Chapitre 1 : Les Fleurs

Il faisait bon vivre à Wattpadia depuis ces quatorze dernières années. Les quelques traces du dernier passage d'Optrik s'effaçaient doucement, et on ne parlait plus de l'arrivée de Papier que pour rire de la tête du Cardinal de l'Amour lorsque la faux de Shera lui avait profondément enfoncé le crâne. Les clichés n'étaient plus que menace lointaine et les rues regorgeaient de joie et de bonheur, exactement comme durant le règne de la dernière des Intrigues. Tout semblait comme avant. Si on exceptait qu'au trône se trouvait une des générales de Wattpadia, et qu'elle avait choisi comme bras droit l'ancien chef des clichés, Kikol, qui au fur et à mesure que le temps passait avait regagné de par son zèle et son abnégation la confiance du peuple.

L'homme était travailleur, infatigable, commandant de génie, mage surpuissant. Il savait gérer un problème et trouver la meilleure des solutions. Bientôt le peuple avait décidé de lui accorder plus de confiance à leur propre reine, qu'ils ne voyaient jamais, ne décelant du mur de souvenirs qui l'entouraient que sa froideur et un profond manque d'empathie envers eux. Même leur roi, dont les plus anciens se souvenaient de ses crimes, n'inspirait pas au peuple autant de confiance et de repos que Kikol, qui avait pu purger ses fautes passées depuis bien des années.

Mais il ne fallait pas être observateur pour comprendre que depuis quelques mois, la Liche faillissait à sa tâche. Il semblait de plus en plus maladif, se traînait plus qu'il ne marchait, et une toux étrange lui échappait à chaque fois qu'il voyait passer la reine dans les couloirs, une toux qui semblait lui gratter ce qu'il lui restait d'os. Et à l'odeur de mort et d'ossements qui émanait de lui s'était ajouté un autre parfum, entêtant, empreint de magie, impossible à identifier.

Pour Baku, qui se promenait dans les couloirs, les symptômes présentés par son camarade n'avaient qu'une explication possible. Et de plus, elle semblait fort logique : Qui n'avait jamais entendu parler de l'amour à sens unique que la Liche éprouvait pour sa reine ? Et n'importe quel médecin ou prêtre de l'Amour avait entendu parler de l'arme la plus pernicieuse de cette dernière, instrument de souffrance pour rapprocher ou éloigner un couple...

Il s'en allait justement exposer son hypothèse à Lina lorsqu'il tomba sur la source de toutes ces réflexions, Kikol en personne, appuyé contre le marbre noir du mur du palais. San main était crispée contre sa poitrine, à tel point qu'on voyait les os se détacher derrière l'illusion qui le recouvrait. Et pire encore, confirmant l'effroyable hypothèse du médecin, une tige lui sortait de l'œil droit, se dressant avec fierté vers l'extérieur, au bout de laquelle pointaient des petites boules de pétales d'un jaune vif et aisément reconnaissables. Baku jura. Il aurait préféré avoir tort.

Kikol redressa la tête en l'entendant arriver, l'air bien mal en point, et le médecin put voir sa mâchoire se crisper. Il le fixa essayer de se relever, trois fois, trois tentatives infructueuses, avant de marmonner :

« – Ce n'est... rien... D'important... »

Baku leva les yeux au ciel et se cala à ses côtés pour le soulever de force, lui arrachant un grognement de douleur et un juron elfe qui traduit aurait sans doute promis le malheur à son bienfaiteur. Mais ce dernier n'en eut cure.

« – Rien d'important alors que tu te traînes au sol avec une fleur dans l'orbite, mon cul. On va à l'infirmerie, que tu le veuilles ou non. »

Kikol grogna et se débattit, agrippé à la veste de son roi, mais rien n'y a fait. Ce dernier avait une poigne trop solide. Et ses yeux se plissaient en remarquant que l'illusion de la Liche sautait et tressaillait, comme une image rémanente pas assez alimentée en magie. Un soupir s'échappa de ses lèvres, et sans perdre la moindre minute, il traîna son patient nouvellement attitré vers l'infirmerie, d'un pas marqué par un énervement croissant. Il détestait cette situation. Et il sentait bien que ce ne serait pas la fin de ses ennuis avec l'arme d'Amour.

