C28 - Espoir (1/4)
Les lames à double tranchant des électases claquèrent une nouvelle fois, et Flore encaissa le contrecoup dans ses bras, dents serrées.
Tous ses muscles protestaient leur douleur.
Elle l'ignora et recula de quelques pas, scrutant l'adversaire avec attention pour anticiper au mieux ses gestes. Or, Brian valait Akeno au jeu de « l'attitude impassible quelle que soient les circonstances ». Seul un sourire en coin trahissait ses émotions, tant il barricadait son esprit. Et cet excellent escrimeur brillait par sa fraîcheur, alors qu'elle transpirait à grosses gouttes sous le plastron d'entraînement.
Jamais je ne parviendrai à l'abattre.
Flore s'admonesta pour les propos défaitistes et resserra ses doigts sur la poignée de son épée, dans l'attente du prochain assaut. Il ne tarda guère. Elle esquiva l'arme d'un bond, riposta, mais son électase ne rencontra que le vide : Brian s'était glissé dans son dos grâce à une roulade au sol. Il l'attaqua à peine debout. Flore repoussa in extremis la lame, le cœur affolé, puis son erreur lui sauta aux yeux. Elle s'était découverte. Une erreur dans laquelle s'engouffra le prince, dont la jambe la frappa dans le flanc. Si le rude choc la déséquilibra, elle évita la chute.
Se morigénant pour sa faute, Flore se repositionna au centre. Elle voulait recommencer. Brian ne l'entendit pas de cette oreille, il cessa le duel d'un salut avec l'électase et annonça :
— Tu es prête à combattre les Astrydiens.
— Je viens de perdre, contredit-elle d'une voix essoufflée.
— Nous ne sommes pas allés jusqu'au bout, donc tu ne peux pas dire lequel de nous deux aurait vraiment gagné. D'ailleurs, si j'emploie les techniques au corps à corps, toi tu as la possibilité d'électrocuter ton ennemi.
C'est vite oublier les brouilleurs !
Brian le savait parfaitement. Flore ne le lui rappela pas, persuadée qu'il avait retenu sa frappe et concluait l'entraînement de manière élégante. Un autre signe de son caractère prévenant. Toutefois, il emporta les armes afin de les mettre à l'abri sans un regard pour elle.
Le champ de sécurité autour de la zone de combat se désactiva, et les applaudissements de Kris et des gardes du corps kaliornais s'élevèrent dans la salle d'escrime. Le premier déclara :
— Je rejoins l'avis de mon frère. Ta convalescence est terminée, tu as récupéré tes capacités physiques.
— Un beau duel, approuva Eogaun. Vous êtes deux adversaires redoutables.
Brian qui avait fini de ranger les électases revint vers eux.
— Je vous renvoie le compliment ainsi qu'à Idsou. Vous m'avez vaincu sur Kaliorn, et leurré pendant mes recherches.
— J'en suis désolé, ma présence et mon identité doivent rester secrètes.
— Sauf avec certains, lesquels n'ont pas daigné me mettre dans la confidence par la suite !
Flore se raidit : le ton amer la blessait mieux que ne l'aurait fait la colère. Il attisait sa culpabilité, au point de ne pas protester.
— Qu'auriez-vous choisi entre laisser un allié dans l'ignorance ou trahir une promesse ? objecta Idsou sèchement.
— Ne sois pas injuste, renchérit Kris.
— Quant à toi, pourquoi n'as-tu pas partagé avec moi le secret au sujet de Sojeyn ? Que Flore, afin de protéger son frère, ne me détrompe pas sur son décès, je le conçois. Mais pas toi ! Pareil pour la résistance, et cela prouve que j'avais raison sur leur existence.
— Avec mon accord, Kris a raconté mon histoire, défendit-elle. Il ne la connaît en détail que depuis le démantèlement.
Brian ouvrit la bouche, puis pinça les lèvres avant de s'exprimer d'un ton neutre.
