C9 - Voyage au paradis (2/3)
Le jour de l'arrivée, Flore se trouvait à nouveau dans la salle panoramique en compagnie de Kris. Ils observaient Ores qui grossissait. Sa surface cuivrée l'intrigua. Aucune différence de couleur comme sur Aurora ou Dalghar. La planète ne possédait-elle pas de mers ? De végétation ? Des montagnes ? Visiblement, Mohann ne lui avait pas tout relaté. À sa décharge, l'établissement de l'université des pouvoirs psychiques accaparait la plupart de leur temps. Elle questionna son ami en pensée.
— Ce vulgaire caillou a été choisi tant pour sa facilité d'accès que pour sa non-appartenance à une civilisation, répliqua-t-il. Les six planètes fondatrices se sont accordées, elles y ont construit un ensemble de dômes.
— La vie doit y être ennuyeuse à mourir !
— Nous logerons au dôme du Capitole et, puisque notre entrevue a lieu seulement dans cinq jours, nous visiterons certains d'entre eux.
Kris avait évité de réagir à sa remarque, un sourire énigmatique persistant sur ses lèvres. Toutefois, elle se garda de l'interroger. Le prince de Dalghar ne s'expliquait que s'il l'avait décidé. Inutile d'insister. D'autre part, un autre point la tenaillait depuis des semaines, un point qu'elle ne pouvait plus repousser. Elle préféra l'exprimer à haute voix.
— Rencontrerons-nous Brian ?
— L'ambassadeur de Dalghar, le père d'Amélia, est en mission sur Psyla avec lui. Je me suis assuré de son absence pendant notre séjour.
Était-elle soulagée par la réponse ? Ou au contraire déçue ? Comme s'il avait conscience de ses doutes, son ami lui souffla :
— Bien que tu aies refusé de me raconter, je connais mon frère et regrette son comportement à ton égard dans la grotte. Mais tu ne pourras pas toujours l'éviter.
Les paroles rappelèrent à Flore la fameuse scène et sa conviction se renforça. Plus tard, elle croiserait la route de Brian ; plus grande serait la chance de ne pas redéclencher le Lien. Elle afficha un masque neutre, malgré la douleur liée à sa décision, et Kris ne poursuivit pas. Leur attention se focalisa sur l'atterrissage sous le soleil couchant.
Au sol, l'efficacité des équipes de contrôle était impressionnante. Tant que Flore se retrouva à bord d'un véhicule avant même de s'en rendre compte. De rares passagers les accompagnaient.
L'engin silencieux s'enfonça dans un tunnel aux parois transparentes en direction de lumières dans le lointain. Ces milliers d'étoiles, synonymes d'habitations, qui perçaient la nuit lui donnèrent l'effet de se déplacer dans l'Entre-Deux monde. Avec une exception.
Une chaleur agréable l'enveloppait au lieu du froid glacial.
Le trajet vers le dôme du Capitole dura moins d'une heure. Dès leur arrivée, elle monta dans un autre appareil pour deux personnes. Celui-ci voyagea dans un tube opaque. Le temps de quelques respirations, et ils débouchèrent sur une place à l'intérieur d'un bâtiment. Sitôt qu'ils descendirent, Kris l'emmena avec assurance dans un dédale de couloirs uniformes, inodores et vides de présence.
Je dépérirais vite, si je vivais ici !
Comme chez tous les Auroréens, la nature lui était aussi nécessaire que l'air.
À force d'observer à droite et à gauche ce cadre austère, elle faillit percuter son ami. Il s'était arrêté à une intersection. Sa requête soudaine la surprit :
— Aequa, quel est le chemin de notre appartement ?
Flore arqua les sourcils quand une femme se matérialisa devant eux. Sa longue robe vaporeuse se mouvait sous une brise inexistante, ainsi que les mèches blondes échappées de son chignon haut, parsemé de peignes colorés. La douceur de son visage se reflétait dans son regard maternel. Elle ressemblait à Amélia à s'y méprendre, jusqu'aux rondeurs qu'elle affichait.
— Bienvenue sur Ores, les accueillit-elle d'une voix douce. Remontez le couloir bleu et prenez le quatrième ascenseur. Au sixième étage, dirigez-vous vers la tour, puis engagez-vous dans l'impasse Dalghar sur votre droite. N'hésitez pas à me contacter de nouveau. Je vous souhaite un bon séjour.
Aequa disparut sans attendre de réponse.
— Les habitants ont des pouvoirs de téléportation ? s'enquit Flore. Ils sont autant disponibles ?
Même si ses iris azur pétillaient, Kris répliqua avec son sérieux traditionnel.
— Aequa est un ordinateur, représenté par un hologramme. Nous en avons sur Dalghar.
