18 - 𝐔ne dernière parenthèse de joie
tsuuki ou l'art d'instaurer une bonne ambiance dans ses chapitres dès les premières lignes yay.
avant-dernier chapitre de la première partie !
(cette partie est trop longue jpp elle fait presque la taille de 01643 au complet, arrêtez-moi)
sinon, on est de retour sur un Akutagawa désabusé, une famille Ôzaki-Akutagawa qui embrouille absolument tout le monde avec son arbre généalogique et un Francis Fitzgerald au top de sa forme !
(plus pour longtemps)
(SalomeKayano pardon)
(un jour je laisserais Francis en vie)
on a dépassé les 8K merciii ;-; j'ai pris du retard ces derniers temps sur les bonus mais promis je reviendrais dès que possible avec un bonus sur un personnage qu'on n'a pas assez vu ! :)
bref, j'espère que tout va bien pour vous, et je vous donne rendez-vous le 10 juillet pour le dernier chapitre de la partie une !
⋆✩⋆
𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝐃𝐢𝐱-𝐡𝐮𝐢𝐭 - 𝐔𝐧𝐞 𝐝𝐞𝐫𝐧𝐢𝐞̀𝐫𝐞 𝐩𝐚𝐫𝐞𝐧𝐭𝐡𝐞̀𝐬𝐞 𝐝𝐞 𝐣𝐨𝐢𝐞
Le jeune homme poussa un soupir et observa son historique d'appel, uniquement composé d'appels sortants qui n'avaient pas abouti. Ils étaient tous adressés à la même personne, sa petite sœur. Elle ne donnait aucun signe de vie depuis plusieurs heures, et il sentait une légère anxiété le gagner. Il avait coutume de disparaître ainsi sans prévenir et de revenir quelques heures plus tard comme si de rien n'était, mais ce n'était pas le cas de sa sœur.
D'ailleurs, il ne comptait plus le nombre de fois où elle s'était alliée à leur mère pour l'engueuler et lui reprocher d'avoir disparu pendant une journée entière, sans même répondre à leurs appels ou leurs messages. L'alliance de sa mère et de sa sœur pour lui crier dessus était absolument terrifiante. Il n'était pas effrayé par grand-chose, mais ça, c'était un autre niveau de terreur. Il faisait toujours de son mieux pour ne pas les croiser en même temps lorsqu'il revenait de ces escapades silencieuses.
Quoiqu'il en fût, ce silence de sa sœur l'inquiétait. Il trouvait cela parfaitement anormal, et leur mère aussi. Elle faisait les quatre cents pas sous ses yeux en marmonnant des choses inintelligibles - peut-être une prière, ou alors une insulte envers son mari pour être injoignable à un tel moment. Sûrement les deux en fait.
Après de longues minutes de silence, le téléphone du jeune homme vibra, mais ce ne fut pas le nom de sa sœur qui s'afficha sur l'écran. C'était celui de leur « tante », ou la personne qu'ils appelaient ainsi car ils n'avaient pas de meilleur terme pour la qualifier. Sa mère l'attrapa sans même lui laisser le temps de faire un geste et commença à discuter activement avec sa cousine d'un ton inquiet.
Lui, resta silencieux et perdu dans ses pensées. Il s'inquiétait. Il craignait que quoi que ce soit soit arrivé à sa petite sœur, celle qu'il voulait pourtant protéger du mieux qu'il le pouvait. Il n'était pas un frère parfait, il le savait, mais il faisait de son mieux pour échapper à l'étiquette de brute sans cœur qu'on lui avait collé dans le dos des années plus tôt. Il murmura à voix basse, pour lui-même, une prière qui n'en était pas une :
Gin, j'espère que tu vas bien...
⋆✩⋆
J - 11
06 JANVIER.
⋆✩⋆
Ryunosuke soupira doucement et rangea le cadre photo que Fukuzawa lui avait rapporté des semaines plus tôt de la chambre de Gin dans un carton. Il ne voulait pas admettre publiquement qu'il l'avait gardé. Sa réputation en serait entachée sinon. Il devait garder son image de grand frère détaché et froid. Il ferait semblant que le cadre avait toujours été dans les affaires de la jeune femme, qu'elle ramenait dans sa chambre à l'Académie Internationale.
Il parvenait encore difficilement à croire que sa sœur était bien en chair et en os devant lui, qu'elle était bien rentrée à la maison. Cela lui semblait presque trop beau après l'angoisse de toutes ces semaines, et les recherches acharnées qui n'avaient pas abouti malgré tant d'efforts. En fin de compte, le travail de l'inspecteur Fukuzawa a payé, songea-t-il. Le quadragénaire n'avait pas baissé les bras malgré les échecs et les impasses, et ses efforts avaient payé.
Lui et tous ses collègues n'en avaient pas cru leurs yeux quand Dazai était apparu comme une fleur sur le pas de la porte accompagné d'une personne disparue depuis des semaines. Le brun avait semblé particulièrement satisfait de son petit effet, même si, comme tous les autres, il portait sur son visage les traces de ce qui s'était passé. La disparition de Fukuzawa avait bouleversé tout le monde, même lui qui semblait pourtant être du genre indifférent.
