17 - 𝐋e meilleur inspecteur de Yokohama

je sais, je sais, vous me détestez pour ce que j'ai fait. mais je ne regrette rien, c'était nécessaire et annoncé dès le prologue :)

j'essaye de me rattraper un peu aujourd'hui avec du hurt/comfort pour ceux qui souffrent de la disparition de leur bien-aimé modèle, histoire de leur donner des raisons d'être heureux malgré tout :3 
ce chapitre est aussi pas mal plus long que les autres-
(on a dépassé les 7 000 avec la note de l'auteure c'est beau)
(ou pas. le site me dit que oui, l'appli me dit que non-)

et, pour ceux qui n'auraient pas vu mon annonce lundi, je remets là que je participe en ce moment à la rare pair week, ainsi que plusieurs autres auteur.e.s sur le fandom, du coup je vous invite à jeter un coup d'oeil au tag rarepairweek pour renflouer vos bibliothèques :)

et j'espère que vous allez bien :) le prochain chapitre sortira le 26 juin !

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𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐃𝐢𝐱-𝐬𝐞𝐩𝐭 — 𝐋𝐞 𝐦𝐞𝐢𝐥𝐥𝐞𝐮𝐫 𝐢𝐧𝐬𝐩𝐞𝐜𝐭𝐞𝐮𝐫 𝐝𝐞 𝐘𝐨𝐤𝐨𝐡𝐚𝐦𝐚

La jeune fille était assise sur un canapé usé, bien peu confortable tant le tissu avait été déchiré par les enfants et adultes qui s'étaient tenus ici bien avant elle. Elle n'en avait cependant que vaguement conscience, car son esprit était focalisé sur autre chose. Elle ne cessait de repasser dans son esprit les événements des heures précédentes, cherchant pourquoi tout s'était passé ainsi. Immobile comme une statue de pierre, elle ne se rendit compte qu'elle tremblait que lorsqu'un homme vint lui apporter une couverture. C'était l'homme qui l'avait aidée un peu plus tôt, réalisa-t-elle en l'observant d'un peu plus près. Celui aux cheveux clairs et aux yeux bleus.

Il se baissa pour se mettre à sa hauteur et posa un regard sévère, mais dans lequel on devinait une certaine bienveillance, sur la jeune fille devant lui. Il ne prononça pas un mot pendant les premières minutes qui suivirent son arrivée, se contentant d'attendre qu'elle prenne la couverture et la passe sur ses épaules. Elle s'exécuta au bout de quelques instants de flottement, pendant lesquels elle se sentit perdue et déconnectée de la réalité.

Des bruits de pas finirent par attirer son attention vers ce qui se passait autour d'elle. Jusqu'à présent, elle n'avait prêté attention qu'à son environnement direct, à savoir le canapé sur lequel elle était assise, le yucca dont les feuilles effleuraient son crâne, et l'homme qui était entré dans son champ de vision ensuite. En accordant un peu plus d'attention au reste, elle aperçut de nombreux autres hommes en uniforme qui allaient et venaient dans leur minuscule local, ainsi que le son caractéristique des appels entrants, qui ne semblaient jamais cesser.

Un homme attira son attention, ou plutôt une silhouette, car elle voyait mal ses traits de là où elle se tenait. Il lui semblait familier, quelque chose dans la posture peut-être, mais elle ne parvenait pas à remettre de nom sur ce visage qu'elle distinguait mal et ces cheveux foncés. Il était le parfait opposé de cet homme devant elle qu'elle distinguait bien, songea-t-elle avec ironie.

Elle finit par réellement accorder de l'attention à cet homme justement, qui n'avait toujours pas bougé ou ouvert la bouche. Elle se demandait ce qu'il attendait. Qu'elle parle peut-être ? Les mots lui manquaient toujours trop pour décrire ce qu'il s'était produit. Mais, à sa grande surprise, il finit par sourire lorsque leurs regards se croisèrent enfin pendant plusieurs secondes. Un sourire presque paternel et rassurant.

Bonjour, mademoiselle Yosano. Je suis l'inspecteur Fukuzawa.

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J – 25
23 DÉCEMBRE

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Le poing d'Akiko atteignit le mur avec une violence qui fit sursauter tous ceux qui étaient présents autour d'elle, et elle s'effondra à genoux sans prêter attention à la douleur de ses phalanges – elle était de toute façon dérisoire comparée à celle qu'elle ressentait actuellement dans son cœur. Elle se laissait rarement aller à de telles émotions de détresse, mais elle ne pouvait pas accepter sans réagir ce qu'ils venaient de lui apprendre. Elle n'en était pas capable.

Pas alors qu'elle venait de perdre une des rares personnes à qui elle était réellement attachée.

Si elle l'avait pu, elle aurait étranglé le responsable. Non, elle l'aurait tué encore et encore, autant de fois qu'il le faudrait pour qu'il paye le prix de l'horreur qu'il avait réalisée. Elle lui aurait fait payer l'affront inqualifiable qu'avait été son acte. Elle aurait...

Brusquement, ses pulsions meurtrières prirent fin et elle sentit sa vision s'embuer. Elle secoua vivement la tête pour chasser les larmes qui perlaient à ses yeux, refusant de pleurer devant tous les inspecteurs tokyoïtes qui la dévisageaient avec un regard empli de pitié. Elle préférait encore la menace qu'ils portaient lorsqu'elle était soupçonnée d'avoir tué Goncharov. Au moins, elle pouvait y rester imperméable.

Elle passa une main sur ses joues et ses yeux pour y essuyer les larmes qui essayaient toujours de couler en tentant de reprendre le cours de ses pensées. Elle devait se focaliser sur les choses importantes. Ne pas laisser le chagrin prendre le dessus. Elle avait été formée pour cela, elle ne devait pas l'oublier. Les inspecteurs restaient maître de leurs émotions. Même dans les situations les plus désespérées, ils gardaient la tête haute et le contrôle.

