20 - 𝐃u verre et des cœurs brisés

encore un chapitre plus long, stoppez-moi dans mon inspiration x')
plus ça va, plus je me dis que je suis devenue incapable de faire court et concis–

bref, sinon, j'espère que vous allez bien ! comme je l'avais dit sur le chapitre précédent et sur insta, je suis actuellement en train de bronzer (c'est faux je brûle mdr) en vacances et toutes les réponses se font à mon retour (y compris sur les chapitres précédents, merci aux nouveaux lecteurs qui rejoignent l'aventure :D) !

ah, juste pour info : j'ai vu pas mal de gens prendre la décision de quitter watty suite au hack dont on ne nous a pas informés ; pour ma part j'ai choisi de rester pour le moment. je changerai peut-être d'avis dans quelques jours, semaines, mois, mais voilà, pour le moment je serais toujours là pour vous hanter avec mes intrigues :)
(de toute manière même si je quittais watty j'irais hanter une autre plateforme ~)

bref, je vous donne rendez-vous le 07 août pour le chapitre vingt-et-un, et je vous souhaite une bonne lecture !

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𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐕𝐢𝐧𝐠𝐭 ─ 𝐃𝐮 𝐯𝐞𝐫𝐫𝐞 𝐞𝐭 𝐝𝐞𝐬 𝐜œ𝐮𝐫𝐬 𝐛𝐫𝐢𝐬𝐞́𝐬

Le jeune homme poussa un soupir désabusé et prit sa tête entre ses mains pendant de longues minutes. Il passa mécaniquement ses doigts dans ses cheveux bruns, comme pour essayer de se rattacher à quelque chose de matériel, avant de relever la tête soudainement en entendant des bruits de pas.

« Tu m'attendais ? » demanda la voix grave de celui pour qui il était effectivement resté assis sur cette chaise inconfortable pendant des heures. Il sourit avant de se relever et de décréter :

« Bien sûr ! Tu as les clés de la voiture. » Assumer une potentielle inquiétude n'était pas dans ces habitudes, alors il se rabattit sur sa nonchalance habituelle. L'autre laissa échapper un petit rire avant de l'observer, puis de faire glisser son regard sur le téléphone qu'il tenait dans la main.

« Des mauvaises nouvelles ? »

Il envisagea pendant quelques instants de jouer la carte de l'honnêteté, avant de décider que non. Il n'avait pas envie de s'étendre sur ses rapports tendus avec son père, sur son manque de lien avec sa mère et sur les ennuis qui lui pendaient au nez s'il continuait de mépriser absolument tout le monde comme il le faisait. Il se contenta de sourire innocemment une nouvelle fois, avant de répondre que non et de tourner les talons et de planter l'autre là quelques instants.

Il l'entendit soupirer, mais il ne fit aucun commentaire et le suivit après quelques secondes. C'était pour cela qu'il appréciait autant son mentor. Il n'essayait pas absolument de le faire changer par des réprimandes.

Il l'acceptait tel qu'il était.

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J + 1
18 JANVIER.

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L'inspecteur de police Osamu Dazai se laissa tomber dans l'herbe fraîche et laissa échapper un petit soupir mêlant frustration et contentement. À ses côtés, Chuuya le dévisagea avec un certain amusement dans les yeux, avant de chercher du regard sa chemise tombée quelque part autour d'eux.

« Tu comptes m'abandonner dès nos affaires terminées ? se moqua l'inspecteur, un grand sourire sur les lèvres.

N'essaye même pas de prétendre qu'on a fait autre chose que s'embrasser, le rembarra le rouquin – il disait la vérité, même si c'était seulement parce qu'il l'avait arrêté. Et je te signale qu'on est au mois de janvier. Les températures sont trop basses pour rester dehors aussi peu couvert.

Ça ne te dérangeait pas autant quand je t'embrassais.

Dans le feu de l'action, ce n'est pas un problème. » railla le rouquin en passant sa chemise rapidement. Dazai le regarda faire quelques secondes avant de demander :

« J'ai vu que tu avais un trou de balle dans ta chemise. Tu m'expliques ? » Chuuya resta silencieux quelques secondes avant de se tourner vers lui en soupirant :

« Pas besoin d'être inspecteur pour manquer de se faire tirer dessus, observa-t-il. Cette histoire date d'il y a longtemps, je n'avais pas remarqué le trou. » Étonnamment, il disait la vérité, songea le brun. Il ne décelait pas de trace de mensonge dans sa voix. Il décida donc de ne pas insister par respect pour l'autre et essaya donc de se relever.

« Es-tu seulement sensible au froid ? observa Chuuya en le regardant faire avec désinvolture. On dirait presque que tu aurais pu dormir ici sans ciller.

J'ai le sang froid, répondit avec amusement le brun.

Ce n'est même pas une excuse crédible. » soupira son interlocuteur.

Dazai ne répliqua rien et ramassa sa chemise. Alors qu'il la passait sur son torse, il sentit une vibration en provenance de sa poche secrète, où il avait rangé son téléphone. En le sortant, il fut immédiatement assailli par un grand nombre de notifications emplies de reproches muets. Près de vingt appels manqués de Yosano, le double de Kunikida – à croire qu'il l'avait appelé non stop toute la soirée – et une avalanche de messages impératifs.

Le brun les parcourut en vitesse et s'apprêtait à rappeler sa nouvelle supérieure lorsque des éclats attirèrent son attention. La colline du parc où ils se trouvaient surplombait grandement les environs, et il perçut sans le moindre doute les lueurs des gyrophares d'ambulanciers qui roulaient à toute vitesse dans la même direction.

