26 - 𝐏our passer à autre chose

à l'heure et sans stress yeah ☆
comment allez-vous ? j'espère que tout va bien dans votre entourage, et que vous arrivez à gérer vos vies malgré les situations peut-être un peu compliquées.
dans tous les cas, je pense que vous êtes nombreux à être en vacances, alors profitez-en pour vous reposer ;)

à deux jours près, j'aurais posté ce chapitre pour l'anniversaire de ARE (et de reya_san), quel dommage- je me contenterai d'une story :')

sinon, je vous remercie pour toutes ces beaux chiffres qui célèbrent le premier anniversaire de ARE : 14K de vues, 6.9K de commentaires, et toujours beaucoup beaucoup d'activité dessus, merciii ❤
j'ai un rapport conflictuel avec cette histoire, mais je suis ravie qu'elle continue de vous plaire !

je vous retrouve le 31 octobre (pour halloween 🧡), bonne lecture !

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𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐕𝐢𝐧𝐠𝐭-𝐬𝐢𝐱 - 𝐏𝐨𝐮𝐫 𝐩𝐚𝐬𝐬𝐞𝐫 𝐚̀ 𝐚𝐮𝐭𝐫𝐞 𝐜𝐡𝐨𝐬𝐞

Le jeune homme laissa échapper un soupir devant l'aspect rébarbatif des documents qu'il avait devant lui. Des tonnes et des tonnes de dossiers à classer, à trier, à ordonner : tous ces mots étaient des synonymes mais son supérieur indirect les avait tous prononcés comme s'ils étaient des tâches différentes, ce qu'il trouvait complètement stupide.

Il lut brièvement le premier sur la pile ― enfin, seulement la première page, le reste lui serait inutile pour le ranger sur l'étagère ― avant de soupirer une nouvelle fois. Il comprenait pourquoi ses deux collègues un peu plus âgés lui avaient souhaité bonne chance en apprenant sa mutation provisoire aux archives. C'était la tâche la plus épuisante d'ennui qu'il avait jamais accomplie !

Il repoussa donc sa chaise et se dirigea vers une plus petite étagère moins remplie, de dossiers parfaitement classés. Ceux de tous les inspecteurs qui avaient travaillé ici. Il n'y en avait pas tant que ça, leur Bureau des Enquêtes Criminelles n'était pas si vieux et la plupart des inspecteurs étaient ici depuis la fondation du bureau, il y avait peu de sang neuf actuellement. Ces dossiers étaient peu intéressants aux yeux du jeune homme... même si l'un d'entre eux attira son regard. Celui de son mentor.

Il resta un peu hésitant devant. Pouvait-il le consulter ? En théorie oui, et il n'était pas du genre à se gêner pour faire des indiscrétions, mais une part de lui était malgré tout réticente à l'idée de le lire. Il finit par repousser ses questions et poser une main sur la tranche du dossier... mais une voix retentit alors derrière lui.

« Je peux savoir ce que tu cherches dans mon dossier ? »

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J + 5
22 JANVIER

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Dazai observait l'écran de son portable avec un intérêt tel qu'une personne un minimum âgée aurait déclaré, en passant à sa hauteur, que « la jeunesse d'aujourd'hui passait vraiment trop de temps sur son téléphone ». Cependant, il avait de bonnes raisons d'être aussi intéressé : le message qu'il attendait n'était ni celui d'un père ni celui d'un amant, mais il serait sans doute porteur de bonnes nouvelles. Enfin... pour qui saurait l'interpréter, évidemment.

Pourtant, il tardait à venir. S'était-il encore une fois trompé ? Dazai avait appris à ses dépens que même lui pouvait se faire induire en erreur par celui qui tirait toutes les ficelles de cette stupide farce. Maintenant qu'il en avait conscience cependant, il avait bien l'intention de ne pas se faire avoir de la même manière.

Il lut l'heure rapidement ― celle-ci n'avait aucun lien avec le message qu'il attendait, mais il avait aussi un rendez-vous qui approchait ― et essaya de profiler un peu les clients du fast-food dans lequel il était installé pour s'occuper. La plupart de ces gens étaient ennuyeux à profiler, mais il en repéra quelques-uns qui étaient amusants, surtout les deux étudiants assis à des tables voisines, qui se connaissaient mais devaient être en trop mauvais termes pour vouloir se parler ; ils s'évitaient donc de façon ostensible. C'était assez divertissant de les observer garder leurs distances malgré la proximité de leurs tables. Que s'était-il passé entre eux ? Dazai misait sur une tromperie.

Il finit par reporter à nouveau son attention sur son téléphone et lut l'écran toujours vide de tout message en poussant un soupir désabusé. Cela commençait à l'agacer, de rester attendre sans rien faire et dans l'incertitude. Dostoevsky ne pouvait donc pas être prévisible, pour une fois ? Lui laisser un peu de triomphe ? Si cela continuait, il allait lui envoyer un message lui-même et...

