Chapitre 18
Mois de juin, première année de lycée.
_ Vous me ferez un exposé pour la semaine prochaine ! Annonça le professeur d'histoire-géographie de sa voix neutre et monotone. Et ce sera en groupe.
Cette dernière phrase avait réveillé toute la classe, chacun observant l'ami qu'il s'est fait en un mois, malgré l'ennui que ce soit un exposé aussi tôt dans l'année.
_ Ce sera par groupe de deux. Mais je choisis les groupes.
Des protestations accompagnés de soupirs ennuyés résonnèrent dans toute la classe. Pour Yuji, ça lui faisait ni chaud, ni froid, tant qu'il tombait sur quelqu'un qui bossait.
_ Votre binôme sera votre voisin de table. Et pas de discussions !
Tous les élèves se tournèrent tous vers leur voisin de table respectif, leur souriant en croisant leur regard.
Yuji, lui, se tourna vers la gauche, croisant le regard de son voisin. C'était un adolescent légèrement dodu, cheveux châtains bien courts et bouclés sur sa tête, yeux bleu foncé, portant de fines lunettes rectangulaires. On aurait dit un otaku à son physique.
Ce dernier tourna vivement la tête dans le sens opposé, côté fenêtre.
« Putain ! Pourquoi c'est moi qui suis tombé sur lui ? J'ai toujours la pire des malchances ! » pensa-t-il, sans se douter une seule seconde que Yuji assistait en direct à son monologue intérieur.
D'ailleurs, son regard s'assombrit, et il baissa la tête en lui disant :
_ On peut travailler séparément, si tu veux. Ça ne me dérange pas.
Le châtain le regarda, étonné.
_ Mais je n'ai rien dit...
_ Tu l'as pensé, ça m'est amplement suffisant. Je comprends que tu refuses de travailler avec moi, alors...
_ Euh... n-non ! Ça ne me dérange pas qu'on travaille ensemble ! Et puis, c'est mieux de bosser ensemble que séparément, tu ne trouves pas ?
Le brun hocha la tête, peu convaincu par son discours.
_ Je sais ! On n'a qu'à aller chez moi, si tu veux !
_ Oui, pourquoi pas.
_ Super !
Il pianota en douce sur son téléphone, mais quelques minutes plus tard, il se tourna à nouveau vers son voisin, et lui dit :
_ Finalement, je ne peux pas chez moi. Je suis désolé.
_ On le fera chez moi, alors, répondit Yuji en rangeant ses affaires. Ce soir, ça te va ?
_ Oui !
La sonnerie retentit, et tout le monde sortit de la salle avec hâte. Yuji rangea ses affaires patiemment, contrairement à son voisin qui avait déjà ses affaires de prêtes.
Il se leva enfin, posant son sac sur le dos, et lui indiqua du regard de le suivre.
Ils marchèrent avec lenteur, l'un à côté de l'autre. Yuji se souvint alors d'une chose, et lui demanda :
_ Excuse-moi, je ne t'avais pas demandé ton nom.
_ Oh, euh, c'est pas grave ! Je m'appelle Fumiaki Kazehaya.
_ Je vois. Rikimura Yuji.
_ Tu inverses toujours l'ordre de ton nom et prénom ?
_ Oui, par habitude.
Et leur conversation n'alla pas plus loin. Ils marchèrent en silence durant une bonne quinzaine de minutes, jusqu'à arriver à la gare de Musutafu.
Ils prirent le premier train venu, et descendirent à Ōta. Continuant de marcher, Fumiaki le suivait sans savoir où ils allaient. Enfin, si, il savait où ils se situaient : dans le quartier Den-en-chōfu, quartier à la fois populaire et riche d'Ōta, à Tokyo.
Et ils étaient en ce moment même du côté riche du quartier.
Le châtain n'avait jamais mis les pieds dans cet endroit destiné qu'au riche peuple, et il était émerveillé face à chaque immense maison qui longeait la route.
Ils arrivèrent devant une grande maison luxueuse, dont Yuji en montait les marches, avant d'ouvrir la porte.