« Il s'est passé quelque chose ? s'enquit Chuuya qui les avait vues aussi.

Je crois bien, avoua Dazai. J'ai l'impression qu'on va devoir écourter notre soirée. » Le rouquin jeta un coup d'œil à l'heure sur son téléphone et esquissa un sourire :

« Elle est de toute façon bien avancée maintenant. Va rejoindre ton poste avant de te faire remonter les bretelles par ta supérieure.

C'est trop tard je crois... » avoua le brun.

Il vola un baiser à son compagnon et le quitta promptement en composant le numéro de Yosano. Il se maudit, et maudit aussi ce qui avait perturbé sa soirée et nuit pourtant parfaite jusque-là. Chuuya et lui avaient décidé de passer aux étapes supérieures de leur relation, et comptaient en profiter... Mais apparemment, les plans avaient changé. Au bout de longues secondes où il ne perçut que le son de son téléphone, Yosano finit par décrocher.

« On peut dire que tu es en retard, lâcha-t-elle d'un ton ferme dans lequel il perçut une foule d'émotions inquiétantes.

Je suis désolé, Yosano. Je n'étais pas de service et j'ai complètement laissé mon téléphone de côté...

J'ai été jusqu'à envoyer Nakajima chez toi, pour avoir une chance de te ramener avant que tout ne dérape. En vain ! se lamenta-t-elle.

Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Francis Fitzgerald a été assassiné. » Dazai en resta sans voix. Il n'aurait jamais pu imaginer une telle réponse. Que diable s'était-il passé pendant ses quelques heures d'absence ?

« Devant ses invités ? » Il se souvenait que l'homme d'affaires avait une soirée de prévue ce jour-là – ou plutôt la veille puisque minuit était passé.

« Devant tous ses invités, sa femme et Ryunosuke.

Ça craint, lâcha-t-il au bout de quelques secondes.

C'est l'euphémisme du siècle, le rembarra Yosano, et il perçut sa lassitude. La situation est désastreuse. Rejoins-nous chez Fitzgerald dès que possible. »

Elle raccrocha sur ces mots et le laissa seul avec ses pensées. Il ignorait les tenants et les aboutissants exacts, mais cela s'annonçait comme leur pire affaire. Qu'est-ce qui avait bien pu se produire ? Qui avait assassiné Francis Fitzgerald sans scrupules ? Qui allait créer la pire affaire des semaines à venir ? Ils se plaignaient certes de l'inactivité, mais pas au point de souhaiter avoir un meurtre sur les bras.

Il poussa un soupir dépité puis inspira profondément. Il n'était pas très loin du manoir Fitzgerald mais n'avait pas de voiture, et la plupart des transports avaient cessé de rouler. Il allait devoir s'y rendre à pied et, vu l'urgence, il allait aussi devoir courir. Yosano semblait déjà d'assez mauvais poil comme ça, et il avait une erreur à rattraper – même si, en soit, il n'était pas en service. Ce n'était pas entièrement de sa faute quand même.

Il pressa le pas plus qu'il ne l'avait jamais fait ces dernières années et mit une trentaine de minutes à rejoindre le hall du grand salon de la demeure de Fitzgerald. Des policiers couraient de part et d'autre pour interroger les témoins, tandis qu'il voyait des hommes et femmes éplorés se lamenter et protester contre le service de sécurité défaillant tout en les accusant du drame qui s'était produit. Dazai chercha malgré le chaos ses collègues. Il repéra assez vite Kunikida et Nakajima, qui aidaient les policiers à ramener le calme parmi les invités. Il n'aperçut les autres qu'au bout de longues minutes de recherche ; ils étaient tout au fond de la salle de réception, éloignés des autres par des banderoles de sécurité fluorescentes pour dissuader les curieux de s'approcher. Le cadavre de Fitzgerald devait se trouver là-bas aussi.

Il s'y rendit directement en ignorant les policiers qui lui demandaient de montrer sa carte de service – il ne l'avait évidemment pas puisqu'il n'était pas de service. Malgré leurs protestations, il passa sous la banderole et se dirigea vers ses trois collègues, qui lui tournaient le dos. Au lieu de s'annoncer, il les contourna et s'approcha du cadavre.

Le spectacle n'était pas aussi sanglant qu'il ne l'avait imaginé en voyant toutes les mesures, mais la balle avait dû traverser tout le crâne de l'homme d'affaires, laissant une immense mare de sang et autres débris humains s'étendre autour de son corps. Dazai avait l'habitude des cadavres – avec ce métier, il le fallait – mais il y avait longtemps qu'il n'en avait plus vu et il éprouva un certain malaise en observant ce corps froid, autrefois vif et plein de vie. Il avait vu un spot de publicité de Fitzgerald quelques heures plus tôt. Difficile de croire que le même homme qui faisait ressortir son accent américain en paradant était désormais immobile sur le sol, et ne parlerait plus jamais.

« Mort quasi immédiate, commenta Yosano. Le légiste a fait son analyse quelques minutes avant que tu n'arrives. La balle a traversé le cerveau tout droit.

Au moins, il n'a pas souffert, fit remarquer Dazai.

Mais il est mort. » répliqua lugubrement Akutagawa. C'était son premier cadavre, mais il semblait plutôt bien le supporter. Son teint était peut-être un peu plus pâle mais il fixait sans ciller la mare de sang qui s'agrandissait autour du défunt.

« On a relevé les empreintes aussi, indiqua Ranpo. D'après les témoins, le coupable s'est enfui pendant le mouvement de foule. Impossible d'avoir une description précise et unanime mais il y a des caméras de surveillance partout.

Les bandes passantes n'ont pas été retirées j'espère ? fit remarquer Dazai en réponse. Ou trafiquées ?

