C27 - La subalterne (4/4)
Alors que Kris tentait de dénouer les fils du problème, Brian s'adressa à Flore :
— Tu t'égares, ma jumelle n'a rien à voir dans l'assassinat de mes parents, de ses parents. Toutes les évidences pointent vers Mohann.
— Je suis médecin, se défendit la doyenne. Mon métier est de sauver et non de tuer.
— Mauvaise excuse, tu ne serais pas la première. Quand je pense que je t'accordais ma confiance.
— Cela suffit ! cingla Kris. Vous possédez sûrement tous les deux des preuves à charge ou à décharge. Il existe un moyen de vérifier. Les interroger, grâce aux pouvoirs psychiques de Flore.
— Je ne me soumettrais jamais à une personne qui m'accuse de meurtre, siffla sa sœur. Renardeau, soutiens-moi ! Ne vois-tu pas qu'elle défendra Mohann ?
— Tigron, tu ne connais pas...
Brian devint soudain muet, comme si on lui avait arraché la langue, alors que ses yeux s'écarquillaient, se remplissaient d'horreur. Qu'avait-il réalisé ?
— Pourquoi ? cria-t-il. Tu es la chef des Néofeles... Tigron ! Le sceau de ton organisation comporte un tigre, surmonté d'une couronne pour la reine. J'avais la réponse depuis le début. Quel imbécile j'ai été !
Au lieu de s'expliquer, sa jumelle, tel un animal acculé, extirpa une électase de sa large ceinture et se rua vers Flore. La réaction rapide de celle-ci à dégainer ne permit pas à Iliane d'activer un des halos. Le combat démarra. Kris ne pouvait l'arrêter sans risque.
Il me faudrait un pistolet laser.
Les ennemies tournoyaient l'une autour de l'autre, attaquaient dès qu'une ouverture s'offrait, se redressaient, repartaient à l'assaut. Leurs traits durs prouvaient leur volonté d'en finir. Elles en oubliaient leur environnement, tant que la haute table valsa au sol et qu'un grand fracas de vaisselle brisé s'en suivit. Un point étonnait Kris. Pourquoi Flore n'utilisait-elle pas ses pouvoirs psychiques ?
Iliane a dû déclencher un brouilleur.
La souffrance transpirait sur le visage de Flore, un manque de fluidité gênait ses mouvements. Elle perdait du terrain. Quand Idsou voulut porter secours à son amie, Brian le bloqua de son bras. Le bruit l'avait sorti de sa torpeur.
— Iliane, cesse immédiatement ! ordonna-t-il.
Sa sœur l'ignora, redoublant même ses assauts. La violence à chaque choc résonnait aux oreilles de Kris. Son benjamin ne s'en laissa pas pour autant compter et s'interposa entre les deux combattantes, électase activée, à un moment où elles s'éloignaient l'une de l'autre. Elles abaissèrent leurs lames. Brian martela à Iliane :
— Enfin, tu retrouves tes esprits. Donne-moi ton arme.
Elle le fixa d'un air buté, puis éteignit son électase. Son frère et Flore l'imitèrent. Kris en fut soulagé, malgré le goût amer dans sa bouche face à l'ignominie d'Iliane. Tant de questions demeuraient en suspens. Peut-être répondrait-elle plus aisément à son jumeau ? Elle s'avançait d'ailleurs tête baissée vers lui.
Une diversion et non une capitulation !
Elle avait envoyé Brian à terre d'un coup de pied avant qu'il ne récupère son électase, et se ruait sur Flore qui rejoignait Mohann. Un cri d'alerte retentit. Leur amie se retourna. Pas assez vite pour empêcher d'être touchée au flanc, mais assez pour se défendre. Sa lame transperça la poitrine découverte d'Iliane.
Les deux combattantes s'écroulèrent au sol, vaincues.
Kris s'accroupit auprès de sa cadette, une tâche sanguine s'agrandissait sur le tailleur d'un rouge plus pâle. Il chercha l'avis de Mohann du regard, dont le visage fermé parla pour elle. Son cœur se crispa. Pourquoi sa sœur si têtue avait-elle persisté ?
— Pourquoi ? s'écria en écho Brian qui tenait Flore, évanouie.
— Comment en es-tu arrivée là ? renchérit Kris plus doucement. À trahir notre amour ? À tuer tes propres parents !