Kikol se débattit mollement, mais ses poings serrés sur la veste de Baku trahirent sa position de faiblesse, et ce dernier ne le lâcha pas de toute la traversée des couloirs. Même pas pour ouvrir la porte de l'infirmerie et chercher le lit libre le plus proche. Même pas pour chasser Miya qui traînait non loin d'un patient endormi et balancer son propre patient sur un lit non loin avant de tirer les rideaux et de lui enlever ses vêtements, ne laissant plus que ses bas. Ses yeux se plissèrent en constatant que l'illusion au niveau de son torse était encore plus faible et tremblante que celle sur son visage. Il soupira, et croisa les bras.

« – Désactive ton illusion. »

Kikol marmonna, mais devant le regard froid de son médecin, s'exécuta, non sans proférer quelques insultes sur un ton si bas que même un voyageur n'aurait pas pu l'entendre. Mais Baku n'était pas n'importe quel voyageur. Et la réplique cinglante qui lui brûlait les lèvres s'étouffa dans sa gorge à la vue des dizaines, et même des centaines de fleurs qui avaient poussé dans sa cage thoracique, lui fissurant les os et créant une coque de végétation autour de son torse. Des fleurs jaunes comme celles de son orbite, mais aussi d'autres, blanches, avec de longs et fins pétales qui frémissaient doucement sous l'action de la magie de la Liche. Des acacias et des asphodèles. Il n'était pas très branché en signification de fleurs, mais il savait très bien ce que leur présence signifiait, et ce qu'elles impliquaient désormais pour Kikol.

Ce dernier souffla.

« – Satisfait ?

– Non. »

Le ton de Baku était plus glacial que jamais.

« – Cette maladie est très rare, mais sans traitement, c'est la mort assurée, y compris pour les liches. »

Un petit claquement marqua l'agacement de Kikol, seule marque de ce qu'il éprouvait maintenant qu'on ne voyait plus de lui qu'un crâne fissuré et envahi de graines. Ce simple claquement, bruit de mâchoires pourtant tout à fait normal chez une liche, acheva de faire grimper l'exaspération de Baku. Kikol malade, avec la pire maladie possible, lui qui devrait s'en occuper, et en plus son patient rechignait ? Il n'y avait rien de pire pour un médecin déjà très fatigué.

« – C'est quoi alors ? »

Baku soupira.

« – Maladie de Hanahaki, ou maladie des fleurs. Ces graines se forment et grandissent sur les sentiments que tu... Que tu éprouves. Une arme assez vicieuse d'Amour. »

Le crâne du squelette se pencha en avant, et sa mâchoire se remit à prendre dans le vide, avant de cliqueter de nouveau.

« – Ça ne me renseigne pas beaucoup, ça, Baku. »

Ce dernier serra les poings. Il en avait déjà marre. Kikol voulait de la clarté ? Tant pis, il allait être clair. Quitte à lui suggérer de se laisser dépérir.

« – Très bien, j'irai droit au but. Ces fleurs sont reliées à tes sentiments non rendus envers Lina, marmonna t'il en insistant sur le « non rendus ». Je te donne deux solutions pour que tu te tires de là sans retourner dans l'Autre Lieu achever ton purgatoire. Soit tu te fais opérer, et là tu peux dire adieu à l'empathie, l'amitié, l'affection, l'amour, et toute trace de sentiments dirigés vers une autre personne. Soit tu fais en sorte que Lina retombe amoureuse de toi et te le prouve d'une manière ou d'une autre. »

Il avait craché tout son dégoût dans cette dernière phrase, les poings serrés et les flux de magie perturbés. Repenser à l'époque où sa femme, sa Lina, avait aimé un autre et plus spécialement le squelette allongé sur le lit, l'air misérable, lui tordait toujours le cœur dans une horrible sensation. Et même après quinze ans de mariage il n'avait pas su aller au-delà de sa rancœur. Surtout au vu de la position privilégiée qu'occupait son ancien rival auprès de l'une des deux personnes qu'il aimait le plus.