... Quelle connerie, songea-t-elle au bout de quelques secondes. Les instructeurs pouvaient dire ce qu'ils voulaient, comment étaient-ils supposés appliquer tous ces conseils ? C'était tout bonnement impossible. Actuellement, la seule chose qu'Akiko voulait faire, c'était envoyer au diable toutes ces leçons et ses fonctions d'inspectrice, pour juste exprimer sa peine et aller rejoindre ses collègues à Yokohama.

« Inspectrice Yosano ? » La voix hésitante de l'inspectrice Yamagawa la coupa dans ses envies et lui rappela qu'elle ne pouvait pas faire ce qu'elle désirait tant. Il lui restait encore des choses à faire ici. Elle se redressa et posa son regard sur la jeune femme. Elle se doutait qu'elle n'avait pas fière allure, mais c'était le cadet de ses soucis. « Votre main... ne vous fait pas trop souffrir ? » demanda doucement la tokyoïte avec sollicitude.

La brunette observa sa main aux phalanges égratignées. Elle la lançait toujours, mais c'était supportable. Sûrement ? Elle avait l'impression de flotter dans du coton. Ses sentiments et ses pensées lui paraissaient loin d'elle. État de choc, se diagnostiqua-t-elle seule. Il lui semblait étrange d'appliquer ses connaissances et expériences professionnelles à sa propre personne.

« Tout va bien. » se força-t-elle à répondre. Évidemment que non, corrigea-t-elle en son for intérieur. Mais elle n'avait aucune envie de s'étaler sur ses pensées ici. « Puis-je regagner Yokohama ? ajouta-t-elle d'un ton qui se voulait assuré mais qui tremblait.

Vous pourrez rentrer après avoir parlé avec le chef de notre Bureau, répondit Yamagawa après une hésitation. Il désire d'abord s'entretenir avec vous au sujet du futur du Bureau de Yokohama. »

Akiko avait une furieuse envie de répondre quelque chose de cinglant et de désagréable, mais la jeune inspectrice jouait juste un rôle de messagère et semblait déjà assez gênée comme cela. Elle avait toujours été gentille avec elle, aussi elle ravala sa réplique acerbe et la conserva pour le directeur des Enquêtes Criminelles de Tokyo. Elle se contenta de hocher la tête et d'emboîter le pas à l'autre.

Elles traversèrent trop de couloirs pour qu'Akiko ne perde pas le fil, et durent ensuite patienter à l'extérieur du bureau. Les nerfs de la jeune femme étaient mis à rude épreuve, elle ne supportait pas cette inactivité et ce temps perdu alors qu'elle aurait pu être en chemin pour Yokohama. A ses côtés, Yamagawa évitait ostensiblement son regard, probablement gênée par ce silence qu'elle ignorait comment combler autrement qu'avec des mots de condoléances simples.

Pour faire passer le temps un petit peu plus vite, elle finit par sortir son téléphone de sa poche pour le consulter. Elle n'y avait pas touché depuis qu'elle avait reçu l'appel d'Ayatsuji pour la prévenir. Sur l'écran, de très nombreuses notifications étaient affichées, d'appels manqués, de messages vocaux ou textuels. Elle observa les noms rapidement : Tsujimura, Ranpo, Kunikida, Ryunosuke, Kaiji, et même, à sa grande surprise, la mère de Ryunosuke, qui lui avait adressé un bref message de condoléances. Elle ne s'attendait pas à une telle attention, mais elle songea au fond que la femme avait côtoyé et connu Fukuzawa elle aussi. Elle n'avait aucun message de la part du numéro inconnu, ce qui était presque effrayant. Après tout, il serait très probablement du genre à profiter de cette situation parfaite pour narguer encore plus les inspecteurs désormais touchés par un drame, non ?

La porte du bureau finit par s'ouvrir, mais alors qu'Akiko s'apprêtait à y entrer avec Yamagawa, ce fut au contraire l'occupant qui en sortit pour venir s'incliner devant elle. C'était un homme d'âge moyen, au crâne chauve et au bouc gris. Ses yeux verts brillaient derrière ses lunettes rondes lorsqu'il les posa sur la jeune femme face à lui.

« Inspectrice Yosano je présume. » Elle hocha la tête sans rien dire. « Je suis l'inspecteur principal Taneda. Je suis sincèrement désolé pour ce qui est arrivé. » Sa voix se fêla quelques instants. « Fukuzawa était mon ami depuis tant d'années... » Il ferma brièvement les yeux puis parut se reprendre. « Il n'est pas encore temps de le pleurer, se reprit-il.

Quel moment serait mieux que celui-ci ? » ne put s'empêcher de répliquer sèchement Yosano. Yamagawa étouffa une protestation devant son irrespect brut pour celui qui devait diriger le bureau de Tokyo, mais la jeune femme se fichait bien de son comportement actuellement. D'ailleurs, la réplique parut plutôt faire rire Taneda.

« Un moment où la paix sera assurée à Yokohama. Entrez, inspectrice, ajouta-t-il en lui désignant son bureau. Je crois que nous avons beaucoup de choses à nous dire. »

Akiko le suivit sans plus protester, et salua d'un signe de tête Yamagawa, la remerciant pour l'avoir accompagnée. Elle entra ensuite dans un grand bureau illuminé, et extrêmement spacieux contrairement aux leurs. Taneda s'installa derrière son bureau couvert de dossiers et lui fit signe de prendre place sur un siège. Une fois qu'elle se fut laissée tomber sur un épais fauteuil confortable, il prit la parole.