Le sol et les murs brillaient tellement qu'on pouvait y voir son reflet. De magnifiques tableaux ornaient les murs, et un majordome les accueillit avec courtoisie.
Lorsqu'il reposa son regard sur son binôme, Fumiaki le vit arborant une moue insatisfaite.
_ Bonjour, Yuji-sama. Bonjour monsieur.
_ B-bonjour...
_ Bonjour, Yu-kun. Vous ne sauriez pas où est Romi-kun ?
_ Il est dans la cuisine, à encore faire des viennoiseries.
_ D'accord, merci.
Le brun se déchaussa, et passa devant le majordome sans dire un mot. L'invité fit de même, et salua une fois de plus l'homme qui les avait accueilli en un bref signe de tête.
Il suivit distraitement son hôte, mais se cogna contre lui car il venait de s'arrêter en pleine marche.
_ Qu'est-ce qu'il y a ? Lui demanda-t-il.
_ Attends, lui ordonna ce dernier.
Yuji fixa un point invisible, semblant se concentrer sur ce point durant deux minutes, avant de se ressaisir et de reprendre sa route vers l'étage. Fumiaki observa le point qu'il avait fixé, sans comprendre, avant de le suivre.
En rentrant dans la chambre de son hôte, il ne put cesser d'analyser la pièce, aussi immense que possible.
_ Installe-toi et fais comme chez toi, lui dit alors le propriétaire de la chambre en prenant son ordinateur et des cahiers.
Ils s'installèrent en partie sur le bureau, assez grand pour contenir deux personnes. Ils travaillèrent pendant une bonne demi-heure, avant que quelqu'un ne frappe à la porte.
_ Entrez ! Déclara Yuji avec un sourire, comme s'il savait de qui il s'agissait.
Un majordome assez grand rentra dans la pièce.
_ Bien le bonjour, Yuji-sama. Bonjour, monsieur.
_ Salut. Kazehaya, je te présente Romi, mon majordome préféré, on va dire. Romi-kun, voici Kazehaya Fumiaki, un gars avec qui je dois faire un exposé d'histoire.
_ Ravi de vous rencontrer, Fumiaki-sama, salua courtoisement le majordome en s'inclinant.
_ Ah ! Euh, moi de même, Romi-san ! Fit ce dernier en se levant prestement.
_ Du calme, ce n'est qu'un majordome, lui dit Yuji en souriant. Et puis, ce n'est pas n'importe lequel.
Le châtain acquiesça, avant de se rasseoir, un peu honteux. Mais surtout, ne se sentant pas à sa place.
Et c'est lui qui a rendu fou un collège entier ?
_ Que voulez-vous boire, messieurs ? Leur demanda le noiraud.
_ Kazehaya, tu veux quoi ?
_ Oh ! Euh, du thé à la rhubarbe, s'il y en a, s'il vous plaît... sinon, un café au lait me suffit...
_ À la rhubarbe ? C'est bon ?
Fumiaki, un peu surpris par cette question, lui répondit :
_ Oui, surtout avec un peu de sucre. Tu bois quoi, habituellement ?
_ Du thé aux fruits rouges. Avec du miel... Romi-kun, vous pouvez nous faire deux thés à la rhubarbe, s'il vous plaît ?
_ Votre mère doit en avoir. Je m'en vais de ce pas les préparer.
_ Merci.
Et le majordome repartit comme il était venu. Les deux adolescents continuèrent alors leur travail, qu'ils finirent quinze minutes plus tard.
Ils avaient donc décidé de ranger leurs affaires et de se poser sur les fauteuils, parlant simplement. Et Romi revint pile à ce moment-là, avec un plateau de trois tasses de thé fumantes, un pot de sucre, un de miel et une assiette de viennoiseries tout droit sorties du four. En voyant le plateau, les yeux de Fumiaki se mirent à briller, tandis que Yuji se pinçait l'arête du nez en soupirant.
_ Romi-kun, je vous avais déjà dit que les viennoiseries, ça fait grossir.
_ Nous avons un invité, Yuji-sama. Vous n'allez quand même pas le décevoir en lui servant une simple tasse de thé ?
_ Des tuiles aux amandes auraient suffi.
