Chapitre 17

Mangeant avec inattention sa barre chocolatée, Yuji regardait distraitement l'horizon, accoudé à la rambarde. L'air était frais mais doux, et ses cheveux volaient au gré du vent.

Il avait écouté les conseils de sa professeure, et avait mis du gel pour remplacer ses barrettes rouges habituelles. Mais il continuait tout de même ses recherches pour trouver une bonne marque de gel qui n'abîmerait pas ses cheveux à chaque utilisation.

La forêt s'étendait à perte de vue devant ses yeux. Au loin, on pouvait distinguer quelques habitations. Avec lenteur, il posa son menton sur sa main droite, pensif. 

Deux personnes ne semblaient pas dégoûtées de lui : Fuyuka Sumire, son professeure principale, et Leyla Dift, l'une des plus belles filles du lycée. C'était une bonne chose, déjà. Avec un peu de chance, il pourrait à nouveau tenter de converser normalement avec l'afro-américaine, et même devenir amis, qui sait. 

Il sentit quelqu'un venir dans sa direction, se demandant qui ça pouvait bien être. L'avantage de sa Lecture d'esprit, c'est que cet alter agissait comme un radar humain ; il lisait par défaut dans l'esprit des gens, donc naturellement, il pouvait savoir où ils se situaient. Il devait plus se concentrer pour ne pas céder à la curiosité, et fouiller bien plus loin dans l'esprit de tel ou telle personne. 

Soudain, la porte menant au toit s'ouvrit avec fracas. Un adolescent hurla alors : 

_ Trouvé-... Aaahhhh !!

Il s'écroula immédiatement au sol, se tenant les oreilles. D'un coup de main, Yuji désactiva son alter et s'approcha de lui, prenant le temps de l'analyser. 

C'était un jeune homme aux cheveux ocre plutôt ébouriffés, aux yeux orange abricot, visiblement de grande taille, et ce rictus collé aux lèvres que Yuji reconnut facilement. 

_ Ton alter est effrayant, mec ! Fit-il en se mettant en position assise. 

_ Je sais. 

_ C'est donc toi, Rikimura ! 

_ Et toi, t'es Strauss, je suppose. 

Le dénommé Strauss resta bouche bée, et lui dit : 

_ Attends, tu l'as lu dans mon esprit ?

_ Non, ça se voit à ta gueule, répondit-il en lui tendant la main pour l'aider. Tu es la copie conforme de ton père. 

Une fois debout, Yuji remarqua que cet énergumène le dépassait d'au moins dix centimètres. Il soupira, et porta sa barre chocolatée à la bouche pour en prendre une bouchée, avant de demander :

_ Donc, qu'est-ce que tu me voulais ? 

_ Te connaître, faire ami-ami avec toi, tu vois l'genre, quoi ! 

Le brun fronça les sourcils, et lui dit : 

_ Tu connais ma réputation ici, non ? Il vaut mieux que tu traînes avec d'autres gens que moi, ou t'auras pas mal d'ennuis. 

_ J'vais te dire un truc, moustique.

« Moustique ? » pensa Rikimura en le jugeant de haut en bas. 

_ Je t'ai cherché depuis la rentrée, et j'ai l'impression que tu me fuyais ! 

_ Je fuyais les autres, pas que toi. 

_ Bref, maintenant que je t'ai trouvé, j'te quitte plus des yeux ! 

Yuji le toisa étrangement, puis soupira en lâchant : 

_ D'abord gamin, maintenant moustique, hein ? 

_ Désolé, c'est une habitude chez nous de nommer les gens selon leur taille ou leur âge ! 

S'adossant contre la rambarde, Yuji lui demanda alors : 

_ Mais comment ça se fait que je ne t'ai pas vu depuis ? 

_ J'ai foiré l'examen d'entrée, donc j'ai atterri en 1-C, en générale. Mais je compte bien me surpasser au championnat sportif de Yuei !

_ Ah bon ? Il y a un championnat ? 

_ Quoi ?! Tu viens à Yuei sans même connaître les événements qui s'y passent ? 

_ Je ne voulais pas entrer à Yuei. Ce sont mes parents qui m'ont forcé, et sur recommandation en plus. 

_ Ah oui... Mon père m'a expliqué un peu...

Le brun approcha à nouveau sa barre de sa bouche, mais à quelques centimètres de celle-ci, celui aux cheveux ocre planta ses dents dans le bâton de chocolat déjà entamé, le tira de son emballage, et engloutit le tout en mâchant avec appétit, un sourire satisfait aux lèvres. 

_ Putain ! Enfoiré ! S'énerva le plus petit des deux en serrant l'emballage vide. T'as intérêt à me la payer ! 

