C5 - Sauvetage (1/4)

Quand ses paupières se soulevèrent, Flore découvrit un lit qu'elle ne connaissait pas, une chambre inhabituelle. Elle fixa, abasourdie, les murs jaune pâle, puis les meubles en bois aux courbes douces. Tout lui semblait si réel.

Par Kilyan, serais-je en vie ?

Elle était tellement persuadée de ne jamais revenir dans le monde des Vivants, qu'elle avait du mal à y croire. La chaleur des rayons du soleil hivernal sur ses joues lui ôta ses derniers doutes. Un miracle ! Devait-elle s'en réjouir ? L'entrée d'un homme d'une centaine d'années aux mèches aussi blanches que les siennes lui évita de s'attarder sur la question.

— Bonjour, Ann-Flore, content de votre retour parmi nous. Vous nous avez fait une de ces peurs.

Le maire ? Pourquoi la visitait-elle ? Elle ouvrit la bouche pour s'exprimer, mais aucun son ne sortit.

— N'essayez pas de parler, prévint le médecin, qui pénétrait à son tour dans la pièce. Vous allez boire ce remède.

Il posa un bol sur une haute table de chevet, s'approcha d'elle et voulut l'aider à se redresser. Flore se tassa, tandis que la moire bleu-gris de ses cheveux virait à l'argent. Devant sa réaction, le docteur arrêta son geste.

— J'oubliais, vous n'aimez pas qu'on vous touche. Arriverez-vous à vous soulever seule ? J'installerai un oreiller derrière votre dos.

Les muscles crispés, elle jeta toutes ses forces à lever son corps avant de se laisser retomber en arrière, le souffle court. Ses mains tremblaient lorsqu'elle s'empara du bol, que lui tendait le médecin. Elle but le liquide onctueux avec avidité. Se promener dans l'Entre-Deux monde consommait une énergie considérable en quelques minutes : le temps s'y accélérait, et le visiteur conservait l'impression d'avoir été absent plusieurs heures. Cette réflexion lui en amena une autre, plus inquiétante.

Mon diadème !

Ses doigts fébriles filèrent vers sa tête et tâtèrent le dessus. Son cœur se calma quand ils effleurèrent la perle. Soulagée, Flore mima une question avec ses lèvres :

— Depuis quand suis-je ici ?

— Moins d'une semaine, répliqua le maire. Samy t'a trouvée au sol dans la chambre de son père. À la vue de ton état de santé, j'ai décidé de t'héberger.

— Tu resteras avec nous jusqu'à ton complet rétablissement, ajouta le médecin. C'est la première fois que je t'ai demandé de tels soins. Pourquoi ne m'as-tu pas averti du danger, Ann-Flore ?

Visage détourné, elle cligna les yeux ; des larmes s'étaient formées au coin de ses paupières. Des mots dans l'esprit des deux hommes la frappèrent :

Elle n'a plus de goût pour la vie jusqu'à se sacrifier. Comment en est-elle...

Flore se retrancha derrière ses barrières mentales afin de ne plus percevoir ces propos inopportuns. Sans pouvoirs psychiques, ses visiteurs ne les contrôlaient pas. Ils quittèrent enfin la chambre baignée d'une triste ambiance. Elle regretta de ne pas les avoir remerciés de leurs attentions et s'endormit sur une pensée au sujet de la défense naturelle des Auroréens.

J'ai accepté beaucoup d'entre vous, sinon vous auriez été électrocutés lorsque vous m'avez amenée ici... Votre accueil ne serait peut-être pas si bienveillant !


Les jours s'écoulèrent ensuite de manière identique, avec un emploi du temps réglé à la seconde près, tant elle désirait repartir chez elle au plus vite.

Tant elle désirait retrouver sa routine.

Dès le lever du soleil, Flore troquait son épais pyjama gris contre une tenue de sport, apportée par le médecin. Elle effectuait les exercices appris pendant sa formation de combattante imlaya. Souplesse, musculation, endurance. Aucun muscle n'échappait à son esprit vigilant. Sitôt qu'elle cessait de torturer son corps après des heures de travail, elle s'octroyait le plaisir de se délasser dans un bain à remous. Cet instant privilégié lui rappelait les sources d'eau chaude d'Aurora. Seul le paysage différait avec les cimes enneigées du village au lieu des parcs luxuriants sur sa planète.

Quant à ses repas, elle les prenait dans sa chambre, ayant décliné l'invitation du maire. Celui-ci respecta son souhait de solitude sans se vexer.