Apparemment non, répondit Yosano. Nous avons été les récupérer d'office pour éviter qu'on les dérobe sous nos yeux. Mais nous n'avons pas encore pu les visionner.

Ce sont nos seules preuves fiables, soupira Ranpo. Les témoignages ne se recoupent pas assez. On a juste des vagues descriptions physiques qui ne se ressemblent même pas !

À ce point ? interrogea Dazai. Même pas une caractéristique similaire qui revient tout le temps ?

On peut déduire qu'il est de petite taille, répondit son collègue au gavroche. Personne ne l'a réellement aperçu assez bien pour mémoriser son visage. Il se serait apparemment fait passer pour un serveur afin de passer encore plus inaperçu – personne ne prête attention à ce genre de personnes.

Le coupable s'y connaît, commenta Dazai. Vous avez vraiment interrogé tout le monde ?

Je ne crois pas, répondit leur supérieure. Il y avait beaucoup de monde dans le manoir au moment du meurtre. Certains doivent encore attendre dehors.

Ma tante éloignée est parmi eux, déclara soudainement Akutagawa après avoir consulté son portable. Je peux aller lui demander si elle a vu quelque chose. » Il était rare que le jeune homme aux cheveux bicolores parle de sa vie privée ainsi, et le brun aurait voulu lui poser des questions dessus s'ils n'avaient pas été en service et en froid. Ils avaient repris leurs fonctions sans purger leur peine et le cou de Dazai avait perdu sa teinte violacée depuis des jours, mais ils ne s'adressaient plus la parole, même maintenant que Gin Akutagawa était rentrée.

« Vas-y, l'autorisa Yosano. Et essaye de voir si les policiers progressent sur l'élaboration d'un portrait robot. On attend le visionnage des bandes aussi pour essayer de voir notre tueur.

Et le bureau de Tokyo ? demanda le brun. Qu'est-ce qu'ils disent de l'affaire ? »

La jeune inspectrice principale se renfrogna à sa question et lui fit signe de s'approcher pour qu'ils parlent à l'abri des oreilles indiscrètes. Elle lui raconta ensuite qu'elle avait reçu un mail de provocation l'avertissant que quelqu'un comptait faire fermer leur Bureau, et que c'était le numéro inconnu qui leur avait donné un indice sur ce qu'ils prévoyaient de faire. Aux yeux de Dazai, c'était extrêmement louche. Fyodor, distribuer des indices gratuitement ? Impossible, il en mettait sa main au feu, il y avait anguille sous roche.

« Donc Topaz serait notre coupable ? déclara-t-il.

Apparemment, mais il nous faut des preuves, soupira Yosano. Si personne ne peut prouver que c'était lui, on a les pieds et poings liés.

Aucun policier en faction ne l'a vu ?

Ils ont appréhendé un suspect, mais ce n'est pas Topaz. Loin de là. »

Elle lui fit signe de la suivre et se dirigea vers l'extérieur du bâtiment, tandis que Ranpo restait en position pour analyser la scène du crime. Ils contournèrent les témoins déjà interrogés qui attendaient de trouver un taxi ou une voiture pour les ramener, et se dirigèrent vers un groupe de policiers un peu plus loin. La simple observation de leurs positions permettait à Dazai d'en déduire qu'ils avaient comme tâche de surveiller le fameux interpellé, et qu'ils tenaient à le faire bien pour ne pas se faire avoir une nouvelle fois et perdre définitivement toute crédibilité.

Ils s'écartèrent pour laisser Yosano et Dazai passer, et le regard du brun finit par tomber sur l'homme assis par terre et menotté. Ses yeux blancs étaient résolument fixés sur le sol, et ses cheveux blonds tombaient autour de son visage, comme s'ils n'avaient pas été coupés depuis des mois. L'inconnu releva la tête à leur approche – et Dazai eut cette impression toujours aussi perturbante que les aveugles, même dépourvus de la vue, étaient capables de vous trouver sans problème vos yeux. C'était presque terrifiant.

« Il ne ressemble pas trop à Topaz. » finit-il remarquer. C'était plus une remarque innocente qu'un reproche, mais les policiers le foudroyèrent du regard et marmonnèrent quelques phrases méprisantes à son intention.

« L'obscurité a rendu l'interpellation complexe, commenta Yosano en haussant les épaules. Et le stress aussi. Personne n'est responsable.

Ce n'est pas ce que j'essayais de dire, se défendit le brun. Je ne blâme personne. Je dis juste que, tant qu'à essayer de nous berner, Fyodor Dostoevsky aurait pu en trouver un qui lui ressemble un minimum.

Je n'ai pas de lien avec ce Fyodor je ne sais pas quoi ! s'exclama soudainement le blond d'un ton extrêmement agacé. Je suis innocent ! » Les inspecteurs et policiers l'observèrent avec intérêt. Yosano s'agenouilla à ses côtés pour l'interroger :

« Quel est votre nom ? Que faisiez-vous sur la propriété de Fitzgerald ?

Je m'appelle John Steinbeck, lâcha le blond, visiblement toujours un peu remonté. Je suis un ami de monsieur Fitzgerald. Je venais lui transmettre un message de ma part et de celle d'un autre ami, pour le féliciter.

Pourquoi être entré par derrière ? intervint Dazai. Si vous êtes un ami, pas besoin de vous cacher ainsi. En plus, vu vos problèmes de vue évidents, cela ne me semble pas très prudent.

J'ai l'habitude d'emprunter ce chemin. Au cas où vous n'auriez pas remarqué, je n'appartiens pas exactement à la classe sociale des amis de monsieur Fitzgerald. Il m'avait demandé de venir sans me faire remarquer.