Kikol se mit à ricaner, l'arrachant à ses souvenirs amers. Il releva les yeux, pour voir que la mâchoire du squelette s'était tordue en une sorte de sourire ironique. Et il aurait presque pu croire que ses orbites le fixaient.

« – Tu rigoles ? Et comment marche cette opération ? »

Surpris, le médecin garda un moment de silence. Avant de grommeler :

« – Plutôt rapide à choisir pour quelqu'un qui va perdre toute chance d'aimer à nouveau. M'enfin bref. À cause de la complexité de la maladie, il va me falloir du temps pour réunir le matériel. Il te reste deux semaines à réfléchir. Oh, et aussi : Ce n'est pas moi qui l'annoncerai à Corbeau. Bonne chance, vieux sac d'os. »

Faisant racler sa chaise sur le sol, il se leva et écarta le rideau, faisant fi du regard réprobateur de Miya, et se préparait à sortit lorsqu'un soupir l'interrompit. Un regard vers son patient lui apprit qu'il le fixait, son illusion de nouveau revêtue. Le médecin leva les yeux au ciel.

« – Quoi encore ?

– Pourquoi je devrais hésiter ? »

La question de la Liche désarçonna Baku, qui en oublia même d'être désagréable. Il se contenta de fixer son patient sans rien dire, l'écoutant parler en tentant de lutter contre son ébahissement.

« Tu sais aussi bien que moi à quel point j'ai souffert pendant ces quatorze dernières années, Baku, tu l'as vécu aussi. Alors sincèrement. Pourquoi je devrais hésiter ? »

Dans le cerveau du médecin, l'étonnement avait pris le pas sur l'agacement. Mais ça ne l'empêcha pas de serrer les poings en entendant les mots de son patient. Il n'avait pas à ramener sur le tapis cette vieille histoire. Il n'avait pas à le regarder avec ces yeux emplis d'amertume. Il avait été le premier à lui voler Lina. Il n'avait pas le droit.

Sans compter que quelque chose lui était passé au-dessus de la tête, dans sa tristesse de macchabée.

« – Je crois que tu ne m'as pas bien compris. Je te ne te parle pas seulement de l'amour. »

Kikol ouvrit la bouche, l'air prêt à répliquer, mais Baku le coupa net, le visage empreint d'un immense mépris. Pour Kikol qui ne comprenait pas les tenants et les aboutissants. Et pour lui-même qui se refusait à envisager la meilleure solution pour tout le monde, perdu dans son égoïsme.

« Je te parle de toute forme de sentiment dirigée vers les autres. Je t'ai parlé d'amitié, d'empathie, d'affection, pas seulement d'amour. Si je t'opère, tu perdras tout ça. Et tu te transformeras en le pire monstre d'égoïsme jamais vu depuis Akira. Et tel que je te vois là, j'ai l'impression que tu traites un choix difficile par-dessus la jambe, donc tu m'excuseras d'être énervé ! »

Kikol soupira, et repoussa les couvertures d'un geste large avant de hurler de douleur, l'os du bras fissuré dans un craquement sinistre par une nouvelle graine. Son corps retomba sur le lit, et Baku leva les yeux au ciel.

« – Deux semaines, Kikol, ça veut aussi dire deux semaines de repos forcé. Ces plantes ne sont pas là pour faire joli. À la moindre faiblesse, elles pomperont ta magie au point d'accélérer la venue de Mort. Et pour de bon cette fois. »

La Liche sursauta, avant de darder un regard incrédule sur Baku et de tenter à nouveau de se lever. Un nouveau craquement solda cette tentative, accompagné d'un cri de rage. Le médecin pinça les lèvres et l'obligea à se rasseoir, non sans laisser échapper un juron fort peu aimable qui fit grincer des dents Kikol.

« – Mais c'est impossible ! Tu sais combien de gens vont mourir si je me tourne les pouces pendant deux semaines, Votre Majesté ? »

Le mépris dans sa voix n'échappa pas à Baku, qui l'obligea à se rallonger avec un peu plus de rudesse que nécessaire. Avant de porter les mains sous le lit pour dérouler les sangles de rétention et de les montrer à Kikol avec l'air le plus menaçant qu'il pouvait. Ce qui, connaissant son passif, n'était pas rien.

