7-Comment cacher un cadavre

Je n'avais jamais vu de personnes mortes. Enfin, jusqu'à maintenant.

"Vous allez rester comme ça?" crie Aurore, ce qui est rare pour elle, qui a la même sensibilité que le cadavre devant ses pieds.

Si la première fois que j'ai entendu Aurore, c'était un flocon, à présent c'est un blizzard, et je me noie dedans.
Mais le sang tâche plus que la neige. J'ai assez attendu, assez évité l'inévitable. Il est temps de découvrir le cadavre qui m'attends patiemment dans le cagibi. Alors, je m'en approche. Avant cela Aurore m'arrête, et me tend une paire de gants en latex qu'elle a sorti de sa valise rose bonbon. Elle me fixe, d'un regard à la fois perplexe, mais sans grande surprise, comme un professeur ayant l'habitude d'un mauvais élève mais tout de même étonné lorsqu'il commet une erreur.

"Étienne," soupire-t-elle. "La dernière chose que l'on veut, ce sont vos empreintes."

J'enfile les gants, et je ressens cette même emprise qu'elle a sur moi depuis le début, c'est quelque chose qui dépasse la menace de l'enregistrement, ou n'importe quelle raison rationnelle. C'est quelque chose en elle, qui nous fait peur, non pas à cause de qui elle est, mais à cause de ce qu'elle révèle en nous.

La première chose que je remarque, c'est l'odeur. Une senteur de mort, qui nous rentre par les narines, mais qui n'en ressort pas, qui restera toujours là, dans notre esprit, plus que ce que l'on voit ou entend.
L'odeur. C'est ce dont un nourrisson qui vient de naître se sert pour reconnaître sa mère, et c'est ce dont l'adulte, qui n'a surement pas mérité de naître se sert pour reconnaître les morts.

On découvre beaucoup de paradoxes lorsque l'on nettoie des cadavres.

Je m'avance à l'intérieur. Une substance épaisse et collante recouvre le sol. Du sang. Je trébuche sur quelque chose. Un bras. Soudain, d'autres images consécutives arrivent à mon cerveau, comme s'il était incapable de tout voir en même temps. Une jambe. Le bout d'une chemise blanche recouverte de sang. Un visage, ou ce qu'il en reste. Un visage qui me ressemble. Ça pourrait être moi, étendu sur le sol comme ça.  Aurore me prend la main, avec précaution, comme un boa s'enroule autour de sa proie avant de l'étouffer. Lorsqu'elle prend conscience du fait que je la regarde, elle se ressaisit, et son visage affiche une expression froide.

"Allez-y" me chuchote-t-elle avec un léger sourire.

Je ne sais vraiment pas comment m'y prendre, et elle s'en aperçoit. L'enfant passe devant moi, et saisit les bras de l'homme qui gît par terre. Oui, c'est un homme. A part cela, je ne sais rien sur lui, ni pourquoi je me retrouve à porter ses jambes. En même temps, je ne sais rien sur Aurore non plus. Hormis le fait qu'elle a un pouvoir, qui fait que je sors du cagibi avec elle, et dépose le corps sur la terre.

"On ne peut pas l'enterrer ici" m'informe-t-elle d'un ton glacial, comme la terre sur laquelle la victime de son homicide est déposée.

"Pourquoi est-ce que tu l'as tué?",  je lui demande, complètement abasourdi.

"Il va falloir qu'on découpe le corps" annonce froidement Aurore, ignorant ma question à nouveau. 

Qu'on...quoi? Je ne réponds pas, espérant que ce que je viens d'entendre n'est qu'une œuvre de mon imagination. Que tout ce qui s'est produit depuis qu'Aurore est entrée dans mon cabinet n'est qu'une fabrication de mon esprit.

"Il va falloir qu'on découpe le corps" me rappelle-t-elle, tout aussi sèchement.

"Non. Aurore, on ne peut pas-"

"..."

Elle se tourne vers moi, sort son revolver de la poche de son manteau, m'observe pendant quelques instants, ses yeux verts et noirs une lance s'enfonçant dans mon esprit. D'une certaine manière, je sais qu'elle ne braquera pas son arme sur moi, parce que son regard est bien plus efficace. Un revolver est un objet étranger, qui n'a pas de lien avec moi. Ses yeux me sont familiers, ils habitent à l'intérieur de mes secrets, ils me connaissent. Elle le fait tourner entre ses doigts d'enfant, et le place dans ma main. Elle saisit mon poignet, et place l'arme, que je tiens toujours, sur son front. Pendant un moment on ne dit rien, il n'y a que ma respiration, la sienne, et mes doigts autour du revolver.

"Appuyez sur la détente", m'ordonne-t-elle.

"Aurore, je-"

"Si vous n'êtes pas capable de faire ce que je vous demande, alors appuyez sur la détente. Tuez-moi. Parce que si vous ne faites rien, je vais mourir. Alors si vous n'avez pas prévu de m'aider, appuyez sur la détente, et rendez l'attente avant ma mort moins longue."

Aurore ferme les yeux, pour la première fois, mais au bout de quelques instants, elle les ouvre à nouveau. Mes doigts tremblent, je suis incapable de la tuer, car c'est une partie de qui je suis, tout en m'étant étrangère. Le revolver me glisse de la main, et tombe au sol, juste à côté du visage de sa victime. Une larme roule le long de ma joue, une larme pour tout ce qui s'est passé, pour ce que je vais être obligé de faire. Aurore me regarde, dépouvue de réaction quelconque.

"Bien" dit-elle enfin. "Mettons-nous au travail. Et après, vous pourrez rentrer chez vous, tromper votre petit ami, faire ce que vous voulez, mais je vous laisserai tranquille."

Et je ne peux qu'accepter, alors nous nous munissons d'une hache dans le cagibi, et commençons notre travail morbide.

C'est long. Comme prévu.

Il y a du sang, beaucoup de sang. Comme prévu.

Nous allons bientôt mettre ce qu'il reste de l'homme dans un sac poubelle et le jeter au fond d'un lac. Comme prévu.

La police arrive. Elle nous voit. Imprévu.

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Hello! J'espère que ce chapitre vous a plu? A votre avis, notre protagoniste va-t-il réussir à s'échapper ?

Zoubis,
Et n'oubliez pas,
Nous ne sommes qu'un mélange d'atomes.
:)

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