Une bien jolie amitié en somme. » se moqua ouvertement le brun. Yosano le fusilla du regard pour lui faire signe de se taire.

« Pourquoi avoir fui devant les policiers ?

Vous m'avez fait peur ! se défendit le blond. Je savais que monsieur Fitzgerald avait demandé une sécurité renforcée, mais pas à ce point. Percevoir autant de présences et de mouvements m'a fait peur. J'ai cru que vous alliez m'arrêter – et vous l'avez fait ! »

Dazai n'avait pas l'impression qu'il mentait, et ce constat l'inquiétait. Apparemment, ils avaient fait fausse route et avaient juste perdu du temps en interpellant un homme étranger à leur histoire. S'ils n'avaient pas été dupés, ils auraient peut-être mis la main sur le vrai Topaz, ou au moins leur tueur. Et ils n'en seraient pas là, dans cette situation plus que compliquée et pourrie.

« Je ne crois pas qu'il mente, lâcha-t-il à Yosano. On fait fausse route.

Encore une fois, souffla la jeune femme en se redressant. On ne fait que ça on dirait. » Sa voix sonnait très lasse, et Dazai crut qu'elle allait baisser les bras, mais elle prit une profonde inspiration avant de lui dire : « Je retourne à l'intérieur. Ranpo a peut-être des informations supplémentaires.

Il nous en faudra un paquet pour comprendre ce qu'il s'est passé. » lâcha lugubrement le brun en lui emboîtant le pas.

Ils retournèrent dans l'enceinte étouffante du manoir, et Dazai laissa son esprit vagabonder sur les murs impeccables et les décorations dorées. Il se demandait ce qu'avait ressenti Fitzgerald pendant ses derniers instants ; une pensée bien lugubre, mais combien de fois jadis avait-il songé à la mort ? Autrefois, ce genre de pensées le fascinait grandement, et il avait de nombreuses fois tenté de se donner la mort. Il n'avait jamais réussi, toutes ses tentatives avaient lamentablement échoué, et il avait progressivement abandonné ses envies aux côtés d'Oda.

Ces derniers temps, tout le ramenait à cette époque, que ce soit la mort de son supérieur huit mois plus tôt ou les événements les plus récents. Il avait l'impression de revoir cette époque partout. Et cela le dérangeait énormément. Était-ce encore un coup de Fyodor ? Il finissait par tout mettre sur le dos du russe, sans bien savoir si tout était réellement de sa faute ou s'il devenait juste paranoïaque.

Lorsqu'ils revinrent sur la scène du crime, ils constatèrent que Ranpo était en conversation animée avec l'un des policiers. Ils se rapprochèrent dans un même mouvement, craignant presque de découvrir que leur collègue était en train de se disputer puérilement avec des policiers, mais il semblait au contraire très excité, comme s'il avait fait une découverte majeure ; d'ailleurs, à peine l'eut-ils rejoint qu'il s'exclamait d'une voix forte :

« J'ai du neuf !

Nous avons du neuf, tenta de le corriger le policier, mais le jeune homme au gavroche ne lui accorda aucune attention et poursuivit à la première personne du singulier :

Les bandes vidéos fonctionnent encore. Elles n'ont pas encore été analysées en totalité – il se trouve que Fitzgerald n'était pas très attentif et avait tendance à ne jamais les classer – mais les enquêteurs sont quasiment certains de pouvoir identifier le tueur s'il apparaît bien dessus.

C'est une excellente nouvelle, lâcha Yosano, apparemment soulagée, et Dazai opina à côté.

Je pense aussi avoir une hypothèse sur ce qu'il s'est passé. »

L'inspecteur généralement très nonchalant et peu motivé semblait en grande forme aujourd'hui, sans doute lui aussi gagné par l'urgence et l'épée de Damoclès qui se trouvait au-dessus d'eux. Ils avaient intérêt à être efficaces s'ils voulaient éviter que le Bureau de Tokyo ne prenne des sanctions trop importantes contre eux. Ce n'était pas à proprement parler leur faute s'il y avait eu un meurtre à Yokohama, mais cela risquait quand même de faire une bien mauvaise impression. Considérant la renommée des Fitzgerald, l'affaire allait prendre de l'ampleur, et ils allaient devoir faire attention à leurs têtes. Surtout Akutagawa et les autres policiers présents lors du drame. Eux allaient sûrement frôler la sanction disciplinaire sévère s'il était prouvé que le meurtre aurait pu être évité.

« Quelle est-elle ? s'enquit Yosano.

Je pense que l'expéditeur du mail et le numéro inconnu sont liés.

Dostoevsky m'a affirmé le contraire.

Tu m'as dit qu'il t'avait juré être de notre côté. Cela ne veut pas dire qu'ils ne se connaissent pas. Je crois que l'expéditeur, ce fameux « Kolya » avait pour objectif de nous mettre face à une situation dans laquelle nous ne pouvions que tomber dans le piège de Dostoevsky.

On ne pouvait pas se permettre de ne rien faire, poursuivit tout haut la nouvelle inspectrice principale en comprenant, alors on a été obligés de l'écouter.

Et il a usé de cela à son avantage, conclut le brun. En nous faisant croire des choses qui n'étaient pas forcément vraies.

Tu penses que Topaz n'a jamais eu l'intention de venir ici ? demanda Ranpo.

Je pense que ce serait très inconscient. Qu'en penses-tu, toi ?