« – Je ne peux pas faire autrement et toi non plus. Tu es déjà suffisamment atteint pour que je m'inquiète de ton état immédiat, tu tiens à mourir avant que je n'aie réuni tout ce qu'il me faut pour mettre en pratique ta décision ?

– Je ne manquerai pas à grand monde de toute manière... »

Une nouvelle tentative de station debout aboutit, cette fois, et la Liche se dirigea vers la porte, tout son corps en appui contre le mur et la bouche pleine de jurons, avant même que Baku n'ait eu le temps de finir de dérouler la sangle. Le tissu fin de cette dernière se plissa entre ses doigts alors qu'il se relevait et allait récupérer son abruti de patient, une flopée d'insultes aux lèvres et les flux perturbés.

« – Jean-Kévin, tu retournes au lit immédiatement, sinon je t'attache et je t'assure que tu ne vas pas apprécier. »

Le concerné se retourna et darda un regard plein de colère sur le visage froid de son médecin, qui semblait à deux doigts de la crise, les yeux davantage violets que bleus. Le constat avait sans doute brisé ses dernières barrières, vu qu'il s'exclama, avec le plus d'énervement possible dans sa voix :

« – Eh bien vas-y, énerve-toi, Baku, Akira, que sais-je encore ! Mais tu ne m'attacheras pas ! Il est hors de questions que je reste sagement immobile alors que des gens crèvent là dehors, et je refuse d'augmenter le boulot de Lina ! »

La sangle claqua entre ses doigts alors que la première goutte de matière noire tombait sur le sol, témoin de la rage qui venait d'envahir Baku. Il ne comprenait même plus pourquoi il se donnait la peine. Kikol voulait l'opération pour des raisons qui n'auraient plus lieu d'être après cette dernière. Il voulait continuer à vivre pour exprimer une empathie qui n'existerait plus. Et il en avait vu, des patients difficiles, dans son métier. Mais jamais un qui lui donne autant envie de briser le serment de Santé, illogique au possible, voulant tout pour lui, et lui crachant au visage la pire insulte qu'il pouvait alors qu'il avait tout fait pour garder son calme.

La sangle retomba au sol dans un cliquetis alors que la pièce était envahie d'une brume noire, étouffant les cris de surprise des autres patients et figeant Kikol sur place. Baku releva la tête, doucement, et jeta le regard le plus noir qu'il avait en réserve sur son rival en croisant les bras, crachant d'un ton d'un calme surprenant pour son état de rage :

« – Tu vas rester sagement immobile parce que sinon tu augmenteras le boulot de Lina pour le restant de sa vie et autant tu souhaites te laisser dépérir, autant il est hors de question que je laisse faire ça. Tu ne peux plus utiliser ta magie sans être certain que tes os n'exploseront pas sous l'effort et si tu as choisi cette putain d'opération, fais-moi confiance pour te traîner au lit et t'empêcher de bouger tout le temps où je devrais la préparer même si je dois attacher des chaînes à tes sales os infestés de graines. Je me suis bien fait comprendre ? »

Les poings de Kikol se serrèrent, et, malgré la terreur ambiante, il trouva la force de grogner au visage de son médecin furieux :

« – Et tu m'expliques qui peut me remplacer, au juste ? Lina a beaucoup de liches dans ses stocks ? Parce que je crois qu'on ne m'a pas prévenu, si tel était le cas ! »

Baku ne croyait pas qu'il pouvait serrer encore plus les dents, pourtant le résultat était bien là. Sa mâchoire lui envoyait des messages de détresse et un ricanement résonnait dans son crâne, mais il choisit de tout ignorer pour se concentrer sur la source de sa colère, qui commençait à trembler sur ses jambes. Et comme il avait oublié de se rhabiller, Baku pouvait voir son illusion trembler sous la force qu'il déployait pour rester debout. Autant de raisons pour achever de faire ce que n'importe quel médecin ne doit surtout pas faire.

