Chapitre 16
- Je peux aller jouer dehors avec mes frères et sœurs ?
Lumière d'Aurore soupira à la demande du chaton blanc tacheté de roux et de brun, le portrait craché de son père. Elle n'était pas sûre que le petit était complètement rétabli, et ne voulait pas prendre de risque. De plus, il n'était pas habitué aux... séquelles de l'accident survenu près d'une lune plus tôt.
- Je... je ne sais pas...
- Pourquoi ? S'énervant Petit Soir. Ça fait des saisons que je ne suis pas sorti, il faudra bien que je le fasse un jour !
La colère du tout petit félin serra le cœur de sa tante. Cela ne faisait qu'une demi-lune qu'il se trouvait dans son antre, mais cela représentait tellement pour un être vieux d'à peine quatre lunes. Elle aurait dû faire quelque chose pour le sauver, pour guérir complètement ses blessures, ne serait-ce que pour que son frère n'ait pas à s'inquiéter de l'état de son fils depuis l'aube. Mais elle avait échoué, et elle sentait presque le regard dur du défunt matou qu'elle aimait tant posé sur elle.
- Je... Oui, tu as raison, dit-elle en soupirant, d'une voix douce.
- Alors, pourquoi je ne suis pas encore dehors ? Et pourquoi tu n'enlève pas le buisson ou le rocher qui empêche la lumière d'entrer ici ? Le camp est peut-être une grotte, mais les rayons passent normalement, même ici. Je voudrais au moins voir la lueur du soleil...
La voix de la féline se fit de plus en plus tremblante et aiguë. Ses yeux s'humidifièrent et elle baissa les yeux par réflexe. La naïveté et l'insouciance de son neveu la touchait profondément. Il ne se doutait pas de ce qu'il s'était vraiment produit.
- Non Petit Soir, il n'y a rien qui bloque les rayons du soleil, je t'assure, je...
- Menteuse ! La coupa Petit Soir, l'empêchant de lui révéler la vérité. Ou alors t'as mis un bandeau de mousse autour de mes yeux, c'est ça ? Mais, pourquoi je ne le sens pas, alors ? En tout cas enlèves-le moi, si t'as peur que mon reflet dans une flaque m'effraie, saches que j'ai peur de rien !
C'en fut trop pour le cœur sensible de la guérisseuse. Des larmes se mirent à couler de ses yeux, sans qu'elle ne les retienne. De toute façon, elle savait que le pauvre chaton, seule personne dans son antre avec elle, ne pourrait les remarquer. Parce que, même si son visage était très amoché, n'avait bien évidemment pas de bandeau sur les yeux.
- Je suis désolée, mon petit... sanglota elle malgré sa honte. Tu as perdu la vue lors de ta chute et, malgré tous les efforts du monde que j'ai pu déployer pour que cela se produise, tu ne verras plus jamais les rayons du soleil.
Se figeant soudain, ses yeux morts pourtant bien expressifs, écarquillés de douleur et d'horreur, humides de larmes qu'il voulait contenir dans sa fierté de guerrier, il balbutia :
- C'est... C'est pas vrai. Tu... Tu mens encore. Ça... Ça peut pas être possible. Je suis un futur guerrier, moi ! Et comment un guerrier peut-il se battre sans ses yeux ?
Une boule de culpabilité se forma dans la gorge de Lumière d'Aurore. Elle ne pouvait pas lui dire ça. Elle ne pouvait pas briser ses rêves. Pourtant, elle se devait de le faire, en tant que guérisseuse. Il arrivait toujours des moments difficiles dans la carrière du soigneur du clan, et elle devait y faire face. Sauf que, devant l'innocence et les convictions puissantes de ce petit être qui faisait partie de sa famille, elle ne pouvait pas s'y résoudre. Son cerveau et son cœur se faisaient la guerre pour savoir que faire. Mais la réflexion du chaton tricolore, si semblable à son père malgré les larges et profondes cicatrices qui lui barraient le visage, furent plus rapides.
- Je pourrais plus être guerrier, c'est ça ? DIS-LE MOI !
- Non, effectivement, s'empressa elle de dire.
Et Petit Soir partir en courant, désespéré, se cognant contre la paroi rocheuse de son antre. La chatte rousse tenta de l'aider, mais il la repoussa vivement. Finalement, c'est une Fleur de Lotus au regard plein de reproches qui, appelée à la rescousse, vont consoler son petit bout de chou et le ramener enfin à la pouponnière.