Elle tiqua. Ces machines, elle les utilisait pour des tâches simples comme l'éclairage d'une pièce ou la lecture. Aequa lui apparaissait plus complexe.
— Comment vous reconnaît-elle ?
— Lorsque nous nous enregistrons avant notre premier voyage pour Ores, nous employons notre identité, y compris notre voix et notre physique, et ces données sont conservées. Si tu te perds, où que tu sois sur la planète, il te suffira d'appeler Aequa. Juste une chose, elle adapte son apparence à celle du visiteur. Ne sois donc pas surprise à la vue d'une Auroréenne.
Elle ne s'était pas trompée en croyant voir Amélia. Un hochement de tête, et elle emboîta le pas à Kris. Il marchait dans le fameux couloir bleu, dont le haut plafond restait invisible avec la lumière tamisée.
Sans hésitation !
La demande d'aide à Aequa avait un autre but : celui de lui montrer comment circuler seule.
Après un quart d'heure, ils embarquèrent dans le quatrième ascenseur. De forme cylindrique et aux parois vitrées, il pouvait accueillir une vingtaine de personnes. Pendant la montée, Kris lui apporta quelques explications sur l'édifice :
— Le Capitole forme une roue, avec huit « rayons » et deux couloirs circulaires. Au centre se trouve la salle du Parlement ; les logements des membres aux extrémités. Un rayon se termine dans une tour à laquelle sont rattachées deux impasses par étage. Chacune conduit à une suite, ce qui permet de lui attribuer le nom de la planète.
— Où s'installent les mondes n'appartenant pas à la Confédération ?
— Des appartements pour les invités sont disponibles au rez-de-chaussée.
Grâce à ces informations, Flore parvint à mieux se repérer. Quand ils atteignirent leur tour, un magnifique bouquet trônait sur une table au milieu. Elle en huma les fragrances, à l'instar d'un assoiffé dans un désert au moment où il découvre une oasis. La nature lui manquait déjà.
Heureusement, nous ne restons que cinq jours !
Elle soupira avant de faire face à l'impasse, où « Dalghar » et son emblème brillaient tel un astre à l'apogée. Un hologramme qu'elle traversa lorsqu'elle s'engagea dans le couloir plus étroit. Vingt mètres plus loin, elle s'immobilisait devant un mur.
— Aequa, ouvre-nous, intima le prince dans son dos.
Deux portes coulissèrent, et ils pénétrèrent dans un salon vaste... similaire à celui du palais de Dalghar !
— Chaque planète est libre d'organiser à ses frais son logement comme elle le souhaite, l'éclaira Kris.
— Je me demande quelle décoration avait choisi mon père.
— Les appartements des invités sont standards, impossibles à modifier.
Une pause, une hésitation... et les lèvres de son ami se scellèrent. Qu'avait-il voulu lui dire ? Avant qu'elle ne puisse l'interroger, il déclara d'un ton précipité :
— Il est tard. Retrouvons-nous demain pour la visite du dôme.
Avec une moue dubitative, elle rallia la chambre qu'il lui avait indiquée de la main. Elle aussi était en tout point identique à la sienne sur Dalghar.
Merci de cette délicate attention, projeta-t-elle vers le prince en pensée.
Flore se réveilla en meilleure forme qu'elle ne l'aurait cru. Une fois habillée, elle ne trouva pas son ami dans le salon. Pourtant, elle le savait debout par son activité télépathique. Des sons mélodieux, atténués, en provenance de la baie vitrée à demi ouverte l'attirèrent vers une terrasse. Elle s'y immobilisa, bouche bée. Les arbres, aux innombrables feuilles colorées, la subjuguèrent : leur cime se perdait vers le plafond du dôme invisible.
Nous n'en avons pas de si grands sur Aurora... ni sur Dalghar !
Néanmoins, leur taille ne l'oppressait pas. Ils demeuraient suffisamment espacés pour laisser les rayons du soleil effleurer le sol.
Les fleurs exposaient leurs formes variées : rondes, triangulaires, en clochette, en grappe. Elles dessinaient des hélices, ou des pyramides, et les entrelacs de teintes diverses fuyaient dans toutes les directions. Des oiseaux dotés d'interminables becs ou d'imposantes huppes complétaient ce décor. Ils se dandinaient tels des rois sur les branches et comblaient le silence de leurs mélodies.
Une orgie de beauté assaillait ses prunelles, une orgie de musiques inimaginables se coulait dans ses oreilles, une orgie de fragrances titillait son nez. L'affamée de la nature qu'elle était se rassasia de chaque nouveauté avec joie.
Jusqu'à ce que la voix de Kris la sortît de son état de béatitude. Assis à une table, dressée pour le petit déjeuner, il l'accueillit avec chaleur :
— Bienvenue au paradis d'Ores !
— Merveilleux, chuchota-t-elle comme si elle craignait de déranger ses hôtes.
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