22 - 𝐅yodor Dostoevsky était un philosophe

okay alors sortez vos carnets de notes : des explications et un récapitulatif vont être donnés dans ce chapitre !
rien de bien clair je pense - en tout cas pas assez pour vos exigeances - mais c'est un début important :3

sinon j'espère que vous allez bien ! ça va super personnellement, je vous offre une petite update avancée parce que je suis gentille (c'est faux mais bon je fais semblant) et je vous annonce la sortie prochaine d'un bonus qui apportera quelque chose qu'on a pas beaucoup vu jusqu'à présent !
(pas Oda sorry)

prochain chapitre le 04 septembre ! bonne lecture !

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𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐕𝐢𝐧𝐠𝐭-𝐝𝐞𝐮𝐱 ― 𝐅𝐲𝐨𝐝𝐨𝐫 𝐃𝐨𝐬𝐭𝐨𝐞𝐯𝐬𝐤𝐲 𝐞́𝐭𝐚𝐢𝐭 𝐮𝐧 𝐩𝐡𝐢𝐥𝐨𝐬𝐨𝐩𝐡𝐞

Le jeune homme poussa un profond soupir d'exaspération et laissa tomber son bras le long de son corps, lâchant par la même occasion son téléphone neuf qui glissa sur le cuir usé pour achever sa course sur le parquet dans un bruit sourd ― sa sœur, qui était à l'origine de ce cadeau pour sa promotion au poste d'inspecteur en formation, l'aurait étranglé pour ce geste.

Il venait de raccrocher après une longue et houleuse conversation avec sa mère et se sentait vidé de toute énergie ― alors même qu'il n'avait pas fait face à sa mère et son regard effrayant s'il s'avisait de dire un mot de travers. Ils s'étaient tous les deux pris la tête pendant près d'une heure, opposant leurs points de vue et opinions sur l'affaire qui les occupait actuellement. Et ce n'était pas une affaire de type policière, mais familiale, ce qui était encore plus délicat.

Il ne pouvait pas croire que sa mère et sa tante avaient décidé d'un commun accord de ne pas avertir la police de la disparition de sa sœur ― qui était leur fille et leur nièce quand même ! ― pour protéger leur fichue réputation immaculée ― uniquement grâce aux pots-de-vin et relations de la famille Ôzaki, car lui savait le véritable nombre de scandales qui l'avaient entachée mais qui avaient été effacés par l'argent et l'influence.

Il finit par se redresser en pestant contre elles, et par observer son téléphone en se souvenant du sourire de sa sœur quand elle le lui avait offert. Elle était heureuse d'avoir obtenu une réduction et d'avoir pu le lui offrir avec le salaire qu'elle avait gagné en travaillant à temps partiel dans un petit commerce de proximité pendant l'été. Il ne méritait pas une sœur aussi bienveillante qu'elle, mais ce n'était pas pour autant qu'il voulait qu'on la lui enlève. Sûrement pas. Et il éradiquerait toute personne qui avait osé la blesser quand il la retrouverait enfin.

(Parce qu'il allait évidemment la retrouver, avec ou sans le soutien de sa famille.)

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J + 1

18 JANVIER

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Ryunosuke grimpa sur l'escabeau instable avec un soupir agacé et rangea au bon endroit ― il l'espérait ― les trois dossiers qu'il avait dans la main. Il redescendit ensuite pour changer d'allée et en attraper deux autres, tout en pestant contre cette tâche ridicule qu'on le forçait à exécuter. Sa promotion d'inspecteur se faisait un peu trop désirer à son goût, et il n'attendait qu'une chose : que l'inspectrice Yosano lui annonce qu'il était prêt à gravir un échelon (qui ne serait pas celui de ce fichu escabeau de préférence).

Mais sa supérieure était débordée, il en avait conscience, et il voyait bien qu'elle faisait tout pour garder la tête hors de l'eau et ne pas se laisser submerger par ses responsabilités et son chagrin. Il savait qu'elle faisait de son mieux, et il n'était pas certain qu'il aurait pu en faire de même dans sa situation, même s'il n'avait jamais été confronté à une telle perte. Ses parents et tous ses proches étaient en vie et bien portants. Sa tante serait plus à même de la comprendre, elle qui avait perdu ses deux parents des années plus tôt et qui avait été forcée de reprendre immédiatement leur travail sans avoir réellement le temps de les pleurer. (Mais d'une certaine façon et sans trop savoir pourquoi, il ne souhaitait pas que Kôyô et Yosano se rencontrent, car une petite voix intérieure lui soufflait qu'elles formeraient une alliance destructrice si elles le faisaient.)

« Akutagawa ? Tu les as ? » La voix candide de Nakajima atteignit ses oreilles alors qu'il redescendait, et il tourna la tête vers sa gauche pour apercevoir son collègue qui le dévisageait.

« Il m'en manque encore deux, répondit-il avant de lui montrer les deux dossiers qu'il venait de descendre.

Je ne trouve pas celui de l'inspecteur Fukuzawa, avoua son collègue. Il n'est pas rangé aux F.

Il est peut-être sur l'étagère réservée aux inspecteurs. » fit remarquer Ryunosuke d'un ton placide.

