C23 - Le tigre à dents de sabre (2/3)
Sur la poitrine étincelait une couronne. Elle surmontait un écusson sur lequel un tigre rugissait. À l'instar de...
— La chevalière de Darin ! s'écria Flore en se redressant. Repartons au plus vite chez Margiani.
— Tu veux retourner au haras ? Pourquoi ?
— Le félin de ma vision.
— Un tigre à dents de sabre, il assassine...
— Identique au sceau de Darin ! coupa-t-elle, véhémente.
Brian la scruta comme si des cornes lui avaient poussé sur le front. Elle s'expliqua :
— Je n'avais pas prêté attention à cause de la lettre, mais maintenant je le vois. Parfaitement net dans mon esprit.
Les lèvres de son ami dessinèrent une moue sceptique.
— En quoi existerait-il un lien entre ce bijou et ta vision ?
— Sur la cape du meurtrier, la tête de ce tigre apparaît, surmontée d'une couronne... une couronne semblable à celle sur la cheminée de Glayon.
Un sous-entendu au coffre qu'ils n'avaient pas trouvé. Elle soutint sans céder le regard que Brian avait plongé dans le sien. Devant son assurance, il annonça :
— Si je te comprends bien, la chevalière de Darin serait la seconde clef. Nous ne perdons rien à vérifier ta théorie. J'avertirai Kris demain.
Il indiqua le changement de destination à l'aérocar, et le véhicule descendit sur le niveau le plus bas. Aucun autre ne circulait dessus, ou plutôt, ils s'en servaient juste pour repartir dans le sens opposé par le tunnel adjacent. Le leur effectua la même manœuvre.
Sur le chemin, Brian informa Mohann de leur décision. Elle préviendrait le roi et Iliane de ne pas s'inquiéter de leur absence si jamais ils posaient la question, mais n'en dévoilerait pas les raisons. Inutile de leur donner de faux espoirs à l'avance.
Par Kilyan, pourvu que nous réussissions !
— Nous arrivons, lui déclara Brian, une demi-heure plus tard d'une voix excitée.
Des milliers de bulles d'euphorie la titillèrent en écho, tant qu'elles l'empêchaient d'admirer le soleil couchant sur la route du haras. Seule comptait l'imposante bâtisse qui s'agrandissait. Sitôt le véhicule à l'arrêt, elle se jeta dehors et courut derrière son ami jusqu'à la porte d'entrée. Il s'engouffra à son ouverture sans ménager le pauvre majordome.
— Où est Darin ?
— Dans sa chambre au premier étage, face à celle de feu Monsieur Glayon.
Les derniers mots, criés, les atteignirent alors qu'ils grimpaient déjà les escaliers quatre à quatre. Puis ils pénétrèrent dans le salon du cadet de la famille. Il regardait les informations, projetées sous forme d'image en trois dimensions au milieu de la pièce.
— Montrez-nous votre chevalière, ordonna Brian.
Bouche bée, le jeune homme obéit telle une marionnette. Quand Flore vit la tête rugissante d'un tigre à dents de sabre sur la surface du bijou, son cœur manqua un battement.
Je ne me suis pas trompée !
Son ami la félicita en pensée avant de s'adresser à Darin :
— Comment vous l'êtes-vous procurée ?
La question électrocuta son interlocuteur, car il riposta :
— Donnez-moi d'abord la raison de cette intrusion brutale !
— Je crois que votre sceau a un lien avec votre frère, intervint Flore. Nous aimerions en apprendre plus à son sujet.
Elle avait parlé d'un ton calme, même si elle ne le ressentait guère, mais il fallait obtenir la coopération du Darin. Lequel se détendit.
— Comment savez-vous cela ?
— Ce n'est pas le plus important, le bouscula Brian. Je vous ai informé, nous ne pouvons pas tout révéler pour votre propre sécurité.
Le jeune homme ignorait l'interruption, les yeux fixés sur Flore. Enfin, il répliqua :
— Glayon me l'a remise au moment de mon départ sur Markes, une semaine avant sa mort.
— Vous a-t-il dit quelque chose de particulier ? s'enquit-elle ?
Il baissa la tête et ses épaules s'affaissèrent.
— Comment ai-je pu oublier !
— Darin ? questionna Brian, radouci, tentant de briser le silence qui avait suivi l'aveu.
— « Garde ce sceau avec toi. C'est plus qu'un cadeau. Il forme le futur de notre famille », cita celui-ci. Sur le coup, je n'ai pas prêté attention à ses mots tant j'admirais la chevalière.
— Vous étiez habitué à ses tourments, à sa manière mystérieuse de s'exprimer. Heureusement que ce présent vous a plu, sinon...