« C'est grâce à l'inspecteur Fukuzawa, avait-il ensuite expliqué lorsque tout le monde l'avait interrogé pour savoir comment il avait réussi là où trois inspecteurs expérimentés avaient échoué. Il avait deviné où elle était retenue. »
Aux yeux du jeune homme aux cheveux bicolores, cette explication était bien bancale. Et il n'avait pas été le seul à sembler sceptique, puisqu'il avait clairement vu Yosano froncer les sourcils, Kunikida faire la moue et Ranpo dévisager son collègue avec un sourire amusé et grandissant. Mais aucun d'eux n'avait dit quoi que ce soit, ils avaient préféré écouter la version de Dazai jusqu'au bout.
Le brun leur avait expliqué que l'inspecteur avait continué d'enquêter de son côté - ça, ils le savaient déjà - et avait fini par obtenir une piste fiable à force de recherches. Désireux de ne pas se faire remarquer, il avait fait de son mieux pour la garder secrète, mais il avait pris des mesures pour qu'elle soit transmise à un de ses subordonnés si quelque chose venait à lui arriver - et c'était malheureusement le cas.
Ryunosuke avait pointé mentalement du doigt toutes les faiblesses de ce raisonnement, à commencer par l'évidente « Ranpo avait découvert un endroit mais ils avaient changé de place en moins de trente minutes alors comment était-ce possible ? » mais il n'avait rien dit. De toute manière, il ne faisait plus confiance à Dazai, et à ses yeux, son retour après tant de silence, avec sa sœur finalement retrouvée miraculeusement, était quelque chose d'extrêmement louche.
Un peu après, tous les inspecteurs avaient laissé le frère et la sœur se retrouver tranquillement, mais Dazai avait demandé à lui parler seul à seul avant cela. Il voulait mettre au clair quelques détails, et, si Ryunosuke n'en avait pas très envie, il avait accepté de suivre le brun dans un coin tranquille pour discuter avec lui.
« Je voulais te parler de ce qui s'est passé hier, lorsque tu m'as entendu parler de ta sœur. » avait commencé le brun. Il semblait pour une fois disposé à lui donner de vraies informations, et le bicolore les avait écoutées attentivement. « C'était un grand quiproquo. » Il n'avait malheureusement pas plus étalé son opinion dessus, et avait embrayé sur un autre sujet plus sérieux et plus secret : « Leur objectif initial en s'en prenant à ta sœur était de mettre l'inspecteur Fukuzawa sur sa piste pour le tuer sans problèmes. Ils savaient que ta famille essayerait d'étouffer l'affaire au maximum et de la confier à des gens compétents.
- Vous pensez que tout était planifié depuis le début ? » s'était étonné l'inspecteur. Il se doutait bien que tout dans cette affaire n'était pas un enchaînement de coïncidences, mais il n'aurait pas envisagé que ce soit complètement l'inverse.
« Je le pense en effet. Ils voulaient dès le début s'en prendre à l'inspecteur Fukuzawa. Enlever ta sœur, puis attendre que l'affaire échoue entre les mains du meilleur inspecteur de Yokohama pour qu'il tombe dans un piège. » Sa voix s'était durcie, et il avait serré les poings. « J'aurais dû le voir venir. Maintenant, ils ont eu ce qu'ils voulaient.
- Comment vous avez trouvé Gin ? avait ensuite demandé Ryunosuke sur un ton cassant. Je sais que vous avez menti.
- Ils l'ont libérée sciemment. Leur objectif a été atteint, elle est inutile.
- C'est stupide. Elle savait depuis le début qu'ils essayaient de s'en prendre à Fukuzawa. Elle est un témoin gênant pour eux non ?
- Tu aurais préféré qu'ils liquident ta sœur ? avait répliqué Dazai sèchement.
- J'aurais préféré que personne ne nous empêche de la retrouver des semaines plus tôt. » Ils s'étaient dévisagés en chiens de faïence pendant plusieurs minutes avant que le brun ne reprenne :
« Je n'ai pas de comptes à te rendre, mais je t'assure que tu m'as mal compris. J'ai bloqué l'enquête pour une bonne raison. Je voulais protéger Yosano et Ranpo du piège tendu par ces ennemis cachés dans l'ombre.
- Vous prétendez avoir agi pour le bien commun ?
- Je ne le prétends pas, je l'ai fait.
- Yosano et Ranpo ont été blessés malgré tout.
- Mais ils sont encore en vie. »
Leur débat était stérile, avait songé Ryunosuke. Aucun d'eux ne voulait entendre raison et admettre ses torts. Le jeune homme aux cheveux bicolores restait persuadé que le brun n'était pas digne de confiance et qu'il leur dissimulait des informations cruciales. Son opinion n'avait pas changé, même maintenant qu'il lui avait ramené sa sœur. Et il avait bien l'intention de l'interroger elle pour avoir des informations.
Il n'en avait pas encore vraiment eu l'occasion - Kôyô et Fuku s'étaient jetées au cou de Gin lorsqu'ils étaient revenus tous les deux au temple Sôji, et la jeune femme avait ensuite été accaparée par toute leur famille au complet. Même leur père avait annoncé qu'il reviendrait à Yokohama pour voir sa fille désormais retrouvée, et il était en effet arrivé le jour de Noël.
Ils avaient passé les fêtes de fin d'année ensemble, et c'était sans doute la première fois que la famille atypique Ôzaki-Akutagawa était quasiment au complet pour les fêtes. Ryunosuke n'avait pas trouvé cela aussi désagréable qu'il ne le prétendait. Il était simplement heureux de voir la tension de ces dernières semaines quitter sa famille. Il avait eu l'impression de retrouver les fêtes de son enfance. Même les plus fermés d'esprit des Ôzaki semblaient avoir mis de côté l'homosexualité de Gin pour célébrer son retour (pour combien de temps, il l'ignorait, mais il saluait l'effort).