_ Et s'il était allergique aux fruits à coque ?
Les deux se tournèrent vers le principal concerné, qui les observa tour à tour, avant de répondre lentement :
_ Euh... je... ne suis pas allergique aux fruits à coque.
_ Tu vois ? Répliqua le brun au majordome. Ça aurait très bien pu suffire.
Ce dernier soupira, à la fois ennuyé et amusé par la répartie de son jeune maître. Il posa sur la petite table le plateau. Mais il se rendit compte de son tutoiement soudain, et le releva :
_ Yuji-sama, faites attention à votre langage. Nous en sommes en présence d'un invité.
L'adolescent fronça les sourcils sans comprendre, tandis que le concerné les regardait l'un après l'autre, comme s'il regardait un match de tennis.
_ Ah, ça ! Fit le brun en lisant dans l'esprit du majordome. Excusez-moi, c'est l'habitude.
_ De quoi ? Lui demanda Fumiaki, perplexe, prenant un croissant.
_ Comme Romi-kun et moi sommes assez proches, il arrive qu'on se tutoie. Mais c'est naturel pour moi, et je n'y prête pas vraiment attention quand on se parle un peu trop longtemps.
_ Mais les majordomes doivent vouvoyer ses maîtres, mais pas l'inverse, non ?
_ Ça dépend les relations qu'on entretient avec nos majordomes. Mon père se permet de les tutoyer soi-disant par qu'il leur est supérieur, et tout le monde ici le fait. Mais moi, je les vouvoie, par respect mutuel, et par égalité.
Le châtain l'écoutait attentivement, engouffrant son croissant.
Et à l'instant où ses papilles gustatives touchèrent la viennoiserie, ses yeux se mirent à briller, ses pensées virèrent distraitement vers le croissant, et un léger cri de régal sortit inconsciemment du fond de sa gorge. Il était si délecté par ce goût si divin qu'il ne remarqua pas l'amusement du majordome et de son hôte.
_ Oh, pardon, fit-il honteusement, les joues rouges. C'est juste que je n'ai jamais mangé un croissant aussi bon.
_ Vous m'en voyez ravi, Fumiaki-sama, remercia le noiraud. Votre compliment me va droit au cœur.
_ P-pas de soucis... sinon, Rikimura-san, tu as dit que tu traitais les majordomes par égalité ?
_ Pourquoi je ne devrais pas, dis-moi ?
La question lui était retournée si facilement. Pris au dépourvu, Kazehaya se mit à réfléchir, usant de toute sa réflexion pour ne pas lui répondre de bêtises. Mais un rire le fit sortir de ses pensées, et il vit Rikimura pouffer en reposant sa tasse.
_ C'était une question piège. J'ai pas pu m'en empêcher, désolé.
_ Ah... d'accord...
_ Mais pour répondre à ta question, c'est que, qui qu'on soit, ce n'est pas notre poste ou notre situation qui définit notre place dans le monde humainement parlant. C'est bien pour ça que je vouvoie les majordomes ; je ne vois pas en quoi leur statut définirait leur position sociale et humaine.
Bouche bée, Fumiaki ne sut quoi répondre.
Il ne pensait pas le jeune Rikimura aussi gentil et humain. Et dire que c'est lui qui a rendu fou un collège entier...
Il se contenta alors d'acquiescer, avant de reporter son attention au croissant et à son thé.
Les rumeurs sur cet incident seraient donc infondées ? Il était impossible qu'un adolescent aussi mature pour son âge pense ainsi, et tente de commettre un acte similaire à un meurtre un jour.
_ Les rumeurs sont vraies, Kazehaya, lui déclara Yuji en fixant son breuvage.
Le châtain l'observa, se demandant comment il avait pu deviner à quoi il pensait.
_ C'est mon deuxième alter, lui répondit-il machinalement. On ne peut pratiquement rien me cacher.
_ C'est un peu...
_ Flippant, je sais.
Un silence malaisant s'était installé entre eux deux. Romi vint alors au secours de leur invité, et lui demanda :
_ Fumiaki-sama, quel est donc votre alter ?