Je pense qu'il était là, le détrompa l'inspecteur aux cheveux de jais. Mais qu'on ne l'a pas attrapé. »

Pendant que Yosano laissait échapper une exclamation surprise, Dazai réfléchit aux mots de son collègue. Peut-être en effet que le prisonnier était bel et bien venu jusqu'au manoir de Fitzgerald. Et donner cette information était on-ne-peut-plus bénéfique pour l'informateur diabolique qui se cachait derrière le numéro inconnu : si Topaz avait été arrêté, il aurait partiellement gagné leur confiance ; dans le scénario contraire, celui qui s'était malheureusement produit, Topaz leur échappait encore, ils se ridiculisaient, et le plan de Dostoevsky continuait de se dérouler sans accroc.

Il était presque admiratif d'une telle stratégie, tant elle était bien pensée et avantageuse dans presque toutes les situations. Fyodor ne laissait définitivement rien au hasard, et il était évident qu'il se jouait d'eux depuis un bon moment.

« On s'est fait avoir comme des débutants, finit-il par conclure. Menés en bateau par un homme qui n'ose même pas sortir de sa cachette pour nous défier.

C'est ce que je pense aussi, approuva Ranpo. Mais on peut encore reprendre l'avantage.

Tu penses à une stratégie en particulier ? » s'enquit le brun. Il avait ses propres idées sur la question, mais était curieux de savoir à quoi le cerveau de génie de son collègue pensait.

« J'en ai plusieurs, lâcha-t-il d'un ton malicieux, mais je crois que d'abord, on a un autre problème. »

Il désigna du menton quelque chose qui se produisait dans leur dos, et Dazai se retourna d'un geste rapide pour tomber nez à nez avec Ango. Il fit la moue en rencontrant les yeux dissimulés derrière des lunettes rondes de son ancien ami, mais ne fit aucun commentaire – même s'il en mourait d'envie. À voir le regard courroucé de l'inspecteur tokyoïte, il ne venait sûrement pas pour une visite amicale. Surtout à deux heures du matin.

« Inspecteur Sakaguchi, le salua avec professionnalisme Yosano sans se laisser déstabiliser. Bonjour ? Bonsoir ?

Peu importe, soupira Ango, je ne viens pas pour vous tenir compagnie. » Son regard se posa sur l'endroit où le crime avait été commis, désormais exempt de cadavre car les légistes étaient venus l'emmener entre temps, et il soupira une nouvelle fois. « Francis Fitzgerald est mort.

Il semblerait, ironisa Dazai. Ou alors il nous fait une petite blague d'un humour douteux. » Yosano lui écrasa le pied de toutes ses forces avec ses talons, signe très clair qu'ils n'étaient pas d'humeur à profiter de son humour sarcastique.

« Sous vos yeux, poursuivit Ango comme s'il n'avait pas été interrompu.

Pas directement, le corrigea Yosano. Des inspecteurs et policiers étaient postés à l'extérieur, mais monsieur Fitzgerald avait refusé qu'ils s'installent à l'intérieur pour ne pas perturber la scène. Ryu- L'inspecteur Akutagawa a tout vu parce qu'il a tenté de prévenir Fitzgerald du danger, mais seul, il n'a rien pu faire. » Le regard de l'inspecteur tokyoïte passa successivement sur les trois inspecteurs présents avant qu'il ne reprenne la parole :

« Vous savez qu'il va y avoir une enquête d'ampleur internationale ?

Fitzgerald est mort sur le sol japonais, et il était naturalisé japonais également, objecta Dazai en fronçant les sourcils. De tout point de vue, la police étasunienne n'a rien à faire ici.

Essaye de les convaincre alors, parce que dès qu'ils apprendront la nouvelle, ils feront une demande pour récupérer l'affaire.

Ils ne savent pas encore ? s'enquit Ranpo avec une curiosité apparente.

Nous n'avons fait aucune déclaration officielle, et les seules informations qui circulent sur les réseaux sociaux sont considérées comme des rumeurs. Mais, madame Fitzgerald devra s'exprimer demain devant les médias pour officialiser la nouvelle. Avec tous les témoins, cela ira rapidement de toute manière.

Parlant de madame Fitzgerald, s'étonna Dazai, je ne crois pas l'avoir aperçue.

Elle se repose dans sa chambre, l'informa Yosano. Les événements l'ont secouée, alors nous avons préféré la laisser seule un moment avant de l'interroger.

Faire dans le sentimentalisme ne vous aidera pas à résoudre cette affaire, fit remarquer Ango, l'interroger tout de suite vous aurait permis d'obtenir plus de détails puisque les événements auraient été récents dans son esprit. » Dazai s'apprêtait à lui répondre qu'elle ne risquait pas d'oublier de sitôt les événements puisqu'elle avait vu son mari mourir devant ses yeux, mais sa supérieure le prit de vitesse :

« Je vous rappelle, inspecteur Sakaguchi, que Zelda Fitzgerald est enceinte de huit mois et qu'elle vient de voir son mari mourir le jour de leur anniversaire de mariage. Je pense que le moins que l'on puisse faire pour elle est de la laisser digérer un peu les informations avant de la harceler de questions. »

L'inspecteur brun échangea un regard complice avec son collègue au gavroche, tous deux ravis de voir leur collègue et supérieur indirect se faire rembarrer par leur amie. Dazai avait des raisons personnelles d'en vouloir à Ango ; à sa connaissance, Ranpo ou Yosano n'en avaient pas mais leur soutien lui faisait plaisir.

« Très bien, convint finalement le jeune homme aux cheveux noirs. J'ai des directives de l'inspecteur Taneda à vous transmettre.

Il aurait aussi pu nous appeler non ? ne put résister le brun.