_ Elle est bonne, cette barre ! Fit-il, ignorant complètement Yuji. C'est quelle marque ?

« Ce connard se fout de moi ? Très bien, on va jouer, si c'est comme ça... »

Activant son alter de silence, il fixa avec un sourire sadique cet idiot qui venait de lui voler sa gourmandise sous ses yeux. Mais son sourire s'effaça en voyant qu'ils se fixaient dans les yeux. Il lut en même temps dans l'esprit du plus grand, et se rendit compte qu'il répétait dans sa tête en boucle « Excite-toi... excite-toi... » malgré ses tremblements dû au silence complet dans son être. 

Yuji sentit alors une vague de chaleur l'envahir, et se sentit de plus en plus à l'étroit dans son pantalon. Un rictus victorieux apparut sur le visage de Strauss, qui continuait de le fixer. 

« Ne crie pas victoire trop vite, Strauss » pensa Rikimura. 

« Vraiment ? On va voir qui va perdre en premier, alors, moustique ! » répondit ce dernier par la pensée, ce qui surprit le brun. 

« Je ne suis pas du genre à perdre, sache-le. »

« Et moi donc ! »

Se fixant toujours, leur alter actif, les deux adolescents s'écroulèrent au sol sans se quitter du regard. L'un passait sa main sur son crâne, se sentant engloutir par la folie, tandis que l'autre se faisait violence pour ne pas se masturber devant sa victime et son ravisseur, se sentant sombrer dans la luxure. Tous deux haletaient pour une raison opposée, n'en pouvant plus, mais aucun des deux ne cédèrent. Ils étaient conscients que s'ils se faisaient prendre ainsi, ils auraient de gros problèmes. Mais ils s'en moquaient ; ce serait à celui qui abandonnera qui perdra. 

Après deux minutes de lutte, ce fut Strauss qui brisa en premier le contact visuel, se tenant le crâne à deux mains en gémissant. Enfin libéré de son alter, Yuji souffla et désactiva le sien. Il tentait de se calmer, en vain. 

En rencontrant les yeux orangés du plus grand, Rikimura lâcha un rictus, et annonça : 

_ J'ai gagné... 

_ Mouais, juste pour cette fois, moustique ! 

_ T'es mauvais perdant, en fait. 

_ Tais-toi. 

_ Maintenant, aide-moi à me calmer, Strauss. 

Ce dernier releva la tête en le fixant d'un air blasé, et lâcha dans le plus grand des calmes : 

_ Tu veux que j'te branle ?

_ Non, répondit spontanément le brun. Je...

_ Que j'te suce, alors ? Continua-t-il avec un sourire à la fois pervers et amusé.

_ Mais non ! Je me suis mal exprimé... Utilise ton alter pour me calmer, idiot !

« Faut croire que c'est de famille, cette façon de provoquer les gens... » pensa Yuji, désespéré. 

_ Ouais, c'est d'famille, désolé ! 

Le temps qu'il se calme, Yuji repensa alors à la volonté de son nouvel ami de devenir héros. 

_ Dis, Strauss...

_ Tu peux m'appeler Mika, ça me va. M'appeler par mon nom est trop long, selon les japans, et encore plus long si on m'appelle par mon prénom complet. Donc appelle-moi Mika, moustique. 

_ Si tu veux, mais arrête de m'appeler moustique, St... Mika-kun. 

_ Et retire le kun, c'est moche. 

_ Désolé de te le rappeler, mais au Japon, on n'appelle pas quelqu'un qu'on vient à peine de rencontrer par son prénom. C'est impoli, et une atteinte à la vie privée. 

_ Je sais ! C'est pour ça que j'te demande de m'appeler un diminutif de mon prénom sans suffixe. Et comme ça, je ferais pareil pour toi !

_ Y a pas moyen ! Ça sera Strauss, un point, c'est tout !

_ Bon, je t'appellerai Yuji le moustique ! 

_ Dans tes rêves ! Mmh~...

Une bouffée de chaleur emplit à nouveau le corps de Yuji, qui venait juste de se calmer. Et pour ne rien arranger, Mikael venait de poser sa main sur sa cuisse, la frottant avec le pouce d'une manière sensuelle. 

_ Appelle-moi Mika, et j'arrête, lui ordonna-t-il sévèrement. 

_ Mmh... pas question... ah...

_ T'as pas d'chance ! Je suis gay, et t'es mon genre, donc je pourrais facilement faire ça...

Lentement, Mikael remonta sa main en direction de l'érection de son ami, avec une lueur d'intérêt dans le regard. Yuji arrêta fermement cette main baladeuse, et lâcha : 

_ Okay, je cède, M-Mi... Mika...

