C25 - Le démantèlement (3/4)

La remarque toucha un point sensible chez le duc : il se dégagea en partie de son contrôle. Les poings serrés, les yeux brillants, il cracha :

— Jusqu'à ce qu'ils émettent l'idée révolutionnaire, suivant leurs propres mots, d'ouvrir par étapes les portes de la noblesse aux roturiers, lors d'un déjeuner privé dans mon château. Une hérésie, en fait ! Regardez comment ces rustres ont échoué à sauver ma femme et mes enfants.

— Au vu de son état, votre famille n'avait pas été évacuée au centre médical du palais comme le désiraient mes parents, plaida Kris, mais les meilleurs médecins s'occupaient d'eux. Ceux parmi la noblesse n'auraient pas plus réussi.

Belnog chassa l'argumentaire d'une main.

— J'ai tenté de les alerter, de les ramener dans le droit chemin au travers du Premier conseiller. Ce faible a osé m'ignorer, il les a même encouragés ! Je dois néanmoins reconnaître qu'ils sont parvenus à semer le terreau de la révolution. Bien entendu, pas celui qu'ils espéraient. La patience et le travail m'ont conduit à la création des Néofeles avec un noyau de mécontents. Ensuite ? Si vous m'aviez nommé Premier conseiller, j'aurais juste manœuvré pour contrarier votre mariage et renforcer le pouvoir de la noblesse. Non seulement vous avez conservé cet incompétent, mais vous avez déclaré vos intentions de poursuivre les idées folles de vos parents. Par cet acte insensé, vous signiez votre arrêt de mort.

Que la violente harangue eût soulagé ou épuisé le prisonnier, il céda au contrôle psychique. Flore s'imposa à nouveau dans son esprit. En revanche, Kris se laissa tomber dans un fauteuil. Les flammes de la cheminée éclairaient son visage pâle. Être trahi par une personne en qui l'on donnait toute sa confiance avait de quoi secouer.

Et le parfait double jeu de Belnog accentuait la brutalité des aveux.

Malheureusement, le temps manquait au roi pour se remettre du choc. Elle rappela à Brian les limites de son pouvoir. La résistance du duc et la douleur la fatiguaient plus vite qu'elle ne l'avait figuré. Son ami ne se fit pas prier deux fois.

— Où sont organisées les réunions des Néofeles ?

— Dans une pièce secrète au sous-sol de ce château, on y accède d'ici. Chaque membre possède un sceau.

— Ouvrez la porte !

Tel un pantin, Belnog s'approcha de la cheminée. Il réalisa les mêmes gestes que Brian chez Glayon, à l'aide d'un bijou en forme de disque accroché à son cou et de la lumière des flammes. Flore, glacée, échangea une brève pensée avec son ami :

Si Darin n'avait pas récupéré la chevalière de son frère, les Néofeles auraient découvert son secret avant nous !

Pas certain. Margiani n'a jamais apprécié le duc, son instinct de mère la guidait.

Le son d'une porte qui se déclenchait sur le mur à côté de l'âtre ramena Kris avec eux. Il attrapa deux lampes cylindriques sur les guéridons, en augmenta la puissance, et en passa une à Brian. Lequel dégaina un pistolet laser. Flore le suivit avec Belnog, Kris derrière elle. Ils descendirent un escalier en colimaçon.


— Pourquoi tout ce blanc ? souffla Brian, pendant qu'il rangeait son arme.

Il ne s'adressait pas au duc en particulier, mais il répondit.

— La pureté des nobles protège les Néofeles contre les souillures de la famille royale et des roturiers.

Son ami éclaira le siège le plus proche : un tigre à dents de sabre surmonté d'un nom était gravé dans le bois. Il effectua le tour de la table, chacune des chaises avait un propriétaire. Le conseiller ne fut toutefois pas cité, comme le signala Kris. Brian braqua en réponse sa lampe sur les deux dossiers les plus éloignés.