L'autre écarquilla les yeux en réalisant son erreur de débutant ― ils classaient tous leurs dossiers par ordre alphabétique du nom des affaires ou des personnes concernées, mais les anciens inspecteurs avaient leur propre étagère, plus en évidence et moins remplie, pour simplifier la tâche à ceux qui désireraient consulter leurs dossiers, notamment pour connaître la liste détaillée de leurs affaires résolues et ensuite retrouver plus facilement ce qu'ils cherchaient vis-à-vis de ces affaires. L'argenté se dépêcha de s'y rendre, pendant que le jeune homme aux cheveux bicolores essayait de récupérer les deux dossiers qu'il lui manquait. Il les attrapa sans avoir besoin de l'escabeau ― pour une fois ― et se plaça ensuite à la sortie en attendant que son collègue le rejoigne pour qu'ils puissent ensuite retourner travailler et confier leurs trouvailles à leurs supérieurs ― il n'aimait pas trop leur façon de les traiter en larbins, mais il n'était pas certain qu'ils auraient été très utiles avec eux.

Alors qu'il observait le couloir tranquille depuis l'entrebâillement de la porte, il aperçut une silhouette venir dans leur direction à vive allure et crut que leurs supérieurs venaient leur remonter les bretelles car ils avaient été trop longs ; lorsqu'il aperçut cependant le visage de Dazai, il changea d'opinion car son aîné semblait juste terriblement las.

« J'ai besoin d'une cigarette, lâcha-t-il en se plaçant en face de son cadet.

Vous fumez ? releva Ryunosuke qui ne l'avait jamais vu avec une cigarette ou un briquet.

Pas jusqu'à présent. J'ai juste vraiment besoin de me calmer les nerfs.

Et je t'interdis de lui en donner une, Ryunosuke, ou le fantôme d'Oda viendra te hanter. »

Cette remarque provocatrice provenait de Ranpo, qui avait apparemment suivi le brun et souriait d'un air innocent ― mais ses yeux émeraudes brillaient de sérieux et de détermination, ce qui déstabilisa quelque peu Ryunosuke.

« Oda fumait, opposa Dazai d'un ton neutre.

Il avait arrêté. Et il t'avait formellement interdit de fumer. De toute manière, tu disais détester ça. » Dazai poussa un soupir exaspéré.

« J'ai juste besoin de me calmer.

Alors agis au lieu de détruire ta santé. Pourquoi ne pas aborder la question directement ? »

Ryunosuke ne saisissait pas vraiment de quoi il était question. Lorsqu'il était parti de leur salle de travail avec Nakajima, l'inspecteur Ango leur annonçait avoir trouvé une concordance entre les empreintes sur l'arme et celles relevées au manoir de Fitzgerald. Deux suspects avaient ainsi été isolés, Topaz et un autre homme dont il n'avait jamais entendu parler ; mais cela ne semblait pas être le cas de Dazai, qui s'était raidi en le découvrant. L'inspectrice Yosano avait ensuite chassé les deux plus jeunes recrues de la pièce en leur demandant d'aller chercher des documents, et il n'était plus en possession des informations suffisantes pour comprendre la conversation de ses deux supérieurs.

Dazai fit la moue devant la réponse de son camarade et évita obstinément son regard comme un enfant de quatre ans. Ranpo sembla vouloir ajouter quelque chose, mais il se ravisa et tourna les talons aussi subitement qu'il était venu. Parfois, Ryunosuke ne parvenait vraiment pas à comprendre ce qu'il se passait dans l'esprit de ses supérieurs.

Il observa le brun qui n'avait pas bougé, tout en se demandant s'il attendait réellement qu'il lui donne une cigarette. Il hésitait à le faire, non pas par sollicitude envers son supérieur qui risquait de détruire sa santé tout comme lui, mais parce qu'il craignait la réaction de ses autres supérieurs ― et même s'il ne croyait pas aux fantômes, il devait avouer que l'idée de croiser celui de Sakunosuke Oda ne le tentait pas franchement.

« Il faut que je te pose une question, lâcha Dazai, toujours aussi maussade, après quelques minutes de silence. Toi au moins tu me répondras honnêtement. » Était-ce un compliment ou une insulte ? Difficile de trancher. « Penses-tu que je faisais fausse route en affirmant qu'Odasaku n'avait pas de lien avec cette affaire ? »

Il y avait tellement longtemps que le jeune homme aux cheveux bicolores n'avait plus songé à cette hypothèse qu'il lui fallut quelques secondes pour se souvenir. Oui, le nom de l'inspecteur décédé figurait sur un papier trouvé dans la chambre de Topaz, et il avait toujours songé en son for intérieur qu'il était possible qu'il y ait un lien. Depuis la découverte de Fyodor Dostoevsky, et de ses initiales qui pouvaient correspondre à celles inscrites sur le logo, il avait intérieurement effacé cette idée de son esprit en songeant que ses supérieurs avaient peut-être eu raison de toujours réfuter cette hypothèse.

« Je pense qu'il n'y a pas assez de preuves dans ce sens, finit-il par répondre. Vous en doutez ? » Le regard de son supérieur se durcit légèrement, comme s'il continuait de rejeter cette idée de toute son âme.

« Disons que je ne suis plus certain de pouvoir me fier à mon intuition. » Cette fois, sa voix était acide, méprisante, critique.

« Que voulez-vous dire ? ne put s'empêcher de demander l'inspecteur en formation.

Viens avec moi. »

Il partit en direction de la sortie du BEC sans attendre de réponse affirmative ou négative, et Ryunosuke lui emboîta le pas, toujours avec ses quatre dossiers en main. La pensée que Nakajima n'avait sans doute pas entendu ce dont ils parlaient et qu'il allait se demander où il était passé l'effleura, mais il ne s'arrêta pas pour l'avertir ou lui laisser un mot, car Dazai était déjà loin devant et ne se retournait pas pour s'assurer qu'il le suivait.