Maintenant, quelques jours à peine après le début de la nouvelle année - et toutes leurs prières pour qu'elle soit meilleure -, il était temps pour Gin de retourner à l'Académie Internationale de Yokohama pour terminer son année. Ils avaient longuement considéré cette idée, compte tenu du fait que Gin avait été enlevée la première fois à quelques mètres à peine de l'enceinte de l'établissement, alors que n'importe quel élève ou enseignant aurait pu l'apercevoir et l'aider, mais la jeune femme avait insisté pour y retourner au moins pour finir l'année scolaire. Ensuite, ils aviseraient.
Fuku était aussi fermement déterminée à les poursuivre en justice, mais sa cousine l'en avait dissuadée en argumentant que ce n'était pas gagné d'avance puisqu'à proprement parler, elle n'avait pas été enlevée sur le site même de l'Académie. (Et tout le monde savait qu'elle s'évertuait ainsi à encore une fois protéger leur réputation, même si, au stade où ils en étaient, l'affaire n'était plus un véritable secret.).
À quelques minutes du départ de sa sœur, Ryunosuke acheva de l'aider à descendre ses dernières affaires. Il n'était pas complètement ravi de voir sa sœur repartir aussi vite - peut-être courait-elle toujours un danger quand même, et il n'accepterait pas de revivre des semaines de stress et d'inquiétude encore une fois. Il avait décidé de saisir ce moment de calme avant que les deux « cousines-tempêtes » n'arrivent pour interroger sa sœur. Elle avait déjà raconté à leur famille le déroulement de ces dernières semaines - l'homme qui l'avait attaquée par derrière avec le visage masqué, sa rencontre ensuite avec le fameux Ivan Goncharov et ensuite les journées passées à se déplacer de cachette en cachette dans la capitale et les alentours (ainsi que ces étranges sorties dans les rues), sans qu'elle ne puisse comprendre ce qui se passait réellement à l'extérieur.
Elle s'était aussi excusée pour ce qui était arrivé à Fukuzawa, et cela avait rendu le jeune inspecteur fou de rage. Ce n'était pas à elle de s'excuser. Ce n'était pas de sa faute. Gin avait conscience qu'elle n'avait servi que d'appât pour assassiner Fukuzawa, et il savait qu'elle culpabilisait à cause de cela, mais elle n'était pas responsable. Les seuls fautifs étaient ceux qui l'avaient utilisée pour un but aussi sordide. Et d'ailleurs, au final, Fukuzawa n'était pas mort directement sur sa piste. Elle ne devait pas s'en vouloir.
« Gin ? l'appela-t-il en la voyant arriver pour mettre ses chaussures et sa veste.
- Tu comptes remplacer maman et Kôyô pour me rappeler d'être prudente ? » lui demanda gentiment la jeune femme en replaçant une mèche de ses longs cheveux de jais derrière son épaule. Il secoua la tête négativement avant de poser la question qui lui brûlait les lèvres depuis plusieurs jours :
« Comment est-ce que Dazai t'a trouvée ? » Elle sembla confuse.
« Dazai, c'est l'inspecteur aux cheveux bruns qui m'a raccompagnée ?
- Oui. Il a dit que Fukuzawa t'avait trouvé et qu'il lui avait communiqué ta localisation, mais... » Il laissa sa phrase en suspens mais la jeune femme comprit.
« Tu ne le crois pas.
- Je ne lui fais pas confiance, cracha-t-il avec mépris. Je suis sûr qu'il a joué un rôle dans ce qu'il t'est arrivé.
- Il m'a sauvée.
- Ah bon ? Comment ? Si ça se trouve, il savait depuis le début où tu étais, il voulait juste avoir le beau rôle pour nous mener en bateau. » Il exprimait pour une fois à voix haute tout ce qu'il avait accumulé comme ressentiment et doutes, et Gin posa une main sur son épaule pour l'apaiser et lui sourire doucement.
« Je ne crois pas que ce soit une mauvaise personne. Je ne sais pas exactement comment il m'a trouvée, mais, même si c'était d'une autre façon que celle qu'il vous a donnée, je ne crois pas que ce soit parce qu'il était de mèche avec celui qui m'a enlevée. » Elle marqua une petite pause avant d'ajouter : « Je pense que c'est une personne difficile à lire, mais il n'avait pas l'air de mentir dans sa façon de sembler soulagé de m'avoir trouvée. »
Ryunosuke admirait le calme apparent de sa sœur, alors qu'ils savaient tous les deux qu'elle vivait bien plus mal ce qui c'était passé qu'elle ne voulait bien le montrer. Elle n'avait à proprement parlé pas été physiquement attaquée par ses ravisseurs - et heureusement, parce que son grand frère aurait bien volontiers remis sa démission pour aller les tuer sans regrets - mais une telle expérience aussi prolongée avait laissé des traces, qu'il percevait dans le léger tremblement de la jeune femme et dans les cernes qui se creusaient sous ses yeux gris.
Il espérait qu'Ichiyô serait capable de l'aider à aller mieux, parce qu'il n'était pas sûr d'être l'homme de la situation. Réconforter, il ne savait pas faire. Il était tout au plus bon à rassurer à peu près ses interlocuteurs par des menaces envers ceux qui les avaient blessés. Il faisait pour une fois confiance à l'américaine pour soulager un peu sa sœur de son fardeau.
