C25 - Le démantèlement (1/4)
Dès le lever du soleil à l'est du lac, Flore s'était installée sur le balcon de sa suite. Elle n'avait pas eu le cœur d'effectuer son rituel après une nuit blanche à ressasser son échec, incapable de soulager cette souffrance qui lui empoisonnait l'âme.
Incapable de la déverser.
Lorsqu'un nouveau frisson de douleur la parcourut, elle glissa les doigts sur la soie de sa longue robe de chambre. Avec le désir d'absorber la chaleur du tissu. S'enrouler dans ce vêtement était une autre habitude pour calmer sa peine. Le cadeau d'Amélia, à son premier anniversaire sur Dalghar, avec sa couleur bleu-gris et les broderies de la fleur de llyriah en filigrane, lui remémorait les habits de sa jeunesse.
Le souvenir la rasséréna un peu.
Assez pour noter soudain des voix sur la terrasse du rez-de-chaussée, des bruits de tasses et des odeurs de café. Elle se pencha par-dessus la rambarde. Iliane, dans son élégant ensemble-pantalon rouge sombre, animait le petit déjeuner avec les représentants des planètes fondatrices. Le rire grave de Gaudeo, voilé de Pacera et cristallin d'Aïreen ponctuaient ses propos. Seuls Eïreen et Eogaun restaient silencieux.
Flore avait décliné l'invitation transmise par un serviteur.
J'aurais gâché leur repas avec ma tristesse.
Elle se recula dans son fauteuil, son visage offert aux doux rayons de l'automne. Alors qu'elle s'assoupissait, la musique de la porte d'entrée résonna. Terminer sa solitude ! Avec un soupir agacé, elle commanda l'ouverture à voix haute et alla à la rencontre de son visiteur. Un colosse à la peau grise couverte de fins sillons violets.
— Gaudeo ? Je vous croyais au petit déjeuner d'Iliane.
— Je voulais vous voir avant notre départ.
— Où vous rendez-vous cette fois-ci ?
— À la mer d'Edena. J'aurais dû écouter Kris, et venir sur Dalghar plus tôt ! Iliane s'occupe de nous comme une mère.
— Elle adore montrer sa planète aux convives du palais. Edena vous éblouira, mais vous ne m'avez toujours pas donné la raison de votre présence chez moi.
— J'ai perçu votre peine et souhaitais vous aider.
Une boule dans la gorge, Flore tourna le dos.
— Vous ne pouvez rien pour moi, murmura-t-elle.
— En es-tu certaine, grande sœur ?
Elle fit volte-face, le cœur fébrile. Son frère, au regard intense, se tenait devant elle : vivant ! Le temps et l'espace s'effaçaient, elle était de retour sur Aurora. Elle étouffa une exclamation, vacilla, trembla... avança enfin vers lui. Paumes tendues. Sojeyn posa les siennes dessus, elle les serra. Le geste fraternel de la reine Edjo et du gardien Lorin, qu'ils avaient adopté. L'adolescent lui souffla :
— Nous nous retrouverons. Pour cela, continue à te battre comme moi et à croire en tes amis de Dalghar.
— Mon dernier espoir a été détruit cette nuit, je suis face à un mur infranchissable. J'ai honte, mais j'éprouve l'envie de rejoindre nos parents dans le monde des Morts.
— Il m'arrive d'avoir de telles pensées. Personne n'exige de nous d'être infaillibles. Pleure, grande sœur, puis sèche tes larmes et repars sur le chemin de la victoire pour Aurora. Une autre solution surgira, j'en suis convaincu.
Le chagrin si nié explosa à ces paroles. Flore s'épancha dans ses mains, tête baissée, jusqu'à ce que le flot douloureux se tarisse ; jusqu'à ce qu'une paix intérieure envahisse son corps. Ils demeurèrent ainsi en silence.
La musique de sa porte la ramena à la réalité. Alors qu'elle essuyait son visage, les nouveaux visiteurs pénétrèrent dans le salon.
— Sojeyn ! s'écria Kris.
— Exactement comme sur le tableau chez toi, renchérit Brian.
Si les deux hommes fixaient le garçon, abasourdis, la remarque du roi l'étonna. Il n'était jamais venu dans sa maison au village ! Comment avait-il reconnu Sojeyn ? Peut-être en était-elle à l'origine.