Ils descendirent pour atteindre la sortie du bâtiment et s'installèrent dans un coin tranquille à l'écart ; Akutagawa n'était pas censé être en pause, mais c'était apparemment le cadet des soucis de Dazai. Il le dévisagea avec un air sévère pendant de longues minutes de silence, avant de se décider à parler et à expliquer ce qu'il avait à dire :

« J'étais présent lorsqu'Odasaku est décédé. » Ryunosuke ne s'attendait pas à ce qu'il aborde le sujet aussi directement. Le ton du jeune homme était froid et distant, comme s'il racontait une simple anecdote. « Je l'accompagnais interroger des civils dans le cadre d'une enquête et il a été abattu sous mes yeux par un sniper. Tout est allé vite, mais j'ai vu clairement la balle traverser son corps. » L'horreur des propos du brun contrastait avec son ton neutre. « Je l'ai vu mourir, cracha-t-il avec plus de colère, et je sais qu'il n'a pas de lien avec cette histoire. C'est impossible qu'il ait trempé dans des machinations en lien avec ce fichu russe. J'en suis persuadé. Il était trop bon pour ça.

Peut-être que le numéro inconnu essaye juste de vous induire en erreur en utilisant cette corde sensible. » Dazai soupira.

« Je le pense aussi, et il y arrive. Mais je finis par me poser trop de questions. » Ryunosuke avait l'impression de découvrir un nouveau côté de son supérieur, plus humain que jamais. « Quoi qu'il en soit, si jamais tu découvres quelque chose de plus sur Odasaku... Eh bien, peut-être faudrait-il creuser. Je ne le pense pas coupable, sûrement pas, mais je finis par ne pas savoir si cela repose sur de l'objectivité ou de la subjectivité. »

Il adressa un demi-sourire de façade à son subordonné avant de partir aussi subitement qu'il était arrivé à l'origine, reprenant vite son attitude incompréhensible pour le commun des mortels. Ryunosuke était assez perdu quant à cette conversation des plus étranges qui venait de survenir entre lui et le brun, mais il en avait au moins retiré des réponses claires sur les circonstances de la mort d'Oda ― même s'il restait pour une fois assez convaincu que ce n'était qu'une feinte du numéro inconnu.

Il éprouvait aussi un sentiment étrange par rapport à l'inspecteur Dazai. Quelque chose qu'il avait du mal à qualifier exactement, mais qui trottait dans son esprit. C'était la première fois qu'il voyait le brun agir ainsi, semblant presque vulnérable et il avait du mal à y croire. Non, d'ailleurs, il n'y croyait pas. Agir ainsi allait complètement à l'encontre de l'attitude que le brun affichait depuis deux mois, depuis son retour au BEC. Il y avait anguille sous roche, il en aurait mis sa main au feu.

Puisque les dossiers finissaient par peser lourd dans son bras, il remonta et croisa justement Nakajima qui venait en sens inverse. Le jeune homme ne semblait même pas agacé, juste content de retrouver son collègue ― mais était-ce vraiment surprenant ? Ryunosuke n'avait jamais vu son ancien camarade de promo énervé ou même agacé, et il finissait par croire que ce n'était qu'une légende.

« Ah, Akutagawa ! Tu étais parti fumer ? » La question était innocente, comme à peu près chaque mot qui sortait de la bouche du jeune homme aux cheveux d'argent. Ryunosuke se demandait toujours comment une telle chose était possible ― et il se demandait aussi à quel moment cela avait cessé de l'agacer.

« Non, je discutais avec l'inspecteur Dazai. » L'autre sembla surpris d'entendre cette réponse, mais ne fit aucun commentaire à ce sujet.

« J'ai trouvé les dossiers qu'il manquait, déclara-t-il à la place. Je suppose qu'on peut y retourner. »

Ryunosuke hocha la tête et prit les devants. Il se demandait pourquoi le jeune homme avait pris la peine de venir le chercher au lieu de retourner directement dans leur salle de travail. Certes, il aurait dû expliquer qu'il ne savait pas où était son « coéquipier » et Ryunosuke aurait sans doute encore essuyé des remontrances de la part de ses supérieurs, mais ce n'était pas le problème de son camarade.

Enfin, il supposait que l'argenté était incapable d'agir égoïstement s'il savait que les autres auraient des problèmes ensuite. Cela lui ressemblerait bien. Ryunosuke avait toujours pensé qu'il n'était pas assez égoïste et trop facilement prêt à se « sacrifier » pour les autres. Cette opinion n'avait pas changé, elle s'était au contraire renforcée au fur et à mesure qu'ils passaient du temps ensemble.

Lorsqu'ils entrèrent finalement dans leur pièce de travail, l'ambiance était toujours très électrique. Contrairement à ce que le jeune homme aux cheveux bicolores avait d'abord pensé, l'inspecteur Dazai n'était pas revenu travailler. Il n'était visible nulle part dans la pièce, tout comme l'inspecteur Ango. Les deux hommes étaient-ils allés se parler ? Il avait cru comprendre qu'ils étaient amis, ou en tout cas qu'ils se connaissaient mieux que de simples collègues, même si leurs relations paraissaient très tendues.

