Capture

Au cours des années, je pris peu à peu de l'assurance et de la maîtrise. J'évitai toutefois toute sollicitation de mes facultés obscures. Je préférais perfectionner mes aptitudes à la guérison. Je n'avais pas, pour moi-même, une grande estime. Je souffrais de ma singularité. Alors, soigner me rendait utile et me gratifiait suffisamment pour supporter ce que j'étais. Je le faisais par charité, par compassion, par amour, et jamais aucun de ceux que je pansais ne su jamais ce que je fis pour eux.

Par ailleurs, pour le besoin de ma cause, je commençai à m'autoriser à changer de forme, non seulement dans ma demeure, mais aussi lors de mes balades nocturnes elles-mêmes. Je prenais cependant toujours soin de le faire en un endroit discret et caché.

Par un triste destin, alors que j'avais vingt ans, il se trouva que lors d'une de ces métamorphoses, un jeune humain assista à ma transformation. Et par malheur pour moi, je ne m'en aperçu que trop tard. Mon changement de forme était amorcé et ne pouvait s'interrompre avant son terme. La chose eut pu être anodine. Et il aurait pu se faire que le voyeur fût effrayé et partît en courant. Mais ce ne fut pas ce qui se passa. Il resta là à regarder, fasciné, et je vis l'envie étinceler dans ses yeux. Et, tristement, pendant que s'achevait ma mutation, la position qu'il prit laissait peu de doute sur son intention : il voulait m'attraper.

Il n'est guère de lieux dont un chat ne puisse se tirer d'affaire lorsqu'il est traqué par un humain. Les hommes sont généralement bien trop lents pour ne par dire trop gourds. Seulement voilà, à trop bien me cacher pour changer de forme, j'avais choisi une impasse sombre dont les murs étaient hauts et sans fenêtre. La cachette devait être bonne, l'épreuve de l'expérience démontra le contraire. Dans mon choix, à l'évidence, l'impasse était pour moi. Devenu félin, l'humain s'était approché si prés qu'il n'avait qu'un geste à faire pour me saisir par le cou !

Quand le malheur s'abat, c'est souvent par une accumulation de facteurs défavorables. J'avais eu l'imprudence de me métamorphoser hors d'un lieu sécurisé. L'impasse que j'avais choisie en faisait une nasse. Il y avait un témoin humain. Celui-ci était chasseur de bêtes. Et, dernière infortune, il était rapide, agile et adroit ! Aussi, même si bien peu d'humains sont capables d'attraper un chat qui les fuit, malheureusement, cet humain là, en avait l'agilité et l'opportunité. Alors que s'achevait à peine ma mutation et que je m'apprêtais à détaler, d'un geste sûr, le jeune homme, sombre, déterminé, implacable, m'attrapa par la peau du cou.

Sortir les griffes, me débattre, feuler à toute force, grogner et brailler aussi bien qu'on peut rugir, rien, je dis bien rien, ne le fit lâcher prise. Son bras tendu, il me tint ferme jusqu'à son véhicule, en ouvrit le coffre de sa main libre et m'y jeta alors illico sans même que j'ai eu le temps de lui infliger le moindre coup de griffe, sans que j'ai le temps d'échapper à cette prison ! Plus que jamais de toute ma vie,  j'étais terrifié et rendu inerte par la sidération dans ce coffre obscur. Il avait vu ce que j'étais, aucun doute là dessus ! Alors, que voulait-il donc faire de moi ?  et pour quoi faire ? Ce coffre exiguë ne me laissait pas de place pour reprendre forme humaine et de toute façon, j'étais vidé de toute énergie après cette confrontation.

Lorsque le coffre s'ouvrit, je vis  tout autour de moi un espace grillagé de toute part, ciel compris. J'eus beau chercher, je ne vis rien qui put me permettre une évasion. Et là, frissonnant, je vis une rangée de box, murs de briques, poutres d'acier, toit de taule et portes de fer cadenassées. Tout cela ressemblait fort à une fourrière. Quelle effroi ! Quelle misère ! Alors que je fus enfermé dans l'un de ces box, je n'avais plus une once d'énergie dans les pattes. Je restais là, flasque comme un chat tout fraîchement mort, incapable de bouger.
Par la grille, mon kidnappeur s'adressa à moi et me dit :
— Alors, chaton, on est sorcier ?
Je restai muet. Il repris :
— Maintenant tu es à moi. Tu fais partie de ma collection. Fait-toi à ta nouvelle condition. Je compte bien te dresser pour que tu fasses ma distraction.
Sur ces mots, il me laissa là.

Comme on se liquéfie, je repris lentement forme humaine. Je restai immobile, dans la même position, sidéré des heures durant, le regard fixe et les pensées dans le vide. Je ne me souvenais pas avoir entendu parler de collectionneurs de thérianthropes. Mais, l'évidence était là. J'étais tombé entre les pattes d'un chasseur de galipote !

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