C5 - Sauvetage (2/4)

Sans plus attendre, Flore se changea. Une fois son épaisse cape sur ses épaules, elle sortit de la maison et se faufila sans hésiter à l'arrière du logement. Vers l'endroit où le maire l'avait emmenée pour lui offrir un cheval. Convaincu de ses talents de guérisseuse, il lui avait proposé de s'établir au bourg.

Comète l'accueillit par un hennissement, bien avant de l'apercevoir.

— Moi aussi, je suis contente de te revoir, ma belle, lui chuchota-t-elle à l'oreille. Dépêchons-nous de rentrer.

D'un bond souple, elle se mit en selle, et la jument prit le chemin de la maison. Elles croisèrent des habitants au visage sombre, ils convergeaient dans la même direction. Le centre des cultes. Ses malades lui avaient relaté les différentes religions coexistant en bonne entente sur Dalghar, pratiquées dans ce lieu commun qu'elle n'avait jamais visité. Elle avait décliné leur invitation à y participer.

Les Auroréens ne vénéraient aucun dieu : la légende des Perles et les Principes leur suffisaient.

Dès son retour chez elle, Flore ne perdit pas de temps avec Comète et se précipita dans sa chambre. Elle se coucha sur son lit. Sa perle émit un léger halo violet, qui éclaira la pénombre, quand elle activa son pouvoir de communication à longue distance. Les yeux fermés, elle se projeta hors de son enveloppe physique. Elle « volait » au-dessus des contrées parcourues tout l'été afin de récolter les plantes, dont les vertus lui étaient enseignées par l'herboriste du village. Potions auroréennes, ou similaires, s'ordonnaient depuis dans sa cuisine.

La rareté des habitants facilita sa tâche, mais au bout d'une heure, elle cessa avec un soupir. Le maire et le médecin ne se trompaient pas. Détecter la position des deux princes s'avérait compliqué. Sans se décourager, après s'être alimentée de fruits et racines séchées, elle recommença.

Même si son esprit dépassa les lieux qu'elle connaissait.

Flore partit à l'aveugle, tel un pêcheur qui lançait sa ligne au hasard. Ses chances s'amenuisaient chaque seconde. Pourtant, elle persista et persista... jusqu'à capter un fil ténu. Si fragile qu'elle dût jeter toutes ses forces pour ne pas le rompre.

Sa persévérance paya enfin. Une pensée s'éclaircit dans sa tête, celle de Brian.

Kris, nous ne pouvons plus rester dans l'avion, l'intelligence artificielle nous a prévenus d'un nouvel orage. Mettons-nous à l'abri dans la barre rocheuse. L'ordinateur continue à émettre le signal de secours, ils nous trouveront là-bas.

La kiriahni réussit à distinguer le lieu de l'accident dans l'esprit du jeune homme affaibli avant la rupture du contact. Elle réfléchit quelques secondes : la tempête détectée par le prince gênerait les aéronefs de recherche. C'était sûrement la raison de leur difficulté à localiser ce fameux signal.

Ils risquent de mourir si je ne fais qu'avertir le village. Je dois y aller, l'image est bien assez précise pour cela. Quitte à me déplacer en plusieurs étapes.

Dehors, le soleil entamait sa descente. Il lui rappelait de se presser. Avec des gestes précipités, Flore remplaça sa cape par un anorak et des gants, rassembla ses affaires dans un sac à dos ; et relâcha Comète. L'okyda rejoindrait la maison du maire sans encombre.

Revenue sur le palier d'entrée de la sienne, elle s'immobilisa. Interdite ! Devant elle se dressait une pièce sans âme, décorée de meubles ternes. L'odeur âcre de la cheminée lui irrita même la gorge.

J'ai vécu ici? Dans cet endroit désolé?

Le voile de la tristesse se déchirait. Son cœur se libérait de ses chaînes. Alors, avec un regard d'adieu à cette vie morne, elle se tourna vers le jardin, vers la lumière.

Enfin, elle se téléporta.


Sitôt que Flore se matérialisa sur les lieux de l'accident, un vent hurlant à la mort la cisailla. Elle s'affala à genoux, les mains dans la neige. Face aux fléchettes de glace qui lui criblaient le visage, elle leva un bras. Pour se repérer aussi. En arrière-plan apparurent des pics de montagne, ils la menaçaient comme les monstres dans les contes.

Déchirés, tourmentés, maudits.

Prêts à fondre sur elle, à l'emporter dans leurs entrailles.

Elle se détacha de cette terrible vision avec un long frisson, puis découvrit l'aéronef à quelques pas. Sans ailes, un gros œuf couché sur son flanc. La kiriahni tituba jusqu'à la porte à moitié ouverte et pénétra dans la carlingue. Elle désirait s'abriter. Le temps de récupérer son énergie, d'habituer son souffle à la raréfaction de l'air à cette altitude.

