C8 - Compagnonnage (3/4)
Le soleil rose nacré auréolait les cimes montagneuses, lorsque Sojeyn gagna la vaste clairière à l'entrée du village. Réservée aux célébrations ou rassemblements. Il grimpa les marches de l'estrade installée à une extrémité. Sa tante, la gardienne et le Conseil le suivaient. Quant aux habitants, ils se placèrent derrière les sphères d'éclairage en lévitation. Elles formaient un large cercle au pied de la scène.
Une atmosphère solennelle régnait, personne ne cherchait à la rompre.
Jusqu'au moment où Sojeyn salua la tribu, une main sur le cœur. Tous lui rendirent le geste d'accueil et s'assirent sur d'épaisses couvertures. Un son cristallin, joué par des instruments à vent ou à corde, s'éleva alors dans les airs. Elle se faufilait telle une brume d'automne parmi les spectateurs.
Je pourrais presque la toucher !
Merioni arriva ensuite au bord du cercle. Il resplendissait dans sa longue robe de maître kiriahni azur, ornée de la fleur de llyriah en filigrane. Ses pieds nus foulaient l'herbe au tempo de la douce musique. Quand il atteignit le centre, il écarta les bras. Ses manches évasées depuis le coude se déployèrent à l'instar des ailes d'un oiseau.
Sa perle brilla d'une couleur ocre.
Des milliers de pétales blancs d'erosium s'épanouirent pour façonner un merveilleux tapis enneigé sur le sol. Une fragrance suave glissa dans l'air, où elle se mélangea au parfum du bois brûlé des braseros à proximité. Des oh ! et des ah ! naquirent des gorges. Vite rejoints par des applaudissements. Sojeyn échangea un sourire complice avec Ixli : la démonstration des kiriahs dans un spectacle amenait toujours de telles réactions.
Kishor se présenta à son tour dans ses vêtements d'apparat d'Imlaya, et le visage de Merioni refléta son admiration. Chemise grise, pantalon indigo et veste droite cuivrée, brodée de feuilles sur la bordure, apportaient de la prestance à l'initié. Sans compter les trois traits obliques émeraude peints sur chaque joue qui relevaient l'éclat des iris bleu-orange.
Leurs tenues s'harmonisent parfaitement, un magnifique symbole de l'union entre kiriahnis et Imlayas.
Inconscients de leur effet sur l'assistance, les deux hommes s'agenouillèrent face à face. La perle de Merioni s'activa de nouveau : une couronne de boutons d'erosium se forma sur leurs fronts petit à petit. Tandis qu'ils ne se quittaient pas du regard, Linlin s'approcha d'eux. Elle portait un coussin sur lequel reposaient les insignes du compagnonnage. Dès qu'elle s'assit à côté des deux jeunes gens, la musique cessa. Dans un silence respectueux, la voix rauque du maître s'éleva :
— Moi, Merioni, je te prends Kishor comme compagnon de vie et te remets les bracelets. Ensemble, nous combattrons l'ennemi avec nos amis. Ensemble, nous rendrons la paix sur Aurora pour vivre notre amour.
Un premier bijou, large d'une main, sculpté de feuilles dorées, s'envola dans les airs. Il rejoignit le bras gauche de l'Imlaya et se fixa au-dessus de son coude. Quant au second, identique en tout point, il s'accrocha à la même place sur le bras droit. Kishor répéta les mots et les gestes.
Sojeyn approuva la décision du couple de célébrer son union avec l'échange des deux bracelets au lieu d'un seul. Une possibilité qui leur aurait permis de tester la vie commune ou, simplement, de donner le temps de préparer une grande fête. Pourtant, son cœur se serra à la signification implicite de ce choix.
Avec la planète et ses habitants en danger, ils ont préféré ne pas patienter.