Ce dernier l'observa, voyant du coin de l'œil Yuji remerciait son majordome intérieurement.
_ Le vent. Je peux contrôler le vent en général, mais que sur une distance assez courte et un temps assez limité.
_ Est-ce que tu l'entraînes, parfois ?
C'était Yuji qui lui avait posé cette question. Car il avait déjà des perspectives quant aux capacités de son alter.
_ Non. Je ne peux pas vraiment m'entraîner, vu que j'habite en appartement. Et il n'y a pas de lieu pour que je puisse le faire sans causer des dégâts.
_ C'est dommage. Tu peux faire beaucoup de choses avec un alter de vent...
Un nouveau silence, cette fois-ci confus, prit place dans la chambre. Fumiaki l'interrogea du regard, auquel Yuji répondit :
_ Par exemple, tu peux créer des tornades - des minis, de préférence, pour éviter les dégâts. Tu pourrais aussi porter des objets en usant de la gravité, et réussir à les soulever plus ou moins facilement en fonction de leur poids. Et pourquoi pas aussi t'en servir de bouclier, pour parer les attaques de tes ennemis. Et aussi en tant qu'arme, tu pourrais le contenir en une forme semblable à un bâton, et comme ce serait un amas de vent, ça pourrait couper n'importe quoi juste en le touchant...
_ Attends, attends ! T'as pensé à tout ça juste en quelques minutes ?!
_ Oui, pourquoi ?
Le brun regardait à présent le châtain comme si ce qu'il venait de faire était totalement normal et naturel.
_ Il a tendance à trop s'emporter quand on parle de science, lui déclara Romi avec un sourire.
_ Romi-kun, tais-toi ! Lui ordonna ce dernier en rougissant.
_ Sur ce, je dois vous laisser, et accueillir votre frère.
Il s'inclina, puis sortit de la pièce. Yuji soupira, légèrement ennuyé que cet homme qui le connaissait trop bien avait dévoilé à une personne qu'il venait à peine de rencontrer une facette de lui.
_ Tu t'y connais vraiment bien pour trouver des capacités ! Lui fit remarquer Fumiaki, émerveillé.
_ Disons que j'ai l'habitude de réfléchir aux possibilités d'une capacité.
_ Ton alter, par exemple, il peut faire quoi d'autre ?
_ Lequel ?
_ Euh... celui de télépathie ?
_ Ma Lecture d'esprit ? Ce n'est pas que de la télépathie. Je lis dans l'esprit des gens ; je connais leur pensées, leurs sentiments, leurs émotions, etc. Et pour le moment, je ne peux que communiquer par télépathie, comme tu dis. Ou bien m'en servir comme radar humain. Sinon, je ne sais pas encore ce que je peux faire en totalité, honnêtement.
_ Je vois. Et ton autre alter ?
Yuji frémit en entendant cette phrase, et déclara :
_ Le Silence absolu me permet simplement d'imposer le silence sur une surface visée. Comme une zone prédéfinie, ou bien une ou des personnes en particulier. Et une des particularités propres à moi est que plus j'utilise mon alter longtemps, plus son intensité augmente. C'est tout.
Fumiaki remarqua alors qu'il semblait avoir du mal à parler de cet alter. Alors, c'était celui-ci qui avait provoqué le début de ces rumeurs.
_ Ce n'est qu'un alter qui ne sert qu'à faire souffrir les autres.
Encore un silence, puis Yuji lui demanda avec appréhension :
_ Demain, est-ce que tu me diras bonjour normalement, ou tu vas m'ignorer pour ne pas passer pour un vilain auprès des autres ?
Le châtain écarquilla les yeux, se demandant pourquoi il lui posait une telle question.
_ Je n'aime pas les hypocrites. Dis-moi maintenant si tu veux qu'on ne reste que de simples binômes et voisins de table.
_ Euh... je... honnêtement, je ne sais pas. J'ai l'habitude d'agir sur le tas, et de ne jamais prévoir les choses...
_ Je vois. Merci d'avoir été honnête.
Il agirait sur le tas, hein...
De toute façon, vu sa réputation, Yuji pouvait toujours espérer qu'il ne l'ignore pas le lendemain.
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