« Sois prudente, finit-il par marmonner en la voyant terminer de se préparer.
- C'est promis, sourit-elle doucement. Dans le pire des cas, je suis certaine que les policiers chargés de ma sécurité se chargeront de leur tâche avec brio. » Elle lui adressa un nouveau sourire amusé, tandis qu'il lui rendait un regard un peu surpris - elle n'était pas censée être au courant de cette information gardée confidentielle pour se protéger des fuites. « J'ai entendu maman et Kôyô se disputer à ce sujet, murmura-t-elle en réponse. Mais je ferais comme si je n'en savais rien. » Ryunosuke soupira en songeant que les deux cousines ne montraient vraiment pas l'exemple. Il s'apprêtait à dire quelque chose lorsque leur père fit irruption dans le petit couloir, visiblement en train de fuir quelqu'un car il ne cessait de jeter des regards derrière lui.
« Tiens, bonjour vous deux, les salua-t-il en les voyant.
- Encore en train de fuir Kôyô ? le taquina Gin en l'observant se cacher derrière un pan de mur.
- Non, je fuis son grand-père. »
Toshizoo Akutagawa n'était vraiment pas fait pour s'entendre avec sa belle-famille, ils l'avaient constaté lors de ces fêtes de fin d'année. Il était bien trop effrayé par eux - et, au fond, on pouvait le comprendre quand on voyait le fameux regard Ôzaki qui donnait des frissons à n'importe qui. Il avait perdu le compte du nombre de personnes qui avait fui devant. Mais leur père semblait particulièrement craindre ce regard - sans doute parce qu'il avait toujours su que Kôyô le méprisait, et que la branche de sa famille en faisait de même.
« Maman va encore se plaindre que tu ne fais pas d'efforts pour t'entendre avec eux, le taquina doucement Gin.
- Ce sont eux qui ne font pas d'efforts, protesta faiblement Toshizoo. Ils me jettent des regards noirs depuis le début. Ils ne m'aiment pas, et vous le savez tous les deux.
- Ils ne m'aiment pas non plus, le coupa Gin avec un peu plus de fermeté, ce qui ne m'empêche pas de continuer d'essayer de regagner des points dans leur estime. » Leur père cligna quelques instants des yeux, visiblement surpris par son ton agacé et resta silencieux le temps qu'elle termine. « Fais des efforts, papa, ou ce sera toujours de pire en pire. »
Ryunosuke resta silencieux, son regard neutre passant de sa sœur à son père régulièrement pour observer leurs comportements respectifs. Il se fit la réflexion silencieuse que sa sœur ressemblait un peu trop à leur mère avec sa mine réprobatrice, celle qu'elle leur donnait tout le temps lorsqu'ils faisaient des bêtises. Leur paternel parut avoir un peu de mal à se remettre du fait que sa fille de dix-huit ans lui faisait la morale mais eut la présence d'esprit de ne rien dire, et de tenter de reprendre une contenance.
« Euh, hum, oui, tu as peut-être raison..., lâcha-t-il en la dévisageant comme si elle était devenue un extraterrestre.
- Toshizoo ? » La voix de Fuku les interrompit, et elle passa la tête dans le couloir. « Vous faites une réunion secrète dans l'entrée ? se moqua-t-elle gentiment en les voyant tous les trois rassemblés là.
- Il n'y a pas de meilleur endroit pour échanger des secrets, répondit pince-sans-rire Ryunosuke.
- Certes, mais je vais vraiment finir par être en retard, les interrompit Gin en jetant un coup d'œil à la pendule suspendue dans le couloir. Papa, tu me déposes ? »
L'homme hocha la tête et suivit sa fille sans protester jusqu'à l'entrée du temple. Les deux autres membres de la famille les rejoignirent après avoir échangé un regard amusé. Tandis que sa sœur disait au revoir à sa mère, Ryunosuke resta très légèrement en retrait - il n'aimait pas ces séparations émotives, comme s'ils n'allaient jamais se revoir. Mais, comme il s'en doutait, sa sœur n'avait pas l'intention de le laisser s'en tirer aussi facilement puisqu'elle l'entraîna dans une étreinte affective sans lui demander son avis au préalable.
« Fais attention à toi, lui commanda-t-elle ensuite à voix basse.
- Toi aussi. » répondit-il.
Ils étaient tous les deux en danger d'une façon ou d'une autre. Rien ne servait d'agir comme si ce n'était pas le cas, mais le jeune homme aux cheveux bicolores ne comptait pas se laisser faire. Ils avaient eu plusieurs réunions depuis la mort de Fukuzawa pour essayer d'avancer. Ils avaient repris toutes les affaires, comme l'avait ordonné Yosano. Il ignorait comment elle s'y était prise pour convaincre leurs supérieurs de rouvrir des affaires classées sans suite normalement, mais elle y était parvenue après trois réunions d'affilée à Tokyo.
Ils avaient tout repris du point de départ, en essayant d'oublier tant bien que mal tout ce qu'ils avaient trouvé auparavant comme indices. Il leur fallait un regard neuf sur toute l'affaire, avait décrété la jeune femme d'un ton ferme. Malgré toutes ses apparentes réticences vis-à-vis de sa promotion non demandée, elle semblait avoir décidé de s'acquitter de sa tâche avec détermination. Il ne l'en admirait intérieurement qu'un peu plus.
