collé à son visage ? J'allai m'asseoir sur mon lit, et lui désignai la place à mes côtés afin qu'elle me rejoigne, mais elle préféra rester debout, face à moi.

— Je préfère qu'on arrête.

— Qu'on arrête.. quoi ?

— Nous deux. Toi et moi.

Peut-être que finalement, notre relation ne se portait pas aussi bien que je le pensais. J'essayai de comprendre ce que j'avais fait, où j'avais fauté, mais je ne voyais pas. Lorsque j'étais en couple, je me concentrais seulement sur la personne avec moi, je faisais de mon mieux pour être la meilleure version de moi-même. Qu'est-ce qui n'allait pas ?

— L'amour n'est pas un problème, m'expliqua-t-elle les larmes aux yeux, du moins pas de mon côté. Je t'aime Alex, plus que toi tu ne pourras jamais m'aimer. Tu préfères la solitude à ma compagnie, tu préfères rester dans ton coin, loin de moi, sauf quand tu t'ennuies. Je n'ai pas envie d'avoir ce rôle, je mérite beaucoup mieux que d'avoir un copain à temps partiel, seulement lorsqu'il le désire.

J'écoutai ses maux, sans lui couper la parole, parce qu'elle avait besoin de se confier à moi, de lâcher tout ce qu'elle gardait pour elle. On était dans la même classe, on avait le même groupe de potes, nos chambres étaient sur le même étage, si le but était d'avoir un couple très proche, le nôtre ne pouvait pas l'être plus. Honnêtement, je ne savais même pas quoi lui répondre, je n'avais pas conscience de la façon dont elle ressentait et vivait les choses. Mais je pouvais changer, ou du moins, faire des efforts, pour nous, pour elle, parce qu'elle le méritait. On le méritait.

— Lindsay, je..

Elle secoua la tête négativement, et continua, sans que je ne puisse ajouter quoi que ce soit de plus :

— Non, ne sois pas désolé, s'il te plaît. Ce n'est rien. Ce n'est pas de ta faute. On est différents, bien plus que je ne le pensais. Je préfère mettre un terme à tout ça maintenant, plutôt que de souffrir plus tard.

Je me relevai pour attraper ses mains et les tenir, les caresser, plonger mon regard dans le sien. Elle soupira, et j'en profitai :

— Mais maintenant que tu m'en as parlé, je pourrais faire des efforts, passer plus de temps avec toi, faire en sorte que tu ne te sentes pas de trop, sur le côté.

— Alex, je n'ai plus envie.

— Je ne comprends pas.

Ne m'avait-elle pas dit qu'elle m'aimait, quelques minutes avant ? Pouvait-on aimer quelqu'un et choisir de le quitter, de s'en aller ?

— Il n'y a rien à comprendre. S'il te plaît, ne complique pas les choses, c'est assez difficile comme ça.

Elle recula, et une larme roula le long de sa joue. J'essayai de l'essuyer, mais elle me repoussa doucement. À court de mots, je ne savais pas quoi dire. Pas quoi penser. Je ne m'attendais pas à finir célibataire ce soir, encore moins pour une raison aussi bête. S'aimer, c'était s'adapter à l'autre et faire des efforts pour que la vie à deux se passe pour le mieux, pourquoi refusait-elle de me laisser améliorer ce qui n'allait pas ? Je ne la comprenais pas, pourtant, je la connaissais, je savais sa manière de penser. Nous étions ensemble depuis un an, si mon besoin de solitude était réellement un problème pour elle, elle m'en aurait parlé il y a longtemps.

— Il y a quelqu'un d'autre derrière cette histoire, n'est-ce pas ? Tentai-je.

Elle ne me lâcha pas du regard, et je compris tout seul, comme un grand. Pas besoin d'être le plus intelligent pour deviner qu'un autre cœur était mêlé à cette histoire, et qu'elle le préférait au mien. Je soufflai. Elle avait fait un choix, et je devais l'accepter. Je n'étais pas quelqu'un qui se battait pour retenir les autres, surtout quand ils souhaitaient partir. Je préférai reculer, m'éloigner d'elle, et abandonner la discussion. Je ne voulais pas m'énerver et gâcher ce qu'il restait de nous. Elle me regarda quelques secondes avant de fuir, fermant la porte au passage. Je restai là, debout, au milieu de ma chambre, perplexe. Bon, peut-être que là, il n'y avait pas de positif à retenir.

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