Pour la célébration du Nouvel An, Flore s'habilla de sa tenue d'apparat auroréenne, identique à celle portée à la dernière fête de la Moisson : une longue robe vert pâle, rehaussée d'une ceinture orange pastel, et ornée de la fleur de llyriah.
Les exilés la lui avaient offerte plusieurs années auparavant. Cependant, elle ne l'avait jamais revêtue, tant les souvenirs douloureux submergeaient ceux du bonheur. La décision de Kris avait modifié ses états d'âme, et un sentiment de nostalgie l'habitait, teinté de l'impatience de revoir son monde.
— Et toi aussi, petit frère, murmura-t-elle au tableau de Sojeyn au mur. J'admirerai ton spectacle des oiseaux en réel avec nos amis.
Sauf Tojian et Fenigal, le doryaumi d'Australeia, ils s'étaient sacrifiés afin de sauver Aurora. Combien de victimes découvrirait-elle ? Un frisson la parcourut. Toutefois, elle refusa d'imaginer le pire comme le suggérait Idsou.
Demeurer positive sur l'avenir comptait plus.
Kris l'avait informée qu'ils partiraient d'ici deux mois, le temps de terminer les préparatifs et de mettre le gouvernement intérimaire en place pendant son absence. À force de persévérance, il avait réussi à convaincre le Parlement de laisser Amélia diriger la planète avec l'aide du Conseil restreint, et il avait de nouveau accepté de ne pas exposer sa vie à leur requête. Néanmoins, c'était surtout pour rassurer sa compagne.
Flore admirait le courage de la reine qui, non seulement, approuvait la décision de Kris ; mais aussi apprenait le « métier » en urgence. Ses années auprès de son père, ambassadeur de Dalghar sur Ores, s'avéraient très utiles.
Il ne reste plus que toi, Idsou, à persuader, songea-t-elle en attrapant sa cape d'hiver.
Au même moment, une musique à l'entrée se déclencha. Qui désirait lui parler juste avant la soirée ? Elle ouvrit la porte par la pensée, accompagnée d'un geste de la main. Le couple responsable du village pénétra dans le salon.
— Nous te saluons, lui annonça l'Auroréenne, et sommes heureux de te voir enfin porter ta robe d'apparat.
Ses lèvres se crispèrent devant les prunelles brillantes de son interlocutrice et le reflet de ses cheveux plus accentué. Elle n'avait jamais imaginé les avoir tant attristés à célébrer leurs fêtes dans une simple tenue.
Pourquoi n'ai-je pas montré plus de considération pour eux ?
— Tu ne nous devais rien, assura le compagnon d'une voix douce. Chacun prend le temps nécessaire à panser ses blessures. Veux-tu bien venir dehors ?
Son visage l'avait trahie. Elle sourit à l'Auroréen avant de sortir dans l'air froid piquant, puis s'immobilisa, stupéfaite. Les villageois l'accueillaient, une main posée sur la poitrine. Le responsable déclara :
— Cette fête ne nous concerne pas. Cependant, nous te prions d'apporter nos vœux au couple royal et de le remercier pour sa décision de secourir notre planète.
La communauté demeurait réservée, malgré ces cinq années sur Dalghar. Quoi d'étonnant ? Elle-même avait systématiquement décliné les invitations de Kris et Amélia. Si elle excluait le dernier anniversaire du roi, où l'intérêt de l'enquête l'y avait conduite, la célébration du Nouvel An ce soir était sa première participation à la vie des nobles.
— Je n'y manquerai pas, répliqua-t-elle. Souhaitons de vivre la prochaine fête de la Moisson sur Aurora.
— Que Kilyan t'entende, répondirent les villageois, et vous mène vers la victoire.
Durant ce recueillement, Flore chassa une mèche importune. Ses doigts effleurèrent alors des sillons humides sur ses joues. Elle avait pleuré. Ces larmes ne signifiaient toutefois pas la tristesse, mais l'émotion de cet instant solennel.
Sitôt le départ des Auroréens, elle se téléporta à proximité de la terrasse du palais. Des torches sur le pourtour diffusaient un léger parfum de fruits acidulés, et les flammes chauffaient si bien l'air, qu'elle ouvrit sa cape.
Des chaises longues tournées en direction du lac gelé titillèrent sa curiosité, Amélia ayant refusé de lui donner le programme de la soirée. Dessus, les invités s'enveloppaient dans d'épaisses couvertures tandis que leurs discussions joyeuses s'envolaient vers les trois lunes. Les astres célestes veillaient sur eux avec indulgence.
La paix a repris sa place légitime.
Flore se dirigea vers la première rangée où se trouvait le couple royal. Quand Amélia lui montra un siège vide, elle aperçut les Kaliornais. Tous la saluèrent : un signe de la main chez les cousines, assises entre Kris et Mohann, un simple hochement de tête pour Eogaun derrière elles. En revanche, Idsou brillait par son absence.
Une pantigra préfère l'ombre. J'espère que tu nous observes depuis la forêt.
Restait Brian : celui-ci les rejoignait.
— Tu te mets avec nous ? l'interpella Amélia.
Il effectua une petite révérence.
— Comme il te plaira, ma chère belle-sœur. Tes désirs sont mes ordres.
— Éternel charmeur ! En plus du départ de Kris, je regretterai tes impertinences.
— Ou peut-être pas. Après la libération d'Aurora, tu me retrouveras et je te rappellerai les paroles de ce soir... au cas où tu me reprocherais mon attitude un peu trop insouciante.
Le cœur de Flore se serra à leur rire complice. Il l'excluait. À cette peine s'ajoutait le venin d'un tourment sournois : le prince prévoyait de revenir sur Dalghar. Que devenait le Lien entre eux ?
Pourquoi ne nous rapproche-t-il pas ?
Une énième fois, elle s'interrogeait à son sujet alors qu'elle l'acceptait enfin. Si l'avenir pour sa planète et sa famille s'éclaircissait, celui avec Brian, au contraire, s'obscurcissait. Une opposition ironique.
Et si douloureuse.
Une question d'Amélia, adressée au jeune homme, l'arracha à ses pensées :
— Ne trouves-tu pas la robe de Flore magnifique ? Quelle tristesse de la découvrir si tard !
Dans la pénombre, les torches jetèrent des reflets mystérieux sur le visage de Brian tandis qu'il détaillait sa tenue. Lorsque leurs regards se croisèrent, il détourna aussitôt le sien. Le ton sec contredit le compliment qu'il lui fit :
— La princesse d'Aurora éclipse toujours le soleil, quels que soient ses habits. Mais intéressons-nous au spectacle.
Il s'installa derrière Amélia, plutôt qu'à ses côtés, les yeux rivés au lac. Le froid et le chaud se battirent en duel dans son cœur.
Je ne le comprends vraiment pas.
Le moment était mal venu d'essayer. Elle chassa donc sa frustration et attendit le début de la représentation, l'esprit ouvert à la nouveauté.
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