Son portable émit soudainement une vibration, et un message s'afficha tandis qu'un sourire de triomphe fleurissait sur ses lèvres. Enfin, sa lueur d'espoir arrivait. Il retirait ce qu'il avait dit, Dostoevsky s'était parfaitement bien comporté. Il déverrouilla son portable d'un geste ample et s'apprêtait à répondre lorsqu'une voix l'interrompit :

« Une bonne nouvelle ? » L'inspecteur de brigade criminelle se tourna pour observer le nouveau venu, celui avec qui il avait rendez-vous. Ils ne s'étaient jamais vus jusqu'alors, mais Dazai n'eut aucun doute sur son identité ― personne ne pouvait imiter Sôseki Natsume mieux que lui-même.

« Plutôt oui. » répondit-il tandis que l'homme au chapeau melon s'asseyait sur la chaise à ses côtés. Il détonnait dans l'atmosphère bon marché de ce fast-food, avec ses habits de qualité et sa canne.

« Alors, que puis-je faire pour vous, monsieur Dazai ? l'interrogea-t-il avec un sourire qui prouvait qu'il se doutait de la raison de leur rendez-vous.

Je voulais vous interroger sur vos recherches. » L'homme sourit encore plus à cette réponse.

« Mes recherches ? répéta-t-il avec un amusement palpable. J'ai peur de ne pas saisir de quoi vous parlez.

Je fais allusion à ces renseignements que vous obtenez sur la pègre en utilisant un réseau d'informateurs pour le moins surprenant.

Vous parlez de façon trop obscure, mon cher, je ne suis pas certain de comprendre.

Je parle des orphelins dont s'occupait Odasaku. Que vous avez continué d'aider malgré son décès pour obtenir des informations. » Cette fois, Natsume cessa de jouer les innocents, satisfait d'avoir entendu une confirmation orale de ce que son interlocuteur savait.

« Les enfants entendent des choses quand ils sont livrés à eux-mêmes. Des choses intéressantes.

Odasaku souhaitait leur bonheur, pas leur mise en danger.

Rassurez-vous, ils sont sous surveillance étroite. Je sais à quel point ces enfants importaient pour Sakunosuke.

Vous le connaissiez bien n'est-ce pas ? » Dazai s'était renseigné avant leur rendez-vous. « Vous l'avez lancé sur la voie de l'écriture.

C'est regrettable qu'il n'ait pu commencer son livre. Mais il me semble que vous connaissez désormais le nom de son tueur ? »

L'inspecteur observa son interlocuteur avec intérêt. Que savait-il à ce sujet ? C'était désormais à son tour de jouer les innocents en attendant les aveux de l'homme à ses côtés. Aucun d'eux deux ne comptait abattre ses cartes sans la certitude qu'elles étaient déjà connues de l'autre. C'était la stratégie la plus fiable à adopter. Si Dazai avait fait appel à Sôseki Natsume, c'était parce qu'il était convaincu que cet homme savait beaucoup de choses, mais il devait rester sur ses gardes malgré tout.

Il avait découvert l'existence de cet homme quelques jours plus tôt à peine, et n'avait donc pas eu l'occasion d'en apprendre beaucoup sur lui avant de planifier ce rendez-vous. Après avoir appris le nom de celui qu'il avait tant cherché, Arthur Rimbaud, il s'était renseigné sur lui mais s'était heurté à un mur judiciaire des plus agaçants. La plupart des informations sur cet homme étaient protégées par la justice française, mais il avait pu découvrir un mandat d'arrêt international qui avait été émis quelques semaines plus tôt, après une évasion du criminel. Il avait été attrapé de nouveau une semaine après sa fuite, en Autriche.

Cette piste n'avait donc pas été très loin ― au moins, il avait la satisfaction de savoir que le tueur de son mentor était en prison et non pas en liberté comme il l'avait toujours supposé ― mais il était tombé sur une information intéressante en épluchant la paperasse qu'il avait pu trouver : un certain Sôseki Natsume avait déposé des plaintes concernant d'autres affaires auxquelles le français aurait pu être lié, et la mort d'Oda y figurait. En l'absence de preuves, rien n'avait abouti ― le brun ne parvenait pas à croire qu'on lui ait caché cette information pendant des mois ― mais il avait décidé d'exploiter la piste de cet étrange homme de Tokyo aisé, qui semblait en savoir long. Et il avait ainsi découvert que le fameux bienfaiteur qui avait pris la relève d'Oda auprès des enfants, celui dont lesdits enfants avaient parlé à Ryunosuke, était cet homme ― et non Ango comme il l'avait originellement supposé.

« Je ne suis pas autorisé à parler d'affaires confidentielles avec les civils, répondit finalement Osamu, et vous devriez savoir que l'affaire Sakunosuke Oda est classée sans suite depuis des mois.

Oh, je le sais, mais il me semble que son tueur s'est pourtant fait remarquer récemment, et que vous avez eu l'opportunité, grâce à monsieur Chuuya Nakahara, d'apprendre son identité.

Comment avez-vous eu cette chance, vous ? s'enquit l'inspecteur en fronçant les sourcils. Vous bluffiez, quand vous avez été accuser publiquement cet homme du meurtre de toutes ces personnes ? » Natsume fixa son regard sur un groupe d'enfants qui jouait sur l'aire de jeu du fast-food à l'extérieur et répondit sans le regarder :

« Toutes les plaintes étaient du bluff, sauf cette accusation. C'est la seule dans laquelle Arthur Rimbaud a réellement trempé d'ailleurs.

Pourquoi avoir fait toutes ces accusations alors ?