— Il serait rangé dans un coffret avec mes bijoux et jamais vous n'auriez débarqué ici. Maintenant, je comprends ses paroles. Elles concernaient notre avenir à la suite de son décès, il savait avant mon voyage qu'il était en danger de mort. Oh, Glayon ! Pourquoi t'es-tu détourné de nous ? Qu'aurais-je dû faire pour éviter ce drame ?
L'atmosphère de la pièce se chargea de la souffrance du jeune homme. Elle s'infiltrait dans les recoins. Elle sonnait en écho à celle de Flore. Elle lui murmura :
— J'ai perdu aussi des proches sur Aurora. Tous les jours, je me demande où est mon erreur dans ma tentative de les sauver. Tous les jours, je culpabilise de me promener libre quand mon peuple vit sous le joug d'un despote. Dès mon arrivée sur Dalghar, je me suis enfermée dans mon monde. J'avais tort. Les princes m'ont secourue, et depuis que j'agis, ma peine s'adoucit. Soutenir la famille royale dans leur enquête me réconcilie avec moi-même. Choisissez cette voie, elle vous aidera à surmonter cette terrible épreuve.
Darin releva la tête. Malgré le sourire triste sur les lèvres et les prunelles embuées, il souffla :
— Qu'attendez-vous de moi pour prouver l'innocence de mon frère ?
— Il vous en a fourni le moyen, lui indiqua Brian. Ce sceau est une clef et nous connaissons l'endroit où elle doit être utilisée. Il se trouve dans cette maison. Venez.
Il prit le chemin des appartements de Glayon, accompagné d'un Darin estomaqué. Flore leur emboîta le pas. À l'intérieur du salon aux rideaux toujours clos, Brian se posta devant la cheminée et exigea la chevalière.
Le jeune homme s'exécuta sans questions. Les mains serrées l'une contre l'autre, Flore observa les gestes de son ami : il répétait ceux lors de leur première visite. Il attrapa la figurine sur le manteau, éclaira la face cachée à la lumière du jour, puis la tourna vers la hotte.
La couronne étincela à nouveau.
Elle semblait les narguer sur leur capacité à découvrir son secret.
— J'ai trente secondes pour déclencher le mécanisme, chuchota Brian d'une voix tendue.
Ô Kilyan, aide-nous !
Son ami aligna la surface de la chevalière sous le motif, après l'avoir, elle aussi, exposée au soleil.
Hélas, rien ne se passa !
Il recommença plusieurs fois, illuminant toutes les zones possibles. En vain. À chaque essai, Flore vacillait. Le découragement, poison vénéneux, s'insinuait un peu plus dans les veines.
— N'abandonnons pas ! intima Brian comme s'il avait ressenti son émotion. La solution se trouve là.
Il a raison, il existe certainement un autre moyen ! Lequel ?
— Et si vous éclairiez le sceau avec la statuette plutôt ? proposa Darin.
Pourquoi pas ? Brian avait accepté l'idée et l'appliquait déjà. Un disque blanc avec une tête de tigre se dévoila sur la hotte. Toutefois, aucun bruit ne se manifesta. Avaient-ils amorcé ou non le dispositif ? Les sourcils de son ami se froncèrent : il en doutait.
Il revint à l'image lumineuse au mur, la fixa un bref instant avant de poser le bijou dessus d'un mouvement déterminé. Quand un léger claquement se produisit, Brian annonça :
— Il s'agit de découvrir la porte.
— Le son provenait de la cheminée, ajouta-t-elle.
Darin écarta les rideaux en grand, et ils se partagèrent l'espace de recherches. De nouvelles minutes s'écoulèrent, pendant lesquelles Flore croyait percevoir la merveilleuse musique de son cœur. Elle se transforma en un hymne à la joie lorsque ses doigts touchèrent une trappe mobile au fond de l'âtre.
— Ici !
Sa voix n'avait été qu'un minuscule filet, à peine audible, tant l'excitation la paralysait. Elle toussota et répéta son appel. Cette fois, elle obtint une réaction. Le frère de Glayon éclaira la porte à l'aide de sa montre, tandis que Brian la tirait. Un papier immaculé, comme prisonnier des ténèbres, apparut. Son ami le saisit de ses mains tremblantes et le déplia dès qu'ils se furent tous les trois relevés. Des exclamations ponctuèrent sa lecture.
— Brian ? questionna Flore en chœur avec Darin au bout d'interminables secondes.
Il lui répondit dans un souffle en pensée :
— Ceci est la liste des Néofeles, le nom du chef en tête... notre cher duc Belnog !
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