Non, parce que je vais rester ici de toute manière. » La déception dut se lire sur son visage, car Ranpo étouffa un ricanement moqueur tandis qu'Ango poursuivait en fronçant les sourcils : « L'inspecteur Taneda vous laisse une semaine pour avancer de façon significative, où l'affaire sera automatiquement mise entre nos mains. Et votre bureau tout entier sera reconsidéré par notre département.

Vous comptez ordonner notre fermeture ? lâcha Yosano, et il y avait dans sa voix une intonation qui faisait froid dans le dos.

L'inspecteur Taneda ne le veut pas, parce qu'il sait à quel point ce bureau comptait pour l'inspecteur Fukuzawa. Mais les autres ne le laisseront pas faire du sentimentalisme devant un échec si retentissant. Sans aller jusqu'à la fermeture, il pourrait y avoir un grand remaniement dans l'administration. » Yosano le foudroya si longtemps du regard qu'Osamu crut pendant quelques secondes qu'elle allait sauter à la gorge de son supérieur pour lui faire ravaler ces « menaces » – et il se demanda par la même occasion s'il aiderait son ancien ami ou non. Heureusement, la jeune femme ne fit rien et se contenta de poser une autre question :

« Et votre rôle ici ?

Je dois vous aider, de façon non officielle.

Vous pensez qu'on est trop incompétents pour résoudre un meurtre ? lâcha Dazai avec mépris.

Là n'est pas la question. L'inspecteur Taneda ne désire pas votre fermeture. Et je ne la désire pas non plus. » ajouta-t-il avec un regard appuyé dans sa direction.

Dazai dut se mordre la langue pour ne pas refaire une réplique acerbe. Il savait très bien où le jeune homme voulait en venir, et cela ne lui plaisait pas. Il n'arrivait pas à lui pardonner d'être passé à autre chose si facilement, et d'agir depuis six mois comme si rien ne s'était passé. Il n'exigeait pas de son collègue qu'il porte le deuil tous les jours – lui-même ne le faisait pas, mais il aurait bien voulu qu'il agisse un peu comme si cela lui faisait de la peine à lui aussi. Pas comme si la mort d'Odasaku n'était qu'un incident réglé en quelques jours.

« Un peu d'aide ne sera sans doute pas de refus, convint Yosano. Mais si vous êtes là de façon non-officielle, vos moyens d'actions seront limités.

Je reste un inspecteur, je peux vous aider à analyser des dossiers ou les vidéos par exemple. »

Yosano parut considérer pendant quelques instants ce qu'il disait, puis finit par hocher la tête en signe d'assentiment. Dazai fit la moue mais ne protesta pas. Il n'était pas assez égoïste pour refuser une aide dont ils avaient sûrement besoin juste pour des motifs personnels. Il se contenta de dévisager Ango avec mépris pour lui signifier qu'ils n'étaient pas quittes pour autant et qu'il faudrait toujours un miracle pour qu'il lui pardonne.

Ils furent ensuite rejoints par Nakajima et Kunikida, qui avaient terminé d'interroger une grande partie des invités. Il ne manquait que Zelda Fitzgerald, Kôyô Ôzaki – dont Akutagawa devait théoriquement se charger – et sans doute quelques employés chargés de veiller au bon déroulement de la soirée. Eux devaient craindre le pire pour leur avenir, parce qu'un meurtre effectué lors d'une soirée où ils étaient de service était une mauvaise publicité pour eux et leur garantissait sans doute une longue période de chômage.

« Monsieur Herman Melville a quelque chose à dire, acheva Nakajima après leur avoir résumé ce qu'ils avaient obtenu – c'est-à-dire pas grand-chose de concret malheureusement –, mais il ne veut parler qu'à un haut placé.

Encore un riche businessman avec des exigences, marmonna Yosano. Je vais aller le voir. Et s'il ose me dire que je ne suis pas assez gradée, je lui dirais ma façon de penser. »

À voir l'expression outrée d'Ango, cela ne devait pas constituer un comportement correct d'inspecteur principal, mais il ne fit aucun commentaire pendant que la jeune femme se dirigeait vers le vieil homme barbu qui attendait non loin. Pendant ce temps, ils firent un point avec Ango pour résumer les informations qu'ils avaient récoltées au cours de leur quête de témoignages.

Akutagawa finit par les rejoindre, suivi par une élégante jeune femme aux cheveux roses que Dazai identifia comme la prêtresse du temple Sôji, Kôyô Ôzaki. La jeune femme ne semblait même pas avoir été secouée par ce qu'elle avait vu – ou alors elle était très douée pour le cacher – et les salua poliment et posément.

« Ryunosuke m'a dit que vous cherchiez des informations sur celui qui aurait pu s'infiltrer et assassiner monsieur Fitzgerald. Je l'ai aperçu, et Ryunosuke lui a parlé.

Tu nous l'avais pas dit ! s'insurgea Kunikida, toujours aussi strict.

Je ne savais pas que c'était le tueur, se défendit le jeune homme aux cheveux bicolores. Je l'ai pris pour l'un des majordomes engagés par Fitzgerald.

C'est donc bien comme ça qu'il s'est infiltré..., réfléchit tout haut Dazai. Tu peux nous le décrire ?

Roux aux yeux bleus. » répondit sans hésiter son cadet, et Kôyô Ôzaki opina.

Dazai, lui, eut toutes les peines du monde à dissimuler la surprise qui l'avait gagné. Roux aux yeux bleus ? La description faisait étrangement écho à Chuuya... mais le jeune homme était resté avec lui tout le temps, il était le mieux placé pour le savoir. Il était impossible qu'il soit l'auteur du meurtre, quand bien même la ressemblance dans la description était troublante.