Je voulais qu'elles se perdent dans la paperasse, et tombent un jour sous les yeux d'un inspecteur déterminé. » La réponse était trop poétique pour être honnête, mais Dazai n'insista pas. Natsume avait évité habilement une question plus importante, qu'il tenait absolument à ramener sur la table.

« Comment l'avez-vous appris ? répéta-t-il avec plus d'insistance.

Rimbaud était une de mes connaissances. Je savais qu'il avait des problèmes, et qu'une enquête internationale pesait sur lui. L'inspecteur Oda étant lié à cette affaire et avant que vous ne le me demandiez, je le savais puisqu'il m'avait dit partir pour la France ―, j'ai additionné deux et deux.

Vous n'aviez aucune preuve à part ce raisonnement ? fit Dazai, sidéré. Et vous avez quand même déposé des accusations ? » Son interlocuteur lui adressa un grand sourire.

« C'est ce qu'on appelle communément du bluff, déclara-t-il ensuite. Très efficace dans certaines circonstances. »

L'inspecteur aux cheveux bruns fixa son interlocuteur avec de grands yeux dubitatifs. Il était visiblement tombé sur un excentrique ― ce dont il se doutait déjà rien qu'en voyant la façon dont l'homme s'habillait ― qui avait un certain cran. Puisqu'il se trouvait face à quelqu'un qui ne se confierait pas facilement sur ce qu'il savait, l'inspecteur changea un peu d'approche et tenta de recentrer la conversation.

« Je vous ai demandé une rencontre pour parler de Fyodor Dostoevsky. » Les yeux presque félins de l'homme étincelèrent à ce nom, il en aurait mis sa main au feu.

« Un nom bien familier malgré sa consonance étrangère, fit remarquer simplement Natsume dans un premier temps, ce qui voulait à la fois tout et rien dire.

Que savez-vous sur lui ?

Et vous ?

Cette discussion n'avancera pas si nous ne cessons pas de nous renvoyer la balle à chaque question. » L'homme esquissa un sourire.

« Non, en effet. Mais est-il avisé de discuter de cela ici ? » Son regard balaya les environs du fast-food bondé de civils, et potentiellement d'un complice de Fyodor.

« Peu m'importe s'il entend ce que j'ai à dire. Et vous ?

Je suppose que cela n'a que peu d'importance également. » convint l'homme au chapeau melon, mais il tira d'une poche intérieure de sa veste un petit carnet et un stylo. Il arracha d'un geste mesuré une feuille du calepin, sur laquelle il inscrivit quelques mots avant de reprendre la parole. « Je ne le connais pas personnellement. La seule fois où j'ai eu affaire à cet homme, c'était il y a plus de vingt ans, quand j'enseignais encore dans différentes universités du monde.

Il y a plus de vingt ans ? » répéta Dazai avec surprise. D'après leurs informations, Dostoevsky n'excédait pas les trente ans. Il était donc surprenant d'imaginer un enfant d'une dizaine d'années se balader dans une université et s'adresser à un professeur diplômé et lettré.

« Pas parce qu'il était l'un de mes élèves, le détrompa Natsume avec un sourire, mais parce que son père était un de mes collègues quand j'enseignais à Moscou. Il était donc fréquent que je le voie passer dans les couloirs, même si je ne lui ai jamais plus adressé la parole que pour le saluer. » Il marqua une pause et fit glisser en même temps sur la table le papier sur lequel il avait écrit. Dazai posa une main dessus pour le récupérer, mais ne l'observa pas immédiatement et attendit la suite de l'histoire. « L'année suivante, je suis reparti et je n'ai plus jamais entendu parler de lui. Sauf quand les enfants dont s'occupait Sakunosuke m'ont dit qu'ils avaient vu un homme au nom étranger imprononçable, dissimulé sous un chapeau de fourrure blanche, s'entretenir avec la pègre.

Vous avez fait le lien ainsi ? demanda l'inspecteur, sans savoir lui-même s'il était impressionné ou désespéré.

Disons que j'ai mené mon enquête ; je ne suis pas devin non plus. Le chapeau de fourrure blanche m'a fait penser à une chapka, alors j'ai cherché toute trace d'un homme russe dans la ville.

Vous êtes redoutablement efficace si vous avez réussi à le coincer malgré ces maigres pistes.

Il est plus simple d'enquêter quand vous ne portez pas sur vous la preuve que vous êtes de la police, et que les gens des environs vous font confiance. »

Ça, ce n'était pas difficile à croire, et c'était bien pour cela qu'il était courant que les inspecteurs s'habillent en civils pour mener l'enquête. Cette stratégie présentait cependant des limites, notamment le fait que leurs visages restaient reconnaissables et qu'il suffisait donc à un potentiel criminel de les connaître pour leur échapper.

« Je pense qu'il nous faut couper court, finit par déclarer Dazai, non pas parce que l'heure tournait, mais parce qu'il sentait que l'homme s'amusait à digresser pour tester ses capacités, et aller droit à l'essentiel. Que pouvez-vous me dire d'utile sur Dostoevsky ?

Quelle serait votre réaction si je vous disais « rien » ?

Je ne vous croirais pas. » Sôseki Natsume sourit de nouveau.

