C8 - Compagnonnage (1/4)

Sojeyn gémit de douleur quand Akeno lui arracha l'épée qu'il tenait en main gauche avec la sienne.

— Encore perdu ! s'exclamèrent Linlin et Yeldo en chœur sur un ton goguenard.

Il leur jeta un regard noir pendant qu'il retrouvait son souffle. Assis sous un arbre à une distance de sécurité suffisante, ses amis l'observaient s'échiner contre l'Imlaya. Lequel n'admettait aucune erreur.

Un mur se dressait devant lui, il se désespérait de l'abattre.

Dès le lendemain de l'attaque des Astrydiens, le maître d'armes avait exigé sa formation au combat. Il s'était plié de bonne grâce. Les kiriahs ne valaient rien face à l'ennemi et ses brouilleurs, ne pas savoir manier une épée équivalait à un suicide.

Novice, il avait dû franchir une à une les étapes. La moindre minute de liberté était employée pour son apprentissage, et personne ne lui avait facilité la tâche. Chef de la résistance ou non ! Après sept mois d'efforts, il arrivait à son dernier défi. Gagner un duel contre Akeno. Le maître avait exclu l'idée de confier ce soin à autrui. À l'instar de Flore. Ses amis lui avaient raconté en détail le séjour de sa sœur, ses échecs, ses victoires et son apport à la tribu.

La pensée de partager ce difficile parcours avec elle le motiva à nouveau. L'adrénaline coula dans son sang. Sojeyn oublia la brûlure de ses muscles, oublia son cœur désordonné, oublia ses habits collés à sa peau par la sueur. Seul comptait son adversaire.

Quelle que soit la puissance de mes assauts, il pare avec une facilité déconcertante.

Comme s'il l'avait entendu, Akeno indiqua dans un contact mental :

Le combat est aussi une question de psychologie. On reprend, attaque-moi!

Tandis qu'il ramassait son épée aux tranchants émoussés, il tenta de percer le mystère derrière ces mots.

Je crois avoir compris.

Il se fendit, son arme dirigée vers les jambes du maître. Qui se décala et claqua sa lame contre la sienne. Deux fois, Sojeyn lança la même attaque. Néanmoins, le second assaut servait de feinte. Il se redressa juste avant la parade de l'adversaire et son épée dévia vers le flanc à découvert. Akeno évita le coup in extremis, mais fut déséquilibré. Il lui offrait une minuscule chance. La pointe de sa lame toucha le torse. Une simple blessure, non mortelle dans un combat réel, pourtant une belle victoire. Le cri de joie de ses amis le prouvait.

Sojeyn commenta alors la consigne du maître :

Se mettre à la place de son ennemi afin de mieux anticiper.

Si tu as encore beaucoup à apprendre, tu possèdes maintenant la clé pour progresser.

Il n'en doutait pas : vaincre Akeno n'était pas pour demain ! Linlin, dont l'éclat doré des iris rivalisait avec celui de la surface du lac, l'interpella :

— Extraordinaire, tu as atteint notre niveau en quelques mois !

— Avec des cours particuliers tous les jours et le meilleur escrimeur de la tribu, il n'avait pas le choix, taquina Yeldo.

Le Tourbillon lui tira la langue, puis enchaîna :

— Je meurs de curiosité, à mon tour de te défier.

Akeno éclata de rire. Franc, net. Si rare qu'il entraînait ceux des autres. La vivacité de Linlin dériderait même la terrible Dame de Westia.

— Laisse-le se reposer vingt minutes, annonça le maître dès qu'il récupéra son calme. Et si Sojeyn est d'accord.

—  Volontiers !

Il s'assit auprès de ses amis, qui lui donnèrent une gourde. Alors qu'il s'abreuvait de cette eau fraîche, Litcho accourut et s'installa sur son épaule. Petits cris rocailleux pour quémander une friandise. Il patienta ensuite en silence. Ainsi Sojeyn l'avait-il éduqué avec l'aide de Merioni, car un kiriako était de nature chapardeuse. Il téléporta des fruits secs depuis le réfectoire, où Natti les mettait à disposition. La façon de manger de Litcho en dodelinant de la tête amusa ses amis. Lorsque l'animal essaya de les imiter par ses rictus qui découvraient ses dents, l'hilarité les gagna tous.

