Chapitre 11

Assis dans une salle fermée face à une table, Yuji attendait patiemment. Ses mains étaient jointes, menottées, et des bracelets gris accompagnaient le tout.

Il tourna la tête vers la vitre : il ne pouvait voir que son reflet : celui d'un jeune garçon pubère aux allures de voyou, ses cheveux tenant toujours en place grâce à ses barrettes rouges.

Que se passait-il de l'autre côté de la vitre ? Il ne le savait, et il ne voulait pas le savoir.

Il soupira pour la énième fois, ennuyé. 

Enfin, la porte de métal s'ouvrit. Il se redressa bien vite, une lueur d'intérêt dans les yeux. 

Une femme brune et un homme aux cheveux ocre de grande taille s'engouffrèrent dans la pièce, et s'assirent face à lui, l'une posant et ouvrant des chemises et des pochettes remplies de feuilles, l'autre toisant étrangement le brun. 

« Bonjour, jeune homme, fit la femme d'une voix professionnelle. Je suis la commandante en chef Minami Ayano, et voici Keith Strauss, inspecteur de police en charge des enfants mineurs. 

« Strauss ? Comme l'écrivain français Levi-Strauss, qui a écrit l'Anthropologie structurale ?  Ou même comme la marque de Levi's, de Levi Strauss & Co ? » pensa inutilement Yuji. 

— Ouais. Ça s'écrit pareil, mais on est pas d'la même famille. Tu me sembles bien cultivé, gamin !

Le jeune adolescent sursauta et se retourna, choqué. Le dénommé Strauss se situait derrière lui, penché en avant, alors que, quelque secondes auparavant, il s'était installé en face de lui. 

« Qu... Il est trop rapide ! Je ne l'ai même pas vu arriver ! »

L'homme lui lança un regard amusé suivi d'un sourire étrange, avant de se rasseoir à sa place. 

— Vous êtes bien Yuji Rikimura ? Demanda la femme, ignorant le comportement de son collègue. 

— Oui, répondit-il. Puis-je vous poser une question avant de commencer l'interrogatoire ? 

— Quelle est-elle ? 

Tournant les yeux vers l'homme, il lui demanda : 

— Est-ce que vous possédez un alter du style télépathique, monsieur Strauss ? 

— Tiens ? Tu es perspicace ! Avoua-t-il avec un sourire cachant sa modestie, ne laissant pas le temps à sa collègue de répondre.

— Je vois, merci. On peut commencer. »

« Va falloir que je fasse attention à ce que je pense. Quoique, de toute façon, je vais faire comme prévu : dire la vérité... » songea le brun en se mettant confortablement dans sa chaise de métal. 

Ayano se mit à lui poser diverses questions concernant l'incident, auquel Yuji y répondait le plus franchement possible. Mais sentir le regard de Strauss le dérangeait pas mal, surtout que, privé de ses alters, il ne pouvait pas savoir à quoi il pouvait penser. 

« Je vais vous passer l'enregistrement de l'appel qui nous a été passé quelques minutes avant l'incident, déclara la policière en allumant un dictaphone. »

Enclenchant le bouton play, l'enregistrement de l'appel démarra : 

« Commissariat de Shinagawa, bonjour, que puis-je faire pour vous ? 

— Je m'appelle Rikimura Yuji, j'ai quatorze ans, et je me situe actuellement devant mon collège, le collège Natsuma. 

— Euh... oui ? Et donc ?

— Je vais... je ne vais pas commettre de meurtre, peut-être que certaines personnes mourront d'eux-mêmes. Mais je compte rendre folles au sens propre toutes les personnes situées dans l'établissement sans exception. Envoyez des hommes m'arrêter maintenant, avant que je ne perde sérieusement le contrôle. Je vous remercie d'avance, et m'excuse pour la gêne occasionnée. »

Ayano arrêta là l'extrait, puis demanda : 

« Est-ce bien vous qui avez passé l'appel ? 

— Oui. 

— Pourquoi ? 

— Pour minimiser les dégâts, probablement. 

La femme se redressa, puis soupira, avant de lâcher : 

— Vous n'avez rien nié, et vous avez avoué que tout ça était totalement volontaire de votre part. Bon, je pense avoir fini. Avez-vous des questions, Strauss ? 

Ce dernier grommela quelque chose d'incompréhensible, puis répondit d'une voix grave : 

— Ouais, j'en ai pas mal. Mais j'aimerais que tu sortes, s'il te plaît.