« Et vous auriez bien raison. »

Il désigna discrètement du menton le papier qu'il lui avait donné un peu plus tôt et que Dazai n'avait toujours pas lu. Le brun se pencha pour le lire, en masquant ce qu'il y avait dessus aux yeux indiscrets qui pourraient se balader, et déchiffra le message suivant : Fyodor Dostoevsky a besoin de hauteur pour avoir l'illusion de tous nous dominer. Karma Topaz, lui, préfère les profondeurs de la terre pour disparaître de notre champ de vision.

Le message était à la fois sibyllin et limpide. Fyodor se cachait quelque part soit dans un haut bâtiment, soit dans un avion ou un hélicoptère qui sillonnait fréquemment la ville. Topaz, lui, errait dans les souterrains connus des membres de la pègre ― ou tout simplement dans les égouts.

« Quel est le lien de la pègre avec tout ça ? demanda-t-il ensuite. Vous avez dit que les enfants avaient vu Dostoevsky discuter avec des membres de la pègre.

Ils l'aident en échange d'argent. Ils ont perpétré la plupart des vols de voiture sur lesquels vous avez enquêté, pour détourner les yeux des inspecteurs des méfaits de Fyodor. Ils ont aussi servi de couverture à Ivan Goncharov quand celui-ci était chargé de surveiller Gin Akutagawa.

D'où Fyodor tire-t-il cet argent ? Les voitures n'étaient pas revendues.

Ça, c'est encore un mystère, admit son interlocuteur. Je ne connais pas tout de sa vie et de ses relations. Peut-être a-t-il un mécène qui finance ses mauvaises actions dans l'ombre. Ou peut-être a-t-il commis un gros coup dans lequel on ignore son implication, et s'est retrouvé avec un butin considérable. Sur ce point, on ne peut que spéculer malheureusement. » Il y aurait sans doute toujours des zones d'ombre, et puisque celle-ci était insignifiante et inutile pour attraper Dostoevsky, Osamu la laissa tomber. Enquêter de façon plus approfondie risquait de compliquer encore plus la situation ― en supposant que c'était possible.

« Une dernière information utile à me communiquer ? demanda-t-il ensuite en empochant le papier et en songeant qu'il devrait bientôt y aller pour ne pas rentrer trop tard à Yokohama.

Ne vous précipitez pas, répondit l'homme ― et Dazai se demanda pendant quelques secondes s'il lui intimait de ne pas partir tout de suite, ou si cette recommandation s'appliquait à ce qu'il avait l'intention de faire, ou vous risquez de commettre un impair. » La deuxième option semblait être la bonne.

« Attendre n'est pas utile. On attend depuis assez longtemps. Dostoevsky doit se retrouver en prison, tout comme Topaz.

Ils l'ont évitée trop longtemps en effet. Mais, à moins d'être sûr de votre plan, je vous conseillerai de prendre le temps de tout préparer pour qu'ils ne puissent s'enfuir. » Dazai lui sourit tout en se levant.

« Cela va de soi. »

Il quitta ensuite le fast-food avec un petit sourire sur les lèvres, satisfait de cet entretien et toujours ravi par le message reçu précédemment. Son plan prenait forme, et il pourrait normalement tenir ses délais. Maintenant qu'il avait juré à Akutagawa être à deux doigts d'attraper les deux criminels, il avait intérêt à ne pas se rater au risque de perdre toute sa crédibilité. Et pour cela, il avait encore beaucoup de détails à régler.

Il passa une main dans sa poche et en tira un petit dictaphone miniature. L'appareil était éteint, il l'avait arrêté en rangeant le papier dans sa poche, et sa mémoire devait être presque pleine. Il allait devoir le vider pour le réutiliser ― et puisqu'il n'en aurait pas l'occasion avant ses prochains « entretiens », il le rangea avec trois autres dictaphones remplis en faisant en sorte que ce soit visible pour un observateur extérieur ― en revanche, il se garda bien d'exhiber le cinquième, toujours au fond de sa poche, et parfaitement exempt de toute conversation.

Il enregistrait depuis plusieurs jours la moindre conversation qu'il partageait au sujet de cette affaire, et pas par simple plaisir mais bien parce qu'il allait se servir des phrases échangées pour piéger l'informateur russe et son principal complice. La technique n'avait rien d'extraordinairement imprévisible, il misait donc plutôt sur la quantité de dictaphones qu'il possédait, et dont Fyodor ignorait le nombre exact. Il en avait encore une dizaine en réserve ― tous achetés pour les biens de cette affaire en utilisant la carte bancaire de Mori, et pour une fois, il ne l'avait pas fait sans sa permission. Le médecin devait vraiment être sur les nerfs et avoir envie de coincer Dostoevsky pour avoir consenti à ce que son fils vide son compte en banque pour divers achats.

(Enfin, malgré tout l'argent que l'inspecteur avait déjà dépensé, il voyait bien que le compte de Mori était encore bien rempli, nettement plus que le sien ou celui de qui que ce soit de leur brigade. Être médecin payait bien, surtout quand on fricotait en douce avec la pègre.)

Il leva les yeux vers le ciel. Il ne faisait absolument pas nuit, mais on discernait vaguement la lune dans le ciel immaculé. De là où il était, il devinait que la pleine lune approchait. Une bouffée de nostalgie l'envahit quand il se souvint qu'Odasaku sortait toujours les soirs de pleine lune pour l'observer en même temps que les étoiles. Il la trouvait moins fascinante que les astres presque indiscernables avec la pollution, mais prenait souvent du plaisir à l'observer malgré tout.