Yosano, Ranpo et Kunikida discutaient activement autour de l'ancien bureau de l'inspectrice principale, une multitude de papiers étalés autour d'eux. Le blond prenait des notes compulsivement sur un petit carnet qu'il ne quittait jamais et dont il se servait toujours lors des enquêtes, d'après Nakajima. Ryunosuke se demandait s'il les gardait tous, même quand ils étaient remplis, et, si oui, quel nombre exact en avait-il chez lui.

Les trois inspecteurs relevèrent la tête en les voyant revenir et leur firent signe d'approcher. Ranpo se saisit de tous les dossiers et les empila comme un château de cartes ― et ni Kunikida ni Yosano ne firent la moindre remarque à leur grande surprise. La jeune femme se leva pour effacer d'un geste assez brutal leur tableau blanc recouvert d'écritures et agita un marqueur noir dans leur direction.

« Reprenons. Depuis le début.

Lequel ? » ne put s'empêcher de demander Ryunosuke. Il se prit un regard courroucé de sa supérieure, mais selon lui la question était légitime. Cette histoire était tellement tordue que l'idée même de début semblait abstraite. Tout était si soigneusement emmêlé qu'il était difficile de savoir quand tout avait commencé.

« C'est une bonne question, intervint Ranpo. Essayons déjà d'y répondre : quand est-ce que tout cela a commencé ? » Il agita un doigt en l'air en dévisageant tour à tour ses collègues de ses prunelles émeraudes. « Quand Topaz s'est échappé, quand il a été condamné pour la première fois... ou quand les émeutes ont commencé ?

Attends, l'interrompit Kunikida, quel rapport entre les émeutes et nos affaires ?

Eh bien, l'inspecteur Taneda t'en a parlé non, Yosano ? Il craignait que la mort de l'inspecteur Fukuzawa ne pousse les civils à recommencer à se soulever. » Ryunosuke eut l'impression que sa voix avait faibli sur le nom de son défunt mentor, mais il n'en était pas totalement certain tant l'autre s'était repris vite. « À partir de ce constat... » Il se leva, attrapa un autre marqueur et inscrivit en grand, au centre du tableau un « émeutes ». « Il ne semble pas absurde de supposer que tout avait peut-être ces émeutes comme point de départ. Il y a dix ans, elles ont mis la ville entière dans le chaos.

Mais ce n'est qu'une hypothèse, intervint Nakajima un peu hésitant, comme toujours.

Avec beaucoup de preuves. »

Le jeune inspecteur au gavroche commença à écrire quelques mots et noms tout autour du premier mot inscrit, qu'il avait entouré d'un cercle vacillant rouge. Les autres se levèrent pour observer la carte qu'il réalisait ainsi : au centre, l'origine potentielle du problème, et tout autour les acteurs de leurs différentes affaires.

« Tout d'abord, l'inspecteur Fukuzawa. » Cette fois, le jeune homme aux cheveux bicolores était certain que la voix de son aîné s'était fêlée quelques instants. « C'est lui qui a joué le rôle le plus important dans l'apaisement des émeutes. Même s'il restait des insatisfactions, c'est parce qu'il a poussé le maire à écouter les plus posés des manifestants que tout s'est terminé. Et c'était aussi l'un des meilleurs inspecteurs de Tokyo, nommé ensuite à Yokohama pour continuer de surveiller la ville. Il était une cible de choix pour relancer les émeutes, car il était le symbole le plus évident de leur fin. » Il traça un trait pour le relier au nom de Gin Akutagawa. « Il n'est pas étrange de supposer qu'il y a aussi un lien avec ta sœur, Ryunosuke. Sinon, je ne vois pas son rapport avec les émeutes, geignit-il d'un ton moins sérieux.

Ne fais pas des hypothèses comme ça avant d'éliminer tout ce qui les invalide, soupira Yosano.

J'y reviendrais plus tard alors. Ensuite, Topaz. » Ranpo poursuivit ses explications avec sérieux de nouveau. « Topaz est un symbole inverse à l'inspecteur Fukuzawa. Lui venait d'un quartier sensible, typiquement l'un de ceux qui se sont révoltés. Il a été emprisonné de façon « injuste » pour la plupart des habitants de ces quartiers. Et ses actes et sa libération véhiculent des messages forts.

Ses actes ? releva Kunikida.

Il a dérobé un objet précieux dans l'unique but de le vendre, tué d'abord une employée puis probablement le directeur de la Fitzgerald Corporation, sans compter qu'entre temps, il s'est évadé d'une prison de haute sécurité et s'est joué de la police pendant des semaines. Du point de vue de quelqu'un qui déteste l'ordre et veut aller à son encontre, Topaz est une icône.

Je ne te savais pas si philosophe, commenta Yosano sur un ton moqueur, malgré son écoute attentive.

Je me mets au niveau de notre adversaire, répondit-il sans ciller. Je suis certain qu'il pense ainsi. Tout ce qu'il fait, c'est envoyer des messages, littéralement mais aussi de façon plus subtile. « Un criminel s'est échappé et a récidivé sous le nez de la police. ». « Votre figure d'autorité a péri. ». « Le chaos va s'installer à nouveau. ». Il leur dit de recommencer.

Mais quel est le mobile ? intervint Nakajima. Pourquoi ce Fyodor Dostoevsky ferait-il cela ?

