Chapitre 8

Mois de février, dernière année de collège.

Un midi, dans la salle secrète, buvant tranquillement son thé, Yuji traînait sur son téléphone. De son côté, Murasaki, allongé sur le futon à plat ventre, tentait de finir les exercices de mathématiques qu'il avait omis de faire.

La salle était plongée dans le silence. On n'entendait que le bruit du crayon qui grattait sur le cahier.

Yuji recommençait à penser, notamment parce qu'il lisait dans l'esprit de son kohai qui le regardait un peu trop souvent en coin, se trompant même dans ses calculs.

« Quarante-neuf, déclara le plus vieux d'une voix forte, sans quitter son portable des yeux.

— Hein ?! Fit le jeunot, ne comprenant pas.

— Sept fois sept, c'est quarante-neuf. C'est sept fois huit qui est égal à cinquante-six.

— Ah ! Merci. Et évite de lire dans mes pensées, c'est gênant.

— T'es en première année de collège, tu devrais déjà connaître ça, non ?

— Bah... je suis plutôt nul en maths. »

Yuji soupira, puis revint à son activité passionnante sur son téléphone : le poker en ligne. Fin stratège qu'il était, il avait déjà gagné sept parties sur douze. Mais malgré sa concentration sur son jeu, il ne put s'empêcher de lire dans l'esprit du plus jeune, visiblement un tantinet pervers. Et à chaque fois qu'il le surprenait, il repensait aux sentiments de son ami, à son homophobie, à ses réactions si celui-ci lui faisait ses avances...

Mais pour le moment, il devait remettre ce jeunot à sa place.

« Arrête de me mater, veux-tu, lui annonça-t-il d'une voix moqueuse.

— Je... je ne te matais pas ! Se défendit Yoshino, le rouge aux joues.

— Ah bon ? Tu faisais quoi alors, à me fixer comme tu le faisais ?

— Euh... je voulais juste te demander...

Yuji releva son nez du petit écran, et posa ses yeux noisette sur le regard violet de son cadet.

— Tu as déjà été en couple ? » Demanda ce dernier, le regard fuyant.

L'aîné sentit soudainement que le moment qu'il redoutait le plus approchait. Mais il continua à jouer l'ignorant, et répondit, suscitant la surprise et la curiosité de son ami.

« Oui, une fois. Il y a deux ans, j'étais avec une fille pendant un mois, mais c'est elle qui a rompu.

— Pourquoi ?

— Apparemment, je m'intéressais plus à m'avancer sur mes cours qu'à elle. Mais en lisant dans son esprit, j'ai vu qu'elle était jalouse de moi, donc elle a rompu.

— Oh, je vois.

— Mais dis-toi que ce n'est pas du tout l'âge pour avoir une petite amie. Ne prends pas exemple sur moi, et attends au moins le lycée pour en avoir une.

— Ça veut dire que t'as déjà embrassé quelqu'un ?

— Cesse tes questions et travaille, jeune homme.

Murasaki rouspéta, mais reprit quand même ses exercices. Yuji éteignit son téléphone, lassé, et se rapprocha de son kohai pour voir où il en était.

— En plus, t'as presque terminé, ajouta-t-il en constatant son avancée. Grouille-toi de finir, et ensuite, tu pourras me poser toutes les questions que tu veux.

— Mais c'est dur !

— Arrête de te plaindre, et travaille. »

Rikimura songea alors à un moyen pour accélérer le moment où son cadet lui déclarera sa flamme, par stress de ne pas savoir quoi faire ensuite. Il posa sa tête contre le dos de Yoshino, le prenant pour un coussin, et s'installa confortablement.

« Ça va ? Je ne te dérange pas ? Lâcha le fameux coussin d'un ton ironique.

— Pas le moins du monde, merci de t'en inquiéter, répondit-il nonchalamment, indifférent.

— Bouge, senpai, tu me gênes.

— Arrête de bouger, c'est toi qui me gênes. »

Murasaki soupira d'exaspération, mais n'en fut pas moins heureux de ce contact physique. Une fois son exercice fini, de nature blagueur il referma sa trousse et ses cahiers, puis roula sur le côté pour que la tête de son senpai tombe sur le matelas dur. Mais son coup ne fonctionna pas, puisque l'aîné avait lu dans son esprit bien avant qu'il n'agisse.

Le cadet sauta alors sur Yuji, se mettant à califourchon sur lui, et se mit à le chatouiller sans relâche. Pris de fous rires, ce dernier essayait de se dégager sans user de son alter, en vain.

Sans même qu'il ne s'y attende, Rikimura lui fit une prise de karaté, inversant leur position, et Murasaki se retrouva brusquement dos au matelas. Ce fut l'aîné qui recommença la guerre de chatouilles, tous deux partant dans un fou rire incontrôlé.

Lorsqu'ils furent plus calmes, les deux bruns étaient assis côte-à-côte sur le futon et haletaient, faisant de leur mieux pour reprendre leur souffle. Ils tournèrent la tête au même moment, mais constatèrent soudainement que leurs visages étaient proches. Trop proches.

Aucun des deux n'osaient bouger, se perdant dans le regard de l'autre.

Le temps s'était figé. Il n'y avait plus aucun bruit, et ce n'était pas dû à l'alter du plus âgé.

Leur cœur tambourinait dans leur poitrine, le stress augmentait en eux, ne sachant que faire.

Mais quelque chose venait de naître, un désir nouveau.