Je l'ai décrit tellement de fois.
À moins que ce soit Pacera dans son rapport de mission sur Aurora que Kris avait épluché pour leur audience sur Ores quatre ans plus tôt ? Peu importait, de toute façon son frère ne ressemblait plus à l'adolescent d'antan.
— Sojeyn a presque le même âge que Brian, leur rappela-t-elle. Gaudeo se sert de mon souvenir de lui.
La main sur le cœur, elle s'adressa au Psylan :
— Je te remercie. Tu as soulagé ma peine, je reprendrai la lutte.
— Parfait !
Un halo mauve apparut autour du faux Sojeyn. Il s'estompa afin de laisser la place à la silhouette massive de Gaudeo. Elle contrastait tant avec celle filiforme de son frère que Flore ne retint pas un sourire. La voix grave du colosse résonna à nouveau :
— Je m'envole pour Edena, l'esprit tranquille. N'hésite pas à me rendre visite si tu le souhaites. Bonne journée à vous trois.
Sitôt qu'il eut abandonné la pièce, Flore s'excusa pour sa fuite en pleine nuit.
— Nous comprenons, la rassura Kris. Brian m'a raconté votre enquête. J'ai sous-estimé les nobles dissidents, les Néofeles comme ils se nomment. Assassiner le couple royal et signer un pacte avec les Astrydiens sont des actes qui ne doivent pas rester impunis ! Nous partons arrêter leur chef, le duc Belnog d'Iteria. Je sais que tu en as fait beaucoup, cependant...
Il se tut. Regard hésitant, renforcé par celui intense de son benjamin. La requête était limpide.
— Je vous aiderais, rétorqua-t-elle.
Le soulagement teinta les iris bleus de Kris. Il quitta le salon, pressé de donner ses ordres. Elle voulut le suivre, quand une remarque moqueuse de Brian l'immobilisa.
— Aurais-tu tendance à oublier tes tenues vestimentaires avec moi ? Je ne suis pas contre, mais tes habits d'Imlaya seront plus appropriés pour notre mission.
La chaleur lui monta aux joues. Elle se dématérialisa afin de se soustraire au velours noir empli d'étoiles qui la fixait.
Deux heures plus tard, Flore scrutait le paysage sous les ailes de l'avion militaire qui filait vers Iteria. Il avait déjà dépassé les montagnes Inofer au centre du continent principal de Dalghar. Leur voyage les emmenait à l'opposé d'Edena. La nature plus sauvage avec ses forêts à perte de vue n'en demeurait pas moins magnifique. Au loin, une mer d'un bleu foncé l'étonna. Elle interrogea Brian, assis à côté d'elle.
— Edena à l'ouest est constituée de sédiments clairs, d'où l'effet turquoise, lumineux. À l'est, l'eau recouvre des roches noires, l'éclaira-t-il.
— Je ne discerne aucun endroit pour atterrir.
— Nous rejoignons l'île principale qui appartient à Belnog. Elle possède son aérodrome.
— Arriverons-nous à temps ? Ne se sera-t-il pas enfui ?
— Dès que j'ai informé Kris en pleine nuit, mon cher aîné a ordonné à un contingent de la sécurité du palais de s'y rendre. À cette heure-ci, il est sur place et nous attend pour agir.
— Ce n'était pas risqué d'envoyer des gardes, si certains obéissent à l'ennemi ?
— Nous aurions perdu de précieuses heures en passant par la police, ce qui aurait permis à Belnog de s'échapper, et mon frère a convaincu le ministre de l'armée de fournir les avions. Un vrai ami, lui ! De plus, chacun des hommes ou des femmes a été sélectionné par lui, Kris et moi-même. Il nous faut abattre le duc au plus vite afin d'effrayer les nobles, beaucoup le soutiennent et ne croiront pas à sa trahison si nous n'apportons pas ses aveux. Ton aide sera décisive.
L'explication lui rappela l'interrogatoire prévu de l'Astrydien captif à l'université. Les Dalghariens employaient des drogues puissantes, mais très réglementées. Une solution impossible sur Belnog. Elle seule y réussirait... au risque de plonger dans la souffrance.
Un faible prix à payer, je résisterai !
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