Hélas, la neige s'infiltrait à travers une déchirure au plafond et ensevelissait les équipements.

Flore se colla contre la paroi, dans un maigre espace épargné par les intempéries. Depuis son refuge précaire, elle lança son esprit à la recherche des princes. Capta à nouveau celui de Brian.

Presque imperceptible.

Il se trouvait au pied d'une montagne, à proximité d'une grotte. Le calme plat du côté de son frère aîné en revanche l'inquiéta, mais elle refusa de l'imaginer dans le monde des Morts.

Je le sauverai!

Se téléporter à leurs côtés ne se concevait plus avec une image aussi floue dans la tête du prince cadet. Les traces de pas la guideraient... tant que la lumière serait suffisante.

Je dois me dépêcher, la nuit va bientôt tomber.

La kiriahni s'extirpa des restes de l'avion et s'enfonça dans la neige jusqu'aux genoux. Elle avançait à petits pas à l'instar d'un bébé pantigra malhabile, tandis qu'un vent traître mélangeait les flocons dans tous les sens. Il dressait un mur. Il se jouait d'elle. Un instant, elle ne rencontrait aucune résistance ; le suivant, sa dureté l'immobilisait. Il ricanait même à ses oreilles.

Indifférent à son combat face aux éléments déchaînés, le jour, lui, déclinait.

Trop vite!

Flore redoubla d'énergie, respiration courte, le regard fixé sur les marques au sol. Elle chutait, serrait les dents et repartait. Peu importait le froid qui gelait la peau de son visage. Peu importait le froid traversant ses habits.

Quand ses mains gantées touchèrent la barre rocheuse, elle soupira d'aise. Sa progression devenait plus facile. Moins de vent, un support auquel se tenir. Elle accéléra et, quelques pas plus loin, elle heurta un corps inanimé.

La neige commençait à l'envelopper de son manteau mortel.

Flore poursuivit son chemin balisé de traces. Il la conduisit à l'entrée d'une grotte où gisait le second prince. Brian. Sitôt à l'intérieur de la cavité, elle employa la puissante torche qu'elle avait emportée dans sa besace pour l'inspecter. Ce qu'elle vit la rassura : un espace vaste entouré de parois sèches ; une voûte se perdant dans le noir, inaccessible au faisceau lumineux.

Sans plus tarder, elle activa son kiriah de téléportation. Le chaud halo corail de sa perle se superposa à celui de la lampe, pendant que chaque prince se matérialisait sur une couverture de survie chauffante, installée au préalable. Conquise par l'efficacité de cet objet, lors d'une intervention avec le médecin sur un blessé, elle en gardait plusieurs.

Je ne pensais pas les utiliser dans une telle situation. En fait, je n'avais jamais imaginé me trouver dans une telle situation! Allez, tâche suivante.

Elle alluma un feu avec les briquettes pour la cheminée de sa maison. La fumée s'envola vers les méandres du plafond, certainement aspirée vers l'extérieur. Les belles flammes réchauffèrent l'atmosphère. De leur danse, elles animaient l'endroit si sinistre. L'odeur factice de bois brûlé apporta aussi sa touche à ce cadre plus douillet.

Satisfaite de son campement de secours, Flore jeta un coup d'œil aux princes évanouis. Ils lui arrachèrent une grimace d'impuissance. Toute son énergie ne permettrait pas de les transporter, même un à la fois en plusieurs étapes. Seul un Cercle de kiriahnis, qui lui transmettrait la force de chacun, en était capable.

Sauf que je ne suis pas sur Aurora.

L'un de ces hommes devait lui donner le nom d'une personne avec un pouvoir de communication par la pensée. Afin d'alerter, d'organiser le sauvetage au plus vite. Car elle ne connaissait personne au bourg avec un tel talent. Heureusement, ses provisions l'autorisaient à patienter deux à trois jours : retourner au village demeurait la solution de dernier recours, elle ne souhaitait pas abandonner les Dalghariens.

Retirer les vêtements trempés des princes par télékinésie, les installer sous une seconde couverture de survie, préparer une soupe et des potions l'occupa un moment. Quand les effluves de poisson envahirent la grotte, son ventre grogna. Elle mourrait de faim !

Flore savoura chaque cuillère de son frugal repas sans baisser la surveillance des blessés. L'état de Kris la préoccupait avec sa pâleur et son souffle irrégulier, bien plus que celui de son cadet. Son agitation prouvait que son corps luttait. Elle ne pouvait hélas les soigner ni même les monitorer.

Il lui fallait préserver son énergie.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top