Pour autant, ils ne pouvaient pas dire qu'ils avaient fait des progrès significatifs. Ils se heurtaient dans l'ensemble aux mêmes difficultés qu'auparavant : le manque flagrant d'indices et de liens entre eux, ainsi que des personnes qui semblaient s'être volatilisées. La seule chose qu'ils avaient remarqué, c'était que le numéro inconnu semblait s'être tu. Mijotait-il un autre mauvais coup ? Ils l'ignoraient, mais aux yeux du jeune homme aux cheveux bicolores, c'était louche.
Une fois sa sœur partie en compagnie de leur père - qui ne faisait normalement que la déposer, mais tout le monde savait qu'il y aurait de mystérieux embouteillages qui le retiendraient plus longtemps - il retourna dans la maison traditionnelle des Ôzaki avec sa mère, en songeant qu'il allait pouvoir lui aussi réintégrer son appartement maintenant que le danger paraissait provisoirement écarté. Alors qu'il s'apprêtait à en toucher un mot à sa mère, une exclamation leur parvint, une exclamation aux intonations désagréablement étrangères.
« Mademoiselle Ôzaki ! » En se rapprochant de l'entrée de la maison traditionnelle, ils repérèrent deux silhouettes, l'une d'un homme richement habillé avec un costume impeccable qui gesticulait ridiculement, l'autre d'une femme aux cheveux bruns retenus par un ruban qui essayait vainement de le calmer.
« Monsieur Fitzgerald, déclara-t-elle dans un japonais hésitant, calmez-vous s'il vous plaît, nous sommes dans un temple.
- Vous avez raison, Alcott. » soupira le riche homme d'affaires. Il avisa les silhouettes de Fuku et Ryunosuke qui se rapprochaient d'eux, et un grand sourire éclaira son visage. « Madame, monsieur, bien le bonjour ! Je cherche la prêtresse de ce temple ! »
La mère et le fils échangèrent un regard consterné - que fabriquait le célèbre Francis Fitzgerald et son assistante devant leur demeure normalement inaccessible au public ? Et pourquoi personne ne l'avait-il déjà fait rentrer ? Ryunosuke soupçonnait sa « tante » de l'avoir laissé dehors exprès. Tout le monde savait que Fitzgerald appréciait sa compagnie, mais que ce n'était pas du tout réciproque.
« Bonjour, monsieur Fitzgerald, finit par répondre Fuku avec diplomatie. La prêtresse Ôzaki doit être occupée en arrière-salle, vous auriez dû sonner.
- Je ne me sentais pas la force de frapper contre ce superbe gong traditionnel ~ » La maison est équipée d'une sonnette, commenta l'inspecteur dans son esprit en souhaitant mentalement qu'une urgence le tire de son jour de repos et qu'il puisse fuir le magnat. Il ne supportait pas les hommes dans son genre.
« Je vais vous faire entrer, poursuivit Fuku en conservant un visage impassible, même si l'inspecteur connaissait suffisamment sa mère pour savoir qu'elle regrettait amèrement ses mots et se maudissait de ne pas avoir trouvé une excuse pour chasser l'homme d'affaires.
- C'est très aimable de votre part, madame... ?
- Fuku Akutagawa. Et voici mon fils, Ryunosuke. »
Le susnommé n'appréciait pas cette mise à partie soudaine, mais se retint de faire un commentaire, sachant parfaitement que sa mère le tuerait s'il faisait un impair trop grave. Ils avaient une famille suffisamment influente et respectée pour ne pas craindre un homme d'affaires comme Francis Fitzgerald, mais ils avaient eu assez de problèmes ces derniers temps et ils n'avaient pas besoin de se rajouter en plus un scandale majeur qui donnerait à la presse locale un sujet sur lequel écrire pendant des semaines. Il se contenta donc de hocher la tête, puis d'emboîter le pas au petit groupe insolite.
Visiblement, son hypothèse sur le côté volontaire de l'abandon de Fitzgerald à l'entrée était correcte, puisque Kôyô avait clairement l'expression du mépris sur son visage lorsqu'elle aperçut l'américain qui s'ébahissait du moindre détail traditionnel de sa demeure. Elle avait sans doute espéré qu'il finisse par se lasser et aille voir ailleurs. L'arrivée de sa cousine et de son « neveu » avait mis à mal ce plan, pourtant loin d'être invraisemblable.
« Mademoiselle Ôzaki ! » Kôyô portait vraiment peu de gens dans son cœur, mais Ryunosuke comprenait sans le moindre problème pourquoi elle n'aimait pas Fitzgerald. Les manières forcées de l'homme lui donnaient envie de se jeter par la fenêtre.
« Pardonnez-moi, monsieur Fitzgerald, répondit pourtant la prêtresse avec un sourire, j'étais si occupée que je ne vous ai pas entendu. Que puis-je faire pour vous ? »
Il était difficile de croire que la jeune femme n'appréciait pas le magnat lorsqu'on la voyait lui sourire aussi innocemment et amicalement. Kôyô était douée pour bien cacher son jeu, et il comprenait donc que l'homme blond n'ait pas encore compris qu'elle ne l'aimait absolument pas.
« J'aimerais vous inviter personnellement à la fête que je donnerais dans quelques temps pour célébrer l'anniversaire de mariage de ma femme et moi-même.
- Toutes mes félicitations, répondit la jeune femme. Depuis combien de temps êtes-vous heureux aux côtés l'un de l'autre ?
