C20 - L'alliance (1/4)

La lune verte abandonna la blanche dans leur lutte perpétuelle contre le jour, mais cette dernière serait bientôt vaincue par les premières lueurs orangées de l'aube sur l'horizon. Flore, debout au milieu du parc fleuri de l'université, sourit à l'apparition éphémère du soleil d'Aurora. Elle s'était changée le plus vite possible pour ne pas manquer son rendez-vous.

Quand l'astre s'estompa, elle se rendit compte de la présence de Brian. Il patientait près de la fontaine. Une douce chaleur naquit tout le long de sa peau sous son regard, elle effaça la nostalgie dans son cœur. Sans échanger un mot, elle se téléporta avec lui sur la place du palais.

Au pied d'aérocars.

Flore monta côté passager dans leur véhicule, et la porte coulissa. Pendant qu'il pianotait sur la console de bord, Brian l'informa. Le trajet durerait deux heures jusqu'à la demeure des parents de Glayon, où le jeune noble vivait. Du moins, il l'espérait. Sinon, il récupérerait l'adresse de son ami d'enfance. Il préférait ne pas appeler afin d'éviter que la communication soit interceptée. Ou d'affoler le garçon.

La famille possédait un des plus beaux haras de la planète, lui apprit Brian. Si les circonstances avaient été différentes, elle se serait réjouie de cette visite. Or, l'urgence prenait le pas sur le plaisir.

Ainsi que l'inquiétude d'échouer.

Par Kilyan, ne baisse pas les bras !

Au lieu de s'appesantir sur la mission, elle observa avec intérêt l'extérieur. Le véhicule, en conduite autonome, franchissait le portail sécurisé du domaine royal. Après quelques minutes sur une route, il s'engouffrait dans un vaste tunnel, puis se mêlait aux aérocars sur le niveau le plus haut. Des habitations se succédaient sous un ciel azur de part et d'autre.

— Comment cet appareil vole-t-il ? Je n'ai pas vu cela sur Ores ni lors de notre voyage à Edena. Et quelles sont ces maisons ?

— Une question à la fois ! Nous nous déplaçons sous terre. À Edena, j'ai joué de mon privilège pour suivre la côte, car les véhicules roulent aussi dans des tunnels. Le but est de protéger au mieux l'environnement. Un système électromagnétique, dont l'énergie renouvelable est fournie par les entrailles de la planète, permet leur « étalage » sur plusieurs niveaux. Les images affichées sur les parois représentent les paysages à l'extérieur.

— Extraordinaire, ils semblent si réels ! À Drieuss, il y avait très peu d'aérocars et les gens utilisaient des okydas, plus adéquats dans un village de montagne. Comment faites-vous dans les villes ?

— Il existe des aérobus souterrains et, à la surface, différents engins individuels sont disponibles. Sais-tu ce qu'est un vélo ?

— Amélia en possède un, mais je n'ai jamais essayé.

— Une nouvelle expérience en vue. Ce sera un plaisir de t'apprendre, et je t'éviterai de chuter.

Les yeux de Brian pétillaient de malice. Malgré elle, Flore se piqua au jeu.

— Pourquoi est-ce moi qui tomberais ? Je pourrais te surprendre.

— J'en prends bonne note. En attendant cette occasion, je te propose de dormir. Ton séjour dans le monde des Morts a dû t'épuiser. L'ogre que tu es ne se contentera pas des friandises avalées dans ton salon.

Une image fidèle aux kiriahnis, songea-t-elle au souvenir des contes relatés à l'université, la dangerosité en moins.

Sur un ordre oral de Brian, la vitre de l'habitacle s'opacifia. Elle ne tarda pas à s'assoupir, bercée par le déplacement du véhicule.

L'éclat du jour la réveilla. Pourquoi des nuages défilaient au-dessus d'elle ? Ne se trouvait-elle pas sans son lit ? La réponse déchira la brume de son esprit : l'aérocar ! Un coup d'œil rapide à travers la paroi redevenue transparente le lui confirma. En revanche, elle ne se souvenait ni de s'être allongée ni d'avoir une couverture sur elle.

Brian s'est certainement occupé de moi.

Quand elle se redressa, son siège suivit le mouvement. Elle s'y cala confortablement.

— Bien dormi ? s'enquit son ami.

— Comme un bébé. Et toi ? Tu n'es pas fatigué ?

— Les nuits blanches ne me posent pas encore de problème, mais un succulent café ne me déplairait pas. Regarde, nous voici au haras !

Elle se tourna dans la direction de son index, pointé vers des prairies fleuries. Des okydas galopaient à leur hauteur sous le soleil matinal. Ses rayons orangés accentuaient le dessin des muscles en pleine action et enflammaient les crinières au vent.

L'arrêt du véhicule l'arracha à regret de sa contemplation. Elle en descendit. Face à un bâtiment à deux niveaux en bois bleu pâle et toit à faible pente. Un bas-relief en métal ouvragé encerclait tout l'édifice à chaque étage, reprit dans les encadrements des larges fenêtres. Ils mettaient à l'honneur les okydas.

Magnifique, les Auroréens approuveraient volontiers.

Hélas, des draperies habillaient sur son pourtour la fastueuse porte d'entrée.

Couleur noire.

Couleur du deuil des Dalghariens.

Nous sommes arrivés trop tard, lui confirma Brian en pensée.

Mâchoire durcie, poings serrés, il passa devant elle à grandes enjambées. Le battant s'ouvrit sur un majordome dans une livrée sombre. Il ne paraissait guère surpris de rencontrer le prince si tôt le matin ou le cachait bien. Ils le suivirent jusqu'à un salon-bibliothèque agencé de jolis meubles anciens en bois.

Des reproductions de ceux qui ont existé sur Terre, se souvint Flore.

Amélia lui avait montré les siens dans ses appartements au palais.

Au milieu de ce décor chaleureux, une femme menue se tenait assise dans un siège avec accoudoirs. Un voile en dentelle recouvrait la tête baissée aux belles mèches blondes, et une robe noire tombait jusque sur les pieds posés sur un support.

Si semblable à une statue figée par la détresse.

Seules ses fines mains bougeaient. Elles cornaient le coin des pages d'un vieux livre avec nervosité, ignorant la tasse fumante sur le guéridon.

Margiani, la mère de Glayon, indiqua Brian.

Il s'installa à ses côtés sur un sofa. Comme si elle attendait cet instant, leur hôtesse reprit vie et s'épancha dans ses bras.

— Il a eu un accident, lui un cavalier émérite !

— Je suis désolé de te le demander. Que s'est-il passé ?

— Son cheval s'est emballé, et ils ont versé dans le ravin qui surplombe le ruisseau de la propriété. Tu t'en souviens ?

— Oui, ainsi que de toutes mes promenades avec Glayon. Il était le meilleur de notre groupe d'amis. Nous autorises-tu à aller voir le lieu ?

— Tu es un fils pour nous. Les serviteurs le savent, ils t'aideront.

Brian serra un long moment Margiani contre lui, puis essuya une larme sur sa joue avec son pouce et posa ses lèvres sur le front avant de se lever. Flore cligna des paupières. Plus elle côtoyait le prince, plus sa comparaison avec Xénon s'effritait.

Le Lien ne se trompe jamais.


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