Il a un casier judiciaire dans de nombreux pays pour divers crimes, réfléchit à voix haute Kunikida. Mais la majorité de ces crimes était de petite ampleur, il n'a jamais été condamné. Aurait-il une rancune personnelle contre Yokohama pour vouloir plonger cette ville tranquille dans le chaos ? Aurait-il des raisons de s'en prendre à la police d'ici ?

Ou cherche-t-il juste à passer le temps en observant les états d'âme des hommes ? termina Ranpo. Il n'est peut-être pas nécessaire de chercher si loin. Vu sa personnalité, il ne serait pas surprenant que son but ne soit pas la revanche. »

Ryunosuke prit quelques instants pour penser aux mots de son supérieur. Le mobile était en effet leur question la plus délicate face à cette situation. Qu'est-ce qui pourrait pousser un homme ― ou plusieurs ― à agir ainsi dans le but d'amener le chaos dans une ville, ou un pays s'ils voyaient grand ? Même une rancune paraissait dérisoire face à l'ampleur de ce qui pourrait se passer. On ne faisait pas sombrer une ville entière dans la délinquance parce qu'on y avait été mal accueilli ou il ne savait quoi.

« Pour en revenir à ce que je disais, reprit Ranpo, je trouve que cette hypothèse de relancer les émeutes est loin d'être improbable. Tout ce qu'il s'est produit forme une ligne droite pour relancer la foule.

Il y a dix ans, les émeutes avaient été terribles, lâcha Yosano sur un ton dégoûté. Qui pourrait vouloir faire revenir un tel chaos ? Il y avait eu tant de morts... »

Son regard se voila légèrement sur ces mots. Ryunosuke n'avait qu'une dizaine d'années lorsque les émeutes avaient ravagé leur ville, et il n'avait à l'époque pas bien compris ce qui se produisait. Tout ce qu'il voyait, c'étaient des hommes et des femmes qu'il connaissait parfois qui se révoltaient contre ce qui devait être une injustice. Il était trop jeune pour comprendre que tout était infiniment plus compliqué, et que si les premières raisons de ces émeutes étaient légitimes, elles avaient vite tourné au vinaigre lorsque ceux que seule la violence intéressait s'en étaient mêlés.

« Peut-être que c'est ce qu'il cherche. Les morts, le chaos, répondit finalement Kunikida. Peut-être qu'il ne veut que ça. Ce serait plus que discutable moralement, mais est-il vraiment à ça près ? »

Ils laissèrent la question mourir dans le silence, leurs pensées fixées sur cet homme dont ils ne savaient pas grand-chose, à part sa propension à se moquer d'eux et son intelligence. Ils avaient consulté son dossier sans en retirer quoi que ce soit de réellement tangible en fin de compte. Il était un criminel de bas étage, qui devait plutôt se cacher et laisser les autres commettre les crimes à sa place. Ses rares arrestations concernaient de petits crimes qui ne lui avaient fait récolter que des amendes pitoyables.

Concernant leurs recherches plus poussées sur la vie personnelle de l'homme, ils n'avaient pas récupéré grand-chose encore une fois. Pour être honnête, ils n'avaient même rien récupéré du tout, en tout cas rien de majeur pour les aider à résoudre leur affaire. Ils avaient contacté la police russe, fait tout ce qu'ils pouvaient pour récupérer des informations personnelles, mais même obtenir un certificat de naissance s'était avéré difficile et ne leur avait pas appris de détail utile. Une date de naissance et un lieu, Moscou ― et ils avaient noté avec ironie que l'homme fêtait son anniversaire le jour où Dazai était revenu, quelques mois plus tôt. Un parcours scolaire difficile à retracer, constitué de nombreux changements de lieux de résidence et d'école. Puis, un vide après son diplôme une dizaine d'années plus tôt, rebouché simplement avec les casiers judiciaires dont il disposait dans différents pays.

Tout ce qu'ils avaient trouvé de vraiment tangible, c'était grâce à la police de leur propre pays, qui avait signalé qu'il avait séjourné à deux reprises au Japon et été arrêté pour vol. Cela leur avait semblé bien dérisoire dans un premier temps, avant de découvrir l'objet volé en question. Une voiture. Un vol identique à tous ceux qu'ils résolvaient au cours des mois passés. Soit l'univers avait réellement un sens de l'humour discutable, soit il ne s'agissait nullement d'une coïncidence.

« Vous tirez au flanc ? » La voix de Dazai les tira de leurs pensées ; le jeune homme venait de passer la porte, seul. Il semblait un peu plus maître de lui-même qu'auparavant, et Ryunosuke se demanda ce qu'il avait fait pour se calmer.

« On réfléchit Dazai, le tança Yosano en réponse, ce que toi tu ne fais pas.

Quelle violence, geignit le jeune homme ― qui était définitivement redevenu lui-même. Je venais justement vous rejoindre et vous aider.

Où est l'inspecteur Sakaguchi ? » lui demanda Ranpo. Il haussa les épaules en réponse.

« Bonne question. »

Ryunosuke haussa un de ses fins sourcils et vit du coin de l'œil Yosano et Ranpo échanger un regard dépité. Si les deux hommes étaient bien partis discuter comme il l'avait originellement supposé, on ne pouvait pas dire que l'échange avait apparemment été constructif. D'un autre côté, Dazai n'était pas d'un naturel expressif ― en tout cas pas sincère ― donc peut-être qu'il était bien ressorti quelque chose de cet échange. Mais, encore une fois, il n'avait fait que supputer que les deux hommes s'étaient parlé. Il était aussi possible qu'ils soient simplement partis chacun de leur côté.