— Veuillez m'excuser, je pars au spatioport aider aux préparatifs de notre voyage.
Sans attendre une réponse, il quitta la salle d'escrime à grandes enjambées, comme s'il fuyait un ennemi.
Ou plutôt une souffrance interne, s'attrista Flore.
— Pardonnez à mon frère, la mort d'Iliane l'affecte beaucoup.
— Il se demande comment il aurait pu éviter ce drame, affirma Idsou. Apprendre à ne plus culpabiliser est une étape nécessaire pour avancer.
Le ton douloureux du Kaliornais l'intrigua. Il avait baissé les yeux et serrait tant ses poings que ses articulations blanchirent. Quand Eogaun posa une main sur l'épaule du garçon, il se détendit.
Un secret le hanterait-il ?
Pourtant, la seconde d'après, Idsou affichait un tel visage empreint de sérénité qu'elle en douta. Ou simulerait-il ? L'absence de masque, remplacé par un fond de teint semi-permanent qu'Amélia lui avait fourni, ne le dérangeait pas. Dès que son amie le lui avait proposé, le Kaliornais avait accepté. La résistance à l'eau était idéale pour une personne qui vivait sur et dans la mer. Eïreen avait confirmé l'inutilité de cet artifice sur sa planète, excepté chez les criminels : il dissimulerait les magnifiques arabesques dorées.
Grâce à ce stratagème, Idsou continuait à protéger son identité avec plus de discrétion et de liberté.
Il est impossible de déterminer son origine.
— Pourquoi ne montres-tu pas tes oreilles ? interrogea Flore. Elles ne te trahiront pas.
Le garçon la fixa, comme si elle avait proféré une horreur, et les mots semblaient se bloquer dans sa gorge. Eogaun parla à sa place :
— Il y a plusieurs millénaires, les Fouxians ont envahi Kaliorn. Pendant des siècles, ce peuple à l'allure de renard avec des pouvoirs psychiques a asservi le nôtre. Nous servions juste d'esclaves, cantonnés aux tâches les plus viles. Nous sommes parvenus à les chasser, car notre résistance s'organisait dans les profondeurs des océans, lieux inaccessibles à l'ennemi. Mais une descendance par croisement existe. De nos jours, rares sont les Kaliornais possédant des particularités physiques de cette espèce.
— Et ils sont rejetés, ainsi que leurs kiriahs, supposa Flore, indignée. Les enfants ne doivent pas payer pour le passé.
Les deux hommes, mal à l'aise, opinèrent d'un signe de tête. Quelle maladresse de sa part ! Comment la rattraper ? Kris la sortit de ce mauvais pas :
— Les Fouxians ont tenté de s'emparer à nouveau de Kaliorn, à une époque où les pourparlers pour la création de la Confédération balbutiaient. Cet évènement accéléra le processus et les cinq autres planètes fondatrices vinrent au secours.
— Depuis nous ne craignons plus ces monstres, conclut Idsou.
Grâce à l'adhésion, celle qu'elle avait tant désirée, et que son père avait abandonnée. Un étau douloureux autour de la gorge, Flore murmura :
— Si Aurora avait intégré Aequalis, nous ne serions pas sous le joug des Astrydiens.
Idsou effleura le dos de sa main. Le toucher, aussi léger qu'une plume, dissipa sa tristesse et lui apporta une douce chaleur.
— Enlève ce poids inutile sur tes épaules, l'encouragea le garçon. Tu n'as pas à te punir pour une erreur de ton Conseil. Tourne-toi vers l'avenir, puisque Dalghar a décidé de t'aider.
Empathe ? s'étonna Flore avec un frisson glacial.
Le pouvoir psychique de ressentir les émotions d'autrui et de les soulager constituait un kiriah à double tranchant : le porteur pouvait se détruire, s'oublier afin de sauver celui ou celle en souffrance.
Surtout sans formation.
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