J'eus conscience des prémices de mes premières métamorphoses à ma douzième année. Mais ce n'est qu'après ma naissance thérianthrope que mes changements de forme imposèrent leur nécessité. C'était au départ toujours la nuit, le plus souvent en pleine lune.

Fait curieux, lors de mes sorties nocturnes, je n'ai jamais rencontré d'autres galipotes. Nous sortons souvent à la pleine lune, non parce que la lune opère un pouvoir singulier, mais seulement parce que l'on y voit clair, au travers des champs et des campagnes et même des forêts, là où notre nature sauvage nous porte, et parce que la nuit nous cache des hommes qui nous craignent souvent. Les nuits noires, peu d'hommes changeants sortent, sauf en ville, mais ce n'est pas là où j'ai grandi. Contrairement à certaines idées reçues, nous choisissons les jours de nos métamorphoses, pas totalement, mais il est faux d'imaginer que nous les subissons. Les jours où l'âme animale affleure davantage, il nous appartient de céder au besoin de nous métamorphoser ou non.  Notre force vitale animale est en nous. Ce sont ses besoins qui déterminent la fréquence de ses manifestations et elle est différente pour chacun de nous. J'insisterai pour dire que, vraiment, aucun astre n'exerce sur nous le pouvoir de nous changer.

Ainsi prend parfois la forme de la différence. Comme pour la sexualité, on comprend mal sa singularité de thérianthrope, surtout les premières années. J'eus le sentiment que ce fut spécialement difficile à vivre pour moi, car personne n'avait pu me servir de modèle quand j'étais enfant. Je n'en connaissais que les mythes. Aucun homme changeant n'avait pu m'expliquer vraiment qui j'étais. Je ne pouvais que le vivre dans la solitude. C'est parmi mes semblables que j'en appris davantage, mais pas avant bien des années. Et je m'aperçus que ce sentiment était finalement assez partagé, au moins jusqu'à ce qu'internet ne se généralise.

Je n'ai rencontré mes premiers pairs qu'à vingt an, dans des circonstances dramatiques sur lesquelles je reviendrai plus tard. Mais, ces circonstances, précisément, ne favorisaient pas la proximité et les échanges.

C'est donc encore bien plus tard, sur internet, que j'appris que, non seulement j'étais loin d'être seul à être animé de l'âme d'un animal en plus de mon âme humaine, mais je pu dialoguer avec d'autres thérianthropes, la plupart s'inscrivant dans la communauté furry. Les thérianthropes restent discrets. Parler aux humains de ce que nous sommes nous expose à leurs jugements ignares. Et nous métamorphoser devant eux nous expose à leur terreur ou â une curiosité malsaine lourde de conséquences néfastes. Il n'est donc pas dans notre intérêt de nous dévoiler. Mais, avec le temps et la confiance, parce que je suis thérianthrope moi-même, il en est qui se sont déclarés auprès de moi, et j'ai pu échanger avec eux. Quelles révélations, ce jour là ! Et quelle libération !

Oh ! Mais ce soir, mes narines frémissent. Le vent souffle fort. Il fait humide. Il pleuvra tout à l'heure. Je le sens déjà. La nuit n'est pas encore tombée. Mais le félin en moi a soif de liberté. Inutile de le combattre ! Tout à l'heure, j'irai me ressourcer. Je me roule en boule sur le canapé. Je fais taire mes pensées. Je sens chaque partie de mon corps. Chacune est en train de changer. Il n'y a aucune douleur. Le processus de transformation est inscrit dans le corps d'un thérianthrope comme un phénomène naturel. Ma métamorphose va prendre une demie-heure pour s'accomplir. J'achèverai de transformer mes mains en pattes après avoir fermé la porte à clef et l'avoir cachée. Sortir et rentrer est le moment délicat où il ne faut pas être vu. J'aime ma forme féline bipède, mais, c'est trop étrange pour les humains. Et je n'ai aucune envie de devenir un cobaye de laboratoire. Ma fourrure me protégera du froid. Je passerai la nuit dehors. Ah, oui, ne pas oublier de diminuer ma taille. Un chat de soixante quinze kilo c'est trop voyant. J'en ai un terrible souvenir.

Maintenant, il est temps que l'humain fasse silence. C'est l'heure du félin.
À plus tard...