Le cœur lourd et lacéré, Lumière d'Aurore quitta elle aussi son antre. Elle avait vraiment échoué. Non seulement dans son rôle de guérisseuse, pouf ne pas avoir réussi à lui rendre la vue, dans son rôle de sœur vis à vis de Soleil de Crépuscule, mais aussi et surtout dans son rôle de tante, car elle avait attristé son neveu de la pire manière qui soit. Elle avait vraiment fini par briser son rêve. Et ça, c'était le genre de blessure qui ne se refermerait jamais, le genre de choses que l'on n'oublie pas de sitôt. Plus jamais elle ne pourrait le regarder dans les yeux, et plus jamais elle ne l'aimerait.
C'est donc meurtrie qu'elle aperçut la patrouille de midi qui rentrait au camp. Sa sœur était à la traîne, à l'arrière du groupe, et semblait avoir mauvaise mine. Inquiète, la guérisseuse accourut dans sa direction en s'écriant :
- Ciel Ensoleillé ! Ça va ? Tu vas bien ? Tu n'as vraiment pas l'air bien, tu as une petite tête, la mauvaise saison arrive et...
- Ne t'inquiètes pas, Lumière d'Aurore. Tout vas bien.
Épuisée, elle semblait cependant épanouie lorsqu'elle lui adressa un grand sourire. Depuis quelques temps déjà, elle paraissait flotter sur un grand nuage, extrêmement heureuse. Mais cela n'était absolument pas bon signe, car Lumière d'Aurore connaissait son secret, et cela voudrait dire que Ciel Ensoleillé continuait de voir le chat du Clan de la Glace. Elle se secoua la tête : ce n'était pas le moment de penser à ça, sa sœur avait mal quelque part, elle le savait, et voulait le lui cacher.
- Ne dis pas ça. Tu ne peux pas me l'a faire, à moi, je te connais trop bien. Je sais quand tu souffres.
La tête basse, sortant et rentrant rapidement ses griffes sur la roche dure de la grosse pierre où elle était, la guerrière ne pouvait pas mieux se trahir, penaude.
- Oui, bon, tu as raison. J'ai le ventre tout retourné depuis ce matin, et je ne sais pas pourquoi. Pourtant, le campagnol que j'ai mangé hier semblait encore bon...
De plus en plus inquiète, Lumière d'Aurore lui fit un signe de la queue et s'éloigna :
- Suis-moi, je vais t'examiner.
Les deux frangines se rendirent dans l'antre de la guérisseuse et s'installèrent confortablement. La rouquine palpa le ventre de la crème délicatement, son appréhension s'agrandissent à mesure qu'elle l'auscultait, puis finit par s'exclamer :
- Oh non...
- Quoi ?! S'inquiéta Ciel Ensoleillé. Qu'est-ce qu'il y a ? Lumière d'Aurore, qu'est-ce qu'il se passe ?!
Dans un souffle, celle-ci lui murmura d'une voix tremblante :
- Tu attends des petits...
D'abord pétrifiée d'horreur, la chasseuse ne put s'empêcher de lâcher :
- Non... Impossible...
Puis, elle prit une fausse mine enjouée et s'exclama :
- Quelle bonne surprise ! Je... Je ne m'y attendais pas, mais... Attends, mais je croyais que tu m'annonçait quelque chose de grave, ça veut dire que... Tu ne veux pas que je soit mère ? Tu ne veux pas mon bonheur ?
Prise de court, Lumière d'Aurore se mit à bégayer :
- Ne... Non, c'est pas ça, c'est que...
Le visage de Ciel Ensoleillé s'éclaira soudain : elle semblait avoir compris quelque chose, ce n'était vraiment pas bon pour elle et pour leur relation !
- Tu m'espionnes ! Tu m'espionnes, c'est ça ? Tu sais pour Plume Pourpre et moi, tu sais tout depuis le début, et c'est pour ça que tu étais effrayée à l'idée que j'aie bientôt des chatons. Tu le savais et tu m'as rien dit ! À qui l'as-tu dévoilé ? Dis-le moi !
Pour la deuxième fois consécutive, la guérisseuse fondit en larmes.
- Je l'ai dit à personne, Ciel Ensoleillé, je te le jure ! Mais, tu as fait une grave erreur. Flirter avec l'ennemi ! Pense à toi, et à ton avenir : comment tu vas faire pour les élever sans père ? Qu'est-ce que le clan va penser ? Et si l'un des petits est le sosie de son père ?
Un froid silence s'installa alors entre elles. Puis la chatte crème finit par tournée le dos à sa sœur, lui glissant au passage avant de s'en aller :
- Tout ça parce que tu es jalouse, que tu sais que tu n'auras jamais cette chance d'être mère.
Le moral au plus pas, touchée en plein cœur par les paroles de Ciel Ensoleillé, si vraies et douloureuses, elle devait pourtant garder la tête haute. Car, déjà, son prochain patient, Pelage Doré, venait la voir.
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