« Vos réflexions vous ont mené quelque part ? » les interrogea ensuite l'inspecteur aux cheveux bruns. Il s'approcha du tableau sur lequel Ranpo avait inscrit les noms et les avait reliés.

« Ranpo nous expliquait la potentielle portée symbolique des agissements de Dostoevsky. » répondit Yosano.

Pendant que l'inspecteur aux cheveux de jais recommençait ses explications pour le nouveau venu, Akutagawa réfléchit de nouveau à Fyodor Dostoesvky, mais aussi à ses complices supposés. Ivan Goncharov, tout d'abord, qui avait tenté de les assassiner, lui et Yosano avant de se donner la mort. Les autopsies ― réalisées rapidement après l'intervention de Dazai, malheureusement, elles étaient un peu tombées dans l'oubli avec les événements qui avaient suivis ― avaient démontré que Goncharov s'était bien suicidé au moyen d'un poison caché derrière une de ses dents. Une méthode bien souvent utilisée par la pègre et la mafia, afin d'être certain de ne pas se parjurer sous la torture. Le poison était un poison rare méconnu des médecins, mais circulant depuis des années sur le marché noir, particulièrement en Russie.

Ils avaient épluché en détail son passé ― à défaut d'avoir des informations sur Dostoevsky, ils s'étaient rabattus sur ses complices ― sans trouver une nouvelle fois de détail important à première vue. Ivan Goncharov, russe naturalisé japonais, propriétaire d'un café à Tokyo, ils avaient ces informations depuis le début et elles ne voulaient rien dire. Un seul détail les avait fait tiquer, et uniquement lorsqu'ils avaient consulté le dossier du troisième complice de Dostoevsky : le lieu de naissance de l'homme aux cheveux d'argent, Oulianovsk.

En effet, Mark Twain, l'étudiant américain interpellé à la place de Topaz et qui tenait à se faire passer sur lui, avait depuis longtemps été relâché et renvoyé dans son pays ; son nom était en revanche resté sur leur liste de suspects potentiels. Ils avaient consulté le peu qu'ils savaient à son sujet, et avaient obtenu, en s'adressant aux autorités américaines, une information personnelle des plus intéressantes : le jeune homme avait effectué un voyage à Oulianovsk quelques mois auparavant, pendant ses vacances scolaires. Et Dostoevsky aussi, plusieurs années auparavant, dans le cadre d'un voyage scolaire cette fois.

Les dates ne collaient absolument pas, mais le fait était que cette ville était la seule chose qui les reliait. Et s'il n'y avait aucune preuve que Dostoevsky et Goncharov s'étaient trouvés à Oulianovsk en même temps que Twain, aucune preuve ne démontrait le contraire non plus. Au point où ils en étaient, ils ne pouvaient que se raccrocher à ces constats simples ; et il s'agissait de leur seule piste pour déterminer comment Twain, Goncharov et Dostoevsky avaient pu entrer en contact. Quant au dernier homme, l'auteur du mail, ils s'étaient entretenus avec des membres de la police russe et avaient ainsi déterminé que « Kolya » était un surnom courant pour le prénom Nikolai. Ils n'avaient pas été en mesure d'identifier plus précisément le responsable principal de tout cela, mais s'il y avait bien eu une étrange réunion à Oulianovsk, alors ce Nikolai s'y était sûrement trouvé aussi.

Malheureusement, si la piste de la ville leur semblait importante, ils disposaient de trop peu d'arguments pour obtenir le droit d'aller enquêter directement sur le territoire. Ils étaient en négociations intenses pour avoir l'autorisation de s'y rendre officiellement, mais finissaient par considérer de plus en plus l'idée d'y aller de façon non officielle pour mener l'enquête discrètement.

« D'accord, je pense que j'ai compris. » La voix de Dazai le fit revenir sur terre. « Je suis assez d'accord avec Ranpo sur l'idée du chaos. Considérant tout ce qu'il s'est passé, cela semble probable.

Dans ce cas, cette partie est réglée, s'exclama le jeune homme au gavroche. On a le mobile.

Ne prends pas de faux constats comme départ, protesta Yosano. Même si cela nous semble probable, cela n'est pas forcément la vérité.

Il faut qu'on avance d'une manière ou d'une autre, la contra son collègue. On stagne depuis déjà trop longtemps. » Tous opinèrent doucement. Officiellement, le numéro inconnu et l'affaire Topaz avaient fait leur apparition en novembre. Ils étaient en janvier, presque en février, et ils n'avaient jamais fait d'avancée notable et suffisante. Ryunosuke finissait par se dire qu'ils n'avaient d'inspecteurs que le nom.

« Bon, reconcentrons-nous un peu, reprit Yosano avec fermeté. Reprenons au début, et je veux dire l'évasion de Topaz cette fois.

Le deuxième début officiel, ironisa Ranpo, mais elle l'ignora superbement et continua :

Ce qu'on sait, c'est que Topaz s'est échappé le 15 novembre de la prison de haute sécurité de Katsushika où il avait été incarcéré trois ans plus tôt après un vol à main armée qui avait mal tourné. Aucune trace d'effraction, et aucun indice sur la façon dont il est sorti ; tout portait à croire qu'il avait juste ouvert la porte et était sorti tranquillement.

― Même en observant les vidéos de surveillance intactes, on n'a pas pu distinguer le moment où il est sorti, poursuivit Kunikida. On dirait vraiment qu'il s'est juste volatilisé.