Il poussa un petit soupir en s'arrachant à l'observation du ciel bleu et reprit son chemin en direction de la gare, afin de reprendre un train pour retourner à Yokohama. D'ordinaire, il aurait plutôt emprunté une voiture de service pour venir à la capitale, mais puisqu'il avait provisoirement déserté le bureau, et qu'il devait actuellement y être persona non grata après être parti sans rien dire et avoir empêché Chuuya de se rendre à l'interrogatoire, il avait choisi de venir en train ― avec des billets toujours gracieusement payés par Mori.

Il ne comptait pas rater celui de treize heures trente, alors il accéléra un tout petit peu le pas, tout en observant les habitants de la capitale. Il venait rarement à Tokyo depuis qu'il s'était installé à Yokohama, même s'il avait passé dix-huit ans à arpenter les rues de la ville. Quitter cet endroit avait été pour lui une bouffée d'oxygène puisque cela avait signifié quitter Mori, qui était son paternel mais qui n'en était pas moins difficile à tolérer en continu pendant toutes ces années. Ses visites s'étaient donc faites de plus en plus rares après son départ.

Il savait qu'Odasaku retournait souvent dans la capitale, environ une fois par mois s'il se souvenait bien, probablement pour s'occuper de ces orphelins dont il ne connaissait pas l'existence quelques mois plus tôt. Cela ne l'avait pas étonné quand Akutagawa lui avait appris ce fait ― n'avait-il pas lui-même songé à l'époque que son mentor devait s'occuper de la veuve et de l'orphelin sur son temps libre ? ― mais il regrettait un peu de ne pas l'avoir su plus tôt, et de la bouche de son mentor. D'un autre côté, il avait bien conscience de n'avoir été pour Odasaku qu'un subordonné un peu compliqué à gérer. Il ne voulait pas nécessairement être plus, à l'époque tout comme aujourd'hui, mais avoir l'amitié de son mentor l'aurait sans doute plus satisfait que n'importe quel autre achèvement.

Une part de lui avait envie d'aller voir ces enfants qui survivaient tant bien que mal sans l'aide des adultes ― ce qu'il trouvait un peu idiot, ils se mettaient eux-mêmes en difficulté ― mais il avait conscience que cela lui ferait plus de mal que de bien. Et puis, s'il ratait le train, il allait devoir attendre deux heures supplémentaires pour rentrer à Yokohama, et n'avait pas d'autre rendez-vous pour s'occuper...

Tout lui indiquait qu'il avait intérêt à ne pas rater ce train, que ce soit pour des raisons très personnelles ou pour des raisons plus terre à terre, pourtant il finit malgré tout par s'enfoncer dans la direction opposée à celle de la gare, contrairement à son intention première. C'était sans doute la chose la plus stupide qu'il avait faite ― quoique, discuter avec Fyodor et trahir ses collègues pour les sauver était assez haut dans le palmarès également ― mais il ne regretta pas son changement d'avis. Ce qu'il aurait regretté, ç'aurait été de ne pas avoir cherché ces enfants.

Il aurait sans doute mieux valu qu'il s'en tienne à son planning soigneusement préparé, mais son instinct infaillible ― bon, presque infaillible ― lui soufflait qu'il ne commettait peut-être pas une si grosse erreur. Si les enfants avaient l'habitude de côtoyer des criminels, il parviendrait peut-être en allant les voir à glaner des informations sur les alliés de Dostoevsky au sein de la pègre japonaise. À condition, bien évidemment, de se faire discret... Si Fyodor avait bien des alliés au sein de la pègre, et que ceux-ci se baladaient dans ces quartiers, il apprendrait un peu trop vite que Dazai s'était rendu à Kabukicho. Il commencerait alors à se douter de son plan, et ce serait catastrophique. Une personne normale ne parviendrait pas à faire le lien entre les motivations de Dazai et cette visite près de la pègre pour deviner son plan complet, mais Fyodor le pourrait sans le moindre doute, car il aurait probablement fait la même chose à la place de l'inspecteur brun.

(Ce petit jeu de devinettes grandeur nature était sérieusement la chose la plus épuisante qu'il avait dû faire depuis son entrée à la brigade et la découverte de son affinité avec le profilage. Même Ranpo, avec qui il s'était entretenu tout aussi secrètement qu'avec Akutagawa, avait admis qu'il ne pouvait pas effectuer une analyse aussi parfaite que d'habitude sur ce russe. Les deux génies du profilage de Yokohama avaient eu beau mettre en commun leurs talents, cela n'avait pas abouti à grand-chose ― dans leur vocabulaire. D'aucuns auraient trouvé que ce qu'ils avaient mis au point était déjà très bien, mais eux étaient toujours à la recherche de la perfection dans ces situations. Dazai ne pouvait plus tolérer les provocations incessantes de Fyodor sans réagir, et il semblait qu'il en était de même pour l'habituel fainéant de leur équipe ― compte tenu du fait que Fyodor avait utilisé la figure paternelle dudit fainéant comme un simple pion jetable, cela n'était pas si étonnant.)

