Ses pieds avancèrent, presque malgré elle, à pas mesurés, parce que le charme continuait à opérer et qu'elle désirait respecter l'équilibre. Lorsqu'elle atteignit la rambarde, elle découvrit les terrasses décalées des suites aux étages inférieurs. Une architecture intelligente, elle permettait aux locataires de profiter du spectacle permanent.

— Penses-tu supporter de vivre cinq jours sans la nature de Dalghar ?

Flore réprima un sourire face à un Kris au visage rayonnant, à l'encontre de sa réserve habituelle. Qui resterait insensible à une telle prouesse ? Le prince l'éclaira à ce sujet.

— Cet écosystème fragile représente l'intégration des planètes à la Confédération. Un élément de la nature de chacune vit ici devant toi : une fleur, un arbre, un oiseau, un poisson, un animal et même des insectes. Sans danger pour les habitants et les visiteurs.

— C'est une réussite extraordinaire !

— En effet, adapter des espèces si différentes sans qu'aucune soit une menace envers une autre requiert des soins de tous les instants. Une armée technique s'en occupe, dont les membres sont originaires de ces mondes.

— Comment évitez-vous la dégradation des bâtiments ?

— Ils sont entourés d'un champ invisible qui joue le rôle de frontière. En revanche, rien ne nous empêche de nous y promener et nous irons plus tard.

Tout en déjeunant, Flore écouta, émerveillée, les explications plus poussées sur la gestion de cet univers à la fois cloisonné et libre. Encore une preuve de la technologie appliquée pour le bien de l'environnement.

Dès leur collation terminée, Kris jeta un coup d'œil à sa montre, et donna le signal de départ de la visite. Ils effectuèrent le chemin inverse de la veille. Or, quelque chose avait changé : la lumière entrait à flots au travers de larges fenêtres.

Je jurerais qu'il n'y en avait pas dans les couloirs hier soir !

— Pour augmenter ta surprise, j'ai prié Aequa d'occulter les baies à l'instant précis de notre passage, lui annonça son ami, comme s'il avait lu ses pensées.

— Elle accepte sans poser de questions ?

— La tradition veut que tout nouveau visiteur découvre le paradis d'Ores au meilleur moment, tant les habitants en sont fiers.

— Ils peuvent l'être ! Je n'oublierai pas un tel endroit, il mérite son surnom.

Kris poursuivit dans le couloir sans monter dans l'ascenseur, et les murs pleins remplacèrent le magnifique paysage. Ils se dirigeaient vers l'intérieur de la « roue ». Son guide se déplaçait toujours autant à l'aise qu'au palais de Dalghar.

— Es-tu souvent venu ici ? s'enquit Flore.

— Une session parlementaire se tient plusieurs mois, deux fois l'an. Les chefs de planète y participent, accompagnés de leur ambassadeur et de ses conseillers. En tant qu'héritier du trône, ma mère Cassian m'y emmène.

— Cela doit vous prendre un temps considérable ! Comment parvenez-vous à gérer Dalghar ?

— Nous ne travaillons pas en isolation, je te rassure. Brièvement. Une commission prépare les lois et décisions. Des comités spécialisés dans un domaine collectent des informations sur le terrain ou soumettent la requête d'un monde. Par ailleurs, les ambassadeurs assistent le plus souvent seuls aux séances rassemblées sur quelques semaines. Les chefs des planètes, rois, reines ou présidents, n'interviennent que pour des points critiques.

La dernière phrase de son ami la ramena au changement d'opinion de son père sur l'adhésion. Kris en connaissait peut-être la raison. Elle ouvrit la bouche prête à l'interroger, puis se ravisa sans savoir pourquoi et revint à la discussion en cours.

— Un comité nous recevra, si je comprends bien.

— Trois, car ta requête est inédite. Celui du Statut et de la Dignité qui traite les demandes d'intégration ; celui des Affaires étrangères en charge des relations avec les mondes hors d'Aequalis ; et le comité du Commerce interstellaire, puisque Xénon a établi des contrats avec des planètes de la Confédération.

— Beaucoup de personnes à persuader, balbutia-t-elle, la gorge serrée.