Ce constat et cette idée de ressemblance lui firent cependant songer à quelque chose d'étrange : depuis le début de cette affaire, les personnes concernées partageaient en général de fortes ressemblances physiques. Karma Topaz, Mark Twain, mais aussi Michizô Tachihara et Junichirô Tanizaki, ils se ressemblaient par leur caractéristiques. Cheveux roux ou auburn foncé, yeux clairs. Était-ce une pure coïncidence ? Il avait un peu de mal à y croire. Il était certain que la ressemblance avait été exploité dans le cas de Topaz et Twain – le jeune étudiant étranger avait été interpellé à la place du criminel d'ailleurs. Pour les deux autres, ils n'avaient apparemment pas de lien avec toute cette affaire... Mais le fait que leur chemin ait croisé celui de Topaz était une coïncidence presque effrayante.

Tout cela l'amenait à faire de terrifiantes suppositions sur Chuuya, qu'il n'aimait pas du tout envisager mais qu'il savait ne pas pouvoir entièrement écarter. Il y avait quelque chose de trop étrange dans cette histoire. Chuuya ne pouvait pas être l'assassin de Fitzgerald – à moins d'avoir un frère jumeau très doué pour l'imiter, une hypothèse qui était totalement invraisemblable – mais il avait peut-être un lien avec cette sombre affaire malgré tout. Il se promit de poser quelques questions à son ami ? petit ami ? peu importait, au jeune homme la prochaine fois qu'ils se verraient. Il s'était toujours promis de laisser le rouquin en dehors de ses enquêtes, mais il se sentait qu'il avait des questions à lui poser.

« Dazai ? Tu nous écoutes ? » La voix de Ranpo le tira de ses pensées, et il se rendit compte qu'il avait complètement perdu le fil de la conversation.

« Vous disiez ? demanda-t-il en se reconcentrant.

On a un début de description, et on va pouvoir interroger les majordomes plus en détail, répéta le jeune homme au gavroche, mais sans nom, on va avoir du mal de progresser.

Il pourrait s'agir de Topaz non ? demanda Kunikida. La description peut coller.

Pour le moment, elle est trop vague pour en être certain, contra Dazai. Même si au moins, on a plus de certitudes que si notre tueur avait été blond.

Vous vous rappelez d'autre chose ? demanda Edogawa à la prêtresse Ôzaki, qui secoua la tête négativement à leur grande déception.

Je ne l'ai aperçu que de loin, admit-elle, et je n'ai pas assisté à toute la scène. J'ai échangé quelques mots avec monsieur Fitzgerald avant de discuter avec d'autres de ses associés qui voulaient savoir qui j'étais. Ensuite, j'ai aperçu le majordome lui parler, j'ai vu Ryunosuke, et j'ai entendu la détonation. Tout s'est passé en quelques minutes, et je ne saurais pas vous dire qui a fait quoi après. Il y a eu une telle pagaille lorsque les gens ont commencé à comprendre qu'il était mort.

Cela ne semble vous faire ni chaud ni froid, fit observer l'inspecteur aux cheveux bruns avec un demi-sourire. C'est un spectacle auquel vous êtes habituée ? » Il crut que Kunikida allait l'étrangler pour son impolitesse, mais la jeune femme rit avant que le blond n'ait le temps de mettre fin à ses jours.

« On peut dire que vous ne mâchez pas vos mots, comme votre père adoptif. » La mention de Mori le fit tiquer, mais elle ne lui laissa pas l'occasion de lui poser des questions : « Je ne suis pas habituée à ce genre de scènes, pour répondre à votre question, mais je ne suis pas facile à déstabiliser. »

L'explication lui sembla un peu hasardeuse, il se doutait qu'il y avait plus de choses derrière que ce qu'elle ne voulait bien avouer mais il décida de ne pas insister. Il avait toujours eu l'intuition que les Ôzaki étaient très doués pour manipuler l'information et faire en sorte que personne d'autre qu'eux n'ait vent de leurs secrets et de leurs problèmes familiaux. L'affaire de Gin Akutagawa était de loin la première affaire publique qui leur était liée, et ce n'était pas directement.

« Merci pour vos précieuses informations. » la remercia finalement Kunikida. Dazai trouva le « précieuses » un peu trop exagéré mais il ne tenait pas à réellement mourir des mains de son collègue alors il ravala sa remarque et se tut. La jeune femme s'inclina ensuite devant eux avant de prendre congé.

« Ton père adoptif ? » La question, prononcée par Ranpo, résonna dans le silence. Dazai fit la moue, mais il se doutait déjà que cette information n'était pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Lui qui avait pourtant pris soin de garder sa relation avec Mori secrète...

« Eh bien, nous n'avons pas tous la chance de connaître nos parents biologiques, sourit-il sur un ton léger. J'ai été abandonné dans un orphelinat de Tokyo quand j'avais un an, et recueilli à six ans.

– Tu ne nous l'avais jamais dit, s'étonna Kunikida.

– Ce n'est pas une information de première nécessité, répondit le brun en haussant un sourcil. Mais je peux en parler si cela vous tient tant à cœur. »

Ranpo et Kunkida échangèrent un bref regard avant de secouer la tête négativement. L'idée d'entrer à ce point dans la vie privée de leur collègue leur semblait apparemment peu attrayante, même pour Ranpo qui était pourtant un professionnel en la matière. Dazai leur en était plutôt reconnaissant car cela lui permettait de ne pas mentionner sa parenté avec Mori – il n'avait pas honte du docteur, il ne voulait juste pas être associé à lui.