Et, à ce propos, j'ai une remarque à faire, intervint Dazai. Vous vous souvenez de mon hypothèse comme quoi il n'était pas encore sorti lorsqu'on est venus enquêter ?

Encore cette idée ? protesta Yosano. On a fouillé toute la prison, Ranpo et moi. Dans la mesure du possible en tout cas.

Justement, il y a des endroits où vous n'avez pas été.

Des endroits réservés aux surveillants, il n'allait quand même pas s'y trouver ! » Le ton commençait à monter entre les deux inspecteurs, aussi Kunikida intervint pour tempérer.

« Tu penses sérieusement que Topaz aurait pu se cacher dans la prison et en sortir plus tard ? demanda-t-il à Dazai.

Tout le monde est parti du principe que Topaz était sorti, répondit le jeune homme en plissant les yeux, et des contrôles des véhicules sortants n'ont été effectués que pendant les premières heures. S'il avait trouvé une cachette et avait attendu environ vingt-quatre heures, il aurait largement pu sortir en se cachant dans un autre véhicule.

Mais les entrées et les sorties ont été soigneusement vérifiées pendant plusieurs jours quand même, déclara Nakajima. Si une personne non autorisée avait tenté d'entrer sur le parking ou dans l'enceinte, elle aurait été arrêtée.

Peut-être qu'elle l'était, autorisée. » répondit sèchement Dazai.

Sa déclaration jeta un froid polaire sur la pièce. Une fois encore, il sous-entendait sans gêne qu'un traître s'était glissé parmi les inspecteurs de police. Ryunosuke trouvait cette hypothèse plausible d'ailleurs. Un propriétaire de café, un étudiant, Dostoevsky avait prouvé qu'il pouvait rallier tout type de personnes à sa cause. Alors un policier... Ce ne serait pas la première fois que des cas de corruption apparaissaient au sein même d'une brigade criminelle.

« On tourne en rond, finit par soupirer Yosano, sans trouver la moindre piste cohérente et complète. Tout ce qu'on fait, ce sont des hypothèses sans fondement.

On dispose d'un élément essentiel : les empreintes relevées dans le manoir et sur l'arme, déclara Ryunosuke. Ne devrait-on pas interpeller l'autre personne pour lui poser des questions ? Tout porte à croire qu'elle est suspecte. » Sans qu'il ne comprenne vraiment pourquoi, Ranpo éclata d'un rire moqueur après ces mots.

« Ça, mon cher Ryunosuke, ce serait en effet la meilleure chose à faire, mais apparemment les policiers chargés de l'interpellation ne sont pas encore revenus, et je n'ai pas trop de doutes sur la raison. »

Il décocha une œillade moqueuse à Dazai qui l'ignora. Ryunosuke, lui, échangea un regard intrigué avec Nakajima ; les deux inspecteurs en formation ne comprenaient pas trop ce que voulait dire leur supérieur. Alors que tous soupiraient de découragement en observant leur tableau un peu plus clair ― mais pas encore suffisamment pour qu'ils progressent réellement ―, l'inspecteur Ango reparut dans la pièce.

« Le docteur Ôgai Mori est arrivé, déclara-t-il en guise de salutation. Il dit qu'il a été convoqué pour un interrogatoire. » Akutagawa haussa un sourcil, étonné par cette nouvelle. Nakajima et Kunikida semblaient aussi un peu surpris d'apprendre que l'homme avait été convoqué, mais Dazai, Ranpo et Yosano se levèrent immédiatement.

« On va y procéder dans un autre bureau. Je finis par me dire que les murs ont trop d'oreilles. » marmonna la jeune femme.

Elle posa son téléphone dans son bureau et intima aux inspecteurs qu'elle désigna pour l'accompagner de faire de même : Ryunosuke et Dazai s'exécutèrent donc et la suivirent dans le couloir. Ranpo les accompagna également, mais ils décidèrent que lui resterait en retrait avec Akutagawa tandis que Dazai et Yosano mèneraient la danse. L'expression, bien qu'un peu étrange dans leur contexte, avait été prononcée par les deux concernés avec un sourire qui n'annonçait rien de bon aux yeux du bicolore.

Le docteur Mori les attendait avec une patience louche dans la salle sélectionnée pour l'interrogatoire, et Ryunosuke se demanda ce qu'il avait derrière la tête. Il ne connaissait pas beaucoup ce grand ami de sa tante, mais il trouvait son comportement étrange. Tout le monde savait qu'il trempait parfois dans des combines un peu douteuses ― d'ailleurs, la révélation-choc de Zelda Fitzgerald en était la preuve ― aussi le jeune inspecteur avait d'abord pensé qu'il ne se remettrait pas si facilement aux autorités. Peut-être n'avait-il réellement rien à cacher après tout ?

« Quel accueil musclé, commenta-t-il justement en les voyant arriver. Je ne m'attendais pas à tant d'honneur. » Yosano roula des yeux en s'asseyant face à lui, tandis que Dazai répliquait :

« Il est si exceptionnel de te voir dans un poste de police qu'on devait marquer le coup. Avec un peu de chance, la prochaine fois, tu seras là pour qu'on te mette en prison. » Tant d'aplomb et de cruauté laissèrent Ryunosuke sans voix, et apparemment ses supérieurs étaient aussi sidérés que lui par la hargne de leur collègue. Le destinataire de la pique en revanche ne cilla pas, troquant simplement son sourire hypocrite contre une mine plus sérieuse.

