11-Ma vision se floute
"Aurore! Aurore?" je crie, d'une voix tremblante d'inquiétude, pour elle, pour moi, pour tout ce que ces pleurs peuvent dire.
Ces pleurs me servent de guide, jusqu'à un endroit à quelques mètres de notre campement, où je la vois. Elle est à genoux, près du piège maintenant détruit. Dans ses mains se trouve un lapin à la limite de la vie, petit, d'une fourrure grise et courte, sans trace de sang apparente.
De longues larmes coulent le long des joues de porcelaine d'Aurore et sa respiration, d'habitude si calme, est saccadée. Je m'accroupis à côté d'elle et, ne sachant pas quoi faire, place ma main sur son épaule qui tremble à la force de ses pleurs.
"Je n'y arrive pas, Étienne", dit-elle, s'adressant directement à moi, ce qu'elle fait très rarement. "A le tuer. Il est minuscule, et il ne le mérite pas."
Je brûle d'envie de lui demander pourquoi le cadavre que l'on a découpé l'a mérité, lui, mais d'une manière assez ironique, je ne veux pas jeter de l'huile sur le feu.
Avant que je n'ai eu l'occasion d'exprimer le moindre mot, Aurore retrouve son visage froid, la flamme bleue renaît, malgré mes efforts pour ne pas l'alimenter. L'enfant saisit le couteau entre ses doigts qui tremblent encore, et coupe une longue ligne du museau aux pattes. D'une certaine manière, les objets, les animaux qui nous entourent veulent dire bien plus qu'à première vue. Une paire de chaussures. Un lapin. Une innocence. Je crois que je ne suis pas au bout de mes surprises.
Merde. Je me rends compte que je devrais arrêter Aurore qui est en train de découper minutieusement le visage du lapin. Je place ma main sur la sienne, mais sa réaction est trop soudaine. Trop violente. Trop inattendue, surtout. Toujours en pleurs, elle m'attaque, plus par réflexe protecteur que par véritable agression. Il y a une explosion au niveau de mon œil, et une chaleur, intense, qui se propage autour de mon visage. Je vois vaguement Aurore qui me regarde avec un effroi, mais un effroi calme, comme si sa pensée avait pris le contrôle et qu'elle était en train d'analyser aussi vite que possible la situation. Je cligne des yeux dans le but d'éclaircir ma vision, ce qui empire la situation car Aurore recule à la vue de mon visage, ce qui me rend plus confus encore. Et là, en sentant mon visage, en voyant, et surtout en ne voyant pas-
Non. Ce n'est pas possible. Je porte ma main à mon œil gauche, et elle est couverte de sang en un instant.
"Votre chemise", ordonne Aurore, avec tout le calme qu'elle arrive à garder.
Baignant toujours dans l'incompréhension, je reste ainsi, à la regarder, incertain.
"Vite!" s'exclame-t-elle en prenant l'initiative de commencer à la déboutonner.
De manière robotique, je suis son mouvement, mon manque de vision actuel compensé par celle qui me l'a causé. Mais c'est temporaire.
Évidemment. J'en suis convaincu. Normalement. Sans doute. Je pense. Peut-être. J'espère.
"Allongez-vous", m'ordonne-t-elle, et je m'exécute, souhaitant me fondre dans cette terre, pendant que l'accident qui m'arrive est encore flou.
Aurore saisit ma chemise, et la presse contre mon visage. Très vite, je la sens se recouvrir de sang. De mon sang. Jusqu'ici, je n'avais qu'à nettoyer celui des autres. A présent, la petite fille nettoie le mien.
L'élève a dépassé le maître. Dans les deux sens du terme.
"Étienne...", commence-t-elle.
Elle me regarde, hésitant peut-être pour la première fois entre elle et moi, sa sécurité ou la mienne. Un soupir s'échappe de ses lèvres encore couvertes de larmes. Elle a décidé.
"Je ne peux pas arrêter le saignement."
Elle observe ma réaction, le visage neutre, l'âme serrée. Elle va m'abandonner, cette-fois pour de bon. Je vois le terrain de cette annonce qui se forme. J'aurais préféré qu'elle ne me le dise pas, qu'elle reste dans le mystère qui nourrit la fascination jusqu'à la fin, ma fin, jusqu'à ce que je meure seul dans une forêt, mais avec l'énigme d'Aurore à mes côtes.
"Je suis désolée."
C'est sûr. C'est fini. Je pourrais pleurer, mais mes yeux sont brisés.
Elle s'excuse pour l'abandon qu'elle s'apprête à m'annoncer.
Pour quoi d'autre? Je ne lui en veux pas de m'avoir attaqué, du moins pour le moment. Car au moins je peux souffrir pour elle, d'une souffrance physique, tangible, qui réduit les sens temporairement certes, mais Aurore a le même effet de toute manière.
La fille en question me fixe, et touche mon visage de ses doigts couverts de mon sang.
"Nous allons à l'hôpital. Vous méritez de vivre."
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Hello! J'espère que ça vous a plu! A votre avis, pourquoi Aurore a-t-elle réagi de cette manière au lapin? Et tient-elle vraiment à Étienne ?
Zoubis,
Et n'oubliez pas,
Nous ne sommes qu'un mélange d'atomes.
:)
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