Un éclair de défi traversa les yeux de sa cadette, qu'il serrait contre lui. Son corps frissonnait, la mort s'invitait déjà dedans. Iliane, certainement consciente de son destin, se confia d'une voix affaiblie :
— Je ne partage pas vos avis envers les roturiers et les exilés... vous mettez le peuple en danger avec leurs pouvoirs psychiques... Le duc m'a appris à dissimuler mes idéaux... Sur Ores, j'ai perfectionné... l'art de la duperie.
Quand elle se tue pour reprendre son souffle avec une grimace de douleur, Kris compléta :
— Belnog et toi avez convenu que tu serais la prochaine reine, sauf que tu n'imaginais pas l'intervention de Flore. Grâce à ses dons, elle m'a sauvé la vie et elle a aidé Brian à découvrir la vérité. Je suppose que son enlèvement est une décision de dernière minute.
Sa sœur opina avant d'enchaîner :
— Elle voyagerait... vers Aurora sans... ce maudit garde secret. Comment avait-elle... deviné pour le poison ?
— Nous ne le savions pas, informa Amélia, accroupie à ses côtés. Flore et moi voulions juste monter une petite scène afin de te déstabiliser.
Les lèvres d'Iliane qui bleuissaient affichèrent un rictus. Elle réalisait son erreur : si elle n'avait pas paniqué, elle vivrait et aurait essayé de vaincre les pouvoirs de Flore, preuve de sa méconnaissance de leur puissance et de son arrogance. Kris préféra ne pas le lui avouer.
— Après notre élimination, comptais-tu assassiner ton jumeau ? Mohann ? Tu croyais t'en sortir en toute impunité ?
Sa cadette toussa et quelques crachats de sang maculèrent sa tunique.
— Avec la partie de la garde royale... m'ayant juré fidélité... nous aurions accusé la princesse des exilés de votre meurtre... sa disparition renforcerait notre position... Brian... je n'aurais pas touché un de ses cheveux... il avait accepté de régner avec moi.
— Jamais je n'ai dit cela, protesta celui-ci.
— Aurais-tu oublié... notre discussion le soir... lorsque nous fêtions... le démantèlement des Néofeles ?
— Je plaisantais... Par les Ancêtres, le siège du roi chez Belnog m'était destiné ! Il n'avait pas de visée si haute, et tu m'as leurré sur la terrasse, tu ne voulais pas que je déduise ton plan.
Sa jumelle prit une grande inspiration avant de débiter d'un trait :
— Je t'aime, Brian. Tu es l'unique homme avec lequel je désirais vivre, mais tu t'es entiché d'une exilée. Nous aurions réalisé d'immenses choses ensemble.
Un amour incestueux ? Aucun d'entre eux ne l'avait remarqué, encore moins le concerné. Son benjamin refusait de croiser le regard d'Iliane. Il refusait sa dernière requête. Kris ne tenta pas de le convaincre et essuya les joues humides de sa sœur. Elle lui décocha un sourire empreint de souffrance.
— Mourir vaut mieux... que la prison du reboot... Mourir vaut mieux... que de le voir à son bras.
Sur ce rejet de rédemption, sa tête retomba contre lui.
Kris enfonça ses ongles dans sa paume. Malgré son obsession malsaine pour Brian, sa cadette n'aurait pas réussi à exécuter ces actes insensés si Belnog ne l'y pas avait entraînée.
Et surtout sans les ressources des Astrydiens.
Personne ne les empêcherait d'assouvir leurs plus viles ambitions, sauf lui, avec l'aide de son frère, quitte à enfreindre les lois de la Confédération si nécessaire.
Il aura fallu autant de morts pour me décider !
Amélia, soutenue par Idsou, pleurait. Des larmes chaudes roulaient aussi sur ses joues glacées. Elles dispersaient leurs douleurs, elles soulageaient leur cœur en peine, même si lui devait porter son fardeau de culpabilité à jamais.
Mais qu'en était-il pour Brian ?
Les yeux hagards de son frère fixaient Iliane, alors que ses lèvres tremblaient. Une main de Mohann sur son épaule le fit sursauter. À l'instar d'une marionnette dont la doyenne tirerait les fils, il se releva et partit avec elle.
Flore, la malheureuse princesse d'Aurora, blottie contre son torse.
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