Chapitre 9

Arrivé chez lui, Yuji s'écroula comme une masse sur son lit en laissant échapper un long soupir bruyant. Son sac tomba lourdement au sol, tandis que le matelas s'affaissait sous son poids.

« Eh bien, vous semblez exténué, Yuji-sama ! Fit remarquer Romi avec amusement.

— Raah ! J'en ai marre de moi ! Se plaignit le brun en se tournant sur le dos.

Ainsi, on aurait dit un phoque échoué sur une plage. Le visage blasé, il essayait de se détendre. Il retira ses barrettes dans l'espoir que ça l'aide, en vain.

Il était passé par trop d'émotions, ce jour-là : le stress, la surprise, le désir puis le refoulement.

Ce baiser avait changé trop de choses en lui. D'abord, restait-il homophobe ? Une partie de lui l'était, mais ne semblait pas être dérangée par ce baiser.

Passant ses mains sur son visage, il se remit à se plaindre :

— J'en ai marre ! Tout me fait chier !!

Il se remit en position assise, et lâcha :

— Romi-kun ! Viens, on fait une partie d'échec !

— Yuji-sama, votre langage, voyons, gronda gentiment le noiraud. Que dirait votre père s'il était là ?

— On s'en fout de ce vieux schnock !!

À cause de sa vue cachée par sa frange, il ne vit pas ce que le majordome fichait. Mais voyant qu'il ne répondait pas, il écarta quelques mèches de cheveux, et demanda :

— Romi-kun ?

Il vit avec effroi que celui tenait un de ses stylos plumes en cuivre, et qu'une fourrure rose clair commençait à apparaître depuis le capuchon.

— Rends-moi ça, enfoiré ! S'écria-t-il subitement en bondissant sur lui.

Avec un regard amusé, le majordome ne s'arrêta pas et leva sa main pour l'élever en dehors du champ de son jeune maître. Yuji sautillait sur place pour tenter de le rattraper, en vain.

Il finit par abandonner la lutte, et afficha un sourire sadique.

— Tu sais très bien qu'il ne faut pas jouer comme ça avec moi, Romi-kun. »

Sans prévenir, un silence s'imposa dans la tête du majordome. Celui-ci tituba, et buta contre quelque chose derrière lui avant de finir assis sur le fauteuil. Se tenant le crâne d'une main, il maintenait toujours fermement le stylo, continuant son processus étrange. Yuji avait beau tirer sur sa main, l'écarter, la frapper ou même la mordre, voire pire, augmenter l'intensité de son alter, Romi ne daignait lâcher l'objet.

Il avait l'habitude de recevoir l'alter de Sakura Rikimura, la femme du maître des lieux, et la mère de son petit protégé, à chaque fois qu'il prenait sa défense, notamment durant les entraînements où elle utilisait son alter sur lui pour le punir lorsqu'il commettait une faute. 

Romi sursauta soudain lorsqu'il sentit un glaçon se glisser dans son dos. Il se leva immédiatement, ignorant le silence toujours présent dans son être, et se mit à gesticuler de manière loufoque. Yuji, lui, se forçait à ne pas éclater de rire et à rester sérieux, lui tirant toujours le poignet tenant son stylo.

Le noiraud finit par céder, et lâcha l'objet tant convoité en s'écroulant au sol, une main dans son dos pour tenter de retirer le glaçon.

Yuji reprit son bien, l'inspectant sous toutes les coutures pour constater les dégâts. Romi, lui, reprit ses esprits, appréciant à nouveau le bruit environnant.

« Tu te fous de moi, Romi-kun ? Lui fit remarquer le brun. Regarde ce que t'as fait !

— Au moins, tu vas mieux, Yuji-sama, répliqua ce dernier avec un sourire.

C'était vrai : il allait beaucoup mieux.

— Disons que c'était un mal pour un bien, rajouta le majordome non sans masquer son amusement.

Le jeune Rikimura lui lança un regard noir, et répondit :

— Tu te rends compte que t'as massacré un des stylos que j'utilise presque tous les jours ?

— Oui. C'est pour ça que j'ai choisi celui-là. Dis-moi plutôt où as-tu trouvé un glaçon aussi rapidement.