« Je crois savoir que vous n'êtes pas ignorante du drame qui a touché Yokohama il y a plus de dix ans.

Les émeutes.

C'est exact. Ces rebellions ont été très violentes et meurtrières. Il a fallu des semaines aux policiers et inspecteurs pour reprendre le contrôle de la ville.

Grâce à l'inspecteur Fukuzawa. » crut bon de rappeler la jeune femme toujours d'un ton sec.

Elle ne comprenait pas pourquoi l'autre lui faisait ce rappel inutile. Elle connaissait très bien les tenants et les aboutissants de cette affaire. Sa propre mère avait péri au cours d'un mouvement de foule, devant un symbole de la brutalité qui avait hanté les rues de Yokohama pendant ces sombres semaines. Elle n'était qu'une adolescente perdue à l'époque, mais c'étaient les émeutes de Yokohama qui lui avaient donné envie de devenir policière.

C'était devant le travail acharné de Fukuzawa et les exploits qu'il avait réalisés qu'elle avait compris où résidait sa vocation.

« Oui, sans lui, les choses auraient pu bien plus mal tourner encore. C'est par son travail exceptionnel que la situation s'est calmée. Et c'est la raison pour laquelle mon prédécesseur avait décidé de confier à Fukuzawa la direction du nouveau Bureau qui venait d'ouvrir à Yokohama. Qui de mieux que lui pour véhiculer un message fort à ceux qui voudraient recommencer ? » Akiko garda le silence, mais elle commençait à mieux saisir ce que voulait dire Taneda. Il y avait peut-être un problème bien plus inquiétant que le fait que l'un des meilleurs inspecteurs soit décédé.

« Vous craignez que les émeutes ne repartent ?

Il y a dix ans, elles n'ont pas commencé sans raison. C'est l'insatisfaction mêlée à plusieurs incidents inexpliqués qui les ont déclenchées. Fukuzawa m'a souvent confié qu'il n'était pas certain que toutes les tensions aient été apaisées. Mon prédécesseur voulait envoyer un message fort aux habitants de Yokohama, leur dire qu'un des meilleurs inspecteurs du pays veillerait au grain. Mais désormais, n'est-ce pas plutôt cet ennemi qui se cache dans l'ombre qui cherche à envoyer un message ?

« Votre figure d'autorité est tombée. Vous pouvez recommencer. », murmura doucement la jeune inspectrice, et Taneda hocha la tête affirmativement.

Quelque chose du genre. »

En effet, une telle nouvelle qui s'était forcément déjà ébruitée pourrait raviver les tensions enfouies. Était-ce l'objectif du numéro inconnu ? Plonger une nouvelle fois la ville dans le chaos ?

« Il est essentiel qu'un tel drame ne se reproduise pas, soupira Taneda. Une nouvelle émeute pourrait être désastreuse, surtout avec cet homme qui vous provoque et vous attaque. C'est pour ça qu'il faut s'assurer que le BEC de Yokohama ne se laisse pas dépasser par ce deuil.

C'est beaucoup plus facile à dire pour vous. L'inspecteur principal Fukuzawa était l'un des meilleurs. Et tout le monde l'admirait et le respectait. Personne ne pourra jamais le remplacer. » La tristesse voila une nouvelle fois le regard de Taneda.

« Vous avez raison. Fukuzawa était un homme inimitable, et personne ne le remplacera jamais. Cependant... » Il fouilla dans ses papiers et en tira une feuille annotée et porteuse de la signature de Fukuzawa. « Dans notre métier, il nous faut être prudent. Fukuzawa le savait mieux que quiconque, et il avait anticipé ce drame en désignant son successeur si jamais quelque chose lui arrivait. »

Il la posa à plat sur le bureau pour qu'Akiko puisse la lire sans problème. La jeune inspectrice la parcourut en quelques instants. Je, soussigné Yukichi Fukuzawa, actuel inspecteur principal du Bureau des Enquêtes Criminelles de Yokohama, désigne l'inspectrice Akiko Yosano comme inspecteur principale à la tête du Bureau si jamais quelque chose venait à m'arriver. Elle resta figée quelques secondes sur ces propos.

« C'est une blague ? » laissa-t-elle échapper, ce qui fit hausser les sourcils de Taneda. Il récupéra la feuille et la replaça dans ses documents.

« Je ne crois pas que Fukuzawa était du genre à blaguer sur ce genre de sujets. Il était totalement sérieux.

Mais, pourquoi moi ? s'exclama la jeune femme. Je veux dire... Il y a de nombreux inspecteurs plus expérimentés qui travaillent à Yokohama.

Mais Fukuzawa a estimé que vous serez la plus à même de reprendre la direction à sa suite. » Taneda lui sourit gentiment. « Il vous a formée, inspectrice Yosano. Il savait que vous seriez à la hauteur. »

La jeune femme ne partageait pas cet avis. Elle ne comprenait pas pourquoi Fukuzawa l'avait désignée. Elle avait confiance en ses capacités... d'inspectrice seulement. Elle n'était pas faite pour diriger un BEC, même réduit avec seulement trois équipes. Comment pourrait-elle être à la hauteur ? Fukuzawa était quelqu'un d'exceptionnel, qui savait gérer n'importe quelle situation. Elle, elle avait juste été sa disciple pendant quelques temps, après son intégration au bureau.

« Je ne peux pas le faire, souffla-t-elle finalement.