« – Tu vas retourner immédiatement au lit, sinon ce n'est pas deux semaines, mais deux cents ans de travail en plus que tu vas donner à Lina. Si tu meurs, personne ne pourra te remplacer. Alors obéis, ou je t'assure que tu ne pourras plus bouger des deux prochaines semaines. »

Kikol se mit à gronder, et porta sa main à la fleur qui sortait de son orbite, avec difficulté mais un but évident.

« – Je vais arracher ces saloperies, on en parlera plus... »

Baku bondit, mais ne fut pas assez rapide. La fleur se broya entre les doigts de Kikol, et un crissement de douleur envahit la pièce alors que le malade tombait à genoux, les dents serrés et l'illusion de plus en plus faible. La fleur n'était plus dans son orbite, mais de petits éclats d'os recouvraient le sol et un peu de matière sacrée recouvrait le bout de la tige arrachée. Un grondement s'échappa des lèvres de Baku alors qu'il frappait la main de son patient, faisant tomber la fleur au sol et arrachant un petit couinement à Kikol qui se mordit aussitôt un doigt.

« – Tu commences à me soûler à ne pas m'écouter. Ces damnées fleurs agissent sur la magie et sont tellement enracinées dans tes os qu'elles emporteraient une fraction de ta magie à chaque fois que tu les arracherais, te laissant en petits morceaux sur le sol pour une connerie. Pourquoi est-ce que tu crois qu'il me faut deux putains de semaines pour réunir ce qu'il me faut, petit crétin ??? »

Relevant les yeux à l'insulte, Kikol le fixa avec fureur et se traîna contre le mur, s'éloignant le plus possible de l'implacable docteur. Ce qui ne fit qu'augmenter davantage sa rage.

« Kikol, tu es en train de nous faire perdre notre putain de temps à tous les deux ! Alors tu deviens un bon petit squelette dans l'instant, tu retournes au lit, tu me laisses prévenir Lina, et par pitié, reste sage si tu ne veux pas que je te fracasse le crâne contre ce putain de mur autant de fois qu'il le faudra pour que la consigne rentre, et merde pour le serment de Santé ! »

L'information avait sûrement fait son chemin dans son cerveau, puisque Kikol se tut et se contenta de se traîner au lit en soupirant. Mais sa grimace de fureur indiquait clairement au soigneur que son patient ne serait pas toujours aussi docile. Il était à deux doigts de le forcer sur le lit et de l'attacher avec le harnais de rétention, mais le dernier reste de bon sens qu'il lui restait le maintint immobile, à fixer Kikol remonter sur le matelas et se rouler en boule en lui tournant le dos. Il pouvait sentir le regard réprobateur de Miya et celui, paniqué, des autres patients de son infirmerie, mais il ne s'en était jamais aussi peu préoccupé. Enfin, lorsque son patient se plongea dans l'immobilité la plus totale, le visage figé et les membres relâchés, il poussa un soupir rude et, jugeant qu'on avait plus besoin de lui, sortit de la pièce aseptisée en claquant la porte dans un bruit sonore, avant de faire quelques pas et de frapper le mur du corridor avec une force amplifiée par sa colère. Une fissure se forma dans le marbre, de la forme d'un poing et imbibée d'un peu de sang, mais il s'en fichait. La douleur sourde qui lui envahissait le poing disparaîtrait, de toute façon.

Son coup de colère avait probablement attiré Lina de son bureau, vu que cette dernière se dirigeait vers lui avec un visage crispé qui n'augurait rien de bon. Il poussa un profond soupir et se laissa glisser contre le mur. Ce n'était pas le moment d'entendre de nouveaux reproches.

Mais plutôt que de lui reprocher quoi que ce soit, sa femme s'approcha de lui et lui mit les mains sur les épaules, dans un geste doux qui apaisa quelque peu les battements furieux de son cœur et calma ses flux. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Elle avait compris qu'il n'était pas d'humeur.

« – Qu'est-ce qu'il se passe ? »

Un grognement lassé s'échappa des lèvres de son mari.

« – Tu pourras dire à ton ex de cesser de se montrer aussi obtus pendant que j'essaie de le soigner ? J'ai manqué de m'attirer la malédiction de Santé sur les médecins parjures au moins trois fois.