Ils reprirent leur travail en silence, vérifiant que tout le monde à part Zelda Fitzgerald et Herman Melville avait été interrogé. Yosano revint vers eux au bout de vingt minutes, avec quelques informations de qualité supérieure à celles qu'ils avaient obtenues jusqu'à présent : Fitzgerald avait avoué à son ami se sentir menacé ces derniers temps, depuis la libération de Topaz plus exactement. Melville avait d'abord mis ça sur le compte de la paranoïa : pourquoi Fitzgerald se serait-il senti particulièrement menacé par cet évadé? Certes, Topaz avait tué une de ses employées, mais il n'y avait pas de quoi craindre pour sa vie personnellement puisqu'il s'agissait d'une « erreur ». Margaret Mitchell avait été tuée car elle se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment, pas parce que Topaz avait une dent contre Fitzgerald... si ?

« Je pense qu'un interrogatoire de Zelda Fitzgerald s'impose, finit par déclarer Dazai après qu'ils eurent tenté de tirer ça au clair. Elle seule peut nous donner des informations sur ce qui se passait dans la tête de son époux. En dehors du sang et de...

Dazai, le coupa Yosano, épargne-nous tes blagues morbides et irrespectueuses et va plutôt t'y coller. Nakajima, accompagne-le. »

Les deux hommes hochèrent la tête avant de suivre un policier pour qu'il les guide jusqu'à la chambre du couple, où la femme s'était retranchée pour échapper à la foule et aux souvenirs de ce qui s'était passé. Alors qu'ils arpentaient le dernier couloir censé les mener jusqu'à la chambre et qu'ils apercevaient enfin la double porte fermée derrière laquelle leur dernier témoin se trouvait, un violent fracas et un cri en provenance de la chambre les firent tous sursauter.

Dazai n'avait pas son arme de service avec lui, mais Nakajima si, alors le jeune homme la dégaina et le petit groupe s'approcha prudemment de la chambre.

« Madame Fitzgerald ? appela le policier qui les guidait. Tout va bien ? »

Seule une plainte lugubre lui répondit, alors Dazai ne patienta pas plus longtemps et enfonça la porte d'un puissant coup de pied ; le petit groupe s'attendait presque à trouver le coupable dans la chambre de la future mère, mais elle était seule, agenouillée sur le sol. Des débris de verre brisé jonchaient le sol autour d'elle, et ils s'aperçurent que plusieurs cadres photos semblaient avoir été jetés sans ménagement sur le parquet ciré.

« Madame ? s'inquiéta Nakajima en rangeant son arme et en s'approchant prudemment de la femme. Vous allez bien ? » Encore une fois, la question resta sans réponse ; Zelda Fitzgerald ne semblait même pas les voir, son regard embué de larmes fixement posé sur les débris de verre. Elle tremblait de tous ses membres, et paraissait en proie à une violente crise d'angoisse.

« Doit-on appeler une ambulance ? s'enquit le policier, apparemment très inquiet.

On ne peut pas la laisser seule dans cet état donc oui, trancha Dazai. Elle a besoin d'aide. »

Une part de lui était capable de comprendre ce qu'elle devait ressentir – à la différence qu'Odasaku n'était pas son amant et qu'il n'éprouvait pour lui qu'une profonde admiration. Il n'était pas passé par une crise aussi brutale, mais lui aussi avait failli se débarrasser des souvenirs des jours heureux (Fukuzawa l'avait empêché de faire une si grosse bêtise, et il lui en était plus que reconnaissant).

Mais, de son point de vue, quelque chose clochait. La femme semblait presque dans un état second, et le fait qu'elle était enceinte ne le rassurait pas vraiment sur les réactions qu'elle pouvait avoir – loin de lui l'idée de véhiculer des idées machistes, mais il était quand même acquis que les femmes enceintes étaient sujettes à des sautes d'humeur parfois violentes, et qu'il valait mieux qu'elles se ménagent pour la santé de leur enfant. Zelda Fitzgerald était à huit mois de grossesse, soit très proche de son terme. Un tel choc pour elle avait dû l'ébranler, et il soupçonnait qu'il y avait encore une autre raison à son état.

« Madame Fitzgerald, finit-il par déclarer, nous allons vous aider, ne vous inquiétez pas. Nous sommes ici pour enquêter sur ce qui s'est passé et... » La mention des événements sembla réveiller la femme qui tourna subitement vers lui son visage baigné de larmes.

« Restez en dehors de ça ! cracha-t-elle avec virulence. Vous ne savez rien, et vous ne comprendrez jamais ce qui s'est passé.

Madame, répondit-il malgré tout, c'est notre travail d'obtenir justice pour votre mari.

Justice ? répéta-t-elle avec un éclat de rire brisé. Vous ne faites que des promesses en l'air. Vous ne savez rien. Même si ce criminel paye, il nous fera tomber avec ! » Dazai avait abandonné l'idée d'interroger la femme compte tenu de son état, mais cette déclaration attisa sa curiosité.

« Vous parlez de Karma Topaz ? demanda-t-il en conservant son ton posé. Était-ce lui qui est venu ? »

Il crut qu'elle s'était de nouveau murée dans le silence, car elle ne répondit rien. Pourtant, au bout de quelques secondes et d'un geste si vif qu'ils ne purent l'arrêter, elle attrapa un éclat de verre et le planta dans une photographie abîmée la représentant avec son mari, en plein sur le visage de celui-ci.

« Je lui avais dit que cela finirait mal, murmura-t-elle, je lui avais dit ! » Elle tourna vers les deux inspecteurs qui ne savaient plus comment réagir des yeux presque fous. « Je lui avais dit que défier Ôgai Mori finirait mal. »

Et sur ces mots qui eurent autant d'effet sur l'inspecteur brun qu'une bombe, elle perdit connaissance. 

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