« Comment se fait-il que vous soyez venu si vite ? s'enquit Yosano en fronçant les sourcils. On vous a adressé la convocation il y a quelques heures seulement, et il est plutôt tard. » L'horloge indiquait dix-huit heures, l'heure à laquelle leur service aurait ― bientôt ― dû prendre fin si les circonstances avaient été normales.

« C'est moi qui vous ai dit de me convoquer, répondit le médecin en haussa les épaules. Et puis, de nos jours, un coup de fil est plus efficace qu'une lettre recommandée même si je ne doute pas que j'en recevrais une aussi.

Eh bien, reprit Dazai, ça nous arrange : nous avions justement besoin de nouvelles informations. Et je sais que tu en as un paquet à nous donner sur Fitzgerald. » Mori se rembrunit à la mention du magnat décédé.

« Avant toute chose, je ne parlerais pas sans mon avocat. » Les quatre inspecteurs levèrent les yeux au ciel avec une telle synchronisation qu'on aurait pu croire qu'ils s'étaient mis d'accord avant.

« Comme si on avait le temps d'en faire venir un ce soir, lâcha Ranpo. Même si c'est une convocation officielle, on peut très bien faire sans.

Et vous pourrez retenir contre moi tout ce que je dis.

Mori, cingla Yosano, on est suffisamment sur les nerfs comme ça : si vous avez des choses à vous reprocher, ce n'est pas notre souci. Nous, on a un cadavre sur les bras, et si vous avez des informations sur sa mort il est temps de nous le dire. »

Les arguments de la jeune femme semblèrent faire mouche ― et Ryunosuke se demanda pendant quelques secondes si la façon dont elle s'était exprimée signifiait qu'elle connaissait Mori en dehors de ce cadre professionnel, mais il jugea ensuite que c'était secondaire.

« Bon, souffla l'homme, je connaissais Fitzgerald. Pas personnellement, ni parce que c'était un de mes patients. Je l'ai rencontré une première fois par l'intermédiaire de mon ex-épouse. » Ryunosuke était content de ne pas être en train de boire, car il aurait sans doute recraché le contenu de son verre de surprise. Mori avait été marié ? « Elle a été une des premières à faire affaire avec Fitzgerald, et nous avons eu l'occasion de nous côtoyer à quelques reprises.

Mais d'où vient cette inimité entre vous ? s'enquit Dazai en rajoutant pour ses collègues : je sais qu'ils se sont déjà défiés plusieurs fois et qu'ils n'ont jamais pu s'encadrer. » Mori pinça les lèvres.

« Elle ne vient de rien de spécial, navré de te décevoir. J'ai toujours méprisé son attitude fausse, il a toujours méprisé la mienne, et on a commencé rapidement à se taquiner.

Ce n'est pas exactement ce que j'appelle se taquiner, soupira Yosano. Vous avez impliqué des innocents dans vos histoires.

Je n'ai jamais fait cela, se défendit Mori, seul Fitzgerald a impliqué Topaz dans cette affaire. Il ne voulait pas se mettre directement en avant, alors il a poussé un autre à le faire pour éviter les ennuis ensuite. Si vous voulez mon avis, il n'y a rien d'étonnant à ce que ce gamin se soit vengé.

Vous êtes en train de dire qu'il a mérité de mourir ? s'insurgea l'inspectrice principale.

Non. Mais si vous y réfléchissez bien, il a foutu la vie de ce garçon en l'air. Même si Topaz n'avait pas assassiné son employée, il aurait quand même probablement fini en prison pour vol à main armée. Tout cela parce que Fitzgerald l'a manipulé. »

Il y eut un petit silence pendant lequel personne ne dit quoi que ce soit. Ryunosuke se surprit à éprouver une minuscule once de sympathie pour Topaz, qui avait été une victime malheureuse d'un conflit qui le dépassait complètement.

« En fin de compte murmura Yosano, les amis de Topaz n'avaient pas entièrement tord en disant qu'il avait été manipulé. » Mori haussa les épaules.

« Personne n'a appuyé sur la gâchette à sa place.

Vous êtes vraiment sans cœur, répliqua-t-elle.

Il paraît. » répondit-il à voix basse.

Ryunosuke songea que pour quelqu'un sans cœur, il avait presque mauvaise mine. Même s'il le cachait bien derrière son attitude mesquine, il semblait sérieusement touché par il-ne-savait-quoi. Alors qu'il pensait que l'interrogatoire était fini, Yosano observa le médecin et demanda :

« Vous deviez répondre à mon autre question. Qui étiez-vous pour l'inspecteur Fukuzawa ? » Ryunosuke avait encore une fois le sentiment qu'il avait manqué des épisodes.

« Personne. C'est là tout le problème. » La réponse de Mori semblait presque sincère pour une fois, déclarée sur un ton empreint de solitude.

« On ne dirait pourtant pas que vous êtes particulièrement peiné par sa disparition, lâcha Dazai.

Si c'est sincèrement ce que tu penses, alors tu devrais sans doute remettre en question toute ta carrière d'inspecteur. Ce qui s'est passé entre Yukichi et moi, vous l'avez sûrement deviné. Mais cela ne regardait que nous, encore aujourd'hui. »

Sur ces mots, il se leva et quitta la pièce sur une dernière phrase :

« Vous pourrez m'accuser de tout ce que vous voulez, mais j'ai bien l'intention de vous aider à attraper celui qui a tué la seule personne que j'ai jamais aimée. »

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