- Depuis déjà dix ans, indiqua le blond, flatté par ces belles paroles. Dix années de bonheur pur, je ne vous le cache pas. Pourrais-je donc compter sur votre présence ? » Kôyô s'accorda quelques secondes de réflexion - factices évidemment, Ryunosuke était certain qu'elle savait déjà qu'elle allait refuser.
« Quand se tiendra cette fête ?
- Le dix-sept janvier. » Dans une dizaine de jours donc. Difficile de prétexter avoir déjà un empêchement, mais il était certain que sa « tante » trouverait.
« J'ai peur que cela soit difficile pour moi de venir, finit par répondre sans surprise la rosée. Avec les festivités de la nouvelle année qui se sont tenues ici, j'ai beaucoup de travail. » Le mensonge sonnait tellement vrai dans la bouche de cette jeune femme qui avait parfois des airs d'ange. Parfois seulement, et des airs seulement, il fallait faire ces deux précisions.
« Oh, c'est regrettable. Je me faisais une joie de compter sur votre présence. » L'homme d'affaires semblait sincèrement attristé, même si cela ne ferait sans doute pas plier la prêtresse.
« Je ferais de mon mieux, mais ne comptez pas trop sur moi. »
Sur ces mots, elle s'inclina doucement en signe de respect, signifiant à la même occasion à Fitzgerald qu'elle n'avait rien de plus à lui dire. Le trentenaire parut comprendre le message rapidement pour une fois, puisqu'il s'inclina en retour avant d'observer son assistante, la jeune femme qu'il avait appelée « Alcott » précédemment. Elle paraissait presque trop timide pour être l'assistante d'un homme aussi excentrique, ne put s'empêcher de songer l'inspecteur. Elle n'avait pas ouvert la bouche depuis son arrivée dans la demeure, et se contentait de jeter des coups d'yeux impressionnés un peu partout - et ses grandes lunettes rondes lui donnaient des airs de chouette effrayée.
« Alcott, notez sur la liste des invités que mademoiselle Ôzaki ne sera sans doute pas là, et indiquez-moi où nous devons nous rendre ensuite.
- Vous allez rendre visite en personne à tous vos invités ? s'enquit poliment Fuku, ce qui lui attira une œillade agacée de Kôyô qui ne souhaitait visiblement pas que l'homme d'affaires s'attarde dans sa maison.
- Bien sûr, je n'aime pas me contenter de cartons d'invitation qui se perdent. » S'ils étaient aussi coûteux que chaque chose portée par Fitzgerald, il n'était pas étonnant qu'ils n'arrivent jamais à bon port.
« C'est tout à votre honneur, commenta Kôyô. Mais cela doit vous prendre du temps.
- En effet, mais cela me fait plaisir de voir mes amis et collaborateurs ~ » L'inspecteur lut dans les yeux de sa tante la question « dans quelle catégorie suis-je rangée ? » mais l'américain n'y prêta apparemment pas attention puisqu'il se contenta de s'excuser et de les laisser en famille.
« Enfin parti, marmonna Kôyô dès qu'il eut franchi le seuil de la maison des Ôzaki. Je comptais le laisser mariner jusqu'à ce qu'il se lasse, ajouta-t-elle pour sa cousine. Voir ce type m'insupporte.
- Il n'est pas méchant, fit observer Fuku. Juste...
- Imbuvable. » répondirent Ryunosuke et sa tante d'une même voix.
Ils échangèrent un regard complice, tandis que Fuku secouait la tête avec consternation. Il était rare que Kôyô et Ryunosuke soient d'accord sur quelque chose, et cela concernait en général les individus méprisables pour eux. Entre Ryunosuke qui préférait que les autres l'ignorent et le laissent tranquille et Kôyô qui ne trouvait d'intérêt que pour les gens qui savaient être discrets, la liste de personnes qu'ils appréciaient sincèrement était des plus courtes.
Le téléphone de l'inspecteur de police vibra soudainement et il songea que l'urgence arrivait trop tard, mais ce n'était pas sa supérieure qui le contactait, plutôt l'autre imbécile heureux de Nakajima. Il considéra quelques instants l'hypothèse de rejeter son appel comme si de rien n'était, pour prétexter plus tard qu'il était occupé, mais il finit par presser le bouton « accepter » en songeant qu'il n'avait de toute manière rien de mieux à faire qu'écouter ce que l'autre avait à lui dire.
« Quoi ? » demanda-t-il en s'éloignant de sa famille pour éviter leurs regards curieux et leurs tentatives de deviner à qui il parlait. Il trouva une pièce vide - ce n'était pas trop difficile dans une demeure aussi grande - et s'y enferma pour être certain d'être tranquille.
« Bonjour, Akutagawa... Je te dérange ? » L'envie d'être désagréable le prit, mais il ravala une réplique acerbe et se contenta de répondre :
« Non. Qu'est-ce que tu veux ?
- Hum, je voulais te demander un service... » Un service ? Le jeune homme aux cheveux bicolores aurait définitivement tout vu et entendu aujourd'hui.
« Un service pour quoi ? demanda-t-il avec une petite once de curiosité malgré lui.
- Ma grand-mère veut que je l'aide à se débarrasser de ce dont elle ne veut plus... Mais elle a surestimé très largement mes forces, et je ne sais pas comment m'en sortir en moins de deux heures. »
Le jeune homme devait prendre son service en début d'après-midi, devina Ryunosuke. Il avait une très forte envie de refuser tout net la demande du jeune homme - il y avait tant de raisons pour lesquelles il voulait le faire - mais il finit par soupirer et lui demander l'adresse. Même Nakajima sembla surpris de sa réponse positive, comme s'il s'attendait à devoir beaucoup plus insister pour le convaincre.