Vous pouvez renoncer. Mais c'était la volonté de Fukuzawa. Il a dirigé ce Bureau pendant dix ans et savait parfaitement comment s'en sortir avec les cas difficiles qui peuplent ces rues depuis les émeutes. Pensez-vous réellement qu'il aurait fait un choix à la légère ? »

Non, clairement, non. Il avait sûrement réfléchi longuement avant de prendre cette décision. Mais, elle ne parvenait pas à s'imaginer prendre sa suite. D'un autre côté, elle avait conscience que la dernière volonté de Fukuzawa avait sûrement été que cette ville qu'il avait tant voulu protéger continue de l'être même sans lui pour s'en assurer. Elle sentait une certaine culpabilité l'étreindre en songeant qu'elle allait peut-être rendre cette dernière volonté vaine.

« Réfléchissez-y, inspectrice Yosano, reprit Taneda. Vous pourrez renoncer à n'importe quel moment. Mais prenez quelques jours pour y repenser. Et reposez-vous un peu. »

Elle finit par hocher la tête. Elle avait juste besoin de rentrer se reposer à Yokohama, avec ses collègues et ses amis à proximité. Après avoir salué respectueusement Taneda, elle quitta son bureau d'un pas vif. Sur son passage, les autres inclinaient la tête avec compassion et respect également. Elle avait l'impression de revivre les jours après la mort de sa mère, des années plus tôt. Elle avait haï cette compassion de façade, donnée parce que les circonstances et le politiquement correct l'exigeaient. Et elle la détestait encore aujourd'hui.

Ils lui donnaient des sentiments, des mots, des gestes simples d'affection. Mais elle, elle ne désirait qu'une chose. Une chose qu'ils ne pouvaient évidemment pas lui donner.

S'il était possible de faire revivre les morts, cela se saurait non ?

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« Akiko ! » A peine eut-elle mis un pied hors de sa voiture un peu plus tard, après avoir tenté en vain de se reposer dans sa chambre d'hôtel, qu'une voix inquiète clama son nom et qu'une silhouette masculine se précipita vers elle. Elle n'eut pas le courage de stopper Kaiji une nouvelle fois, aussi elle le laissa dans sa tentative de câlin maladroit qu'elle trouvait absolument ridicule mais réconfortante au fond.

« Kaiji, qu'est-ce que tu fiches chez moi ? » soupira-t-elle en rangeant ses clés de voiture dans sa poche. Elle voulait originellement se rendre immédiatement au Bureau de Yokohama, mais elle avait préféré s'arrêter chez elle pour se changer et se rafraîchir les idées.

« Je m'inquiétais ! protesta le brun, inhabituellement sérieux. Tout le monde sait pour ce qui s'est passé... Et... »

Akiko retint un nouveau soupir. Kaiji était juste inquiet pour elle, elle le savait bien. Elle n'avait pas réellement envie de voir quelqu'un en rentrant chez elle, mais en même temps, cela lui évitait de rester seule avec ses idées noires qui la ramenaient à la disparition de Fukuzawa. Elle laissa donc son meilleur ami d'enfance entrer, et en profita pour l'interroger rapidement.

« Ils en ont parlé à la télé ? Tu as des informations ?

Tu penses vraiment que je suis en possession d'informations que tu n'as pas ? C'est toi l'inspectrice.

C'est toi qui m'apprends toujours des choses ces derniers temps, souffla Akiko. Et puis, j'ai été en dehors de la ville depuis que c'est arrivé. Je ne sais pas comment les gens réagissent.

Ils ont fait une annonce officielle à la télévision, répondit Kaiji après avoir réfléchi quelques instants à ses mots. Et depuis, tout le monde ne parle que de ça dans les rues. En venant ici, j'ai entendu au moins quatre personnes en parler. Il y aura aussi une veillée funèbre dans trois jours. Ouverte à tous. Et je pense qu'il y aura quelque chose de plus intime pour la famille, mais évidemment le simple public n'en sera pas informé.

Je vois... Et... Il y a du grabuge ? Des mouvements de foule ? » Elle gardait les avertissements de Taneda en mémoire.

« Non, je ne crois pas. Enfin, tu devrais plutôt demander ça à tes collègues je pense. Tu vas au BEC ?

Oui, je venais juste me changer avant d'y aller. Je dois aller voir comment ça se passe... » Elle laissa sa phrase en suspens. Elle cherchait une façon d'annoncer sa « promotion » à son ami, sans en trouver d'adéquate, alors elle se contenta de laisser tomber la bombe : « Je suis à la tête du Bureau maintenant. »

Ce fut peut-être la première fois de sa vie où elle vit Kaiji rester silencieux pendant plus d'une minute. D'ailleurs, un tel mutisme la gênait légèrement, même si elle essaya de le cacher en s'affairant dans son petit appartement, rangeant les affaires qu'elle avait emportées pour sa formation et cherchant de quoi se changer. Au bout de quelques minutes complètes, elle se décida à observer son ami, inquiète de sa réaction, et découvrit qu'il était en train de pianoter sur son téléphone.

« Dis donc, souffla-t-elle, tu as entendu ce que j'ai dit au moins ?

Évidemment ! » Kaiji se redressa et se tourna vivement vers elle : « Je cherchais quelles étaient tes nouvelles responsabilités pour faire comme si je m'y connaissais un minimum. » La jeune femme haussa un sourcil, ne sachant pas si elle devait se sentir honorée ou offusquée. « Félicitations, ajouta le brun en voyant qu'elle le dévisageait toujours avec scepticisme. Tu le mérites, tu es une excellente inspectrice.

Merci, mais je ne crois pas que je vais accepter cette promotion. Je peux refuser et passer la main à quelqu'un d'autre.

Mais, cette promotion est parfaite pour toi, non ? interrogea Kaiji, troublé. Je veux dire, pourquoi refuser ? Votre Bureau a besoin de quelqu'un pour le diriger.

Je ne veux pas de cette fonction, soupira-t-elle. L'inspecteur Fukuzawa était le seul à pouvoir l'assumer aussi bien. Je ne ferais que m'humilier.