– Ce n'est pas mon ex. »

Un rire ironique s'échappa des lèvres de Baku alors qu'elle s'installait à ses côtés, le dos contre le mur et un bras autour de sa taille. Mais il n'avait pas envie de répliquer. Se disputer avec Lina était bien la dernière chose qu'il avait envie, même si toute la rancœur couvée pendant quinze longues années menaçait de ressortir, de frapper son interlocutrice. Peut-être valait-il mieux tout sortir, se disait une part de lui, tout exprimer pour repartir sur de meilleures bases. Mais entre la Hanahaki de Kikol et les sentiments qu'il savait qu'elle éprouvait encore pour lui, il refusait de prendre le moindre risque. Il ne voulait pas partager. Il ne voulait pas la perdre de cette manière, pour un homme qu'il avait longtemps haï.

Alors il se tut, et laissa Lina l'enlacer, assis au pied d'un mur de marbre, devant le passage des serviteurs. Sa tête réintégra la place qui lui était due au creux du cou de sa femme, et il laissa sa colère disparaître, se dissiper au creux de la chevelure corbeau de celle qu'il avait tant aimé. Cette dernière lui massa un instant le crâne, sans rien dire, avant de se relever, de l'embrasser sur le front et de sourire.

« – T'inquiète, je vais lui remonter les bretelles. Va voir Shera, elle saura sûrement te calmer. Et si Santé t'inflige sa malédiction j'irai demander au vieux de lui taper dessus, voilà tout. »

Un petit rire s'échappa des lèvres de Baku, déjà apaisé, qui se releva avec douceur et regarda sa femme entrer dans l'infirmerie avant de suivre son conseil. Il se dirigea vers la chambre de Shera, oubliant la traînée de matière noire qu'il laissait encore derrière lui, et toqua avec douceur avant de s'annoncer. La voix joyeuse de sa concubine lui autorisant l'entrée lui mit un peu de baume au cœur.

Shera était assise à sa table, jouant avec des figurines de soldats sur une carte. Un ancien set de stratégie de Sky, se rendit compte Baku en s'approchant d'elle, le pas alourdi par la fatigue qui suivait ses crises de colère. Cette dernière avait reposé l'effigie du cavalier pour lui sourire, avant d'écarquiller les yeux devant ses vêtements salis et des cernes de plus en plus apparents, et de se relever, renversant sa chaise sans y faire attention.

« – Eh ben, t'as mauvaise mine, il t'arrive quoi, dis ? »

Un léger sourire déforma les lèvres de Baku.

« – Petit coup de colère. Je peux m'inviter ? »

Son interlocutrice hocha la tête et lui ouvrit les bras, dans lesquels il vint se blottir avec contentement, la joue reposée sur le sommet de son crâne. Un soupir de contentement s'échappa de ses lèvres en sentant ses bras se refermer sur lui, et son esprit glissa tout doucement hors du monde conscient, guidé par un bâillement.

Sans doute était-il bien égoïste d'en vouloir à Kikol pour Lina, alors qu'il avait l'amour de Shera en plus de cette dernière. Beaucoup voyaient déjà sa polygamie comme une forme de tromperie, et que Lina montre clairement qu'elle était au courant des sentiments de son mari envers la maréchale ne suffisait pas à calmer les rumeurs. Alors vouloir garder les deux femmes pour lui, sans partage quelconque avec une autre personne et surtout pas son rival ? Quel système de pensée tordu, devait se dire le peuple. Mais il était comme ça. Possessif. Et au jugé du bonheur qu'elles lui apportaient toutes les deux, il ne pouvait imaginer un monde où ce genre d'instants seraient partagés.

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Puisque je me mets à l'écriture d'univers alternatifs, autant vous partager ce chapitre, écrit il y a très, très longtemps ! Oui Corneille, je fais Adam Victorieux juste après, promis.

Ce sera une nouvelle assez courte, cinq chapitres grand maximum, et j'ai rajoutés quelques trucs depuis le format RP... Notamment cette certaine histoire d'épidémie. :)

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