Très honnêtement, l'inspecteur ne savait pas ce qui l'avait pris d'accepter - il n'aimait pas les personnes âgées, n'aimait pas plus son collègue et ancien camarade de promo, et avait probablement d'autres choses à faire pour occuper sa journée. Sa propre réponse affirmative le surprenait, pourtant il n'avait pas le sentiment de regretter. Sans doute avait-il une envie inconsciente de s'éloigner du climat malgré tout tendu de sa famille - les fêtes s'étaient bien passées, mais il ne doutait pas que les tensions reprendraient le dessus dès que la vie reviendrait à la normale. Kôyô et la branche la plus conservative de leur famille n'allait sans doute pas tirer un trait aussi facilement sur la relation de Gin et d'Ichiyô.
Il lui fallut une vingtaine de minutes à pied pour atteindre le domicile de la grand-mère de Nakajima - il aurait pu prendre sa voiture, mais préférait marcher quand c'était possible, et de toute manière, le jeune homme pouvait se débrouiller sans lui pour commencer non ? D'ailleurs, il aurait pu appeler quelqu'un d'autre, de plus proche. Sa petite amie par exemple. Était-elle trop empotée pour l'aider ?
Ce fut le jeune homme qui lui ouvrit lorsqu'il sonna, et Ryunosuke songea encore une fois qu'il ne savait pas du tout ce qu'il fichait là, chez la grand-mère d'un homme qui n'était absolument rien pour lui actuellement. À quel moment avait-il perdu le contrôle de sa vie ainsi ? La question le hantait.
« Akutagawa ! le salua l'inspecteur avec l'un de ses éclatants sourires. Merci d'être venu, vraiment. » Il s'inclina avec reconnaissance devant lui, ce qui surprit son interlocuteur - ce n'était pas un fait exceptionnel non plus.
« Pas de problème, marmonna-t-il vaguement - alors qu'il y avait un peu trop de problèmes en fait.
- Je sais que tu voulais passer du temps avec ta sœur, poursuivit Nakajima, visiblement inquiet à l'idée de l'avoir dérangé en pleine réunion familiale. Mais...
- Ma sœur est repartie tout à l'heure, le coupa sèchement le jeune homme aux cheveux bicolores. Cesse de t'inquiéter et mets-toi au travail, ou tu vas être en retard. » Le jeune homme aux cheveux gris tressaillit légèrement devant son ton sec, et son interlocuteur entendit un éclat de rire en provenance de l'intérieur de l'appartement. Il se souvint seulement à ce moment que la grand-mère de son ancien camarade de promo pouvait les entendre - et avait visiblement entendu cette réplique bougonne.
« En voilà un qui ne mâche pas ces mots ! s'exclama la voix enjouée de la femme quelques secondes plus tard. Laisse-le entrer Atsushi, il a parfaitement raison. »
Le susnommé, dont les joues étaient devenues écarlates, s'écarta pour laisser entre son collègue, qui put ainsi découvrir le visage de la grand-mère qu'il était venu aider. Elle avait les mêmes yeux dorés et violets que son petit fils, ainsi qu'un sourire apparemment aussi éclatant - ce devait être de famille, tout comme il avait hérité son visage inexpressif de la branche maternelle de sa famille - malgré le fait qu'elle devait avoir largement dépassé les soixante-dix ans. Elle semblait pleine de vigueur, même s'il remarqua qu'elle s'appuyait sur une canne pour tenir debout et qu'elle tremblait un peu.
« Je te présente Akutagawa, reprit Nakajima, visiblement remis de sa gêne, C'est mon collègue au BEC.
- Enchantée, s'exclama-t-elle, j'aimerais m'incliner pour vous saluer, mais mon dos me fait souffrir, j'espère que vous me pardonnerez. » Sans attendre qu'il dise ou fasse quelque chose, elle enchaîna : « Je suis ravie de voir que mon petit-fils a des collègues aussi directs que vous. Il a tendance à rester hésiter pendant des lustres si personne ne lui dit de se bouger un peu.
- Mamie ! protesta le jeune homme qui avait rougi à nouveau.
- Je dis la pure vérité mon chéri. Lucy était pareille, c'est pour ça que je l'aimais bien... » Malgré tout, Ryunosuke nota dans un coin de son esprit qu'elle employait le passé pour parler de la petite amie du jeune homme. Soit elle était morte - mais Nakajima n'avait pas l'air d'être en deuil - soit ils avaient juste rompu, ce que le jeune homme avait de toute façon prévu de faire apparemment.
« Je sais, tu me l'as déjà dit, finit par soupirer l'argenté. On va aller s'occuper de tes affaires maintenant. »
Il entraîna son collègue vers une pièce un peu plus loin, une chambre découvrit-il ensuite. Elle était remplie de cartons empilés les uns sur les autres, à tel point qu'ils avaient à peine la place de se déplacer dans la chambre. Combien de cartons y avait-il au total ? songea l'inspecteur en commençant à les compter - il abandonna à partir de douze, jugeant qu'il était finalement préférable de ne pas le savoir.
« Voilà l'ampleur du désastre, commenta le jeune homme aux cheveux argentés. Ne me demande pas où elle a trouvé de quoi remplir tous ces cartons, je préfère l'ignorer.