Bien sûr que non ! » La fougue naturelle qui caractérisait son meilleur ami semblait être de retour, et il se leva pour se planter devant elle et clamer avec sérieux : « Tu es la meilleure inspectrice de ce bureau, et la seule à pouvoir assumer avec brio cette fonction, j'en suis persuadé. C'est un fait que personne ne pourra contester, tout comme le fait que je suis un inventeur de génie ! »

L'inspectrice laissa échapper un léger rire. Tout le monde pouvait contester ce qualificatif, et elle était la première à le faire. Mais la confiance de son meilleur ami la touchait, et elle décida de lui laisser ses espoirs intacts pour une fois. Elle prit une profonde inspiration, passa une main dans ses cheveux courts et déclara d'une voix plus assurée :

« Je vais y réfléchir. Maintenant, laisse-moi me préparer ! »

Elle le poussa gentiment en dehors de son appartement, sans prêter attention à ses protestations. Elle avait encore du pain sur la planche, inspectrice principale ou non. Une fois son meilleur ami dehors et sa porte refermée, elle se décida à changer de vêtements, et à se recoiffer rapidement. Ses cheveux coupés courts depuis des années avaient l'avantage d'être rapides à ordonner, et lui évitaient ainsi de passer des heures à les mettre en ordre.

Elle s'arrêta quelques instants sur la broche en papillon qui ne quittait ses cheveux de jais que lorsqu'elle devait dormir ou les coiffer. C'était un cadeau de Ranpo, peu de temps après qu'elle ait rejoint la brigade. Il avait plus d'expérience qu'elle aux côtés de Fukuzawa. Pourquoi ne pas l'avoir désigné lui ? Elle se demandait ce qui avait poussé son ancien mentor à la choisir. Avait-il réellement pensé qu'elle serait digne de lui succéder et qu'elle pourrait accomplir toutes ses tâches avec brio ? Elle se sentait un peu dépassée par la tournure prise par les événements, et par les responsabilités qui pesaient désormais sur ses épaules.

Elle finit par accrocher la broche dans ses cheveux en balayant ses inquiétudes pour le moment, et se décida à quitter le confort de son appartement dans lequel elle aurait pourtant voulu se terrer pour plusieurs jours. Lorsqu'elle déverrouilla la porte d'entrée, elle distingua une silhouette qui l'attendait, adossée contre le mur. La prenant d'abord pour celle de Kaiji, elle retint un soupir méprisant et s'apprêtait à le rembarrer gentiment mais fermement, mais se ravisa lorsqu'elle croisa des iris non pas vert foncé mais roses.

« Mori ? » laissa-t-elle échapper avec une surprise mêlée d'agacement. Il était la dernière personne qu'elle voulait croiser actuellement, et surtout pas devant son appartement.

« Bonjour à toi aussi, Akiko. » soupira-t-il devant cet accueil quelque peu glacé. Il avait l'air épuisé, comme s'il n'avait pas fermé l'œil de la nuit. Enfin, elle-même n'avait pas réellement meilleure mine puisqu'elle n'avait pas non plus trouvé le sommeil malgré ses tentatives.

« Qu'est-ce que vous faites ici ? demanda-t-elle, méfiante. Je ne me souviens pas vous avoir invité.

Je suis venu te parler.

De quoi ? » Elle était très désagréable avec l'homme, elle en avait bien conscience, mais il était réellement une des personnes qu'elle voulait le moins voir en cette période difficile. D'ailleurs, pourquoi semblait-il tout le temps se trouver à Yokohama ? Il vivait à Tokyo, pas ici.

« À ton avis ? »

Malgré sa fatigue clairement palpable, il restait égal à lui-même, bien qu'un peu plus sérieux que d'habitude, songea-t-elle. Il semblait avoir mis de côté son attitude moqueuse pour adopter enfin un comportement de mise face à la situation.

« Je dois me rendre au BEC. Je n'ai pas beaucoup de temps à vous accorder. Mais peut-être pouvez-vous parler avec Kaiji pour qu'il me transmette vos informations discrètement ? » Elle se détourna mais il la rattrapa rapidement et lui bloqua le passage.

« S'il te plaît.

Écoutez, Mori... » Elle s'apprêtait à le rembarrer sèchement une nouvelle fois mais finit par se résigner. Elle doutait qu'il renonce rapidement et elle était plutôt pressée de retrouver ses collègues. « Qu'est-ce que vous voulez ?

Fukuzawa est mort.

Je suis au courant merci. Vous avez quelques heures de retard. » La réplique méprisante lui avait échappé – mais elle ne le regrettait pas vraiment.

« Tu sais ce que ça veut dire ? Ce type a atteint son objectif. » Mori était imperméable à son dédain semblait-il, et il parvint à piquer son attention.

« Ce type ? Vous parlez de celui qui se cache derrière le numéro inconnu ? » Le parrain hocha la tête.

« Fyodor Dostoevsky. Je ne sais rien d'autre que son nom. » lâcha-t-il ensuite.

Il y eut quelques secondes de silence entre eux. Akiko assimila les dires du médecin, qui lui, la fixait sans ciller, attendant probablement son verdict vis-à-vis de cette révélation. La jeune inspectrice – non, la nouvelle inspectrice principale – finit par se masser les tempes puis par pointer un doigt en direction de Mori.

« Dites-moi tout ce que vous savez. » Elle avait tenté de s'exprimer avec fermeté mais le résultat n'était pas très convainquant, et d'ailleurs, Mori se contenta de la dévisager quelques instants, visiblement peu impressionné.

« Comme je viens de te le dire, je ne connais que son nom et...