Il ne devait pas... C'était contre-nature...

Murasaki se rapprocha lentement de Yuji, déglutit, puis posa ses lèvres sur les siennes. Sans réfléchir, ce dernier y répondit, posant même ses mains sur ses épaules.

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Mais après quelques secondes, Yuji les sépara, et lui dit :

« A–attend... Yoshino, on ne peut pas... Mmpf... !!

Il ne put dire un mot de plus que déjà, Murasaki s'attaqua à nouveau à ses lèvres. Passant une main dans les cheveux de son senpai, l'autre dans le dos, il les rapprocha davantage. À tel point qu'ils finirent allongés sur le futon, l'un au-dessus de l'autre. Le plus jeune commençait même à glisser un genou entre les jambes du plus vieux, mais ce dernier l'arrêta et le retourna aussi brutalement que la fois précédente.

Il coupa le baiser, et le regarda. Lentement, il lui dit :

— Yoshino, on ne peut pas faire ça comme ça...

— Mais tu as apprécié, non ?

Yuji se mordit la lèvre, preuve que Murasaki avait raison. Il avait aimé ce baiser. Mais il ne devait pas... Il était homophobe, il ne devait pas...

— Pourquoi on ne peut pas, senpai ?

— C'est simple : j'ai quatorze ans, t'en as douze, ce n'est pas sain et pas correct du tout. Et... on est deux garçons, et...

— On s'en fout de notre sexe ! Et puis, tu étais bien en couple à mon âge, non ?

— Oui mais là, ce n'est pas pareil. Je suis ton aîné, ton senpai, et on ne devrait pas, surtout parce que je suis plus âgé que toi, et...

— Je suis conscient de ce que je fais, et c'est moi qui ai commencé, en plus ! »

Joignant ses mains derrière la nuque de son senpai, Murasaki l'approcha davantage de lui pour goûter encore une fois à ses lèvres sucrées. Yuji luttait, en vain, mais finit par céder. Leurs lèvres se rencontrèrent pour la troisième fois, mais ce ne fut plus un simple baiser : cette fois-ci, leurs langues étaient de la partie, et se caressaient langoureusement.

Rikimura se fit violence pour ne pas laisser ses pulsions le dominer, et arrêta le baiser de force. Il s'assit sur le rebord du futon, passant un doigt sur ses lèvres, et déclara doucement :

« Tout ça va trop vite, Yoshino. On ne peut pas.

Yoshino s'assit à son tour, et répondit :

— C'est vrai que ça va un peu vite. Mais je ne vois pas pourquoi on ne peut pas...

— Ce n'est pas sain ! T'es un garçon ! T'as douze ans ! T'es encore considéré comme non consentant à cet âge !

— Toi aussi, je te signale !

— Moi, ce n'est pas pareil !

— Arrête de dire des conneries, senpai ! Regarde-moi et dis-moi dans les yeux que t'as pas aimé !

Yuji tourna la tête violemment, prêt à lui cracher toute la loi s'il le fallait. Mais il ne put le faire.

Posant la tête sur l'épaule de son cadet, il lui avoua tout bas :

— C'est bien ça le problème : j'ai aimé. Alors que je suis censé être... hétéro.

Murasaki posa une main sur son épaule, et lui dit doucement :

— Tu peux ne pas qu'aimer les filles, tu sais. C'est pas un crime d'aimer aussi les ga...

— Je suis homophobe, Yoshino. »

Yuji se redressa pour voir la réaction de son ami ; celui-ci était véritablement choqué, ne s'attendant pas à cette réponse. Il l'interrogea du regard, et son aîné continua :

« Je savais déjà tes sentiments à mon égard. Je voulais juste attendre que tu te déclares à moi pour que je décline, mais qu'on reste amis. Mais... ça ne s'est pas passé comme je l'espérais.

— Mais tu ne m'as jamais dit que tu étais... homophobe... non, tu ne l'as jamais montré !

— Parce que je considère que ce n'est pas important qu'on le sache de moi. Et... je ne voulais pas te brusquer. Parce ce que t'es le seul ami que j'ai, et je ne voulais pas te perdre à cause de ça...

Yuji serra son avant-bras, regrettant déjà ses paroles. Il releva la tête vers Murasaki, guettant son moindre geste.

Mais contre toute attente, ce dernier affichait un sourire sincère.

— Je comprends, senpai. Ça ne me dérange pas du tout. Et si mes sentiments me permettent au moins qu'on reste amis, alors je n'en suis que plus heureux.

Rikimura l'observa, puis lâcha un soupir soulagé, suivi d'un sourire niais.

— Merci, Yoshino.

Ils restèrent en silence, l'un à côté de l'autre. Yuji était heureux : il n'allait pas perdre un ami pour cause de son homophobie.

— Juste, senpai, es-tu vraiment homophobe ?

Cette question a été posé comme un cheveu sur la soupe. Murasaki voulait savoir en réalité si son senpai ne jouait pas l'hypocrite en restant avec lui. D'ailleurs, son aîné, lisant dans son esprit, savait très bien à quoi il pensait. Mais même lui n'en savait pas plus, à présent ; il n'était plus très sûr de lui.

— Je l'étais, du moins, jusqu'à ce que tu m'embrasses... mais je ne sais plus. Peut-être que je le suis encore, ou peut-être pas, peut-être à moitié ; j'en sais strictement rien. Mais ne parlons plus de ça, et pensons à autre chose... »

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[1 675 mots]

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