— Vous savez que tout est entendu et enregistré par vos collègues à côté ? 

— Je m'en contrefous, tant que tu m'laisses seul avec le gamin dans cette pièce. »

La jeune femme grogna, puis prit une partit des dossiers avant de saluer Yuji et de s'en aller, marquant son mécontentement de s'être faite jeter dehors ainsi en claquant la porte. L'homme recula sa chaise, se balançant dessus par la suite, et sortit de sa poche une cigarette qu'il alluma et se mit à fumer. L'adolescent le fixait, mal à l'aise d'être aussi vulnérable face à une personne possédant un alter similaire au sien. 

« Bon, écoute-moi bien gamin, déclara l'inspecteur en laissant sa chaise retomber lourdement au sol. J'en ai déjà côtoyé plein, des gosses dans ton genre, mais c'est bien la première fois que j'en vois un qui appelle les keufs avant d'agir. Pourquoi ? 

Yuji fronça les sourcils sous son langage grossier, puis se redressa en répondant : 

— C'est simple : j'étais, et je suis conscient que ce que j'ai fait est mal. 

— Alors pourquoi tu l'as fait ? 

— Des élèves ont tabassé ce mendiant alors qu'il ne leur avait rien demandé. Le personnel se moquait totalement de ce qu'il pouvait bien se passer, et le proviseur m'a dit que tout ce qui se déroulait en dehors de l'établissement n'était pas son problème. Je n'ai fait qu'agir pour empêcher ce monde de faire grandir ne serait-ce qu'un minimum de connards sans cervelle ne pensant qu'à leur fric et à écraser les plus faibles qu'eux. 

— Au lieu de faire ça, tu aurais pu prévenir la police, non ? 

— Je l'ai déjà fait, il y a deux ans : ma plainte est restée sans suite, car personne ne s'en était occupé. Je le sais puisque mon alter est similaire au vôtre, et qu'en revenant au commissariat, on m'a dit que des personnes étaient dessus, mais dans leur tête, ils voulaient juste que je me casse pour qu'ils profitent de leur pause. 

— T'es vraiment pas normal ! Un ado de ton âge, ça pense qu'à bouffer, dormir, se rebeller contre ses parents, sortir en soirée et baiser tout c'qui bouge ! 

— Rassurez-vous, j'ai déjà accompli une bonne partie de tout ça. Sauf les deux derniers. 

L'homme prit une bouffée de sa cigarette, puis se leva, commençant à tourner autour de la table, et annonça : 

— Tu devras consulter un psy. 

Psy ? Psychologue ou psychiatre ? 

— Quand on parle de consulter un psy, à ton avis, on pense à quoi en premier ? 

— Alors, je n'en ai pas besoin. Je ne suis pas fou, loin de là. Sinon, ça aurait fait déjà longtemps que mes parents seraient morts. 

— Désolé, mais c'est la procédure. Apparemment, t'as apprécié de les faire souffrir, les pauvres. 

— Oui, j'ai apprécié, mais c'étaient des personnes qui le méritaient ! 

— Personne ne mérite de subir ça, gamin. Pas même les plus grands vilains de l'histoire. 

— Qu'est-ce que vous ne comprenez pas là-dedans ?! Des gosses de riches ont commis un meurtre par violence aggravée sur un SDF, et vous ne voyez pas le problème ?! 

Yuji regretta soudain de s'être emporté de la sorte. Strauss le prit violemment par le col et lui hurla : 

— Baisse d'un ton, sale gosse ! J'te rappelle que t'es en interrogatoire, puis tu s'ras en détention provisoire, et que t'auras bientôt un procès au cul parce que tous ceux que t'as fait souffrir ont porté plainte contre toi pour tentative de meurtre, violence aggravée et utilisation illégale d'alter ! Tu n'es pas en position de me parler ainsi ! »

Il jeta presque le brun contre sa chaise, qui failli basculer sous son poids. Strauss se retourna en portant son bâton de nicotine à la bouche, histoire de se calmer un peu. Rikimura, lui, avait la tête baissée, tentant de reprendre contenance. 

Il venait de perdre son sang-froid, ce n'était pas bon du tout. Sans sa Lecture d'esprit, il était aussi vulnérable qu'un sans-alter. 