— Une certaine colombe nommée Shiro a eu la gentillesse de m'en chercher un dans la chambre de Miki-nee-san que, je sais, est toujours ouverte quand elle est absente. Enfin, c'est là qu'elle l'a trouvé. Va savoir ce que ma sœur fout avec un glaçon dans sa chambre. »

L'adolescent voulut aider le majordome à retirer cet élément de torture, mais celui-ci avait déjà entièrement fondu ; ainsi, tout le dos de son uniforme était trempé.

Cette fois-ci, Yuji ne put se retenir et se mit à rire à gorge déployée, sous les protestations du noiraud, qui fut contraint de rester presque nu – à vrai dire, même son caleçon était trempé. Surtout que l'un de ses uniformes de rechange passait à la machine en ce moment même, et que les trois autres étaient au pressing, et il ne voulait certainement pas risquer au brun une énième punition.

Après une bonne demi-heure de rire, Yuji se calma, et lui dit à travers la porte de sa salle de bain personnelle :

« Tu peux le dire à mon père, ça ne me dérange pas.

Romi s'était enfermé dedans, de nature très pudique, et s'était assis sur le rebord de la baignoire.

— Tu sais bien que je ne veux pas te causer encore plus de problèmes que tu en ais déjà, Yuji-sama.

— Non, je te dis que ça ira ! J'ai l'habitude !

Le majordome soupira, exaspéré ; c'était à lui de protéger son jeune maître, pas l'inverse.

Une idée lui vint alors à l'esprit, et il déclara alors :

— Yuji-sama, je ne dirais rien à ton père si tu me dis pourquoi tu étais mal.

— Tu ne lâches pas l'affaire, hein ? » Commenta-t-il.

Yuji se laissa glisser contre la porte de sa salle de bain, et ramena ses jambes à lui, caressant le stylo devenu tout doux. Posant sa tête contre le bois, il avoua :

« Tu vois, Yoshino ? Mon ami ? Celui qui a des sentiments pour moi ?

— Oui.

— Il m'a embrassé.

— Oh. Ce n'était pas prévu, je suppose.

— Ouais, c'était pas du tout prévu.

— Qu'avez-vous fait, alors ?

L'adolescent marqua une pause, passa sa main gauche dans ses cheveux, et émit un rictus désolé avant de répondre :

— J'y ai répondu, Romi-kun. Et je ne sais même pas pourquoi j'ai fait ça, mais... j'ai aimé...

Il avait dit ces derniers mots dans un souffle, mais savait pertinemment que son confident l'avait entendu.

— Vous avez dû ressentir beaucoup de choses, aujourd'hui, n'est-ce pas ?

— Tiens ? Tu repasses au vouvoiement, haha ! Mais plus sérieusement, oui, il y a trop de choses qui se sont passées, aujourd'hui.

— Reposez-vous, Yuji-sama, vous l'avez bien mérité.

— Non, je n'ai rien mérité du tout. Yoshino a voulu en parler ensuite, mais j'ai fui comme un lâche.

— Vous n'êtes pas un lâche, Yuji-sama. Vous avez fait ce qui vous semblait être le plus juste. Et honnêtement...

Un déclic se fit entendre, et la porte de la salle de bain s'ouvrit lentement, pour laisser le temps à Yuji de se redresser. Romi apparut, presque entièrement dévêtu, et continua sa phrase laisser en suspens :

— Si vous n'aviez pas fui, comme vous le dites, vous auriez sûrement dit des paroles blessantes, et vous l'aurez regretté par la suite. Je pense que vous avez fait le bon choix, alors, ne vous torturez plus l'esprit avec ça. Repensez-y plus tard, à tête reposée. »

Il aida le brun à se relever, puis lui ordonna gentiment d'aller s'allonger. Il prit une couverture au moins pour se couvrir un minimum, ne souhaitant se balader en caleçon dans la demeure de ses maîtres et aux yeux des autres majordomes. Puis il s'assit sur le rebord du lit de son jeune maître, lui passant sa main dans ses cheveux, sachant très bien qu'il aimait ça.

Et ce fut grâce à ce geste que Yuji plongea dans un sommeil profond.

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