La chute
Sans avoir le temps de comprendre ce qu'il se passait au-dessus de ma tête, j'utilisai ma magie pour aider la personne qui dégringolait le long des branches. Bon ou mauvais réflexe de ma part, c'était toujours la magie que j'utilisais en premier, surtout quand un problème se présentait à moi. Sa tête entra en contact avec le feuillage de l'arbre, et je serrai les dents, essayant de ne pas penser à la douleur qui devait le traverser à cet instant. Je sentis une petite pointe de culpabilité, je m'en voulais de lui avoir fait peur. Mais que cette chute soit de ma faute ou non, les branches allaient finir par casser sous leur poids, surtout à ce niveau-là, et je n'osais imaginer le désastre si je n'étais pas intervenue. Alors, je me concentrai sur l'air, sur la magie qui se réveillait un peu plus à chaque seconde, et qui glissait de partout en moi. Elle me réchauffait, me rendait plus forte, et moins d'une seconde après, son corps arrêta de tomber pour léviter et descendre en douceur, jusqu'à ce qu'il puisse poser les pieds par terre.
Il se laissa alors tomber sur le sol, sûrement déstabilisé, ou peut-être blessé, et je restai là, à quelques mètres de lui sans bouger, tout en restant sur mes gardes. Je ne savais pas qui ils étaient ni la menace qu'ils pouvaient être, alors je préférais me montrer méfiante. Mes pouvoirs continuaient de faire battre mon cœur un peu plus vite, et je l'observai, soucieuse. Il semblait perdu, assez surpris de ce qu'il venait de vivre, comme s'il ne s'y attendait pas, et je le comprenais. Une chute comme celle-ci, même si elle n'était pas impressionnante, pouvait effrayer, surtout si elle était imprévisible comme la sienne.
Soudain, j'entendis un bruit sourd et je découvris le deuxième garçon qui rejoignait son ami, repliant ses ailes une fois à ses côtés. Des ailes noires. C'était la première fois que j'en voyais de mes propres yeux, et je savais pas si c'était terrifiant ou magnifique. Je compris très rapidement que parmi toutes les personnes présentes près d'ici, il fallait que je sois nez-à-nez, seule, avec des Mages noirs. Super. Je ne fis aucun commentaire et je les laissai parler entre eux, sans me mêler à leur discussion. Le grand blond lui demandait s'il allait bien, s'il avait mal ou s'il pensait avoir quelque chose de cassé, et l'autre hochait la tête ou la secouait négativement. J'avais omis de lui poser les questions, deuxième gaffe de ma part. Quand le silence s'installa autour de nous, je vis leurs yeux se poser sur moi. Alors, je savais que c'était à mon tour de parler. Je pris une grande inspiration, avant de leur lancer :
— Mais que diable faisiez-vous dans ce chêne ? Vous auriez pu perdre la vie, l'un comme l'autre ! Êtes-vous toujours inconscients, chez les mages noirs ?
— Dit-elle en étant l'auteur de la situation ! Toujours les mêmes, ces putains d'Anges ! S'exclama le blondinet, en se tournant vers moi.
Il me fusilla d'un regard accusateur, et je croisai les bras, sur la défensive. Qu'il ne me remercie pas d'avoir aidé son pote, je pouvais l'accepter, et quoi que, mais qu'il m'agresse de la sorte, non. Il avait le toupet de s'en prendre à moi alors que j'aurai très bien pu les laisser se débrouiller et risquer de mourir douloureusement, en s'écrasant sur le sol. Il n'avait même pas eu le temps d'user de sa propre magie pour venir en aide à son ami, alors il n'avait pas son mot à dire sur la situation.
— Il serait sûrement mort si je n'étais pas intervenue !
— Mais c'est toi qui as causé cette chute ! On se portait très bien avant ton arrivée, idiote !
— Mais ce n'est pas croyable, il faut vous supplier pour avoir un seul merci ?
Ses yeux étaient aussi noirs que le néant, et j'avais presque peur d'y tomber à l'intérieur. Qu'est-ce qui n'allait pas chez lui, sérieux. Il voulait vraiment jouer à celui qui laisserait tomber le premier ? J'avais tendance à ne jamais perdre à ce jeu. Qu'il ose provoquer ma patience, il finirait par déclarer forfait tout seul. Je ne le quittai pas des yeux, prête à attendre une éternité s'il le fallait, et j'entendis le deuxième garçon, toujours au sol, dire d'une petite voix :
— Elle pensait bien faire, laisse-la.
Je tournai mon regard vers lui, surprise de le voir se manifester, et surtout de ne pas aller dans le sens de son pote et de m'en mettre plein la tête à son tour. Surprenant, de la part d'un mage noir. Je le remerciai d'un hochement de tête, incapable d'ouvrir la bouche une nouvelle fois. J'en avais assez dit, je n'avais aucune envie de relancer un débat ou de me prendre les foudres du blondinet. Alors, je regardai le blessé, observant un peu plus son visage, et je remarquai quelques égratignures sur ses joues rosées, sûrement causées par la chute. Je regardai son front, légèrement entaillé, et sa tempe, sur laquelle était présenté une longue trace de sang. Ses cheveux étaient de couleur jais, et quelques brindilles se logeaient à l'intérieur.