Il avança pendant plusieurs minutes dans les rues de la capitale, essayant de se repérer tant bien que mal. Il y avait longtemps qu'il n'était pas venu dans ces quartiers avec lesquels il n'était déjà pas familier à la base, mais parvint à ne pas se perdre et à se faufiler à l'abri des regards indiscrets. Il songea pendant quelques instants qu'avoir un chapeau comme celui de Chuuya lui aurait été bien utile pour se cacher derrière ― mais plutôt mourir que de porter un tel faux pas vestimentaire.

(Son esprit tenta de dériver quelques secondes vers le jeune homme aux cheveux flamboyants et leur situation, mais il le bloqua vite pour rester concentré sur ses problèmes au moment présent.)

Il ignorait où se cachaient exactement les orphelins dont Oda s'occupait, aussi il avançait à pas légers et lents pour chercher la moindre trace enfantine dans ces quartiers. Éviter la pègre tout en ratissant leur quartier n'était pas une mince affaire, mais il en fallait plus pour le décourager. Même s'il manqua de se faire repérer après avoir jeté un regard un peu trop insistant dans une ruelle où l'on s'échangeait quelque chose de blanc qui ne ressemblait pas à du sucre...

Le quartier était pourtant joli lorsqu'on restait en extérieur et qu'on ne s'aventurait pas dans les ruelles les plus reculées. Les habitants ne devaient pas avoir la vie facile lorsqu'ils habitaient au niveau des limites entre le quartier paisible et celui qui cumulait les trafics illégaux. Mais la pègre y était si profondément implantée que l'en déloger était compliqué. Dazai savait de par son expérience de formation à Tokyo qu'il n'était pas évident de s'imposer dans ces quartiers, où ils étaient toujours en minorité.

Alors qu'il s'éloignait rapidement en prétendant n'avoir rien vu, un mouvement attira son attention. Une silhouette de petite taille arrivait en courant depuis la direction opposée. Elle portait un chapeau bleu, qui devait être une casquette à la réflexion, et il se demanda s'il s'agissait de l'un des enfants qu'il cherchait ― au vu de sa taille, la personne ne pouvait pas être adulte.

La silhouette, qui se clarifiait de plus en plus et se dévoilait effectivement comme étant celle d'un enfant, ne ralentit pas en arrivant à son niveau, et ce fut l'inspecteur qui fit un pas de côté pour éviter qu'elle ne lui rentre dedans. Ils se frôlèrent, et les yeux habitués aux techniques des délinquants de Dazai ne manquèrent pas de remarquer le mouvement de bras de l'enfant, qui avait approché sa main de sa poche en passant. Les pickpockets ne manquaient dans aucune capitale, et Tokyo ne faisait pas exception à la règle. Cependant, puisqu'il s'y attendait, l'inspecteur n'eut qu'à saisir le bras de l'enfant pour l'empêcher de procéder à son pillage, et ainsi protéger ses possessions.

Le plus jeune protesta et manqua de chuter, déséquilibré par la poigne soudaine de son aîné, mais il fut retenu plus fortement par celui qu'il avait tenté de dépouiller de ses biens précieux. Il tenta ensuite de lui échapper, mais Dazai ne l'entendait pas de cette oreille.

« Laissez-moi partir ! protesta l'enfant, un garçon qui devait être âgé d'une dizaine d'années environ. Je n'ai rien fait !

Seulement parce que je t'en ai empêché, sourit sournoisement l'inspecteur avant de l'observer droit dans les yeux. J'ai besoin que tu répondes à une question.

Sûrement pas ! Vous êtes un flic ? » Il avait crié ces quelques mots ― heureusement, la rue était vide ―, ce qui fit grimacer l'inspecteur.

« Pas en service officiel en tout cas. » Les yeux du garçon s'agrandirent ― il avait dû jeter les premiers mots simplement par provocation, sans réaliser qu'ils étaient sans doute vrais ― et il essaya de reculer. « Je ne vais pas te faire de mal, ajouta-t-il pour le tranquilliser, c'est promis. Je veux juste une information. » L'autre continua de le dévisager avec une peur palpable ― qui contraignit Dazai à se demander s'il faisait vraiment si peur que cela.

« Quoi comme information ? finit par demander l'enfant sur un ton hésitant.

Est-ce que tu connais un certain Sakunosuke Oda ? » En entendant ce nom, l'enfant se détendit un petit peu, et son regard s'illumina largement.

« Tonton Oda ? C'est lui qui vous envoie ? »

Dazai essaya de masquer sa surprise ― qui n'était pas totale, il fallait l'admettre. Il se doutait déjà légèrement que Natsume n'avait pas nécessairement pris la peine de prévenir les enfants qu'Oda était mort ― pour mieux les utiliser ou pour les protéger d'un trop grand chagrin, l'inspecteur n'était pas certain de la réponse. Il ne trouvait pas cela juste, mentir ouvertement sous le couvert de « protéger ces enfants ». Pour autant, il ne dit rien pour le détromper à son tour. Il ne savait pas gérer les enfants en pleurs.

« Oui. Je voudrais vous parler, à toi et aux autres enfants dont il s'occupait.

Vous savez s'il va bientôt revenir ? Il nous manque. » La douleur palpable dans sa voix toucha l'inspecteur aux cheveux bruns. Celle-ci lui était familière, et il regretta que personne n'ait effectué avant lui la tâche de les avertir que leur protecteur était décédé.