- Compréhensible, marmonna le jeune homme aux cheveux bicolores. Les grands-parents sont des experts pour stocker les choses. » On trouvait un stock phénoménal de choses inutiles dans les placards de la demeure Ôzaki, principalement construit par les grands-parents de la prêtresse ; la jeune femme devenait folle à chaque fois qu'elle mettait la main sur une armoire remplie de bibelots inutiles.
« Tu comprends pourquoi j'avais besoin d'aide... Je ne voulais pas déranger nos supérieurs, et mes autres appels sont restés sans réponse...
- D'accord, continua de marmonner Ryunosuke, je vais t'aider. Je n'ai rien de mieux à faire de toute manière. » Rien de plus constructif en tout cas. Il aurait sûrement trouvé de meilleures occupations chez lui qu'aider une vieille femme à déménager, mais, au moins, il échappait à sa famille.
« Merci, tu me sauves vraiment... »
Nakajima s'inclina une nouvelle fois devant lui, avant de se mettre au travail. Il lui expliqua qu'ils devaient descendre tous ces cartons dans le garage au sous-sol, où les attendait une camionnette louée pour l'occasion. L'argenté emmènerait ensuite tout cela dans une déchetterie pour se débarrasser de ces choses devenues inutiles et obsolètes.
Le trajet entre l'appartement de la vieille femme et le garage n'était pas spécialement long - ils n'avaient qu'à descendre deux escaliers et passer une porte maintenue ouverte - mais les cartons n'étaient pas légers et, au bout de cinq voyages, les deux jeunes hommes commençaient à sérieusement s'épuiser. Les bras de Ryunosuke le tiraient légèrement, et son camarade ne semblait pas mieux s'en sortir. Ils firent une petite pause en comptant les cartons restants - moins d'une dizaine désormais - pour éviter de causer une catastrophe en en reversant un.
Nakajima semblait songeur - sans doute se demandait-il ce qui composait ces cartons aussi bien remplis - et il finit par en attraper un au hasard pour le secouer doucement, sous le regard - légèrement - empli de jugement de son collègue. Il ne pouvait pas l'ouvrir au risque de décoller le scotch apposé dessus, alors il ne trouverait jamais de réponse claire à ses interrogations, mais cela semblait lui convenir puisqu'il reposa le carton à son emplacement sans rien dire. Il s'interrompit ensuite dans son mouvement, et sembla se figer sur place, son regard ancré sur un autre carton. Intrigué, Ryunosuke se redressa légèrement pour essayer d'observer quel carton retenait son attention, et s'aperçut que l'un d'eux avait été mal refermé ; le scotch se décollait légèrement, et il était possible d'en apercevoir le contenu.
Il se rapprocha de son collègue qui avait incliné la tête pour distinguer ce qu'il y avait à l'intérieur, et sortit son téléphone pour utiliser la lampe et mieux apercevoir ce qui était rangé dans celui-ci. Sur le coup, il ne comprit pas réellement ce qui avait tant choqué son camarade : il ne voyait là que des livres empilés et couverts de poussière. Mais, le jeune homme se retourna subitement vers lui, des étoiles dans les yeux :
« Tu as vu ça ? » Ryunosuke resta un instant bouche-bée devant les véritables paillettes qui illuminaient les yeux de son collègue avant de l'observer sortir les livres du carton. Il s'agissait d'une édition collector d'un manga qu'il ne connaissait absolument pas et qui semblait très vieux à ses yeux.
« C'est... ?
- Un manga que j'adorais quand j'étais petit, s'exclama le jeune homme en commençant à le feuilleter. Je n'arrive pas à croire qu'elle veuille s'en débarrasser... » Ryunosuke le regarda lire quelques pages avec un grand sourire béat sur le visage, avant de se mettre à fouiller les tomes pour vérifier s'ils étaient tous là. « Il en manque ! » Il se tourna vers son acolyte avec un air très sérieux sur le visage. « Il faut qu'on rouvre tous les cartons.
- Hors de question.
- S'il te plaît ! Je ne peux pas laisser ces mangas être jetés sans ménagement dans une déchetterie. » Il le fixa pendant de longues secondes avec des yeux implorants qui finirent par pousser le jeune homme aux cheveux bicolores à détourner le regard en soupirant.
« On va perdre un temps fou.
- S'il te plaît.
- Non.
- Allez ! »
Il resta silencieux quelques secondes pendant que Nakajima continuait de l'implorer sans céder. Cela lui tenait vraiment à cœur apparemment, même si le bicolore ne voyait pas trop pourquoi. C'étaient des livres, rien d'essentiel dans la vie de quelqu'un. Mais, devant le regard de plus en plus implorant de son collègue qui ressemblait désormais à un chat aux grands yeux, il décida de hocher la tête et d'abandonner la partie.
« D'accord. Mais tu te débrouilleras pour justifier ton retard. »
Ledit retard semblait être le cadet des soucis du jeune homme qui se mit à sautiller gaiement avant de commencer à ouvrir un par un les cartons empilés. Ryunosuke le regarda faire et redécouvrir des choses de son enfance comme s'il avait subitement perdu dix ans d'âge mental et qu'il se retrouvait propulsé dans ses premières années de vie. Au bout de quelques secondes de jugement silencieux, il s'installa aux côtés de son collègue pour l'aider, tout en écoutant ses anecdotes. Elles n'étaient pas spécialement intéressantes, et il aurait sûrement eu bien mieux à faire que de recommencer de zéro un long et fastidieux travail.
Mais, étrangement, il n'avait aucune envie de faire autre chose.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top