Je ne parle pas uniquement du numéro inconnu. Je sais que vous êtes lié à l'affaire Gin Akutagawa. Et je veux savoir qui est ce Sôseki Natsume. Et ce que vous vouliez dire en me mettant en garde contre Dazai.

Cela fait beaucoup de choses non ? releva l'homme avec un certain amusement.

En effet, et puisque je suis pressée, cela attendra. Si je vous recroise à Yokohama, je vous harcèlerai pour avoir toutes ces réponses. »

Et, de cette façon, s'il ne voulait rien lui avouer, il n'aurait pas d'autre choix que de ne pas recroiser sa route. Et elle ne s'en porterait que mieux. Elle dépassa Mori qui ne fit aucun geste pour la retenir et reprit son chemin jusqu'au petit parking devant son immeuble et monta dans sa voiture non sans avoir jeté un coup d'œil aux alentours. L'attaque qu'elle avait subie dans la capitale avait constitué une forte piqûre de rappel pour elle, et elle était désormais constamment sur ses gardes, surtout dans cette ville où son mentor avait trouvé la mort moins de vingt-quatre heures plus tôt.

Elle mit le contact mais ne démarra pas immédiatement ; son regard s'était posé au même moment sur une feuille échouée sur le siège passager à ses côtés. D'où venait-elle ? Elle ne se souvenait pas qu'elle était là lorsqu'elle s'était garée un peu plus tôt. Elle enfila une paire de gants qui traînait et attrapa la feuille avec précautions – elle ne craignait pas une potentielle attaque de la part de ce bout de papier, mais elle était déterminée à se méfier de tout autour d'elle désormais, et il y avait peut-être des empreintes digitales dessus.

La feuille était pliée en deux et décorée avec un dessin enfantin, dans un style qu'elle reconnut sans trop de mal pour l'avoir déjà aperçu quelques fois lorsqu'elle vivait encore avec sa mère. C'était sans aucun doute une œuvre de l'artiste favorite de son précédent interlocuteur, sa petite fille de dix ans, Élise. Que faisait-elle dans sa voiture ? Elle avait quelques idées, surtout en voyant le dessin en question. Contrairement aux habituelles œuvres de la fillette, celle-ci était dépourvue de toute touche de rouge rappelant le sang, et représentait un simple bonhomme bâton masculin.

Des traits violets foncés servaient de cheveux au bonhomme, et il avait un étrange chapeau sur la tête – enfin, elle supposait que c'était un chapeau. Deux points rosés constituaient les yeux, et, autour de ses membres bâtons, une espèce de cape avait été ajoutée. Aucune légende n'indiquait l'identité de la personne représentée, mais Akiko était persuadée que ce n'était pas l'ami imaginaire de la fillette.

Fyodor Dostoevsky, avait déclaré Mori avant d'ajouter qu'il ne savait que cela. C'était visiblement faux, car l'instinct d'inspectrice de la jeune femme lui soufflait que cette œuvre d'art enfantine était un excellent début de portrait-robot qui leur servirait peut-être à retrouver celui qui se cachait derrière le numéro inconnu. Mori devait craindre d'être écouté, et elle le comprenait sur ce point. Le numéro inconnu leur avait prouvé à de très nombreuses reprises qu'il savait tout autour d'eux – ou qu'il prétendait tout savoir.

Elle rangea le dessin dans la poche de sa veste et se décida enfin à rejoindre son lieu de travail. Elle songea en chemin qu'elle ne savait même pas si Ranpo était sorti de l'hôpital, et qu'elle ignorait tout de ce qui s'était passé ces dernières vingt-quatre heures pour ses collègues. Elle savait seulement ce qui était arrivé à Fukuzawa, qui lui avait été raconté par Ayatsuji lorsqu'il l'avait appelée la veille dans la soirée.

L'inspecteur principal Fukuzawa s'est fait tirer dessus par un sniper alors qu'il quittait l'hôpital où Ranpo a été admis. La balle l'a atteint en plein dans un poumon.

Elle n'avait pas enregistré la suite, trop sous le choc pour réagir. Pendant quelques instants, elle avait espéré qu'il ait survécu malgré tout. Il avait toujours dégagé une intense impression de force, comme s'il ne pouvait être tué par les mêmes moyens que les humains normaux. Imaginer qu'il avait été descendu aussi simplement, qu'il était mort ainsi, était juste intolérable pour elle. Elle avait voulu croire de tout son cœur qu'il y avait une erreur.

Mais la détresse et la légère douleur contenues dans la voix inhabituellement inexpressive d'Ayatsuji lui avaient rappelé qu'il n'y en avait aucune, tout comme il n'y avait pas d'erreur qui avait été commise dans l'identification du corps d'Oda après l'incident. Oda était mort, Fukuzawa aussi, et elle ne pouvait s'empêcher de se demander s'il y avait un lien. La méthode d'exécution était semblable, et le meurtrier d'Oda n'avait jamais été appréhendé. Cependant, il semblait étrange que le numéro inconnu ait quelque chose à voir avec la mort d'Oda. L'inspecteur avait été abattu en service, alors qu'il enquêtait sur une toute autre affaire, sans rapport avec cet homme qui les faisait tourner en bourrique depuis des semaines.

Une fois arrivée sur le parking du Bureau des Enquêtes Criminelles de Yokohama, elle ne put que constater que tout semblait normal. Les voitures étaient alignées, quelques hommes prenaient une pause autour du coin fumeur et le calme régnait apparemment aux alentours. Mais, en s'approchant un peu plus de la porte, elle constata que les discussions des hommes qui fumaient étaient sans énergie et lasses, et que de très nombreuses gerbes de fleurs avaient recouvert une partie du perron. Un petit passage avait été dégagé pour laisser les inspecteurs et policiers entrer malgré tout, et elle s'y faufila, un peu anxieuse de découvrir l'ambiance à l'intérieur du bâtiment.