Les applaudissements qui explosèrent le tirèrent de ses tristes pensées. Un splendide halo blanc auréolait la perle de Merioni, il contrastait avec le reflet rose soutenu des cheveux. Le maître laissait le Lien se manifester. Puis les nouveaux compagnons longèrent le cercle des spectateurs à pas lents. Résistants et couple se saluaient, une paume sur la poitrine. Quand les deux jeunes gens atteignirent l'estrade, ils s'installèrent aux places réservées.
Au retour du silence, Sojeyn se leva. Il gagna le centre du tapis floral, des regards curieux attachés à lui. Il avait prévu une surprise en cadeau à ses amis. Un spectacle qu'il n'avait réalisé qu'une seule fois : à la dernière fête de la Moisson, avant l'invasion des Astrydiens.
Flore, Tojian, Mioca, nous nous amusions encore, inconscients du drame à venir, s'attrista-t-il.
Sans l'avoir prémédité, il dédia cette offrande à ces absents si chers. Pour Tojian, mort en dévoilant sa nature noble à laquelle il était resté aveugle. Pour Mioca, avec l'espoir qu'elle ne soit pas malheureuse.
Et pour toi, ma sœur, afin de soulager ta solitude sur Dalghar.
Heureux de cet hommage, il se redressa et imagina sa perle en orange. Sitôt qu'elle émit cette couleur, des chants harmonieux troublèrent la forêt avoisinante. Qui se rapprochèrent peu à peu. Des oiseaux ? questionnaient les visages éberlués de l'assemblée.
Ils ne se trompaient pas : les êtres ailés les rejoignirent. Leurs plumages chatoyaient sous l'éclairage des sphères. Ils entamèrent des courbes graciles parmi les résistants, qui retenaient leur respiration. Surtout ne pas effrayer les danseurs improvisés. Les musiciens imlayas jouèrent, et les « invités » répondirent par des arabesques élaborées.
— Que l'un d'entre vous tende son bras, proposa Sojeyn aux deux compagnons de vie.
À peine Merioni avait effectué le geste, qu'un oiseau se percha dessus, s'y pavana avant de charmer son hôte d'une roue. Litcho, calé sur l'épaule de Kishor, poussait des cris inquiets. Il se colla à la joue de l'initié, qui le caressa afin de le rassurer. Quant au maître, il présenta une paume ouverte, remplie de miettes de galettes, à son invité. Se mordit les lèvres lorsque celui-ci la picora. Chatouilles, ou douleur, ne l'empêchèrent pas de tenir bon.
Une fois repu, l'oiseau repartit avec les siens et, dans un concert nourri, ils s'envolèrent vers la forêt. Sojeyn avait désactivé son kiriah. Il retourna s'asseoir sur l'estrade sous les acclamations des Imlayas. Aussitôt, Litcho sauta sur son épaule. Sa longue queue annelée s'enroulait à une mèche de ses cheveux.
Avec la fin de la cérémonie, le repas démarra. Natti l'orchestrait, sous l'œil bienveillant de son compagnon de vie, Courm. Son talent l'avait propulsée cuisinière en chef du village et personne n'osait la contredire.
D'autant qu'elle ne garde jamais sa langue dans sa poche.
Fidèle à sa réputation, Natti s'approcha de lui et intima :
— Mange, je ne te le dirai pas deux fois !
— Je ne suis plus un enfant !
— Pour moi, tu le resteras et ta mère m'approuverait.
Sojeyn tressaillit. Natti demeurerait Natti, quels que soient les évènements. Et son inquiétude se concevait. Lui qui avait toujours fait honneur à ses plats succulents s'alimentait sans éprouver de goût ni de plaisir. Même les fougals, ces galettes fourrées à la crème et aux fruits confits, dessert préféré des Auroréens, ne le tentaient pas. Retrouverait-il cette envie un jour ? Son regard dévia vers le ciel, où scintillait l'étoile de Dalghar.
Quand je vivrai à nouveau, conclut-il, amer.
Néanmoins, il s'efforça de ne pas décevoir Natti, qui repartit à ses devoirs. Il se mêla ensuite aux conversations jusque tard dans la nuit tandis que les Imlayas chantaient et dansaient.
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