La rive d'en face

— Mais qu'est-ce qu'ils font ? S'interrogea Clément.

Je suivis son regard, dirigé vers une plaine en contrebas, où était présent un groupe d'Anges. Je ne savais pas non plus ce qu'ils essayaient de faire, sûrement trop loin pour distinguer les mouvements de leurs pouvoirs. Je posai mon pied sur un rocher, afin de m'étirer, et je les observai silencieusement. À vue d'œil, ils semblaient s'entraîner, mais leur manière de le faire laissait à désirer. Apprendre dehors, en plein air, avec la nature alors qu'ils n'en avaient pas besoin, j'aurais pris ça pour de la provocation si je savais qu'ils nous avaient repérés, mais ils ne pouvaient pas nous voir, alors ils devaient simplement être bêtes, ou vouloir trouver la simplicité, à choisir. Peut-être les deux à la fois, puisqu'ils le faisaient aux pires heures de la journée. Il était midi passé et le soleil était haut dans le ciel, s'exercer sous ce temps, c'était l'enfer assuré. Dixit celui qui partait courir à la pause du midi, au lieu de profiter de ce temps libre pour se reposer. Mais heureusement, de notre côté, Hetell était entourée de forêts, alors nous pouvions courir sous l'ombre et la fraîcheur des arbres.

— Ils n'ont pas l'air de s'entraîner dur, pour des personnes qui vont avoir la vie des autres entre les mains d'ici peu.

J'entendais de la rancœur dans le ton qu'il employait pour parler d'eux, ce ton que beaucoup utilisaient quand les Anges étaient le sujet de conversation jeté sur la table. Mais il avait raison, en quelque sorte. À partir de leurs vingt-cinq ans, les Anges devenaient les gardiens des habitants des autres continents, qui eux, n'avaient pas connaissance de la magie, de Lostham. Ils devaient les protéger, leur permettre de vivre correctement jusqu'à leur dernier soupir. Cette surveillance était nécessaire à cause des Mohnox, des êtres  diaboliques à soif de pouvoirs et de vengeance envers notre continent, qui tentaient de dérégler l'ordre du Monde. 

Cela fait maintenant des millions d'années que les Anges, dotés de magie, luttent contre la menace qu'était et que reste le peuple de Mohnn, pays éloigné des nôtres, et qui a la particularité de prendre l'apparence des êtres qui vivent dans ces endroits. Principalement, des êtres humains. Mais beaucoup pensent que tout ceci n'est qu'une ancienne légende, que les Mohnox existent seulement pour trouver une excuse de fréquenter les autres mondes. Chacun ses croyances. De mon côté, je préférais le voir de mes propres yeux pour y croire, mais ces bêtes ne s'engageaient pas sur notre territoire, et je n'aurais sûrement jamais l'occasion d'en croiser un. Mais quand bien même ces monstres étaient réels, si la vie de centaines de millions de personnes étaient entre les mains de ces Anges, il fallait qu'ils soient les meilleurs. Et le spectacle en bas ne correspondait certainement pas aux attentes que les Grands avaient d'eux. Pourquoi je disais eux et pas nous ? Parce qu'étant plus forts que les Mages noirs, le conseil avait décrété que c'était aux Anges blancs que ces missions revenaient. La haine entre ces deux espèces était née dans ce conflit, j'en mettais mes deux ailes à couper. 

— Mais regarde-les, on dirait un cours de première année.

Il n'avait pas tort, leur magie semblait hasardeuse, beaucoup d'élèves ne devaient pas savoir manier l'élément de l'air, sauf deux, qui venaient de projeter l'une de leur camarade dans la rivière. Vu la température de l'eau à cette époque de l'année, je n'osais imaginer le coup de froid qu'elle venait d'avoir. Mais malgré son plongeon, elle semblait peu déstabilisée, au vu de l'enchaînement qu'elle venait de leur offrir les secondes suivantes, les plaquant sur le sol, dans l'incapacité de se relever. Elle avait utilisé plusieurs éléments et même si j'avais déjà entendu parler des liaisons en magie, je n'en avais jamais vu de mes propres yeux, jusqu'à aujourd'hui. Dommage que nous n'étions pas plus près, pour mieux le voir, l'observer.

— On dirait des enfants, lâcha Clément.

Encore une fois, même si je savais que mes amis étaient parfois immatures, la magie n'entrait jamais en jeu. On avait le regard des professeurs et de la direction sur nous constamment, on ne pouvait pas se permettre de faire n'importe quoi avec nos pouvoirs. J'en avais déjà subi les conséquences un grand nombre de fois, je n'allais pas tenter le diable, pas dans cette école.

— Tu viens, on va trouver un endroit où manger ? Me lança mon ami, avant de reprendre sa course.

Je n'eus pas le temps de lui répondre qu'il était déjà parti. Je finis de m'étirer en attrapant ma gourde pour boire un peu, avant de me lancer à sa poursuite. On descendit de la colline rapidement, tout en veillant à rester de notre côté de la frontière, jusqu'à trouver un petit coin à l'ombre, près d'Iloé. Avec le temps, c'était devenu mon endroit préféré. J'adorais m'y rendre, même si c'était souvent pour les combats, qui, eux, étaient moins intéressants qu'un moment seul à lire un livre contre le tronc d'un arbre, à écouter de la musique les jambes dans l'eau à rire avec des potes pour rien. 

— Le premier qui arrive en haut ? M'exclamai-je en m'approchant d'un grand chêne.

— Go.

Il sauta pour attraper la première branche, tandis que j'essayais d'escalader la deuxième pour grimper plus haut. Après de longues minutes d'ascension, je regardai Clément, qui arrivait à mon niveau, avant de me tourner vers ce qui nous entourait. Le silence s'installa entre nous, et j'en profitai pour écouter et regarder la nature, qui m'émerveillait. Je sentais les feuilles et les branches titiller ma magie, mais j'essayai de l'ignorer, de la faire taire, et de profiter.

— C'est toujours la même vue, encore la même perfection, murmurai-je à moi-même.

S'il y avait un paysage à admirer, c'était bien celui-ci : les plaines verdoyantes et fleuries à perte de vue, qui allaient délicatement plonger et se fondre dans l'océan, en contrebas. Imaginez rien qu'un instant un coucher de soleil sur cette branche. Je fermai les yeux et laissai le vent caresser ma peau doucement. C'était un moment que j'étais heureux de vivre, et que je voulais revivre encore et encore, sans arrêt.

— Mais qu'est-ce que vous faites là-haut ?! S'écria une voix inconnue, en bas, qui m'arracha à mes pensées.

J'essayai d'apercevoir la personne qui nous parlait, mais par manque de chance, ou simplement par maladresse, je perdis l'équilibre, et la branche sur laquelle j'étais perché, s'éloigna de moi beaucoup trop rapidement.

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