Le prince de Dalghar n'avait pas caché la lourde tâche qui lui incombait. C'était à elle d'exposer la situation, à elle de trouver les mots adéquats, à elle de toucher leur conscience. Réussirait-elle ? Cette question lui déclencha des frissons. Toutefois, elle refusa de céder au poison du doute. Son ami lui avait assuré qu'il la soutiendrait, il avait étudié avec soins tous les dossiers disponibles. Ce qu'elle n'avait pu faire, par méconnaissance des jeux de pouvoir et des coutumes d'Aequalis. D'où le conseil de Kris : parler avec son cœur.

J'en ai fermement l'intention !

Rassérénée, Flore se concentra sur son environnement. Ils atteignaient l'extrémité du couloir. Elle s'immobilisa face à une large porte à deux battants en bois, chacun orné de l'emblème d'une planète et de son nom. Celui de Dalghar à gauche.

L'entrée aux places des parlementaires, suivant son monde, expliqua Kris. Non accessible hors session.

Son ami s'engagea dans un vaste corridor, qui encerclait la salle. Elle fut à nouveau époustouflée par la décoration. Des bancs rembourrés, au velours rouge, invitaient aux conversations, tandis que d'imposants lustres se reflétaient à l'infini dans les miroirs au cadre doré. Enfin, des statues géantes conservaient contre elles d'extravagants bouquets de fleurs aux fragrances délicates. Elles paraissaient craindre qu'on les leur vole.

Flore s'imagina évoluer dans une lointaine époque au sein d'un des plus prestigieux châteaux sur Terre, dont Amélia lui avait montré les photos lors d'une de leurs rares rencontres. Cependant, une différence de taille existait. Les hôtes de marbre représentaient un habitant de chaque planète de la Confédération.

Perdue dans sa contemplation, elle faillit ne pas voir Kris grimper une des volées d'escaliers disposées à intervalles réguliers sur le pourtour intérieur du couloir. Elle se dépêcha de le rattraper. Quand ils pénétrèrent dans une pièce en haut des marches, sa simplicité après le luxe du corridor l'étonna. Son ami rejoignit l'unique fenêtre de l'endroit.

La salle parlementaire, mise en valeur par l'éclairage tamisé, la stupéfia. Le voyage dans le passé continuait avec les loges ouvertes en bois ciselé, les fresques enluminées aux murs dépeignant les mondes d'Aequalis et la monumentale coupole sur laquelle les emblèmes des six planètes fondatrices entouraient la flamme blanche. Cette dernière semblait protéger le Parlement, l'inciter à prendre de sages décisions.

— Si la décoration est, disons, surannée, son fonctionnement demeure moderne, lui confia Kris. Lorsqu'un parlementaire s'exprime, il reste debout dans sa loge et une projection holographique apparaît sur l'estrade centrale afin d'être visible de tous.

— Et la pièce où nous sommes ? À quoi sert-elle ?

— À ceux qui préfèrent observer l'assemblée en réel. Elles sont souvent vides, car il est plus confortable d'assister à une séance depuis sa suite, ou d'une des salles à disposition des visiteurs et des habitants.

L'azur de ses iris s'assombrit, son front se plissa. Hésiterait-il encore à lui annoncer quelque chose ? Flore lui lança un regard encourageant.

— Quand ton père, le roi Altar, est venu à la session parlementaire il y a un an et demi, j'ai...

— Je ne désire pas savoir, coupa-t-elle. Une demi-heure plus tôt, je pensais te demander de me relater son changement d'avis. Maintenant, j'ai peur de trop souffrir. Est-ce que je me trompe ?

Kris se tut plusieurs secondes, puis avoua sans détour :

— Ce récit te causera un immense chagrin, mais je me dois de te le proposer. Ne veux-tu vraiment pas l'entendre ?

Une boule grossit dans sa gorge. L'attention de son ami la touchait et les larmes menaçaient de déborder. Avait-elle tort d'ignorer l'histoire de son père ? Avec cette question en tête, elle contempla la salle du Parlement.

La vue apaisa son cœur.

Et la raison prit la relève.

Ne remuons pas les cendres du passé, celles de mon exil sont déjà difficiles à surmonter.

L'avenir lui importait plus, il était porteur d'espoir même s'il nécessitait beaucoup d'énergie. Flore adressa un vœu au Capitole avec assurance.

Sojeyn, je remplirai ma promesse. Je mettrai tout en œuvre afin de convaincre la Confédération. Je te supplie de tenir la tienne avec la résistance, et nous nous retrouverons pour libérer Aurora.