On pouvait dire que cet arbre l'avait marqué à sa manière, et ce n'était pas très joli à voir, même si ça aurait pu être pire. Heureusement pour lui, ça ne semblait pas très grave, il s'en remettrait assez vite. Au moins, il y réfléchirait à deux fois avant de grimper dans un arbre, ou de ne pas utiliser sa magie à temps, lorsqu'il en était dans le besoin. Mes yeux continuèrent leur visite, avant de tomber sur les siens, qui me fixaient, eux aussi. Je sentis mon cœur louper un battement. Il avait les yeux bleus. Bleu comme l'océan. Il avait les yeux qui m'avaient regardée lorsque j'étais à terre, et qui ne m'avaient pas aidée à me relever à la fin de mon dernier combat. La petite once de remords présente quelques minutes avant, semblait s'être volatilisée aussi rapidement qu'elle était arrivée.
— Est-ce que ça va ? Tu n'as pas trop mal ? Lui demandai-je en m'approchant doucement de lui, sous le regard froid de son ami.
Il hocha simplement la tête et je lui tendis la main, qu'il s'empressa d'attraper pour se relever. Et à moitié debout, je le laissai retomber de la même manière que lui, une journée auparavant. Il me regarda sans comprendre, et je le fixai sans rien dire, quelque peu fière de moi. Au bout de quelques secondes, je vis une lueur de surprise traverser ses yeux, et un sourire se dessiner sur ses lèvres.
— C'est mérité, lâcha-t-il seulement.
Sans avoir le temps de lui répondre, je sentis une pression sur mon bras, et je vis le blondinet entrer dans mon champ de vision. Il avait sa main sur moi, et m'obligeai à reculer, à m'éloigner de son ami. Je fronçai légèrement les sourcils, sans comprendre ce qu'il cherchait à faire, si ce n'était vouloir un nouveau conflit entre nous. Ou peut-être le protéger. La magie en moi grandit un peu plus, prête à me défendre s'il osait me faire du mal. Le garçon aux yeux bleus se releva en remerciant son ami, avant de se tourner vers moi, pour me faire face.
— Merci pour le coup de.. vent.
Je hochai la tête et il me tendit de nouveau sa main, sous mes yeux incompris. Il la laissa en l'air le temps de quelques secondes, et voyant que je ne bougeais pas, il finit par la laisser retomber le long de son corps.
— Désolé de t'avoir fait peur.
— Mais je n'ai pas eu peur.
Il me lança un regard appuyé, qui disait « ah oui ? c'est vrai ce mensonge ? » et je secouai la tête. J'avais surtout été surprise de les voir aussi haut, je ne m'attendais pas à les trouver ici, c'était inconscient de leur part, même en ayant de la magie. Il suffisait d'un mauvais coup pour perdre connaissance et ne pas pouvoir utiliser leurs pouvoirs. Et même sans un coup, il n'avait pas cherché à les utiliser, ça en disait long.
— Qu'est-ce que vous faisiez perché dans un arbre ? Osai-je demander.
— On profitait de la vue.
— De la vue ?
Qui s'embêtait à escalader plus de dix mètres de branches, de feuillage, pour observer la vue ? On avait de la magie, elle pouvait nous aider à éviter de nous mettre en danger comme ils venaient de le faire.
— Tu n'es jamais montée dans un arbre pour admirer les paysages ?
— Elle n'a pas l'air, vu la crise de rabat-joie qu'elle nous a faite.
Le blond croisa ses bras et continua de me fixer, peu content de me voir ici, à leurs côtés.
— Personne ne te retient si la présence d'un ange t'est insupportable, tu sais.
Il leva les yeux au ciel pour seule réponse, avant de murmurer quelque chose à son ami, que je n'avais pas la capacité d'entendre. Il n'attendit pas plus longtemps, alla ramasser ses affaires et durant les secondes suivantes, il s'en alla et disparut au loin, nous laissant tous les deux. Je reportai mon attention sur le brun, toujours devant moi, et je lui demandai :
— Pourquoi ne pas avoir utilisé tes pouvoirs pour empêcher cette chute ?
— On n'est pas autorisés à user de la magie en dehors des cours.
— Et vous le respectez, tous ?