« Il... » Les mots se bloquèrent dans sa bouche alors qu'il essayait de les prononcer, et l'enfant le regarda étrangement. Il poussa un profond soupir avant de lâcher le bras de l'enfant. « Je ne sais pas, lâcha-t-il finalement en se cachant à son tour derrière le mensonge, je ne peux pas répondre à cette question. Tu veux bien m'emmener voir tes camarades ? changea-t-il ensuite de sujet.

Je ne sais pas s'ils seront tous revenus, déclara l'enfant en se ragaillardissant.

Ils se livrent aux mêmes méfaits que toi ? »

Dazai pensait pourtant que les protecteurs de ces enfants s'étaient chacun assuré qu'ils ne manquent de rien et ne soient pas obligés de voler ainsi pour survivre. Connaissant Odasaku en tout cas, il avait probablement pris ces précautions de son vivant. D'un autre côté, si ces enfants étaient de bons espions pour Sôseki Natsume, c'était sans aucun doute parce qu'ils se livraient à ces petits crimes mineurs. Le brun songea cependant qu'ils feraient mieux d'être plus prudents ― un éminent membre de la pègre ne serait pas tendre avec des enfants qui avaient tenté de le détrousser. Cependant, quand il fit la remarque à son petit interlocuteur, il le dévisagea comme s'il était le dernier des demeurés ― ce qui était très offensant à ses yeux.

« On est pas idiots, lâcha-t-il, on sait qui sont les plus dangereux. » Cela rassura un peu le brun, même s'il conservait ses réserves face à leur comportement. Il n'osait pas imaginer ce qui se passerait s'ils détroussaient Dostoevsky. Quoique, s'ils pouvaient revenir avec une information utile sur lui, cela lui simplifierait la tâche ― mais il ignorait comment ce génie du crime réagirait à une telle chose.

« Vous avez un beau butin en faisant cela ?

Oui ! On donne la plupart des trucs inutiles au monsieur qui vient à la place de tonton Oda. On garde que les trucs précieux pour nous. »

Ce qui était en soit déjà un crime, mais le jeune homme n'avait pas envie de chipoter face à un enfant probablement imperméable à ses arguments. En plus, il n'était pas venu pour faire la morale à ces enfants... il voulait juste les rencontrer. Il laissa donc couler les mots du garçon et le suivit dans les ruelles sombres de la capitale. Il devina après environ cinq minutes que son guide juvénile faisait exprès de prendre des détours, sans doute pour le perdre et s'assurer au cas où qu'il ne pourrait pas retrouver l'endroit où les autres enfants et lui habitaient.

(Malheureusement, ce genre de technique ne marchait pas vraiment avec Dazai, originaire de la ville et doté d'une excellente mémoire visuelle. Mais il notait que les enfants savaient s'y prendre.)

Au bout d'une dizaine de minutes, ils arrivèrent devant ce qui ressemblait à une vieille œuvre d'art non entretenue depuis des années. Bonne cachette, songea-t-il, ne pouvant empêcher son esprit d'ancien « délinquant » de s'éveiller. Plus jeune, il avait aussi cumulé un certain nombre de délits ― d'ailleurs, ce qu'il venait de faire en désertant son poste en était un. Fukuzawa n'avait de cesse de le convoquer à l'époque pour le suspendre.

« Ohé ! cria l'enfant en arrivant. Vous êtes revenus ? » Un long silence de plusieurs minutes accueillit sa question et le fit soupirer.

« Apparemment non, commenta l'inspecteur aux cheveux bruns sans pouvoir réprimer un sourire amusé.

Je vous avais dit qu'ils ne seraient pas forcément là.

Si toi tu réponds déjà à mes questions, ce sera bien. » répondit simplement Dazai en haussant les épaules. Ses questions n'avaient rien de professionnel de toute manière.

L'enfant fit cependant la moue, comme s'il avait finalement changé d'avis et ne désirait plus lui répondre. Devant cette attitude, l'inspecteur lui fit les gros yeux : il n'avait pas fait tout ce chemin pour que le garçon lui déclare soudainement ne plus vouloir lui parler. Il n'était pas certain que ce regard fasse changer d'avis l'enfant, mais ce dernier hocha finalement la tête.

« Comment vous vous débrouillez seuls ? demanda-t-il donc.

Tonton Oda et le monsieur nous apportent ce dont on a besoin tous les mois ! Tonton Oda ne nous demandait rien en échange, mais le nouveau monsieur nous demande des informations sur ce qu'on entend quand on va voler les touristes qui s'égarent.

Et vous en avez beaucoup ? » interrogea Dazai, intéressé. Il ignorait si le « business » de Natsume était efficace, même s'il soupçonnait qu'il l'était vu tout ce que l'homme semblait savoir.

« On entend beaucoup de choses, mais tout n'intéresse pas le monsieur. Ça dépend.

Quel genre de choses ? insista le brun.

