14-Maelström

L'impact. Il est beaucoup plus puissant que je ne l'avais imaginé, beaucoup plus soudain aussi. Allongé sur le bitume de l'entrée de l'hôpital, je peine à retenir mes pleurs lorsque mes brindilles semblent se briser sur le sol. Mais je tiens bon.
Je le sais, il faudrait fuir, mais retrouver Aurore me semble plus important, plus vital. Comme toujours.

Quand je m'avance avec difficulté dans les rues d'une ville inconnue, dans un corps inconnu, j'ai l'impression de la voir partout. Je tourne une rue, et elle est là, dans les roses d'une fleuriste. A gauche, elle est dans la boule à neige qui surplombe le rebord d'une fenêtre. Et quand je ferme les paupières, ses yeux sombres et pauvres me guettent, ils me demandent ce que je fais, pourquoi je ne viens pas chercher leur regard. C'est l'innocence brisée que je cherche dans la ville inconnue.

J'ai l'air de tout sauf d'un être normal, dans une allée aux pierres rouges, qui laisse place à des montagnes grises, en béton, en brique, en métal, de toutes les matières, de toutes les teintes. Les immeubles, qui semblent sortir du dessin d'un minuscule enfant qui ne sait gribouiller que des formes vagues. Un miaulement rauque se fait entendre derrière moi, il monte jusqu'au ciel azur au-dessus de ma tête meurtrie.

Je suis, du moins pour le moment, comme ce chat. Condamné à  être dans une quête perpétuelle pour subsister. Mais contrairement au félin, j'ai aussi un esprit à entretenir. Je n'ai rien, si ce n'est la robe sur mon dos, et un œil. Oui, un œil. A présent que j'en ai perdu un, l'autre me semble d'autant plus précieux, d'autant plus fragile aussi.C'est le cas pour la plupart des choses.
Plus on en a, plus ce que l'on avait la minute d'avant nous semble insignifiant, moins on en possède, plus ça ne semble énorme.
On découvre des paradoxes fascinants lorsque l'on est en fuite, notre esprit devant être plus vivant, plus actif, et donc on commence à réfléchir davantage pour le garder en forme. Je dirai qu'un paradoxe, c'est un haltère mentale. Plus on le soulève, plus tu deviens apte à en soulever.

Mais mon corps, lui, est dans un état déplorable. Mes jambes me supplient de m'arrêter, mais je continue jusqu'à ce qu'une masse rectangulaire, avec un squelette de métal et une peau de verre, se dresse devant mes yeux.
Une cabine téléphonique.
Heureusement, je connais le numéro d'Alex par cœur. Tout d'un coup, Aurore me semble infiniment moins importante, vitale, dans ce moment où je n'ai besoin que d'entendre la voix de mon petit ami.
Seulement, je n'ai pas d'argent, pas de chaussures, et encore moins de possibilités d'en acquérir.

Alors j'observe la rue et à quelques mètres de moi, perdu au milieu des immeubles, je découvre un petit restaurant à la devanture en bois d'olive. Une paire de tables inoccupées est placée devant et sur l'une d'entre elle quelques pièces sont dispersées, sûrement un pourboire.

Avant d'être psychologue, je m'occupais du service dans un restaurant de la sorte, pour payer mes études, et je sais très bien que chaque pièce m'était utile, nécessaire même. Mais je doute que le serveur à l'intérieur soit aussi désespéré, du moins je l'espère lorsque je m'avance peu à peu, pas à pas, vers la somme d'argent. Les tables aussi sont vertes, vert pomme, précisément. Je déteste cette couleur, et c'est une autre justification ridicule qui me permet d'avoir le courage de saisir les quelques centimes et de partir nonchalamment dans le sens opposé.

Au bout de quelques mètres, mes jambes s'arrêtent brusquement, et j'observe les petits bouts de métal dans le creux de ma main. En les voyant, je sais que je ne pourrais pas parler naturellement à Alex. Ma voix sera teintée de culpabilité, culpabilité non pas parce que j'ai pris l'argent, mais pour tous les évènements qui m'y ont mené. Il y a deux jours, je n'y aurais pas pensé plus que ça, mais l'influence d'Aurore commence à déteindre, du moins en surface.
Et la couleur en-dessous me rappelle que j'aime Alex et que je veux lui parler.
Alors c'est ce que je fais, et en quelques secondes, quelques mètres, je suis dans la cabine. Avec des doigts tremblotants, je compose son numéro. Il est resté dans ma mémoire, contrairement à une partie de mon identité. Peut-être est-ce plus important. Je place le téléphone, celui de la ville inconnue, radeau dans le maelström, près de mon oreille.
Ça sonne.
Et un mot, un prénom, me sort de celui-ci, mais même si je ne le sais pas encore, me place dans un nouvel orage.

Une voix douce. Pas celle d'un homme, non, la voix d'une petite fille. Et je me rends compte que je ne suis pas sorti du maleström, au contraire, que je suis dans son cœur.

"Étienne?"

"Aurore?"

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J'espère que ce chapitre vous a plu! A votre avis, est-ce Aurore? Et pourquoi n'est-ce pas Alex qu'Étienne entend?

Zoubis,
Et n'oubliez pas,
Nous ne sommes qu'un mélange d'atomes.

:)

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