Encore une fois, on aurait pu croire au premier abord que tout était normal. Les couloirs étaient déserts, et des bruits d'ordinateurs et de conversations provenaient de la pièce de travail de l'équipe de Tsujimura, comme une journée habituelle. Akiko hésita quelques secondes à s'y rendre pour s'entretenir directement avec la chef d'équipe et informer les autres des directives de leur défunt supérieur, mais elle n'avait pas spécialement envie de donner l'impression de se vanter à peine revenue de Tokyo, et de devoir continuer d'annoncer une promotion qu'elle n'était pas sûre de conserver.

Alors, elle gravit les escaliers rapidement et le plus silencieusement possible – ce qui était bien loin d'être aisé puisqu'elle était chaussée de talons qui claquaient bruyamment contre le linoléum brillant des couloirs – pour rejoindre le troisième étage où devaient se trouver ses collègues en service. En passant dans le fameux couloir destiné à accueillir les portraits des inspecteurs décédés, elle constata avec un soulagement en demi-teinte qu'aucun tableau n'avait encore été ajouté. Ce n'était pas très surprenant puisque le décès remontait à la veille à peine, et cela lui convenait bien car elle n'était pas sûre de supporter émotionnellement ce nouveau rappel que son ancien mentor était décédé.

Elle n'entendit aucun bruit de conversation en s'approchant de la porte fermée, et inspira profondément pour se composer un visage impassible avant d'ouvrir la porte. Elle eut un souvenir de la première fois qu'elle l'avait poussée, cette porte en bois de chêne, le jour de son arrivée au Bureau, et sentit les larmes lui monter aux yeux, détruisant tous ses espoirs de paraître forte.

Dès qu'elle eut pénétré la pièce de travail, son regard embué de larmes croisa un regard émeraude parfaitement impassible, et un sourire naquit sur ses lèvres malgré la situation lorsqu'elle aperçut Ranpo, fièrement attablé devant un paquet de bonbons. A l'exception d'un pansement sur le haut du front, légèrement dissimulé par ses cheveux de jais, il semblait parfaitement remis de sa mésaventure de la veille.

« Akiko ! s'exclama-t-il joyeusement en l'apercevant, et cette exclamation fit sortir de leur cachette les autres collègues de la jeune femme – cachette qui n'était en réalité que le bureau de Fukuzawa – ancien bureau.

Yosano, tu es de retour ! » la salua Kunikida en s'approchant. Ils se saluèrent comme d'habitude, même si leurs yeux voilés par le chagrin témoignaient du fait que rien n'était comme avant.

« Je ne pouvais pas rester à Tokyo éternellement. » répondit-elle en chassant les larmes qui avaient embué sa vision.

Nakajima s'approcha également pour la saluer, vite suivi par Ryunosuke qui restait en retrait, comme s'il n'était pas à sa place. Ils échangèrent tous les trois des formules d'usage, teintées de tristesse et de regrets.

« Dazai n'est pas là ? » remarqua-t-elle avec une pointe d'inquiétude – elle n'avait pas oublié les avertissements de Mori malgré tous ses efforts.

« Je l'ai appelé pour lui dire ce qui s'était passé, mais il ne s'est pas montré. » grommela Kunikida. Akiko resta silencieuse suite à cette déclaration. Était-ce une preuve de sa culpabilité et de son statut de traître ? Elle ne voulait toujours pas y croire, mais il agissait étrangement.

« Monsieur Dazai a été suspendu, déclara soudainement Nakajima, c'est peut-être pour cela ?

Suspendu ? répéta la jeune femme en même temps que Kunikida maugréait :

Akutagawa est bien venu alors que lui aussi. Il n'est plus temps de se plier aux ordres de l'inspecteur Fukuzawa alors que nous faisons face à une telle situation.

Suspendu ? répéta une nouvelle fois Akiko en observant successivement toutes les personnes présentes. Vous pouvez m'expliquer ?

Ces deux idiots se sont bagarrés comme des collégiens, gloussa Ranpo qui semblait allégrement amusé par la situation, même si son rire sonnait légèrement faux. Alors l'inspecteur Fukuzawa les a suspendus de mission, a envoyé Ryunosuke aux archives pour quelques semaines et a mis Dazai en congés forcés. »

Akiko assimila ses dires et observa son subordonné, qui essaya d'esquiver son regard en s'éloignant encore plus du rassemblement. Lui et Dazai s'étaient battus ? Elle avait du mal à y croire, considérant qu'ils étaient deux personnes plutôt calmes – elle savait que son cadet avait déjà eu des problèmes de violence, mais il faisait constamment des efforts pour se racheter.

« Que s'est-il passé entre vous ? l'interrogea-t-elle en le dévisagent fixement.

Rien. » marmonna Ryunosuke en continuant d'essayer d'éviter son regard. Elle croisa les bras sur sa poitrine et répliqua :

« Je veux savoir ce qui s'est passé pour que vous vous battiez.

Même l'inspecteur Fukuzawa n'a rien tiré d'eux, soupira Kunikida. Abandonne, Yosano. Ils cachent quelque chose mais ne nous diront rien. » La jeune femme hésita quelques secondes avant d'opiner.

« Soit. Mais j'obtiendrais le dernier mot de l'affaire. »

Elle passa ensuite une main dans ses cheveux, avant d'observer tous ses collègues plus attentivement. Kunikida gardait son air digne, tout semblait être comme d'habitude chez lui, de ses lunettes parfaitement nettoyées à son costume impeccable, fidèles à sa vie parfaitement ordonnée. Mais, elle savait qu'au fond, il souffrait aussi de la mort de leur supérieur, comme chacun d'eux. Il respectait énormément le quadragénaire depuis qu'il était arrivé au bureau, un peu avant Dazai.