Il hocha la tête avant d'aller chercher son sac, posé près du tronc. C'était étonnant, vu toutes les réactions qu'ils avaient face à nous, ils passaient plus pour des rebelles que des élèves respectant les règles établies par leur école. La nôtre nous laissait utiliser nos pouvoirs pour s'entraîner et devenir meilleurs, mais seulement si ce n'était pas contre les autres, ou à mauvais escient. Même si certains débordements arrivaient parfois, ce n'était jamais rien de très grave, mais la scolarité sanctionnait toujours. Que ce soit une petite faute, ou une grave. J'avais déjà entendu des bruits de couloir comme quoi les derniers qui avaient osé jouer avec leur magie, s'étaient fait virés de l'établissement. Certains avaient même dû assister à un procès pour savoir s'ils avaient le droit ou non de posséder leur magie. Non, personne ne pouvait le leur retirer, mais les empêcher de l'utiliser, ça, oui.
— Qu'est-ce que tu faisais ici ? Me dit le Mage noir, en me tirant de mes pensées.
Je relevai la tête vers lui. J'avais complètement oublié la raison de ma venue. Je me souvenais seulement de l'exercice avec ma classe, et de ce que m'avait dit mon professeur. Comment tu te débrouilleras plus tard, lorsque tu ne pourras plus les utiliser, quand il n'en restera qu'un ?
— Tu es la jeune fille qui est tombée dans l'eau, non ?
— Tu m'espionnais ?
— Observer serait plus juste. J'ai surtout remarqué que tu leur avais fait mordre la poussière par la suite.
— Ah ça..
Je glissai une mèche rebelle derrière mon oreille, un tic que j'avais lorsque la gêne m'envahissait. J'oubliais parfois que s'entraîner dehors voulait dire laisser du public nous regarder, ceux qui étaient dans les parages, mais aussi les élèves dans les bâtiments.
— Tu étais la seule qui semblait avoir du niveau, parmi tous ces..
— Anges, dis-je pour finir sa phrase, qu'il avait laissé en suspens, sûrement pour ne pas dire quelque chose qu'il regretterait par la suite.
Il hocha simplement la tête et je reculai légèrement pour m'adosser contre le tronc d'un arbre. Peu de monde aimait et savait créer des liaisons entre les éléments, alors j'en avais profité. Il fallait dire que beaucoup n'avaient jamais essayé de combiner l'immensité de leurs pouvoirs, c'était peut-être pour ça que j'avais de bonnes notes et que je me débrouillais dans chaque matière, à chaque exercice. Je savais que mes professeurs me reprochaient d'user de ces techniques et que ça se révélerait être un désavantage au fil du temps, puisque je finirai par perdre tous les éléments, sauf un. Et pourtant, je m'obstinais à croire que c'était faux, qu'ils ne disparaîtraient pas, jamais.
— Tu n'as pas encore vingt ans ?
— Parce que j'ai encore tous mes éléments ? En effet.
— Tu veux garder lequel ?
J'allai lui répondre quand je me rendis compte que je tenais une conversation avec un Mage noir, et qu'en plus que ça ait l'air irréel, il était gentil avec moi. La première impression que j'avais eu de lui laissait à désirer, certes, mais en fin de compte, certaines carapaces cachaient de plus jolies personnes.
— Je n'ai pas encore choisi.
Pour ne pas lui dire que je ne comptais pas faire ce choix. Étant curieuse, je mourais d'envie de lui poser tout un tas de questions, mais je me retenais. N'oublions pas que les Anges et les Mages n'étaient pas en bons termes, et qu'il pouvait être poli avec moi seulement parce que je lui avais évité une mort certaine, ou de grosses blessures.
— Tu verras, c'est un moment spécial. Beau, mais spécial. C'est prévu pour quand ?
— D'ici deux semaines.
Les jours passaient de plus en plus vite, et j'appréhendai la date, je n'étais pas encore prête à la revivre encore une fois.
— Tu es née.. Le premier jour de l'année ?
Oui. Et mes parents étaient morts cinq ans après, à la même date. Je détestais mon anniversaire juste pour cette raison. Je soupirai et essayai de m'armer d'un beau sourire, qui semblait si faux vu de l'intérieur. Je n'avais pas envie de montrer mes faiblesses, ni qu'il puisse les deviner. On pouvait lire en moi comme dans un livre ouvert, et je refusais que des ennemis réussissent le faire aussi.
— Pas envie de discuter, je vois.
Il se mit dos à moi et glissa son sac sur ses épaules, avant de sortir ses écouteurs de sa poche. Il était prêt à s'en aller. Lorsque je me rendis compte qu'il allait partir et mettre fin à la conversation, j'essayai de me justifier, n'ayant pas pris conscience que j'avais été froide durant tout le long, alors qu'il faisait un effort, ou non, pour être sympa :
— Non ce n'est pas..
— Je vais te laisser reprendre ton chemin, en espérant que tu n'entraînes pas la chute de quelqu'un d'autre.
Il tourna légèrement la tête vers moi et m'offrit un grand sourire.
— Moi c'est Alex, à la prochaine.
Il partit en courant, sans que je trouve le temps de lui répondre quoi que ce soit. Alors je restai plantée là, sans bouger, et je le regardai disparaître au loin, s'effaçant dans le paysage. Une drôle de rencontre.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top