9- Je n'avais jamais vu d'explosions
Cela fait environ une heure que l'on roule, la lueur du ciel commençant à manquer avec la fin de la journée. Les paysages se confondent à ma rétine, mais je ne sais pas si c'est ce que je contemple qui est flou, ou les yeux avec lesquels je le vois.
Je devrais être en train d'accueillir des patients, d'avoir une vie sociale, quelque chose, mais je ne donne pas de nouvelles et n'en reçois pas. Peut-être est-ce mieux ainsi. Peut-être qu'ils seront mieux sans être mêlés à cette affaire.
"Où va-t-on?", je demande à Aurore, avec encore quelques difficultés à parler.
"Où allez-vous?", rétorque-t-elle, mais en un murmure, comme à son habitude, les yeux sur la route.
"Tu ne devrais pas être à l'école? Ou, je ne sais pas mais...là où les enfants sont."
Presque par habitude, elle ne me répond pas. Ses yeux dépassent à peine le tableau de bord, son corps étant complètement penché en avant pour que ses pieds puissent atteindre les freins. Le volant de la voiture est entouré de deux mains d'enfant, qui laissent des traces de sang lorsqu'elle les bouge.
Je ne sais toujours comment elle arrive à conduire, ni dans quelle direction nous allons, mais je suis certain qu'elle ne me répondra pas, donc je m'abstiens de lui demander.
Quelques minutes passent, ancrées dans un silence dont la gravité n'est égalée que par celle de son visage, d'habitude si gai, ou au moins neutre. Aurore se dirige vers le bord de l'autoroute, sort de celle-ci et descend jusqu'à la forêt opaque qui se trouve à présent devant nous.
Elle ajuste le rétroviseur en se penchanr en avant, et porte ses doigts jusqu'à son front ensanglanté, les couvrent de sang, s'enduit les lèvres de ce liquide carmin, puis sourit. Peut être voit-elle cela comme un moyen de se purifier après avoir posé ses lèvres, ses lèvres d'ange, sur celles de l'homme. Je refuse de me dire que je suis jaloux du géant. Je ne m'abaisserais pas à un tel degré de folie. Mais je ressens quelque chose, c'est sûr. Un mélange de fascination et de colère. Car Aurore sait que ce qu'elle embrasse, j'embrasse également, donc je lui en veux presque de ne pas m'avoir demandé une autorisation, non pour elle, mais pour moi, pour ce que je ressentais, par la connexion que j'ai l'impression d'avoir avec elle.
Cependant, une curiosité me hante, curiosité répugnante de savoir l'effet de son toucher sur mes lèvres, non par sentiment, mais par un désir étrange d'unir deux corps liés.
Merde. Je crois que suis plus fou que l'enfant à côté de moi, qui se barbouille toujours la bouche de sang.
Dans un besoin de sortir pour respirer, pour échapper à ma fuite actuelle, je pose ma main sur la portière, et la trouve bloquée. A ce bruit, Aurore se tourne subitement, me fixant avec amusement, comme si tout cela n'était qu'un jeu tordu pour elle. Elle appuie sur un bouton du tableau de bord, se penche par-dessus moi et ouvre la portière.
Elle dépose sur ma joue un baiser timide, qui laisse une trace sur mon visage enflé par les coups. Sans dire quoi que ce soit, elle sort et se poste devant la voiture. Je me dépêche de la rejoindre, tentant d'accélérer mon pas pour cacher mes doutes. J'ai tendance à faire ça pour les problèmes que je cause, à accuser Alex, mon doigt, la lenteur de ma marche, bref, tout sauf moi.
Sans me questionner, Aurore fouille dans sa valise rose bonbon, à présent couverte de terre, et en sort un briquet rouge comme on en voit partout. Les yeux glacés, elle l'allume et s'approche de la vitre de la voiture, lentement, comme un prédateur, qui guette, qui prépare, mais qui finit toujours par attaquer.
"Faire disparaître les preuves. C'est la meilleure- la seule solution", dit-elle soudain, mais je ne sais pas si c'est pour me convaincre, ou se persuader elle-même.
"Et on va faire comment pour avancer? Pour- pour..." Trop de questions tournent dans ma tête, dans un carrousel difforme et tortueux, qui s'intitule Aurore.