Pour ses soins, Flore préférait se servir dans ses potions, rangées au fond de sa besace, ramenée par le docteur de chez Samy. Chaque soir, elle ajoutait à sa boisson cinq gouttes de la liqueur de llyriah. Elle avait acheté ce précieux élixir sur Aurora, lors de sa fuite du palais en compagnie de Tojian.

Une idée saugrenue sur le moment, je croyais encore rallier la résistance !

Elle détenait un flacon opaque à l'abri dans sa maison, et conservait toujours un échantillon dans son sac en cas de nécessité. Une sage habitude, même si ces situations étaient très rares.

Un matin, trois jours plus tard, quand la lumière de l'aube orangée se faufilait à peine entre les habitations, Samy et sa mère vinrent lui rendre visite en présence du maire. L'enfant se rua dans son lit sans attendre. Ses bras encerclèrent son cou, pendant qu'il murmurait sans relâche :

— Merci, merci pour mon papa !

Elle n'eut pas le cœur de repousser le petit corps blotti contre sa poitrine. La mère, dont les yeux témoignaient sa reconnaissance, lui apprit que son mari était à l'hôpital de la ville. En bonne voie de guérison. Sur la requête de Tom et du maire, elle n'avait pas raconté l'intervention de Flore.

De son côté, le vieil homme, d'habitude plutôt volubile, demeurait silencieux. Son air absent l'étonna : elle ne l'avait jamais vu autant préoccupé.

Quels soucis le perturbent à ce point ?

Elle se morigéna, les affaires d'autrui ne la concernaient pas. Son attention se reporta sur Samy, assis sur le lit, ses bras autour des genoux. Il lui avait posé une question.

— Excuse-moi, j'ai eu un moment de faiblesse. Que me demandais-tu ?

— Si tu soigneras nos princes quand on les retrouvera ?

— Samy, n'importune pas notre amie, brusqua la mère. Le travail m'attend et toi l'école.

Elle coupa court aux protestations de son fils et l'emmena comme si elle fuyait le feu. Le vieil homme la suivit. Lorsqu'il lui rappela de se reposer juste avant de sortir, Flore grommela.

Je suis totalement guérie !

Demain, quoi qu'en dise le docteur, elle rentrerait et reprendrait son rituel contemplatif du soleil d'Aurora. Ses pensées divaguèrent vers sa planète natale, un étau étreignit son cœur. Il demeurait aussi douloureux qu'à la première seconde de son exil. Son monde lui manquait, ses amis lui manquaient. Des larmes roulèrent sur ses joues au souvenir d'une fête de la Moisson. Même Tojian lui manquait, ce compagnon qui s'était révélé durant cette guerre.

Quelle terrible ironie !

Malgré son esprit concentré sur son passé, une étrange discussion entre le maire et le médecin, présents dans la maison, l'atteignit. Elle la détourna de sa tristesse.

C'est un drame pour Dalghar, décréta le vieil homme. L'accident a eu lieu il y a quatre jours et les secours ne parviennent pas à les localiser. Tom, quelles sont leurs chances de s'en sortir ?

Difficile à juger. Tout dépend s'ils ont été blessés ou non. De l'état de l'aéronef, de l'existence d'un abri à proximité, ainsi que des moyens de se chauffer et de se nourrir. Heureusement, les appareils sont pourvus de kits de survie.

Oui, mais il y a les tempêtes d'hiver ! Elles empêchent de détecter leur avion.

Gardez espoir, notre technologie est perfectionnée. Ils volaient vers l'île du duc Belnog et pourraient ne pas être si éloignés des plaines, cela faciliterait les recherches. Pensons aux habitants. Que leur raconterez-vous ?

Ce que le palais nous conseille de communiquer, les maires étant informés des progrès régulièrement. D'ailleurs, il est temps de partir.

Flore se redressa d'un coup, une paume sur sa bouche, frissonnante. Le comportement du maire et les propos de Samy s'éclaircissaient. Les princes de Dalghar avaient subi un accident d'avion, la veille de son propre réveil, et ils étaient introuvables.

Elle se rendit à la fenêtre. Dehors, le disque astral à la couleur plus vive que celle du soleil d'Aurora émergeait au-dessus de l'horizon. Un spectacle magnifique. Pendant qu'elle se perdait dans la contemplation, les souvenirs du spatioport lui revinrent. Les Dalghariens l'avaient sauvée des mains de Xénon d'Astrydie, un monstre qui avait préféré la voir morte plutôt que de la laisser fuir. Et maintenant, ses hôtes prenaient soin de son peuple. Ses poings se crispèrent, elle avait une dette envers eux.

À mon tour de les secourir, plus question de me cacher ni d'échouer !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top