Euh... Des gens qui parlent d'aller chez d'autres gens pour leur régler leur compte, d'autres qui échangent des petits sachets contre de l'argent... Ce sont surtout les noms qui l'intéressent. »

La réalité qu'il avait lui-même observée, décrite par des mots d'enfants, sonnait d'une étrange façon, presque édulcorée par ces termes juvéniles. L'inspecteur n'eut pas de mal à comprendre de quoi il parlait bien évidemment, mais cela lui fit se remémorer l'innocence qu'il possédait lui-même quand il était jeune. (Parce que oui, même lui avait été un enfant curieux du monde et incapable d'en comprendre tous les mécanismes complexes. Cependant, son père à lui n'avait jamais eu la délicatesse de lui cacher tous les travers de leur société avec de jolis mots.)

Il hésitait à faire dévier la discussion sur Dostoevsky, assez certain qu'il n'obtiendrait rien d'intéressant. Même si les enfants avaient été assez inconscients pour tenter de le détrousser, il doutait fortement qu'ils aient réussi ou qu'ils soient en mesure de se souvenir de quoi que ce soit à son sujet, si on exceptait ce chapeau de fourrure russe. Les informations qui intéressaient l'inspecteur n'étaient pas faciles à repérer pour des enfants en outre.

Il décida donc de faire un autre détour pour parvenir à quelque chose d'un minimum intéressant.

« Il y a environ deux mois, un de mes collègues s'est fait tirer dessus dans les alentours. Il a été aidé par deux enfants qui ont parlé d'Odasa‐ Oda. Tu vois de quoi je parle ? » Le garçon pencha la tête pour réfléchir avant de répondre :

« Oui ! Un monsieur aux cheveux blancs et noirs ?

Exact. Tu peux me dire ce que tu sais sur ce qu'il s'est passé ?

On traîne souvent près du bar pour détrousser les gens saouls. Là, on s'y rendait mais on a entendu un bruit étrange, alors on s'est cachés. Après on a vu un homme bizarre aux longs cheveux avancer vers un autre avec un air effrayant. Il y a eu des bruits de tirs, alors on a attendu en se cachant parce qu'on avait peur. Puis, quand tout s'est arrêté, on s'est approchés du monsieur par terre.

L'homme étrange, vous avez vu où il était parti ?

Non, il a disparu super vite. Il était avec une fille super belle ! Mais elle semblait pas vouloir le suivre. »

L'inspecteur arrivait à peu près à restituer les événements dont parlait l'enfant, même s'il n'en avait qu'une connaissance très vague. Il était à l'époque déjà occupé à enquêter sur Fyodor Dostoevsky et venait de rencontrer Chuuya au Remus. En plus, tout s'était finalement résolu rapidement. Il ne connaissait donc que le contenu du rapport qu'il avait parcouru brièvement après que Ryunosuke lui ait raconté sa rencontre avec ces enfants.

« Pourquoi vous posez toutes ces questions sans donner de réponses ? finit par marmonner son petit interlocuteur.

Tu ne m'as pas posé de question, rétorqua Dazai, comme une évidence.

Si ! Je vous ai demandé quand tonton Oda allait revenir.

Je ne sais pas, répéta Dazai en sentant une pointe de culpabilité percer.

Pourquoi personne ne sait ? geignit l'enfant. Pourquoi il ne vient plus ? Il est malade ? »

Une fois encore, Dazai maudit tous ceux avant lui qui n'avaient pas jugé bon d'avertir les enfants de la mort de leur protecteur. Pourquoi est-ce que le destin lui laissait cette tâche ? Il n'avait pas envie de devoir gérer les larmes d'un enfant, et pas envie de devoir répéter encore une fois que son mentor était décédé. C'était encore un sujet sensible pour lui, même si on peinait à le croire. Certes, il ne fondait pas en larmes dès qu'on abordait le sujet du défunt, mais il n'avait pas encore atteint la neutralité dessus.

Sans doute ne l'atteindrait-il jamais complètement.

Pourtant, il prit une profonde inspiration pour répondre au garçon. À sa place, il aurait voulu savoir. Il n'aurait pas voulu qu'on le protège de la vérité.

« Odasaku... » Cette fois, il ne se reprit pas sur le surnom. « Odasaku ne peut plus venir.

Pourquoi ? pleurnicha le garçon. Il ne veut plus nous voir ?

Je suis certain qu'il aimerait beaucoup mais...

Mais quoi ?

Il est décédé, lâcha l'inspecteur en essayant d'y mettre le plus de tact possible. Je suis désolé. »

L'enfant n'eut aucune réaction dans un premier temps et le fixa simplement, les yeux écarquillés. Il s'écoula plusieurs longues secondes avant que des larmes ne commencent à couler sur ses joues et qu'il ne se mette à sangloter de façon incontrôlée.

« Il est mort ? » répéta-t-il ensuite entre deux sanglots.

Dazai hocha simplement la tête en guise de réponse affirmative. Le petit garçon recommença à sangloter, et l'inspecteur songea qu'il n'était vraiment pas doué pour consoler les enfants. Il posa simplement une main sur la tête du jeune garçon en signe maladroit de réconfort et resta silencieux.

Connaître l'identité du tueur d'Odasaku l'avait aidé à faire son deuil, mais il ne voulait pas entrer dans les détails avec un enfant d'une dizaine d'années. Et puis, il ne doutait pas que, à son âge, il arriverait à passer au-dessus sans cela. Il avait encore la vie devant lui, et bon nombre de joies et de peines à venir.

Et, dans tous les cas, Dazai se promit de garder un œil sur lui et les autres enfants d'une manière ou d'une autre.

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