Pas de réponse. Enfin, peut-être, mais pas sous forme verbale. Une réponse qui se résume à une flamme. Qui grandit. Une main d'enfant. Qui me tire violemment en arrière. Et mes jambes, qui s'emmêlent dans la direction de la voix qui crie mon nom. Au bout de quelques instants, il y a une explosion violente, à l'intérieur comme à l'extérieur de moi, un blanc complet. Et puis, plus rien.
Je ne sais pas si les gens savent à quoi une explosion de voiture ressemble. Il y a juste un choc assourdissant, et puis d'un coup, un véhicule carbonisé. Comme celle devant moi, dont quelques flammes continuent de sortir. Je peine à me lever, et m'appuie sur des jambes bancales, mais cependant assez solides pour me permettre de voir le spectacle devant moi.
Aurore, qui se place devant le véhicule, ou ce qu'il en reste, de la fumée sur le visage, passe ses doigts dans les flammèches restantes. Elle pousse un léger cri lorsque la chaleur la mord, mais sa main continue tout de même à danser avec le feu. Elle ne voit pas que je suis debout, et son visage, éclairé par la lumière douce et chaude, révèle sa folie totale, une transe, de longues larmes coulant sur le blanc cassé qu'elle est.
Soudain je me rends compte que quelqu'un doit l'arrêter, et que ce quelqu'un, c'est moi. Sous le contrôle d'un instinct, comme celui que l'on ressent lorsque quelque chose nous échappe des mains et que l'on tente de le rattraper, je cours vers elle, attrape ses épaules et la force à enlever ses doigts. Elle crie, complètement hystérique, se débattant furieusement, mais mes bras sont plus forts et je la tiens contre moi.
"Lâche-moi!", hurle-t-elle, dans une détresse telle qu'elle oublie de me vouvoyer.
"Calme-toi Aurore, respire..."
"Arrête!", braille-t-elle, "Tu ne comprends pas, je veux ressentir quelque chose, n'importe quoi! Étienne, il faut que je brûle, je suis sa fille..." Elle répète cette dernière phrase comme un mantra, presque en chantant, un air machiavélique qui lui sert de repère dans le déluge qu'est sa vie.
"Quoi?", je m'exclame, toujours en exerçant une force sur ses bras.
Son pied nu percute mon genou, mes mains se détachent d'elle ne serait-ce que pour une seconde, et elle s'échappe de mon étreinte. Elle tombe à terre, sur ses genoux qui n'ont pas fini de grandir, dans un esprit qui semble avoir dépassé sa date de péremption.
"Mon père", murmure-t-elle. "C'était mon père."
Aussi perdu que je le suis par ce qu'elle dit, je me dois d'être sa carte, son guide, en tout cas jusqu'à ce que la véritable Aurore réapparaisse. A moins qu'elle ne soit devant moi.
"Aurore, la police va arriver."
A ces mots, elle se ressaisit, passe sa manche sur son visage sale, et saisit avec difficulté sa valise rose couverte de terre. Pendant un moment elle réfléchit, les sourcils froncés, élaborant un plan quelconque, ou essayant de se souvenir de celui qu'elle avait formulé.
"On va dans les bois", parvient-t-elle enfin à articuler.
Je la regarde avec incompréhension, mais au final, je ne peux que la suivre, et elle le sait. Alors, nous partons, la voiture en flammes derrière nous.
Une pensée m'assaille. Plus violente que l'explosion, plus perturbante que le toucher de ses lèvres.
Je viens de me souvenir du fait qu'Aurore a dit que "c'était" son père. Je prie pour que ça ne soit qu'un oubli, comme elle a oublié de me vouvoyer, mais peut-être...
Non. Je refuse d'y réfléchir. Mais je ne peux pas m'empêcher, mon esprit est l'essence, Aurore est l'allumette.
Peut-être est-ce plus que ça.
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Hello! J'espère que ce chapitre vous a plu, que pensez-vous qu'Aurore veut dire quand elle parle de son père ?
Zoubis,
Et n'oubliez pas,
Nous ne sommes qu'un mélange d'atomes.
:)
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