Jamais il n'avait perdu son sang-froid aussi vite. Pourquoi ça lui était arrivé ?

En y réfléchissant, la seule cause possible était cet homme : l'inspecteur Keith Strauss.

Bon, maintenant qu'il avait trouvé la cause, il devait en trouver la raison. Une raison quelconque pour que cet homme lui ait fait perdre son sang-froid...

Le sujet de conversation tourné autour de l'incident ? Ça jouait dessus, donc probablement. 

L'intimidation ? Peut-être que c'était ça. En même temps, ce n'est pas tous les jours qu'on voit un homme inconnu apparaître derrière soi comme par magie en guise de salutation. 

D'ailleurs, ça pouvait bien servir de changement de sujet idéal pour qu'il puisse remettre ses idées en place. 

« Monsieur Strauss, fit-il avec une voix assez déterminée. 

— Je sais très bien c'que tu as en tête, gamin, lui dit-il en se retournant pour lui faire face. Mais je vais rentrer dans ton jeu uniquement pour voir ta façon de penser. 

« Enfoiré... » ne put s'empêcher de songer le brun tout en gardant un air neutre et froid. 

L'homme s'arrêta dans sa marche, et se rapprocha à nouveau de lui. 

— Au lieu de m'insulter, parle donc, gamin. J'veux savoir comment tu fonctionnes dans ta p'tite tête.

Il s'assit sur la table avec disgrâce, et l'incita du regard à parler. Yuji se reprit, et demanda : 

— Est-ce que vous êtes mobilisé sur le terrain lors d'une mission ? Concernant un vilain, ou autre, par exemple.

— Il m'arrive de l'être, oui. Pourquoi ? 

— Vous êtes plutôt rapide pour un homme de votre carrure. Et je ne pense pas que vous possédez un alter de type renforcement ou je ne sais quoi. 

Un rictus apparut sur les lèvres de Strauss, et il déclara : 

— Tu m'plais bien, gamin ! T'as tapé dans le mille. J'ai fait mon lycée à Shiketsu, et c'est là-bas que j'ai appris à me battre, et à être aussi rapide. Et forcément, avec ma licence de héros en poche, j'peux participer à tous les opérations à ma guise !

— Je vois...

Yuji ne l'avait écouter qu'à moitié, faisant le vide dans son esprit. Mais il comprit une chose : il n'arrivait pas à se séparer de son stress et de sa peur, de gré ou de force. Il sentait toujours cette boule dans la gorge qui le forçait à parler de manière craintive et obéissante, et ce nœud dans l'estomac qui l'empêchait d'être aussi assuré que d'habitude. 

C'était l'œuvre de l'alter de l'inspecteur, il en était certain. 

— Putain ! T'es vraiment trop perspicace, gamin ! 

Entendre à nouveau la voix de Strauss le fit sortir de ses pensées, et il releva le regard vers lui sans grande conviction. 

— Vous pouvez aussi modifier l'humeur des gens ? Demanda lentement le brun, comme pour être sûr que sa théorie était vraie. 

— Exact. J'ai passé quatre ans à apprendre cette technique, j'te dis pas la galère que j'ai eu pour y arriver !

Yuji hocha la tête en guise d'approbation. Son père lui avait déjà parlé de quelque chose de similaire lors d'une de ses leçons. Peut-être qu'avec de l'entraînement, il pourrait y arriver. 

Sentant une fois de plus le regard insistant de l'inspecteur, le jeune garçon releva la tête. L'homme aux cheveux ocre le regardait, avec un étrange sourire aux lèvres. 

— Quoi ? Fit le brun en sentant cette fois-ci la colère gronder en lui. 

— Rien, je ne fais que te regarder. Et ne t'ai-je pas déjà dit de baisser d'un ton, sale morveux ? 

Yuji s'apprêtait à répondre, mais soudain pris d'une pulsion venant de son subconscient, il frappa violemment sa tête contre la table en fer. Strauss sursauta, tout comme les personnes situées de l'autre côté de la vitre. 

— Oï, tu fous quoi, gamin ?! 

Rikimura releva lentement la tête : du sang en coulait, il s'était probablement ouvert le crâne. Mais avec un regard glacial, il fixa l'homme qui lui prêtait joyeusement compagnie, et déclara calmement avec un sourire malicieux : 

— Il faut juste un petit coup pour que je ne sois plus sous votre emprise, il semblerait. »

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