— Le roi, la reine, lut son aîné. Belnog s'est couvert jusqu'au bout, ainsi que Mélinda. Elle ne serait donc pas une subalterne ! Notre cher duc tient les dissidents dans sa main avec ce moyen, et eux n'ont rien contre lui.

— Je ne serais pas surpris si l'épaisseur des murs bloquait tout rayonnement électronique. Pas de photo, pas d'enregistrement possible, sauf par lui. Vérifions nos hypothèses.

Avant que Brian ne puisse questionner le captif, Flore cria. Une douleur fulgurante avait déchiré sa tête. Son contrôle vacillait. Belnog profita de l'occasion : il s'empara d'elle par le cou. Elle agrippa son bras, suffocante, trop faible pour se téléporter.

— Ne bougez pas où je la tue, siffla son bourreau. Vous n'auriez pas dû vous reposer sur votre exilée. Encore une preuve de vos errances !

— Soyez raisonnable, martela Kris, ma garde vous empêchera de vous enfuir. Vous n'avez même pas d'arme.

— Permettez-moi de vous détromper !

Flore gémit quand le vieil homme la tira en arrière. Son cœur s'emballa. L'étreinte l'asphyxiait de plus en plus. Il allait l'assassiner ! Elle cherchait l'air, si précieux, en tentant de desserrer l'étau. En vain. À chaque essai, le duc contrait, et ses poumons brûlaient. Un horrible cercle vicieux qu'il lui fallait rompre.

Ta panique te tuera avant lui ! Il te gardera en vie tant qu'il aura besoin de toi. Calme-toi !

Elle ferma les yeux et se focalisa sur les gestes du conseiller. Un clic. La porte d'un placard qu'on ouvre. Le frottement d'un objet retiré de son support. La pression d'un embout froid contre sa tempe.

Un pistolet laser !

Belnog relâcha un peu son bras. Une profonde respiration salvatrice, et Flore souleva les paupières. Brian la fixait avec un mélange d'inquiétude et d'étonnement.

Il se demande pourquoi je ne me téléporte pas, ce qui lui permettrait d'agir.

Impossible sans énergie. D'ailleurs, ses jambes flageolaient. Le duc devait la soutenir tandis qu'ils reculaient vers l'escalier en colimaçon. Il existait pourtant une source inépuisable face à elle.

Le Lien, comment l'oublier !

Elle prétexta aussitôt un malaise plus intense. Pendant que Belnog grognait, déséquilibré, elle activa sa perle qui projeta un éclair blanc. Les flux d'énergie de Brian se connectèrent aux siens. Elle y puisa juste assez pour se transporter à ses côtés. Sans l'affaiblir. Son ami dégaina et tira sur leur adversaire, il le toucha au poignet.

Dès que le duc lâcha son pistolet, Kris proclama :

— Vous avez perdu, Belnog. Les Néofeles vont disparaître, avouez votre rôle si vous désirez obtenir ma clémence.

— Vous vous trompez, d'autres prendront la relève et régneront au grand jour. Dans une semaine, un mois, un an, peu importe.

Il s'interrompit. Malgré sa défaite, il conservait un ton plein de morgue.

Un visage plein d'assurance.

Flore fronça les sourcils devant son étrange attitude, alors que le vieil homme s'avançait dans la pièce. Il écarta les bras et tourna sur lui-même. Son discours théâtral reprit.

— Ce sera ma vengeance personnelle après ma mort. Ne suis-je pas dans le meilleur endroit pour tirer ma révérence ?

À peine avait-il terminé qu'il portait une main à sa bouche. Un poison certainement récupéré dans l'armoire.

— Par les Ancêtres ! jura Brian en se ruant sur le prisonnier.

Il essaya de le faire recracher. Trop tard. Le duc s'écroula au sol, où il se convulsa avant de s'immobiliser.

Un rictus de victoire sur les lèvres.

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