Ranpo semblait aussi comme d'habitude, presque indifférent, mais elle savait aussi qu'il devait souffrir grandement, peut-être même plus qu'elle. Derrière son habituel sourire et son grignotage acharné de sucreries, il cachait sûrement sa peine et sa douleur, après avoir perdu l'homme qu'il considérait comme un membre de sa famille et une figure paternelle et protectrice.

Les deux nouvelles recrues, qui n'étaient plus si nouvelles en fin de compte, Nakajima et Akutagawa, avaient moins connu qu'eux leur supérieur, mais elle pouvait voir que leur peine était sincère. Les yeux du premier étaient rougis par les larmes, et les poings du second serrés fermement. Elle savait qu'ils partageaient tous la même peine, plus intense pour certains que pour d'autres.

« L'inspecteur Fukuzawa m'a nommée à sa suite, lâcha-t-elle après les avoir tous dévisagés en silence. Et le bureau de Tokyo approuve sa décision. » Ce fut à son tour d'essayer d'éviter le regard de ses collègues. Il y eut un nouveau grand silence, comme après qu'elle l'ait dit à Kaiji, que l'exclamation de Nakajima brisa au bout de quelques secondes :

« Vous le méritez ! » Elle tourna un regard surpris vers lui, et les autres se mirent à le dévisager également sans rien dire. Il s'empourpra légèrement devant tous ces regards curieux avant de bafouiller : « Vous êtes une excellente inspectrice, et...

Merci, Nakajima. » finit-elle par déclarer avec un petit sourire rassuré. Akutagawa la félicita également plutôt chaleureusement. Le silence de ses autres collègues la gênait un peu plus, et elle observa tour à tour Kunikida et Ranpo avec appréhension. Le premier finit par lui sourire affectueusement :

« Tu le mérites, il a raison. L'inspecteur principal Fukuzawa a bien choisi. » Akiko le remercia vivement et observa Ranpo, qui n'avait pas parlé. Elle se demandait comment il prenait cette annonce... et il réagit en lui sautant à moitié au cou comme un enfant.

« Félicitations, Akiko ! s'exclama-t-il joyeusement. Et bonne chance pour régler tous les problèmes qu'on va causer.

Ça ne te dérange pas ? hésita-t-elle et il posa sur elle un regard curieux.

Tu crois que ça me dérange de ne pas avoir été nommé ? C'est plutôt une nouvelle qui me rassure. Je n'ai aucune envie de devoir travailler avec autant d'acharnement que l'inspecteur Fukuzawa ! ~ » Il lui sourit gentiment avant de repartir à son bureau pour lui offrir le paquet de bonbon déjà bien entamé. « Je te laisse ce rôle avec plaisir. D'ailleurs, je pense que tu es la seule à pouvoir l'assumer parfaitement ici. »

Akiko était non seulement rassurée de voir que son ami se fichait bien de cette décision et qu'elle s'était inquiétée pour rien – elle s'en doutait un peu mais il était dans sa nature d'anticiper le pire, grâce à Fukuzawa – mais aussi flattée d'avoir droit à une telle confiance. Peut-être pouvait-elle réellement assumer ce poste à hautes responsabilités... Elle conservait des doutes – même si elle n'aimait pas douter d'elle – et n'était pas sûre de parvenir à tout régler et supporter.

Elle eut encore droit à quelques félicitations pour sa promotion, puis se racla la gorge. Elle n'allait pas faire de grands discours, mais elle voulait clarifier quelque chose.

« Je sais que la situation dans laquelle nous nous trouvons est compliquée et que des temps difficiles nous attendent sûrement. Je ne suis pas sûre d'être la personne la plus à même de gérer cette situation compliquée. Mais, j'ai bien l'intention de faire de mon mieux pour faire honneur aux enseignements de l'inspecteur Fukuzawa. » Une vive émotion la gagna une nouvelle fois, mais elle prit sur elle et conserva un ton égal. « J'espère pouvoir compter sur votre soutien.

Évidemment ! répondit Ranpo avec sa joie enfantine tandis que les autres l'appuyaient.

Je vais aussi tout reprendre à zéro. L'affaire Gin Akutagawa, l'affaire Topaz. On a assez de preuves sur le fait qu'elles étaient liées. On va se concentrer sur l'enquête liée à la mort de l'inspecteur Fukuzawa, mais on va aussi reprendre ces deux-là en main.

Le bureau de Tokyo nous les a retirées, lui fit remarquer doucement Kunikida.

Eh bien, ils vont nous les rendre. Je vais l'exiger. »

Peu importe leurs protestations. Son instinct lui dictait que quelque chose leur avait échappé dans ces affaires et qu'elles étaient toutes liées entre elles. Elle se ferait un plaisir de le vérifier au cours des semaines à venir. L'année était presque terminée, dans leur cas sans joie et bonne humeur associées. Mais ils parviendraient à faire de la suivante une bien meilleure que celle qui venait de s'écouler.

« On trouvera le coupable, promit-elle. Et on lui fera payer. » Ce fut une autre voix masculine qui lui répondit.

« Je suis ravi de l'entendre, parce que j'ai de bonnes nouvelles. »

Akiko écarquilla les yeux en reconnaissant le timbre de voix de Dazai, et se tourna vers lui. Il était nonchalamment adossée à la porte de leur pièce de travail, et il lui adressa un sourire, avant d'inviter une autre personne à les rejoindre.

Et ils restèrent tous sans voix en reconnaissant les traits fins et les cheveux de jais de Gin Akutagawa.

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