Désaltéré, Sojeyn s'intéressa à un groupe au bord de l'eau, à cent pas d'eux. Kishor enseignait la natation aux volontaires. Une activité peu pratiquée sur Aurora, sauf au doryaum Melaki, d'où provenait l'initié. Ce territoire possédait les plus grands lacs, et la pêche y tenait une large place. C'était d'ailleurs l'ancien métier du jeune homme avant de rejoindre la tribu.

Lorina lui avait soumis cette faveur en raison d'une terrible tempête l'année précédente, durant laquelle il avait sauvé plusieurs personnes d'une noyade certaine.

Si Merioni suivait les cours de Kishor, Linlin et Yeldo avaient refusé catégoriquement. Lui-même, pris par sa formation intensive, avait décliné. Toutefois, il y viendrait. Ce sport l'attirait. Pourquoi ? Peut-être à cause de la petite fille de ses rêves, ou parce qu'il aimait les nouveautés.

Cette pensée lui rappela les entraînements des Imlayas dotés de pouvoirs psychiques, que le maître kiriahni dirigeait avec efficacité. Et surtout une séance particulière : pendant celle-ci, Kishor s'était surpris à créer des boules d'énergie alors qu'il croyait n'avoir aucun kiriah.

— Certains Auroréens découvrent leurs talents sur le tard. Comme ils sont faibles chez toi, un diadème te sera inutile. Mais, en vertu du premier Principe, tu dois être formé, avait déclaré Merioni.

Éberlué par ce qui lui arrivait, Kishor n'avait pas remarqué les cheveux teintés de rose et le regard perdu au loin du maître.

— Terminé de rêvasser ! clama soudain la voix de Linlin à ses oreilles.

Debout, l'arme en main, elle s'impatientait. Un ordre mental à Litcho, et le kiriako sauta sur le bras de Yeldo. Habitué à ses amis, il n'hésitait pas à s'accrocher à l'un d'eux, ce qui lui permettait de récupérer une friandise au passage.

Un salut, et Sojeyn invita Linlin à engager. Elle méritait son surnom : le Tourbillon ! Elle tournoyait sur elle-même et autour de lui. Quand il se fendait pour l'atteindre, elle avait déjà disparu. Elle le touchait, s'esquivait, le déstabilisait. Si rapidement que ses ripostes tombaient dans le vide.

En peu de temps, elle eut raison de lui et il s'avoua vaincu.

— Tu ne t'es pas trompé, Akeno, confessa-t-il sans gêne. J'ai encore beaucoup à apprendre.

— Je suis le seul à battre Linlin. T'entraîner avec elle te sera bénéfique.

— Avoir autorisé les femmes au combat à l'épée était une bonne chose, commenta Yeldo.

— Tu ne disais pas ça au début de notre noviciat, malgré ton goût pour le tir à l'arc, inaccessible alors aux hommes, taquina Linlin. Flore nous a conduits sur le chemin de l'éga...

La fin de la phrase ne vint pas, elle avait posé une paume sur sa bouche. Trop tard ! Sojeyn se raidit et tourna le dos à ses amis. Des milliers d'aiguilles glacées s'inséraient au plus profond de lui. Pourtant, son cœur brûlait de douleur.

S'il parvenait à songer à Flore sans s'effondrer, entendre son nom continuait à le bouleverser. Même après avoir écouté les récits à son sujet.

Jamais ma souffrance ne diminuera en ton absence. Je remplirai ma promesse lors de notre séparation et mettrai tout en œuvre pour protéger Aurora. Je te supplie de tenir la tienne, reviens-nous au plus vite.

Litcho qui partageait ses émotions grimpa de sa jambe à son épaule et frotta ses oreilles duveteuses contre sa joue. Son esprit lui projetait une chaleur réconfortante. Avec succès. La boule dans sa gorge s'estompa.

Sojeyn cligna des paupières, tant pour chasser les larmes que pour retrouver le présent, avant de froncer les sourcils. Dans le lac, des nageurs s'agitaient ! Que se passait-il ? Il interrogea Merioni par la pensée. Celui-ci les alerta tous.

Kishor tente de secourir un Imlaya qui a paniqué. Ils sont en train de se noyer.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top