Un sourire s'étendit sur la face de cet idiot, et il calma Yuji avec son alter, s'étirant au passage. 

_ Tu vois quand tu veux, moustique ! 

Le brun grogna, refusant de répondre à sa provocation. 

« Alors, comme ça, t'es gay. » Lui dit-il, ayant la flemme d'user de ses cordes vocales pour parler. 

« Ouais. Et toi ? »

« Hétéro, normalement... »

« Comment ça, normalement ? »

« J'en sais rien ! J'ai embrassé un mec au collège, et depuis, je me pose des questions. Et puis, pourquoi on parle de ça, alors qu'on vient à peine de se connaître ? »

« Ah ! Je vois ! Et c'est justement pour apprendre à se connaître qu'on parle de ça, abruti ! »

Ils arrêtèrent de penser pendant un instant, avant que Mikael ne lui demande : 

_ T'as déjà été attiré par les meufs ? 

_ Oui. Je suis déjà sorti avec une fille au collège, mais on a rompu. Enfin, elle a rompu. 

_ Et aujourd'hui, t'es attiré par une meuf en particulier ? 

Yuji réfléchit un instant, et l'image de Leyla apparut dans son esprit. 

_ Ah ! Je vois très bien, alors ! Fit Mikael. Mais t'es attiré par son corps ? Ou autre chose ? 

_ Non, c'est beaucoup plus profond... La seule fois où on a parlé, ce n'est pas que sa beauté qui m'a frappé, mais aussi son sourire, son caractère, sa générosité...

_ En bref, t'es en crush total sur elle ! 

_ Si tu pouvais parler dans un langage plus soutenu, ce serait parfait. Mais je pense qu'il est encore trop tôt pour affirmer que je suis amoureux d'elle. Donc, oui, je suis simplement en crush sur elle, comme tu dis. 

_ Sinon, t'es attiré par des mecs, aussi ? 

_ Une fois, j'ai été attiré par mon kohai, au collège...

_ Beuah ! C'est glauque ! Se moqua-t-il en éclatant de rire. 

_ Ta gueule ! Donc, je disais, on s'est embrassé une fois, et je peux t'assurer que j'ai adoré. 

_ Je pense que t'es bi. 

Un silence plana sur eux, avant que Yuji répéta sans comprendre : 

_ Je suis bi ? 

_ Bisexuel. Ça veut dire que t'es attiré autant par les mecs que par les meufs. 

_ Mais c'est... 

Il se tut avant même de dire une connerie qu'il pourrait regretter. 

_ C'est ? Demanda Strauss, curieux de vouloir connaître la fin de sa phrase. 

Rikimura reporta son regard devant lui, et pensa :

« Je ne sais même pas quoi en penser... Dire des propos homophobes devant un gay, alors que je viens d'apprendre que je suis bi, ce serait juste m'attirer encore plus d'ennuis que j'ai déjà. En plus, ça ne fait qu'empirer ma situation... »

_ Pour info, je te rappelle que je peux encore lire dans tes pensées, rappela Mikael. 

_ J'en suis conscient, ne t'en fais pas, assura Yuji en passant sa main dans ses cheveux. 

_ Je suppose que t'es fermé d'esprit, c'est pour ça que tu t'es arrêté dans tes propos. 

_ Ouais, c'est sûrement ça. Déjà que je suis homophobe et que je n'arrive même pas à accepter ça moi-même, alors le dire à mes parents...

_ Tu t'en fous, tu leur dis rien ! Et tu vas finir par l'accepter, ne t'en fais pas. Et pour ton homophobie, elle disparaîtra progressivement.

_ Désolé... Je ne voulais pas paraître aussi... 

_ T'inquiète ! J'ai l'habitude des propos homophobes ! Surtout quand j'ai fréquenté des mecs au collège ! 

_ Et tes parents ? 

_ Ils ont accepté tous les deux ! T'imagine pas mon daron quand j'lui ai dis que je passais la nuit avec l'un de mes ex ! Il me faisait que des blagues de cul durant toute la journée, du style « Si tu reviens en boitant, je te renvoie chez lui pour lui défoncer le cul ! ». Mon frère n'arrêtait pas de me faire des blagues salaces, et j'te parle même pas de ma mère ! 

« Je t'envie... » 

_ Quelle chance ! Soupira Yuji. Mes parents me défonceraient immédiatement, c'est sûr ! 

_ Ne leur dis rien. Mais dans tous les cas, tu ne peux qu'accepter ta bisexualité. Tu ne peux pas contrôler ça, malheureusement. 

La sonnerie retentit enfin, sonnant la fin de la récréation. Ils se levèrent en même temps, et se rendirent dans leur salle respective côte-à-côte, continuant à discuter jusqu'à leur séparation. 

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